Attentats en Catalogne : le terrorisme pourrait
booster l’indépendance, au grand dam de l’UE
Elisabeth Studer
Simple hasard de calendrier ? Le terrorisme
vient de frapper deux villes de Catalogne – la cité éminemment touristique de
Cambrils et sa capitale régionale, Barcelone – à
l’heure ou la région revendique de plus en plus haut et fort son indépendance
vis à vis de l’Espagne.
A l’heure où la Catalogne est de plus en plus décidée à s’affranchir de la
tutelle de l’Etat
espagnol, avouez – certes cyniquement mais les terroristes et leurs
commanditaires ne sont-ils pas cyniques ? – que les attentats pourraient
tout de même fournir une « motivation » toute trouvée pour
« permettre » de rassembler les récalcitrants catalans en frappant en
son cœur, à Barcelone, et qui plus dans un lieu emblématique que constitue les
Ramblas.
L’argument invoqué par les
terroristes pour justifier de leurs crimes est loin d ‘être anodin dans le
contexte actuel. Justifiant leur propre violence par les actions menées par
l’armée espagnole au sein des Forces de la coalition en Irak et en Syrie. Et ce,
notamment, alors que la Russie
fait état de collusion
entre Daesh et la Coalition sous forte odeur de pétrole, soit dit en passant
…
Or, la justification des terroristes pourrait faire son chemin dans
l’inconscient des Catalans, qui pourraient alors faire un lien entre les actes
de terrorisme perpétrés sur leur territoire et l’appartenance de la Catalogne à
l’Etat espagnol. Bientôt, nous pourrions voir surgir ici ou là des slogans
scandant : « Indépendance
contre le Terrorisme. » L’indépendance pouvant alors être vue comme
une manière d’éviter que de tels actes n’endeuillent la région, la Catalogne se
désolidarisant ainsi de facto de l’Espagne dans son implication au sein des
Forces de la coalition.
Rappelons qu’après octobre 2014 – date des attentats meurtriers de Madrid –
le pays a envoyé 300 instructeurs militaires en Irak. Depuis cette date, les
forces armées espagnoles ont formé 46 bataillons et plus de 20.000 militaires
irakiens pour combattre les jihadistes, selon le site de la Défense
espagnole.
Si l’armée espagnole ne participe pas militairement aux frappes aériennes en
Syrie
-contrairement à la France par exemple- ciblant les bâtiments et membres de
Daesh, elle apporte une aide financière et un soutien logistique,
selon France24.
Mais au final, à qui profiterait le crime, me direz-vous peut-être, une fois
l’émotion passée.
Rappelons qu’une éventuelle indépendance de la Catalogne
aurait des conséquences économiques et financières notoires mais potentiellement
dévastatrices tant pour la région elle-même que pour l’Espagne et l’UE toute
entière.
A la plus grande joie des USA trouvant ainsi un compagnon d’infortune tout
trouvé pour plonger dans les abysses de la crise financière. La Catalogne
pouvant devenir alors l’arbre qui cachera la forêt de la déchéance financière,
politique et morale des Etats-Unis.
Pour rappel, le 9 juin dernier, le président du gouvernement de Catalogne,
Carles Puigdemont, a annoncé la tenue d’un référendum
d’autodétermination unilatéral le 1er octobre prochain. Les
indépendantistes faisant alors un pas supplémentaire vers la sécession de la
région, laquelle s’affronte avec Madrid depuis 2012 dans le cadre d’une grave
crise politique.
A la mi-juillet, annonçant le départ de la porte-parole du gouvernement Neus
Monté, du ministre de l’Intérieur de la Catalogne Jordi Jané et du ministre de
l’Education Meritxell Ruiz – lesquels sont des éléments moteurs dans
l’organisation du scrutin – le président régional Carles Puigdemont avait
déclaré que ces derniers avaient « pris la décision de se mettre à l’écart
».
Cette annonce intervenait alors que Carles Puigdemont avait déjà annoncé en
début de mois le départ d’un autre membre du gouvernement régional, Jordi
Baiget. Ce dernier avait exprimé des doutes quant à la viabilité du référendum
interdit par Madrid. « L’Etat a tant de force qu’il est probable que nous ne
puissions pas organiser le référendum », avait-il alors déclaré dans un
entretien publié par un quotidien indépendantiste.
