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Qui est Carlo de Benedetti ?

vendredi 4 décembre 2020, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 3 décembre 2020).

De la Loge P2 à la perte de contrôle d’Olivetti, Carlo De Benedetti livre son testament économique

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Publié mercredi 27 décembre 2000 à 01:40

Roland Rossier

Un des principaux capitaines d’industrie d’Italie détaille sa vie dans un ouvrage. De Olivetti à la société CIR, en passant par l’épisode du Banco Ambrosiano. L’ingénieur révèle qu’à Genève, ses enfants avaient été surveillés par la police durant l’époque où sévissait la Loge P2

Avec Silvio Berlusconi, surnommé Sua Emittenza en raison de ses intérêts médiatiques, le banquier légendaire Enrico Cuccia, Gianni Agnelli, l’avvocato et boss du groupe Fiat, le seigneur du ciment Carlo Pesenti et le roi du sucre Raul Gardini, Carlo De Benedetti est l’un des grands patrons qui ont durablement marqué le capitalisme italien de l’après-guerre. A lui aussi, les Italiens ont accolé un surnom pour le qualifier : l’ingegnere. Mais Carlo De Benedetti est sans conteste plus qu’un ingénieur, même si ce qualificatif lui sied particulièrement bien en raison des complexes montages financiers qu’il a souvent mis en place. Fondateur en 1976 de la holding privée CIR (Compagnie Industriali Riunite), l’ingegnere a transformé cette obscure société familiale en tête de pont d’un empire industriel dont le groupe Olivetti a longtemps été l’un des bijoux les plus brillants.

Dans un ouvrage très dense, Carlo De Benedetti raconte son aventure entrepreneuriale au journaliste Federico Rampini, directeur de la rédaction européenne de La Repubblica. L’homme de lettres ne ménage pas l’ingénieur, démontrant qu’il a su garder toute son indépendance malgré les liens financiers qui existent entre la holding CIR et le quotidien romain : parmi ses participations, CIR possède 49,7% du groupe éditorial Espresso dont La Repubblica est l’un des fleurons.

Réfugié en Suisse

Avant de déployer ses talents d’entrepreneur dans la péninsule, la route de Carlo De Benedetti a croisé à plusieurs reprises la Suisse. L’ingénieur italien a longtemps été un fidèle du Forum de Davos. Mais c’est par une froide journée de novembre 1943 que le jeune Carlo foule pour la première fois de sa vie le sol d’Helvétie. Son père juif veut fuir l’Italie fasciste. La famille De Benedetti – le père, la mère, Carlo et son frère aîné Franco – franchit la frontière à Chiasso avant d’être conduite dans un camp de réfugiés entouré de barbelés, près de Bellinzone. Quel souvenir conserve-t-il des Suisses, lui demande le journaliste ? Carlo De Benedetti répond : « Les Suisses ont été accusés de froideur et d’avidité. Ils n’ont rien fait gratuitement, c’est vrai, mais ils ne nous ont pas renvoyés à la frontière et ils nous ont sauvé la vie. A l’école, en Suisse, nous avons sûrement mieux été traités que les Italiens du Sud, les « Méridionaux » le furent dans les années 50 par les Turinois. » Grâce à sa mère qui a eu le réflexe de coudre quelques diamants dans son corset, Carlo De Benedetti et les siens parviennent à s’installer plus confortablement en Suisse, à Lucerne.

Après la guerre, la famille rentre en Italie, à Turin. Carlo De Benedetti devient ingénieur, se marie et rejoint l’entreprise de son père, la Compagnie italienne de tuyaux métalliques flexibles, fournisseur de Fiat, plus gros employeur industriel de la ville. C’est alors que Carlo s’affranchit pour la première fois de son père : il décide d’ouvrir un bureau à Milan. Son père est contre, estimant qu’on se rend à Milan « par le train du matin et on rentre le soir ». Son père cède mais l’avertit que le bureau sera fermé s’il ne dégage pas de bénéfice au bout d’un an. L’intuition du jeune Carlo est bonne : il faut aller là où se trouve le marché. Il apprend aussi autre chose : la nécessité de diversifier la clientèle, trop liée au seul secteur automobile. En 1968, son père l’adoube en lui offrant un porte-clés avec un sifflet en or, et le bombarde dans la foulée administrateur-délégué de l’entreprise.

Carlo De Benedetti devient ensuite directeur chez Fiat mais c’est en 1978, chez Olivetti, qu’il acquiert sa véritable dimension de capitaine d’industrie. Il y passera vingt ans. Vingt ans pour hisser le groupe au niveau des multinationales modernes. Le développement du groupe électronique s’appuie sur Mediobanca, l’entité dirigée par Enrico Cuccia. C’est vers ce banquier de légende qu’il se tournera, en 1995, pour boucler une opération d’augmentation du capital de Olivetti. Mais la Bourse ne suit pas. L’Italien confie : « Je comprends la rancœur de ceux qui ont investi dans Olivetti à 1000 lires et qui ont vu en quelques mois les actions descendre à 600 lires, même si en étudiant le projet plus à fond ils pouvaient prendre un peu patience et se retrouver avec un fabuleux retour sur investissement ». La position de Carlo De Benedetti devient intenable. Le fruit Olivetti est mûr. Le groupe allemand Mannesmann le ramasse sans peine.

