VIVE LA RÉVOLUTION
Accueil du site > Comment publier un article > Edward Saïd - Orientalisme et postcolonialisme

Edward Saïd - Orientalisme et postcolonialisme

dimanche 31 janvier 2021, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 31 janvier 2021).

Edward Saïd. Orientalisme et postcolonialisme. Par Nabila Chaib.

https://epss.collectifnovembre.com/…

31 janvier 2021

Nabila Chaib

Edward Saïd est un intellectuel et théoricien littéraire palestino-américain. Il est né à Jérusalem le 1er novembre 1935 dans une famille chrétienne. Son père est un riche homme d’affaires palestinien et sa mère, une Libanaise née à Nazareth. En 1948, sa famille, fuyant la guerre, a quitté Jérusalem pour se réfugier au Caire. Il écrit en 1998 que son éducation primaire s’est faite principalement dans des écoles coloniales d’élite. Il s’agit d’écoles publiques anglaises dont la mission est de former une génération d’Arabes naturellement attachés à l’empire britannique. La dernière école qu’il avait fréquentée avant son départ pour les États-Unis est le collège Victoria du Caire. Ce collège comptait parmi ses élèves les enfants des classes dirigeantes arabes. Saïd se souvient que le futur Roi de Jordanie, le Roi Hussein, était un de ses camarades tout comme de nombreux Jordaniens, Égyptiens, Syriens et Saoudiens appelés à occuper de hauts postes dans le gouvernement de leurs pays respectifs. Par ailleurs, une autre figure prestigieuse du nom de Michel Shalhoub fréquentait également ce collège, il s’agit de nul autre qu’Omar Sharif, qui deviendra plus tard une grande star internationale grâce à un des films les plus orientalistes de l’histoire du cinéma, à savoir Lawrence d’Arabie. Ironie du sort !

À l’âge de 15 ans, il émigre aux États-Unis. Il se spécialise en littérature anglaise Il obtient sa licence à l’Université de Princeton, sa maitrise et son doctorat à l’Université d’Harvard. En 1967, il rejoint l’université Columbia comme professeur de littérature comparée. Il y enseigne jusqu’à sa mort en 2003. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages dont l’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident (1978), considéré comme le texte fondateur du postcolonialisme.

Dans cet ouvrage, Saïd s’appuie sur la méthode de déconstruction des discours de Michel Foucault et la notion d’hégémonie culturelle d’Antonio Gramsci pour examiner de manière approfondie un corpus d’écrits savants ou de fiction sur l’Orient. Il étudie le regard que porte l’Occident sur l’Orient et la façon dont les Occidentaux perçoivent le musulman ou l’Arabe. Selon lui, l’orientalisme est un style de pensée fondé sur la distinction ontologique et épistémologique entre « L’Orient » et « L’Occident ». C’est aussi un style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur l’Orient (1980 : 15). Saïd soutient qu’il faut étudier l’orientalisme en tant que discours afin de comprendre la discipline qui a permis à la culture européenne de gérer l’Orient des points de vue politique, sociologique, militaire, idéologique, scientifique et imaginaire (1980 : 15). Dans Réflexions sur l’exil, Saïd définit l’orientalisme comme un domaine de réflexion et d’analyse portant sur les suppositions idéologiques, les images et les fantasmes suscités par l’Orient (Saïd : 2008, 272).

« Tout autant que l’Occident lui-même, l’Orient est une idée qui a une histoire et une tradition de pensée, une imagerie et un vocabulaire qui lui ont donné réalité et présence en Occident et pour l’Occident. […] L’orientalisme est, pour ainsi dire, le résultat d’une construction idéologique créée par l’occident. C’est une représentation empreinte de stéréotypes. Cette conception de l’autre ne peut être sans conséquence, ni ne peut être dissociée du fait politique. (Saïd, 1980 : 17 et 24) »

Pour Saïd, le regard négatif que l’Occident porte sur l’Arabe est lié à des projets politiques :

« Je pense, pour ma part, que l’intérêt de l’Europe, puis de l’Amérique pour l’Orient était certes d’ordre politique, comme le montrent certains faits historiques évidents (…), mais la culture a créé cet intérêt ; c’est son action dynamique, jointe à de brutales raisons politiques, économiques et militaires, qui a fait de l’Orient cet objet varié et complexe qu’il est évidemment dans le domaine que j’appelle orientalisme. (1980 : 24) »

