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Dans le genre « palabres infinis », réponse à une proposition de lecture : de Jean-Joseph Boillot - « Utopies made in monde - Le sage et l’économiste » - Ed. Odile Jacob

samedi 17 avril 2021, par Luniterre

Reçue par mail personnel, cette proposition de lecture :

Jean-Joseph Boillot - « Utopies made in monde - Le sage et l’économiste »

Editions Odile Jacob, 7 Avril 2021

« D’autres idées… Pour Luniterre.. . Why not ? »

EN RÉPONSE :

Bonjour,

J’ai pris le temps de « feuilleter » les 24 premières pages de cet ouvrage, qui nous sont proposées en ligne, à titre « promotionnel », manifestement :

https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/utopies-made-in-monde_9782738154057.php

Si le style est brillant, le fond n’en est pas moins plus trouble qu’il n’y parait, sous la surface brillante.

Même si l’on veut croire à la sincérité de la démarche, cela n’exonère pas de l’exactitude du propos.

Page 18, l’auteur fait une allusion, comme « révélatrice », sur le fait qu’un texte de Keynes : « Economic Possibilities for our Grandchildren », n’aurait été traduit en français qu’en 2017, alors que la première édition NRF date de 1933 et se trouve disponible en ligne :

http://classiques.uqac.ca/classiques/keynes_john_maynard/essais_de_persuasion/keynes_essais_persuasion.pdf

Le fragment cité sous ce titre constitue même carrément le chapitre final et la conclusion de cet ouvrage de Keynes. Il fut, semble-t-il, déjà édité séparément, sous ce même titre cité, en anglais, dès 1928.

Donc ce propos de l’auteur « moderne » JJ Boillot dénote pour le moins une certaine « légèreté » et manque de rigueur de la démarche.

Néanmoins, le sens de sa démarche est semble-t-il la rencontre avec des expériences « de terrain » qui ne sont pas forcément inintéressantes en elles-mêmes, bien au contraire, mais qu’il est effectivement tout à fait utopique de prétendre relier entre elles sur une base analytique qui n’apparaît pas dans cette présentation, sauf la référence à une conception prétendument « humaine » du capitalisme, qui ne repose donc essentiellement que sur des « bonnes paroles » des uns ou des autres, et pour cause… !

Le système capitaliste a toujours développé, dès son origine, différentes échelles de relations économiques et sociales, mais il est évident que ce sont nécessairement les plus « globales » qui dominent et déterminent le mouvement général, même si elles laissent transitoirement subsister en marge des relations économiques d’une échelle inférieure en importance concrète, sinon « inférieures », ou simplement, encore relativement archaïques, en termes de structuration.

Certaines de ces formes économiques marginales peuvent présenter une apparence socialement plus humaine, et donc « progressistes », sinon « subversives », mais n’en demeurent pas moins dans la dépendance de l’ensemble et dans l’incapacité réellement structurelle de s’y substituer.

Parler d’un modèle économique « alternatif » reposant sur ces bases, c’est donc parler, concrètement, d’un recul généralisé du niveau de développement des forces productives, et donc aussi du niveau de développement économique et surtout, social, en fin de compte, soit le contraire du but affirmé et prétendu de ces « utopies » !

J’ai une amie personnelle qui est précisément et concrètement dans ce genre de démarche économique : fort heureusement, elle est tout à fait consciente qu’il s’agit d’un mode de vie marginal à vocation nécessairement provisoire, même si cela peut encore tenir quelques années, ou même, quelques décennies, dans le cas le plus favorable.

Différentes orientations du développement sont toujours possibles, à toutes les étapes, mais un recul généralisé des forces productives ne s’est jamais produit, même pendant les périodes de « destructions massives » que sont les guerres, agissant même au contraire plutôt comme accélérateurs du progrès technologique, par les contraintes qu’elles imposent, déjà, en plus du renouvellement généralisé qui en résulte inévitablement. Pour les survivants, elles sont même des facteurs de progrès économique et social, le cas flagrant étant celui des « trente glorieuses » qui ont succédé à la dernière boucherie mondiale.

Toutefois, l’histoire de l’humanité, comme tout phénomène « naturel », et surtout « biologique », n’est pas un phénomène cyclique, mais bien un phénomène évolutif comme les autres, mu, d’une part, par sa propre nature, et d’autre part, et même, essentiellement, par son interaction avec son environnement.

Et c’est précisément ce que nous rappelle ce remarquable texte de Keynes, évoqué par JJ Boillot, qui manque donc d’en comprendre l’essentiel.

Edition PDF séparée :

http://www.econ.yale.edu/smith/econ116a/keynes1.pdf

Idem en français :

http://gesd.free.fr/kenfants.pdf

Toutes les grandes étapes du développement économique humain qu’il y décrit en résumé sont exactement celles que tout historien lucide de l’économie peut considérer, y incluant Marx, qu’il a possiblement lu, sauf évidemment les Grundrisse, encore inédites en 1928.

Le capitalisme n’a vraiment pris son essor qu’avec les forces productives modernes, en même temps qu’il était une des conditions nécessaires, dans sa forme d’accumulation primitive, que l’on retrouve, comme facteur essentiel, aussi bien chez Keynes que chez Marx, donc.

La corrélation entre développement des forces productives et réduction potentielle, et même, potentiellement drastique, du temps de travail socialement nécessaire, se retrouve également chez le Keynes de 1928 et le Marx des Grundrisse, qui ne se sont, sur ce coup, nullement « concertés », même involontairement, donc !

Toutefois, évidemment, Keynes s’est bien gardé de développer ce thème, par la suite de son œuvre, vouée à la survie du capitalisme en crise, alors que Marx a, par contre, commencé, dès 1857, et l’expansion de l’industrie « à vapeur », à en explorer les conséquences contradictoires pour le capitalisme, ce qui nous permet aujourd’hui de comprendre son évolution inexorable vers le banco-centralisme, à défaut de socialisme, mais c’est une autre histoire : la nôtre aujourd’hui, que nous « subissons », à quelques palabres près, dont ceux de ce JJ Boillot, passivement, et même, en complicité passive et massive, de fait, au lieu de la regarder en face et d’agir en conséquence !!!

Bien à vous,

Amicalement,

  • - -

Encore un peu « Luniterre », donc, ici… !

PS : en conclusion pratique, pour ma part, je n’investirai donc évidement pas dans ce livre, ni en argent, dont je dispose peu, ni même en temps pour en lire davantage, s’il était en ligne gratuitement !

Le petit texte de Keynes, par contre, est quasiment un joyaux historique, et d’autant plus que son « horizon prévisionnel séculaire » est donc exactement notre époque : 1928 >>> 2028. Cela permet à la fois de mesurer son génie, tout comme celui de Marx, du reste, et la dérive relative des deux et du réel actuel. Potentiellement, le développement des forces productives est bien actuellement celui anticipé par l’un et par l’autre, mais l’évolution des rapports sociaux en est restée sensiblement à ce qu’elle était déjà à leur époque, et barre donc toujours la route à la mise en oeuvre de ces forces pour le bien commun de la société. Le banco-centralisme étant le dernier avatar actuellement incontournable pour faire perdurer ces rapports sociaux de domination de classe avec le développement technologique moderne.

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