Madrid n’avait pas été avare de menaces ces derniers temps à l’encontre des
fonctionnaires qui accepteraient de participer à l’organisation du scrutin,
pointant également du doigt les entreprises qui fourniraient la logistique.
Laissant entrevoir qu’ils pourraient faire l’objet de poursuites pénales, de
retraits d’habilitations tout en étant condamnés à de coûteuses amendes.
- La Catalogne : l’indépendance, une bataille de longue date
-
Rappelons qu’en 1932, sous le Roi Alphonse XIII, la Généralité de Catalogne
avait été déclarée autonome avec le 1er statut d’autonomie. Statut qui sera
perdu lorsque la guerre civile éclate en 1936. Ce n’est qu’en 1978 avec la
constitution espagnole que la Généralité de catalogne et son parlement sont
rétablis, l’autonomie politique étant réinstaurée à travers un 2ème statut
d’autonomie. En 2006, la demande d’un 3ème statut de l’autonomie qui, entre
autre, reconnaît la « nation » catalane et accroît l’autonomie de la région au
niveau de la justice et des finances est approuvée au parlement espagnol. Il est
cependant annulé par le conseil constitutionnel en 2010 suite à un recours
déposé par le parti Populaire (droite). Cette décision entraîne alors
d’importantes manifestations réunissant 1 million de personnes à Barcelone,
revendiquant le « droit à décider » des catalans.
En septembre 2012, plusieurs centaines de milliers de personnes défilent
pacifiquement à Barcelone en faveur d’un référendum d’indépendance et du « pacte
fiscal » demandé par le président catalan, Artur Mas. Voulant ainsi faire valoir
la capacité de la Catalogne à gérer les impôts prélevés dans la région.
Le 25 novembre 2012, après le rejet du pacte fiscal par le chef du
gouvernement Mariano Rajoy, des élections régionales anticipées sont convoquées
par Artur Mas. Pour la première fois des élections se tiennent par rapport à la
question indépendantiste. Si Convergence et Union, la formation d’Artur Mas,
avait certes perdu des voix, elle n’en avait pas moins remporté l’élection avec
pour nouvelle feuille de route la construction d’un Etat catalan souverain.
Le 27 septembre 2015, les nationalistes de Convergence démocratique de
Catalogne (CDC) et les indépendantistes de la Gauche républicaine catalane
(ERC), ainsi que des membres d’associations indépendantistes forment une liste
commune, Junts Pel Sí (« Ensemble pour le oui »), lors de nouvelles élections
anticipées par le gouvernement catalan. La liste remporte 39,6 % des voix et 62
députés.
Le 9 janvier 2016, grâce au soutien du mouvement séparatiste, europhobe et
anticapitaliste Candidature d’unité populaire (CUP) – lequel a totalisé 8 % des
voix et obtenu 10 sièges de députés – les indépendantistes obtiennent une
majorité parlementaire leur permettant de lancer une nouvelle feuille de route
visant à déclarer l’indépendance dans les dix-huit mois. La CUP aura obtenu en
échange le retrait d’Artur Mas. Carles Puigdemont est alors élu nouveau
président de la Catalogne.
Le 13 mars 2017 , Artur Mas est condamné à deux ans d’interdiction d’exercer
toute fonction publique élective et à une amende de 36 500 euros pour avoir
organisé, le 9 novembre 2014, la « consultation populaire » sur l’indépendance
de la région, malgré l’interdiction prononcée, cinq jours plus tôt, par la Cour
constitutionnelle.
L’ancienne vice-présidente du gouvernement catalan, Joana Ortega, et
l’ancienne ministre régionale de l’éducation, Irene Rigau, ont également été
condamnées à six mois d’inéligibilité, en tant que « collaboratrices nécessaires
». Al la suite, le vice-président Francesc Homs est condamné à un an et un mois
d’inéligibilité.
