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Pourquoi il faut tout critiquer [par Nicolas Casaux]

mercredi 25 août 2021, par Dominique

Nous sommes en l’an 10 000, à peu près, après l’a­vè­ne­ment de la civilisation, il fait 50°C au Cana­da, bientôt 20°C au pôle sud, lacs, mers et océans sont inexorablement rem­plis de plas­tiques, de métaux lourds et de sub­stances chi­miques toxiques en tous genres, tout comme les sols de la pla­nète et les corps des êtres vivants (humains y com­pris), les der­nières forêts conti­nuent d’être abat­tues, l’at­mo­sphère d’être enri­chi de gaz à effet de serre et de pol­luants en tous genres, les espèces vivantes d’être exter­mi­nées, des ani­maux non-humains d’être repro­duits et mas­sa­crés en masse, les inéga­li­tés sociales de croître furieu­se­ment, le patriar­cat d’op­pri­mer femmes, enfants et – dans une moindre mesure – hommes, la béto­ni­sa­tion de s’é­tendre en étouf­fant la pla­nète, les derniers peuples autoch­tones d’être détruits, l’a­gri­cul­ture indus­trielle de rava­ger les terres, et les imbé­ciles de croire qu’une autre civi­li­sa­tion tech­no-indus­trielle, bio, durable et équi­table (démo­cra­tique) pour­rait exis­ter, que par le vote (seul et der­nier ersatz d’in­fluence, de pos­si­bi­li­té de par­ti­ci­per à (un peu) orien­ter le fonc­tion­ne­ment de la socié­té à la dis­po­si­tion des citoyens) un monde meilleur pour­rait advenir.

Les causes de ce désastre total, ubi­qui­taire (bien trop par­tiel­le­ment décrit ci-des­sus), sont évi­dem­ment mul­tiples et intri­quées. L’im­puis­sance de l’in­di­vi­du fasse à l’É­tat explique son impuis­sance à frei­ner le désastre éco­lo­gique. Mais impos­sible de cri­ti­quer l’É­tat sans cri­ti­quer la volon­té de puis­sance et le capitalisme, qui lui sont liés. Et impos­sible de cri­ti­quer le capi­ta­lisme et l’É­tat sans cri­ti­quer la tech­no­lo­gie, qu’ils pro­duisent conjoin­te­ment. Inver­se­ment, donc, impos­sible de cri­ti­quer la tech­no­lo­gie sans cri­ti­quer l’É­tat et le capitalisme. Et impos­sible de cri­ti­quer l’É­tat et ses hié­rar­chies sociales sans criti­quer la taille des regrou­pe­ments humains qui consti­tuent les socié­tés modernes, lar­ge­ment exces­sive pour — donc incom­pa­tible avec — la démocratie réelle, c’est-à-dire directe. Aus­si, impos­sible de déplo­rer toutes ces cala­mi­tés sans rien dire du patriar­cat sur lequel elles reposent toutes. Et impos­sible de cri­ti­quer le patriar­cat sans cri­ti­quer les sté­réo­types sexuels qu’il impose — le genre. Et impos­sible de cri­ti­quer ces sté­réo­types sexuels et le patriar­cat en géné­ral sans cri­ti­quer le trans­gen­risme qui s’y enra­cine largement. Et impos­sible de cri­ti­quer le trans­gen­risme (ou la tech­no­lo­gie, ou le capi­ta­lisme) sans cri­ti­quer le trans­hu­ma­nisme, qui pro­met la décor­po­ra­tion la plus abso­lue. Et impos­sible de cri­ti­quer [le trans­hu­ma­nisme.>https://www.partage-le.com/2020/09/…] sans cri­ti­quer la volon­té de puis­sance et la tech­no­lo­gie. Et impos­sible de cri­ti­quer la tech­no­lo­gie sans cri­ti­quer les tech­no­lo­gies dites « vertes » et les autres absur­di­tés ou men­songes « durables ». Et impos­sible de cri­ti­quer ces mys­ti­fi­ca­tions « vertes » sans cri­ti­quer les médias (de masse) qui par­ti­cipent allè­gre­ment à les promou­voir. Et impos­sible de cri­ti­quer ces médias sans cri­ti­quer le capi­ta­lisme. Et impos­sible de cri­ti­quer le capi­ta­lisme sans cri­ti­quer la pro­prié­té pri­vée, la pro­prié­té fon­cière, l’argent, le sala­riat, le tra­vail, et tous ses autres fondements : impos­sible de cri­ti­quer le capi­ta­lisme sans cri­ti­quer l’État (on en revient tou­jours aux grands sys­tèmes géné­raux qui sous-tendent l’in­té­gra­li­té de la civi­li­sa­tion moderne : l’É­tat, le capi­ta­lisme, la tech­no­lo­gie, le patriarcat).