Pour l’ingénieur piémontais, l’épisode du Banco Ambrosiano a constitué l’un des moments les plus délicats de sa trajectoire. De novembre 1981 à janvier 1982, l’Italien est administrateur puis vice-président de la sulfureuse banque. Il s’en mordra les doigts. Le krach du Banco Ambrosiano, dont le principal animateur, le banquier Roberto Calvi, sera retrouvé pendu sous le pont londonien des Frères Noirs, éclabousse l’homme d’affaires. L’Italie vit alors sous le rythme des scandales de la loge maçonnique pourrie P2. Avant la réunion d’un des rares conseils auquel il a participé, l’énigmatique Roberto Calvi l’avertit qu’« à Rome, la Loge P2 prépare un plan contre vous ».

Carlo De Benedetti est mis sous pression : « J’ai reçu à Ivrea une lettre anonyme bourrée d’allusions, lettre postée à Genève. Par ailleurs, mon fils cadet, Edoardo, qui vivait avec ses frères à Genève, a reçu un coup de fil de quelqu’un qui s’est présenté sous le nom d’Ortolani et qui me cherchait. La chose nous a beaucoup troublés parce que mes enfants vivaient à Genève incognito et que mon nom ne figurait pas dans l’annuaire téléphonique. Cela était si troublant que la police suisse, avertie de l’histoire par nos soins, a mis mes enfants pendant quelques mois sous surveillance. » Installé à Genève, Umberto Ortolani n’est autre que le bras droit de Licio Gelli, l’éminence grise de la Loge P2.

La justice italienne interpelle alors l’ingénieur piémontais. Il est condamné à 6 ans et 4 mois d’emprisonnement. Tout bascule. « J’étais dans ma chambre d’hôtel et, à cet instant, pour la première fois de ma vie, je me suis senti défaillir. J’étais physiquement

K.-O.… » Pour Carlo De Benedetti, le soulagement intervient le 22 avril 1998 avec la décision de la Cour de cassation de casser l’arrêt de la Cour d’appel de Milan le condamnant pour banqueroute frauduleuse.

En 1985, Carlo De Benedetti est devenu un condottiere, un conquérant. L’époque est à la diversification, aux coups financiers et industriels. Il s’empare au nez et à la barbe du français Danone – pourtant soutenu par Mediobanca – du groupe agroalimentaire Buitoni (pâtes, chocolats Perugina) mais c’est pour mieux le vendre peu de temps après. En 1988, c’est la multinationale suisse Nestlé qui rachète Buitoni.

L’Italien a déjà autre chose en tête. En 1987, poussé par le Français gauche caviar Alain Minc, il lance un raid sur la Société générale de Belgique (SGB), un groupe financier qu’il dépeint comme « un vieux conglomérat belge sans stratégies précises qui collectionnait les participations minoritaires ». La campagne de Belgique commence. Pour l’ingegnere, elle s’achèvera piteusement en Waterloo. Carlo De Benedetti commet deux erreurs, qu’il reconnaît aujourd’hui : il tonitrue posséder 18% du capital de la SGB et en convoiter encore 15%. Les journaux italiens titrent « De Benedetti s’offre la Belgique ». L’establishment belge se retourne sur ses pattes arrière. Le mauvais garçon est renvoyé à ses classes. Carlo De Benedetti n’a manifestement toujours pas digéré cet échec cuisant. Il lance, revanchard, à l’adresse de la Belgique : « Le niveau de susceptibilité de ce pays de petite dimension est incroyable. Les dirigeants belges sont pour la plupart étroits d’esprit et de vision, ils sont intrigants et querelleurs. »

Dans ce livre, l’ingénieur règle aussi ses comptes avec la famille Agnelli. Evoquant l’action du banquier Enrico Cuccia, il lâche que ce dernier a sauvé ou retardé la disparition de grandes entreprises italiennes, à l’image de Fiat. Il montre du respect pour Cuccia – décédé cette année à plus de 90 ans – mais il décoche tout de même une flèche à son encontre : « Nous portons le deuil d’un personnage exceptionnel, très rare en Italie. Cependant, il faut constater l’échec de son objectif. Je suis convaincu que l’Italie se serait mieux développée si elle n’avait pas eu d’un côté l’Etat-patron du Ministère des participations publiques et de l’autre Mediobanca. En définitive, l’Italie y a perdu. »

Carlo De Benedetti explique aussi les raisons qui l’ont poussé à investir dans les médias. A l’adresse de La Repubblica, il dit : « Outre d’imposants moyens financiers, je suis persuadé d’avoir apporté à l’entreprise une culture industrielle ayant poussé la direction à considérer qu’une entreprise de presse cotée en Bourse doit créer des richesses pour tous les actionnaires et qu’à long terme, la liberté de la presse se sauvegarde non seulement par la détermination du patron, mais aussi par l’indépendance que procurent un compte de résultats et un bilan en bonne santé. »

Aujourd’hui, l’empire de Carlo De Benedetti a considérablement maigri. Olivetti a rejoint l’escarcelle du géant allemand Mannesmann, lui-même avalé par le groupe anglo-saxon Vodafone. La CIR regroupe cependant encore près de 11 000 salariés. En s’épanchant face à Federico Rampini, Carlo De Benedetti a tourné la page professionnelle de sa vie. De toutes ses entreprises, c’est à l’évidence Olivetti à laquelle il s’est le plus attaché.

Quant à la succession, elle semble assurée : Rodolfo De Benedetti est depuis 1993 administrateur délégué de CIR et il occupe depuis cinq ans la même fonction chez Cofide (Compagnia Finanziaria De Benedetti), la société familiale qui contrôle environ 53% du capital de CIR. Rodolfo De Benedetti connaît bien la Suisse, et Genève en particulier. Il possède deux diplômes – droit et économie politique – de l’Université de Genève. L’Italien a aussi, précise-t-on chez CIR, été assistant chez Lombard Odier & Cie de septembre 1985 à décembre 1986.

« Carlo De Benedetti l’européen », Paris, Balland, 2000.

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