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Israël au cœur du « casse du siècle » sur la taxe carbone

vendredi 11 décembre 2020, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 11 décembre 2020).

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10 décembre 2020

Assawra

Arnaud Mimran lors de son arrivée au palais de justice de Paris, le 7 juillet 2016, dans le cadre du procès de l’arnaque à la taxe carbone. BERTRAND GUAY/AFP

Ça sent bon, chérie, ça sent bon ! » Eddie Abittan doit regretter son cri d’enthousiasme poussé au premier rang du public sur le plateau de « Master Chef » un jour de septembre 2019. Il encourageait son épouse, Vanessa, vedette de l’émission la plus regardée des programmes des télévisions israéliennes. Gagnante du jeu, elle était avec son délicieux accent français la coqueluche des médias. Reconnu par une journaliste, il a eu droit, lui aussi, à sa part de notoriété : Eddie Abittan était en cavale.

Cet agent immobilier franco-israélien de 55 ans, installé à Ra’ananna près de Tel-Aviv a été condamné en septembre 2018 par contumace à six ans de prison et 2 millions d’amende pour escroquerie et blanchiment en bande organisée. Il a, selon la justice française, joué un rôle majeur dans le « casse du siècle », l’arnaque à la taxe carbone, qui a rapporté à ses auteurs 1,6 milliard d’euros en France et entre 4 à 5 milliards d’euros dans toute l’Europe. Eddie Abittan a été notamment sanctionné dans le dossier « Crépuscule », du nom d’une société de courtage à l’origine du détournement de 146 millions d’euros au préjudice de l’État. Deux mandats d’arrêt ont été lancés contre lui.

Si son apparition a terni la gloire cathodique de sa cuisinière de femme, il n’a pas altéré son statut d’homme libre, ni son patrimoine. « À ma connaissance, aucune demande d’extradition n’a été lancée à son encontre » indique son avocate parisienne, Me Laurence Chechman.

Tentaculaire, l’affaire de l’escroquerie à la TVA s’est déroulée sur le marché des quotas d’émissions de CO2 à la fin des années 2000. Elle consistait à acheter des droits à polluer hors taxe dans un pays européen puis à les revendre en France à un prix incluant la TVA sans l’acquitter. Née de la délinquance financière, l’arnaque a basculé dans la criminalité organisée, avec des extorsions de fonds, de violents règlements de comptes et des assassinats. La sanglante saga a ses personnages emblématiques, comme le riche investisseur Arnaud Mimran soupçonné d’avoir ordonné l’assassinat de son associé Samy Souied, le « roi des hippodromes » tué sous ses yeux, le champion de poker Cyril Mouly, survivant d’un guet-apens meurtrier, ou son frère « Marco l’élégant ». Proche avant sa chute de vedettes du show-biz ainsi que du député Meyer Habib, qui lui a présenté Benyamin Nétanyahou, le sulfureux Arnaud Mimran a clamé avoir versé 150 000 euros en 2001 à l’actuel premier ministre israélien pour financer l’une de ses campagnes électorales. Le bureau de Benyamin Nétanyahou a démenti, mais a reconnu un don légal de 40 000 dollars. Arnaud Mimran a écopé de huit ans de prison.

Le « casse du siècle » a eu pour plaque tournante et centre de blanchiment le territoire israélien. Au plus fort de l’escroquerie, les sommes détournées par les sociétés écrans entraient par valises pleines via l’aéroport de Tel-Aviv. Les délinquants ont bénéficié pendant un temps d’une certaine impunité grâce à leur double passeport avant d’être pour la plupart arrêtés ou extradés. Seuls une demi-douzaine de protagonistes de l’affaire sont encore dispersés dans la nature. Deux d’entre eux, Stéphane Alzraa et Mickael Aknin, ont été renvoyés en France l’an dernier et jugés. Lié à Michel Neyret, l’ex-numéro 2 de la PJ de Lyon à qui il offrait des cadeaux, Stéphane Alzraa avait été arrêté sous le nom d’emprunt de David Bloomberg lors d’un banal contrôle routier à Tel-Aviv. Mais l’impression d’une certaine impunité persiste, à tort et à raison.

« À la différence de la France, Israël extrade ses voyous binationaux. Si certains dossiers ont traîné, c’est aussi parce que des demandes restaient bloquées dans les tuyaux parce qu’elles étaient mal formulées du point de vue du droit israélien », explique la journaliste Emmanuelle Elbaz-Phelps, auteure d’un documentaire choc sur la carbone connexion diffusé en 2017 par la chaîne Kan 11. « La coopération judiciaire entre les deux pays s’est beaucoup améliorée », note-t-elle.

Confrontés à une criminalité transnationale aussi active qu’ingénieuse, les enquêteurs français et israéliens ont resserré ces dernières années leur collaboration. « Les procédures sont compliquées par des systèmes juridiques différents - le droit français et la common law anglo-saxonne -. La nouvelle tendance est d’ouvrir des enquêtes miroirs des deux côtés de la Méditerranée. Les informations sont échangées sans délai d’attente pour définir le cadre judiciaire d’intervention le plus efficace et pour, au final, une plus grande réactivité » précise un policier.