D’innombrables connexions (interrelations, interdépendances) entre tous les aspects, tous les éléments (macros ou micros) du monde moderne pourraient être décrites. (Impossible de critiquer l’écocide en cours sans critiquer l’ethnocide : l’anéantissement de la diversité culturelle humaine ; impossible de critiquer l’ethnocide sans critiquer l’État et le capitalisme et donc la technologie, etc.) Comme le note avec insistance Annie Le Brun : « Une des plus graves formes d’aliénation aujourd’hui réside dans le fait de ne pas voir que tout se tient, la culture de masse correspondant au crabe reconstitué, le matraquage médiatique aux pluies acides, le relookage des villes à la chirurgie esthétique[1] », l’« entreprise de ratissage de la forêt mentale [à] l’anéantissement de certaines forêts d’Amérique du Sud sous le prétexte d’y faire passer des autoroutes[2] ».

Tout se tient, la défo­res­ta­tion au Congo et la popu­la­ri­té de Cyril Hanou­na, les migrants en Médi­ter­ra­née et les yachts des mil­liar­daires, les vio­lences poli­cières et le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, l’aug­men­ta­tion des can­cers infan­tiles et l’exis­tence d’in­ter­net, l’o­bé­si­té et les bat­te­ries au lithium, l’in­dus­trie chi­mique et la PMA (ou la GPA), la gauche et la droite, la sco­la­ri­sa­tion et les cen­trales nucléaires, les éoliennes off­shore et la covid-19, la puis­sance et la des­truc­tion, le déve­lop­pe­ment des réseaux fer­ro­viaires et celui des inéga­li­tés sociales, la consom­ma­tion crois­sante d’hyp­no­tiques, d’an­ti­dé­pres­seurs et d’an­xio­ly­tiques et la dis­pa­ri­tion des lucioles, la science et la guerre, etc. Et c’est parce que tout se tient que tout (tout ce qui fait par­tie ou pro­cède du vaste réseau que forment les sys­tèmes géné­raux sus­men­tion­nés, qui cor­res­pond à peu près à ce qu’on nomme la civi­li­sa­tion) est à cri­ti­quer et à rejeter.

(Bien enten­du, jamais les médias (de masse) ni aucune ins­ti­tu­tion majeure ne pro­mou­vront une cri­tique de la tota­li­té du monde moderne (cela revien­drait pour eux à se tirer une balle dans le pied ; aucune entre­prise, aucun type d’en­tre­prise, aucune ins­ti­tu­tion n’a inté­rêt à pro­mou­voir sa propre dis­pa­ri­tion). En revanche, ils invitent régu­liè­re­ment diverses som­mi­tés arguant que tout cri­ti­quer relè­ve­rait de l’ex­tré­misme (alors qu’i­nexo­ra­ble­ment détruire le monde n’a rien d’ex­trême, c’est sim­ple­ment le coût de la moder­ni­té, voi­là tout, on par­ti­ra sur Mars quand on en aura fini avec la Terre et tout sera pour le mieux), ou qu’il se trouve un juste milieu, qu’on pour­rait réfor­mer ci sans renon­cer à ça, avoir le beurre et au moins une par­tie de l’argent du beurre, ou ne renon­cer à rien parce que la tech­no­lo­gie et le Pro­grès rendent tout pos­sible, ou d’autres bali­vernes du genre.)

Nico­las Casaux

« Annie Le Brun : “Le lan­gage reste une arme que cha­cun peut se réap­pro­prier” », entre­tien avec Phi­lo­mag, publié le 28 jan­vier 2009. ↑

Annie Le Brun, Du trop de réa­li­té, Gal­li­mard, 2000. ↑

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