- La Catalogne : un enjeu économique majeur -
Il est vrai que Madrid joue gros ! La Catalogne constitue en effet un moteur
de l’économie espagnole, la région possédant des activités diversifiés autour de
l’industrie automobile, pharmaceutique ou touristique. Ainsi, la Catalogne
assure notamment 44% de la production bio-pharmaceutique espagnole, et 25% des
produits chimique de laboratoire espagnoles.
La région constitue également une ouverture sur l’Europe et sur le monde
puisqu’elle compte 35% des sociétés exportatrice du pays, c’est une des régions
les plus exportatrices d’Espagne, accueillant 25% des IDE (investissement direct
à l’étranger) du territoire espagnol.
Le secteur touristique est aussi très développé. La région compte 22.2% des
infrastructures de tourisme espagnole, et a accueilli, en 2016, 18 millions de
touristes, soit 24% du nombre total de touristes qui se sont rendus en Espagne
cette année la (75 millions).
Forte de ces atouts, la Catalogne est ainsi la région la plus riche
d’Espagne. Elle représente 20% du PIB espagnol, 222.6 milliard d’euros en 2014,
soit un PIB supérieur a celui de l’Irlande, la Grèce ou encore le Portugal en
valeur absolue. Le poids démographique de la catalogne en Espagne est quant à
lui loin d’être négligeable. La population vivant en Catalogne représente 16% de
la population espagnole.
Néanmoins, selon les experts, malgré le dynamisme économique de la région,
l’indépendance de la Catalogne aurait des conséquences importantes pour la
Catalogne elle-même, l’Espagne et même l’Europe.
La région pourrait devoir affronter de sérieuse difficultés financières si
elle obtient son indépendante dans les délais qu’elle souhaite. Figure en tout
premier lieu l’épineux dossier des retraites, un des arguments majeurs avancé
par les anti-indépendantistes. La Catalogne ne pourrait pas assurer entièrement
les versements des pensions de retraites sans l’aide de la Sécurité sociale
espagnole, ce qui entraînerait alors une baisse de 6.7% à 16.9% de leurs
montants.
Parallèlement, l’indépendance de la Catalogne entraînerait
automatiquement la sortie de la région de l’Union européenne. Si les
indépendantistes sont pro européens, et devraient donc se montrer rapidement
candidats à a une entrée dans l’Union, tous les membres doivent accepter les
candidatures. L’Espagne pourrait alors y opposer son veto. Une sortie de la
Catalogne de l’Espagne et de l’Union européenne pose également la question du
maintien de l’euro dans la région. La région pourrait alors créer une nouvelle
monnaie, liée de prêt ou de loin ou continuer à utiliser la monnaie européenne,
avec ou sans le consentement de la Zone Euro (comme le fait Monaco, le
Monténégro ou le Vatican), plaçant alors la Catalogne sous tutelle de la
troïka.
L’indépendance pourrait avoir des conséquences négatives même pour l’économie
catalane. La région se retrouvant alors dans la situation de devoir emprunter
sur les marchés sans le soutien de l’Espagne et sans le bénéfice d’appartenir à
l’Union européenne. De plus, la région ne pourra alors plus prétendre au
financement de l’Union européenne. Il s’agirait alors d’une lourde perte, Madrid
bénéficiant grandement de ces aides. Une sortie de la Catalogne pourrait
également conduire à une baisse des investissements étrangers sur le territoire
catalan. En 2012, Volkswagen-Audi Espagne avait ainsi déclaré que le groupe
déménagerait à Madrid en cas d’indépendance.
La Catalogne étant la région la plus riche du pays, sa sortie de l’Espagne
ferait courir un important risque de faillite pour Madrid. De plus, l’Espagne
refusant de négocier avec la Catalogne, la région menace de ne pas prendre en
charge une partie de la dette. A noter enfin que la Catalogne constitue une
région non négligeable de l’Europe. Son PIB représentait 1.47% du PIB de l’Union
européenne en 2015. Si l’indépendance de la Catalogne mettrait en péril la
stabilité économique de l’Espagne, une ruine de la 5ème économie d’Europe
pourrait mettre en cause la stabilité économique de la zone entière.
Sources : AFP, Le Monde, Courrier international, Les Echos, Géopolis, La
Tribune, France24
Elisabeth Studer – 18 août 2017 – www.leblogfinance.com