Si la plupart des juifs français effectuant leur « alyah » sont bien entendu honnêtes, une petite minorité de Franco-Israéliens navigue en eaux troubles. Certains ont migré pour échapper à des ennuis judiciaires ou ont basculé une fois implantés en Israël dans la délinquance en se servant de leur pays d’accueil comme base de départ pour des arnaques en France, quitte à ternir l’image de leur communauté. L’un d’eux, Gilbert Chikli, a défrayé la chronique en usurpant l’identité du ministre des affaires étrangères Jean-Yves le Drian. Il a fini par être arrêté en Ukraine, condamné et emprisonné en France. Il avait soutiré des millions d’euros à ses victimes parmi lesquelles des chefs d’État, des PDG de renom et des personnalités en prétendant que l’argent servirait à payer des rançons pour libérer des otages. Reste que les grandes affaires comme les arnaques à la taxe carbone ou l’escroquerie au faux Le Drian sont les arbres qui cachent une forêt d’entreprises clandestines qui ne connaissent pas la crise ou plutôt en profite. Au début de la vague de Covid-19, deux Françaises vivant à Netanya ont été arrêtées pour des tentatives d’escroquerie à la vente par internet de masques de protection FFP2 à des sociétés françaises.

La dernière imposture mise à jour visait des retraités hexagonaux. Le suspect aurait extorqué par téléphone environ 1,5 million d’euros à des personnes âgées qui avaient confié leur épargne à de faux conseillers en placement. Il prétendait être un agent de l’État français et proposait à ses proies de récupérer leurs mises en échange d’un remboursement de frais fictifs payables sur-le-champ. « Cette forme de délinquance est aussi vicieuse que massive. Le phénomène s’est enkysté avec des sociétés écrans, des centres d’appels téléphoniques, des sites internet bidon et des circuits financiers passant par l’Europe de l’Est et la Chine », commente un expert de ces dossiers. Des call centers sont spécialisés dans l’arnaque au Forex (Foreign Exchange Market, NDLR), une plateforme d’investissements sur le marché des changes, au bitcoin, ou à l’option binaire, un pari sur la hausse ou sur la baisse des cours des marchés boursiers. Ces faux sites de trading en ligne promettent, grâce à la persuasion de prétendus « conseillers financiers », des gains miraculeux. Ils emploient de nombreux Franco-Israéliens.

« Le job peut rapporter de belles sommes » raconte D. un ancien des call center qui souhaite garder l’anonymat. « Il suffit d’une ou deux prises par jour pour entrer de l’argent. Les listes des personnes contactées par téléphone ont été piratées dans les banques de données de sociétés d’investissement. On baratine notre interlocuteur pour qu’il investisse via une fausse plateforme internet. Le client assiste aux vraies fluctuations pour qu’il puisse prendre des positions, mais la courbe de ses gains est fictive. Tu l’appelles au moins deux fois par semaine. Un lien se crée. Tu peux t’inventer une vie pour le mettre en confiance… Puis un jour, on liquide. Les faux noms, les numéros de téléphone, les adresses IP disparaissent », raconte D.

Depuis la médiatisation de ces détournements de fonds, les temps sont moins faciles. Les banques mettent en garde leur clientèle. Alors les tromperies se diversifient dans le diamant, le panneau solaire, la fausse déclaration à l’État de salariés mis au chômage en France pour cause de crise sanitaire et « l’arnaque au président » favorisée par le télétravail. Le stratagème est simple : le malfaiteur se fait passer pour un membre du board d’une entreprise et trouve un prétexte pour ordonner en urgence à la trésorerie un virement validé par un faux mail.

« Les petites mains des call centers n’ont en général que peu de formation, guère de réseau, et souvent un capital qui va s’amenuisant depuis leur arrivée en Israël, avec parfois de hauts niveaux d’endettements et des familles à nourrir », explique l’anthropologue Yoann Morvan (CNRS-CRFJ). « Ils peinent à s’intégrer dans la société israélienne. Leur pratique quotidienne du français les éloigne d’Israël et de l’hébreu. Ils tombent eux-mêmes dans le piège qu’ils tendent à leurs victimes : une dépendance au gain espéré, sachant que leur rémunération est surtout liée à leur prime de clientèle. De surcroît, pour les plus religieux, leurs pratiques d’arnaque leur posent d’épineux problèmes de conscience et de transgression de leurs préceptes théologiques. » Le site orthodoxe et francophone Torah Box ne s’y est pas trompé. Il diffuse une vidéo de mise en garde dans laquelle un faux trader est responsable de la mort par crise cardiaque du père qu’il a ruiné de l’un de ses amis.

Par Thierry Oberlé - Le Figaro du 10 décembre 2020

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