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Le café Shabandar - 24 novembre 2017 - La Mecque des intellectuels irakiens depuis un siècle

vendredi 24 novembre 2017, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 24 novembre 2017).

Le café Shabandar : La Mecque des intellectuels irakiens depuis un siècle

https://assawra.blogspot.fr/2017/11/le-cafe-shabandar-la-mecque-des.html

24 novembre 2017

Assawra

Des Irakiens attablés au café Shabandar, où se retrouve l’intelligentsia, le 18 août 2017 à Bagdad (afp)

Au coeur de l’allée des bouquinistes de Bagdad, Abdel Fattah al-Noeïmi est attablé au café Shabandar, cette institution où, depuis un siècle, l’histoire de l’Irak se fait et se défait devant un verre de thé.

"Je viens ici depuis 60 ans", assure à l’AFP ce septuagénaire élégamment vêtu, un des piliers de ce haut lieu de rendez-vous des poètes et de l’intelligentsia culturelle et politique bagdadie.

Abdel Fattah al-Noeïmi a commencé à fréquenter ce café de la célèbre rue al-Moutannabi quand il avait 17 ans, avant même de devenir chercheur en sciences sociales.

Tous les jours depuis lors, affirme fièrement cet Irakien, cheveu peigné de près et cravate assortie à son costume marron impeccable, il est là, "de neuf heures du matin jusqu’à 14 ou 15 heures, quand tout le monde part".

Avant de devenir en 1917 le premier café du quartier, l’immense bâtisse de briques et de plâtre typique du Bagdad de l’époque était déjà une institution locale. Ici, se dressait l’imprimerie d’Abdel Majid al-Shabandar, dont le nom ottoman signifie "le plus grand des commerçants".

Le café a gardé ce nom. Derrière la porte en bois et en verre, vêtu d’une longue robe traditionnelle blanche et le visage encadré par une barbe de la même couleur, Mohammed al-Khachali, le propriétaire, veille.

Cette année, dit celui que tout le monde appelle "hajj", du nom du musulman ayant fait le pèlerinage à La Mecque, "le café a 100 ans". "Ici, c’est comme un livre d’histoire", assure-t-il.

Quand il est arrivé à la direction du Shabandar en 1963, M. Khachali a pris une décision drastique : "Pas de jeu" dans son café, "ni dominos ni cartes", explique-t-il.

S’il en a surpris certains à jouer malgré tout, lui s’en est tenu à "la promesse" qu’il s’était faite à lui-même : "Ce lieu serait le rendez-vous des gens de culture", un lieu où l’on discute, où l’on échange sur les arts, les questions politiques et sociales. Et, se félicite-t-il aujourd’hui, "c’est vraiment ce qui s’est passé".

Ni les guerres, ni les révolutions, ni les coups d’Etat qui ont rythmé l’histoire irakienne et le siècle d’existence du Shabandar n’ont eu raison de l’assiduité de ses clients.

Les discussions animées autour d’un thé ou d’un narguilé ont continué d’être une tradition observée par tous ceux et celles qui se pressent, notamment le vendredi, journée de repos hebdomadaire, pour trouver une place sur les chaises et banquettes en bois.

La révolte de 1920 contre le mandat britannique, la révolution des Officiers libres du 14 juillet 1958 contre la monarchie, le coup d’Etat baassiste de 1963, l’embargo des années 1990, l’invasion conduite par les Américains en 2003… rien n’a pu entamer la popularité du café.

En mars 2007, dans la tourmente des violences confessionnelles et des attentats quotidiens, une voiture piégée a explosé au coeur de la rue al-Moutannabi. Une centaine de personnes ont été tuées ou blessées. Des librairies historiques sont parties en fumée.

Des décombres, les secours ont sorti les corps sans vie de quatre des fils de Mohammed al-Khachali, ainsi que celui de l’un de ses petits-fils.

Depuis, au nom "Shabandar" sur l’enseigne, une deuxième inscription a été ajoutée en lettres fines, qui proclame : "café des martyrs". M. Khachali, lui, refuse d’évoquer ce jour funeste.

Derrière lui, sur les murs, des dizaines de photographies en noir et blanc, certaines vieilles de plus d’un siècle, racontent l’histoire de Bagdad et de l’Irak, avec ses princes et ses anonymes. Dans le livre d’or, nombre d’ambassadeurs étrangers ont apposé leur signature.

La diversité des hommes et des femmes sur les photos se reflète encore aujourd’hui dans les tablées du Shabandar, assure M. Noeïmi. Ce café, dit-il, "n’est pas réservé à une religion, une culture ou une partie de la société, tout le monde s’y retrouve".

Dans un joyeux brouhaha, des commandes fusent - "Garçon, deux thés !" - au milieu de conversations portant sur la politique du pays en plein marasme, sur l’art ou la culture, deux domaines éreintés par les guerres à répétition et pour lesquels la rue al-Moutannabi et ses sorties du vendredi constituent un poumon.

Les serveurs, plateaux en fer tenus au-dessus de l’épaule, vont et viennent en un savant ballet pour apporter aux clients attablés et absorbés par leurs discussions des verres de thé remplis à ras bord.

Sur les tabourets ou fauteuils de bois, toutes les générations se côtoient. Rammah Abdelamir, 17 ans, un livre sur "L’histoire moderne de la politique" à la main, vient régulièrement dans ce "monument du vieux Bagdad".

Shabandar, dit-il, "est un héritage à préserver". "Cet endroit, c’est un peu La Mecque des intellectuels et une école pour les générations qui se succèdent", s’enthousiasme le jeune homme, chemise blanche cintrée et coupe savamment travaillée.

Pour M. Noeïmi, il y a même "une école de pensée" Shabandar. Dans un pays régulièrement en proie aux divisions ethniques ou confessionnelles, ici, dit-il, "tout le monde respecte les idées des autres".

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