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Les anarchoïdes à l’offensive (DOC, PDF)

mercredi 2 juin 2021, par Jean-Pierre Garnier (Date de rédaction antérieure : 2 juin 2021).

Encore un topo sur ces infatigables rebelles de confort (version néo-rurale). Sachez que je passe auprès de certains d’entre eux pour un « emmerdeur bougon ».

Version DOC : http://mai68.org/spip2/IMG/doc/Basc…

Version PDF : http://mai68.org/spip2/IMG/pdf/Basc…

 

La grande basculade

 

 

L’historien Jérôme Baschet récidive dans son dernier ouvrage Basculements. Mondes émergents, possibles, désirables[1]. Après avoir fait ses « adieux au capitalisme »[2] et appelé à « défaire la tyrannie du présent »[3], le voici maintenant gaillardement engagé dans une « trajectoire croisée » des luttes anticapitalistes et de celles menées pour la défense du vivant. Des mouvements urbains exportés à la campagne auraient, selon lui, « rencontré d’autres trajectoires autonomisantes » artisanales, paysannes, artistiques — la version anarchoïde de la fameuse convergence des turlutes rêvée par Lord On, Ruffinaud and Co ? —, en créant autant d’îlots, d’espaces libérés et de « territoires inclusifs » — en fait, exclusifs où l’entre soi de la rebellitude néo-petite- bourgeoise peut se donner libre cours. De ces bacs-à-sable « alternatifs » émergeraient des « mondes communaux » et des « autogouvernements populaires ». Après « l’hypothèse communiste » de Alain Badiou, vétéran du marxisme de la chaire, voici donc venir « l’hypothèse communale » de J. Baschet — « communeuse » rectifierait La divine historienne Bantigny répudiant le qualificatif « communard » après sa relecture savante de la Commune — et les possibilités de basculement vers un archipel de microsociétés post-capitalistes localisées, nichées au sein de sociétés demeurées globalement régies par le capitalisme.

Ces prophéties et leur auteur ont déjà bénéficié d’un accueil enthousiaste dans un endroit agreste que j’ai longtemps fréquenté : la coopérative agricole de Longo Maï, sise à proximité de la ville de Forcalquier. Une parfaite concrétisation de cette opposition autoproclamée au capitalisme, non seulement tolérée mais même en partie subventionnée par les pouvoirs en place. Dans le sillage de 1968, de jeunes militants allemands, suisses et autrichiens accompagnés de quelques Français avaient déserté la ville pour créer un « bastion de résistance » rural en s’installant en 1973 dans les Alpes de Haute-Provence. Fonctionnant en réseau avec d’autres coopératives, en France, en Ukraine et au Costa Rica, elle s’est dotée d’un radio, Radio Zinzine, et d’un journal, L’Ire des Chesnaies. Les ressources propres de la communauté sont l’élevage, la production céréalière et maraîchère, dont elle consomme une bonne partie. Mais elle dépend aussi à environ 50 % d’aides et de subventions publiques (département, région et Union européenne) ainsi que de dons principalement venus de bourgeois suisses séduits par la dimension autogestionnaire et écologique de l’expérience.

Cette dépendance, devenue structurelle à la longue, explique en partie le ralliement progressif — mais non progressiste — de ses animateurs, après exclusion des rares dissidents, aux positions défendues sur le plan géopolitique par l’impérialisme étasunien et ses vassaux européens : refus absolu d’envisager la sortie de la France hors de la Communauté européenne, hostilité marquée aux « régimes » russes, chinois et syriens, érection des forces militaires d’autodéfense kurdes du Rojava, maintenant soutenues par les É-U, en équivalent moyen-oriental des forces zapatistes des Chiapas… Sur le plan interne, dénigrement agressif des opposants à la dictature « sanitaire » (dis)qualifiés comme « ultra-libéraux réactionnaires », complotistes  voire « fascistes », alors que, tout au long de la pandémie, si l’on en croit Jérôme Baschet dont les « libertaires » de Longo Maï boivent goulûment les paroles, les « initiatives autonomes d’entraide et de soin » et les « arts de vivre anticapitalistes » se seraient multipliés. Pro-masques, pro-confinement, pro-vaccins, les « libertaires » de Longo Maï sont aussi dociles et soumis, face aux diktats d’un gouvernement soi-disant « en guerre » contre la pandémie, que les 300 et quelques moutons qu’ils élèvent. Lors d’une de leurs fêtes champêtres, ils avaient même invité le maire de Forcalquier, Christophe Castaner, qui n’était, il est vrai, pas encore ministre de l‘Intérieur. Ce qui ne les empêchera pas de faire fête, comme « les milliers de militant.e.s en bas à gauche » de notre continent à la délégation zapatiste venue d’outre-atlantique qui s’apprête à débarquer cet été pour « réveiller l’Europe ». Voilà qui doit plaire à Jérôme Baschet et ses pairs !

À partir du cas mexicain et des autres « espaces libérés » du capitalisme (Zad, blocages, squats, lieux autogérés, etc.), tous se persuadent, sans risque d’être contredits puisqu’ils dialoguent en vase clos, qu’une « politique de l’autonomie et de la multiplicité », nécessairement située dans et depuis un lieu précis, mais qui communiquerait avec d’autres constitués sur le même modèle décentralisé, dessinerait ainsi une « condition planétaire » commune à tous les « terrestres » et respectant leurs « différences ». Quant à la différence majeure qui oppose les classes entre elles, point n’est besoin de la remettre sur le tapis comme s’y entêtent les tenants obtus d’un révolutionnarisme marxien dépassé : elle se serait tout simplement évanouie lors de ce « basculement » miraculeux !

L’« insurgence communale » dont Jérôme Baschet s’est fait le chantre n’a en effet pas grand chose à voir avec les insurrections populaires qui ont jalonné l’histoire. Certes, en bon anarchoïde, il ressert les vaticinations du Comité invisible sur le « potentiel révolutionnaire » d’une « expérience vécue d’une existence déjà communale » hors du contrôle de l’État. Comme si, à Longo Maï comme d’en d’autres endroits autogérés de référence, ces audacieux pionniers du « monde d’après » ne se gardaient pas bien d’outrepasser les droits concédés par les autorités étatiques ! Aussi ne faut-il prendre que pour ce qu’il est le rôle que J. Baschet assigne aux « espaces libérés » qui serviraient de « ponts » et de « bases » aux 

forces révolutionnaires pour intensifier leurs actions insurrectionnelles lors de la nécessaire confrontation aux forces capitalistes et étatiques : une fanfaronnade typique de ces rebelles de conforts pour qui la révolution ne sera pas autre chose qu’un buffet campagnard de gala.

 

 

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[1] Éd. La Découverte, 2021.

[2] Titre d’un ouvrage précédent.

[3] Ibid.

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