L’orientalisme est une institution de domination de l’occident construite discursivement et une vision qui oppose l’Européen à l’Autre, justifiant par là même l’ambition coloniale de l’Europe. Selon Saïd, l’orientalisme est un discours doté d’une ambition géographique considérable. C’est en se servant des aspects orientalistes véhiculés par la littérature occidentale, et ce qu’elle renferme comme rêves, images et vocabulaire, que l’Europe a pu avancer de façon matérielle en Orient. Saïd Rappelle également la menace permanente que constitue l’islam pour l’Europe, il soutient que depuis la fin du VIIe siècle jusqu’à la bataille de Lépante en 1571, l’islam, que ce soit sous sa forme arabe, ottomane, ou nord-africaine et espagnole, a dominé ou menacé la chrétienté européenne (Saïd, 1980 : 92). L’Orient est donc compris comme étant l’Orient islamique.

La connaissance de l’Orient, selon Saïd, passe d’abord par l’étude des textes classiques, lesquels textes seront appliqués à l’Orient moderne confronté à la décrépitude et à l’impuissance politique. Les vastes connaissances accumulées par les orientalistes sont donc utilisées dans une perspective politique. Aussi, Saïd suggère que les préparatifs de Napoléon Bonaparte dans son projet de s’emparer de l’Égypte sont presque textuels. Bonaparte voyait la conquête de l’Égypte comme une entreprise réalisable parce qu’il « la connaissait tactiquement, stratégiquement, historiquement et, ce qu’il ne faut pas sous-estimer, textuellement, comme quelque chose de connu par la lecture des textes d’autorité européenne récents aussi bien que classiques » (Saïd, 1980 : 99).

Said ajoute que cette conquête se concrétise grâce à des expériences appartenant au domaine des idées et des mythes recueillis dans des textes. C’est ainsi que l’orientalisme comme spécialité est mis au service de la conquête coloniale. Bonaparte, remarque Said, s’est appuyé sur l’œuvre du comte de Volney, un voyageur français, auteur de Voyage en Egypte et en Syrie (1787), ouvrage dans lequel Volney expose son hostilité envers l’islam en tant que religion et système d’institutions politiques. Il devient clair que les œuvres des orientalistes ne peuvent se dissocier des enjeux du pouvoir. Savoir rime avec pouvoir. À ce propos, Henry Laurens (2004 : 118) écrit : « Il est ainsi évident que l’orientalisme pris comme un tout, y compris dans ses dimensions artistiques qui s’obstinent à reproduire les authenticités locales en refusant les signes de la modernité, est étroitement associé au système colonial ».

Saïd écrit en 2003 : « ce que je cherchais dans L’Orientalisme, c’était une nouvelle manière de concevoir les séparations et les conflits qui ont stimulé pendant des générations l’hostilité, la guerre et le contrôle impérialiste. Et en fait, l’une des conséquences les plus intéressantes des études postcoloniales a été une nouvelle lecture des travaux canoniques sur la culture, non pas pour les rabaisser ou les couvrir plus ou moins de boue, mais d’examiner de nouveau certaines de leurs affirmations, en dépassant l’emprise étouffante de la dialectique binaire maitre-esclave ».

Pour résumer, comme l’explique Dominique Eddé (2017) dans son livre Edward Said. Le roman de sa pensée, l’Orientalisme est défini comme une étude savante, parsemée de clichés, de l’orient. C’est aussi une manière de diviser le monde en deux : Occident dominant et Orient dominé. En dernier lieu, l’orientalisme est une manière de manipuler l’orient dans un but colonialiste.

Dans une interview à la télévision française (1980), Edward Saïd explique que la dépossession de la terre de Palestine par l’envahisseur sioniste s’inscrit dans une vision orientaliste, i.e. la dépossession de la terre par l’Occident.

Par ailleurs, Saïd était un musicien et pianiste accompli. Il a fondé avec son ami chef d’orchestre, Daniel Barenboïm, une académie pour la promotion de la paix au Proche-Orient par le biais de la musique classique. En 2004, le conservatoire palestinien a été rebaptisé. Il porte désormais le nom de Conservatoire national de musique Edward Saïd. Il accueille de nombreux élèves dans ses antennes de Jérusalem, Ramallah, Bethléem, Naplouse et Gaza.

Répondre à cet article

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0