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Le mythe du nègre barbare sert à occulter la barbarie coloniale

jeudi 30 septembre 2021, par bouhamidi mohamed (Date de rédaction antérieure : 30 septembre 2021).

Le mythe du nègre barbare pour occulter la barbarie coloniale
extrait (partie II) du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire.

https://chabiba.collectifnovembre.c…

27 septembre 2021

Des valeurs inventées jadis par la bourgeoisie et qu’elle lança à travers le monde, l’une est celle de l’homme et de l’humanisme – et nous avons vu ce qu’elle est devenue – l’autre est celle de la nation.

C’est un fait : la nation est un phénomène bourgeois…

Mais précisément, si je détourne les yeux de l’homme pour regarder les nations, je constate qu’ici encore, le péril est grand ; que l’entreprise coloniale est, au monde moderne, ce que l’impérialisme romain fut au monde antique : préparateur du Désastre et fourrier de la Catastrophe : Eh quoi ? les Indiens massacrés, le monde musulman vidé de lui-méme, le monde chinois pendant un bon siècle souillé et dénaturé ; le monde nègre disqualifié ; d’immenses voix à tout jamais éteintes ; des foyers dispersés au vent ; tout ce bousillage, tout ce gaspillage, l’humanité réduite au monologue et vous croyez que tout cela ne se paie pas ? La vérité est que, dans cette politique, la perte de l’Europe elle-même est inscrite, et, que l’Europe, si elle n’y prend garde, périra du vide qu’elle a fait autour d’elle.

On a cru n’abattre que des Indiens, ou des Hindous, ou des Océaniens, ou des Africains. On a en fait renversé, les uns après les autres, les remparts en deçà desquels la civilisation européenne pouvait se développer librement.

Je sais tout ce qu’il y a de fallacieux dans les parallèles historiques, dans celui que je vais esquisser notamment. Cependant, que l’on me permette ici de recopier une page de Quinet pour la part non négligeable de vérité qu’elle contient et qui mérite d’être méditée.

La voici :

« On demande pourquoi la barbarie a débouché d’un seul coup dans la civilisation antique. Je crois pouvoir le dire. Il est étonnant qu’une cause si simple ne frappe pas tous les yeux. Le système de la civilisation antique se composait d’un certain nombre de nationalités, de patries, qui, bien qu’elles semblassent ennemies, ou même qu’elle s’ignorassent, se

protégeaient, se soutenaient, se gardaient l’une l’autre. Quand l’empire romain, en grandissant, entreprit de conquérir et de détruire ces corps de nations, les sophistes éblouis crurent voir, au bout de ce chemin, l’humanité triomphante dans Rome. On parla de l’unité de l’esprit humain ; ce ne fut qu’un rêve. Il se trouva que ces nationalités étaient autant de boulevards qui protégeaient Rome elle-même… Lors donc que Rome, dans cette prétendue marche triomphale vers la civilisation unique, eut détruit, l’une après l’autre, Carthage, l’Egypte, la Grèce, la Judée, la Perse, la Dacie, les Gaules, il arriva qu’elle avait dévoré elle- même les digues qui la protégeaient contre l’océan humain sous lequel elle devait périr. Le magnanime César, en écrasant les Gaules, ne fît qu’ouvrir la route aux Germains. Tant de sociétés, tant de langues éteintes, de cités, de droits, de foyers anéantis, firent le vide autour de Rome, et là où les barbares n’arrivaient pas, la barbarie naissait d’elle- même. Les Gaulois détruits se changeaient en Bagaudes. Ainsi la chute violente, l’extirpation progressive des cités particulières causa l’écroulement de la civilisation antique. Cet édifice social était soutenu par les nationalités comme par autant de colonnes différentes de marbre ou de porphyre.

Quand on eut détruit, aux applaudissements des sages du temps, chacune de ces colonnes vivantes, l’édifice tomba par terre et les sages de nos jours cherchent encore comment ont pu se faire en un moment de si grandes ruines ! »

Et alors, je le demande : qu’a-t-elle fait d’autre, l’Europe bourgeoise ? Elle a sapé les civilisations, détruit les patries, ruiné les nationalités, extirpé « la racine de diversité ». Plus de digue. Plus de boulevard. L’heure est arrivée du Barbare. Du Barbare moderne. L’heure américaine. Violence, démesure, gaspillage, mercantilisme, bluff, grégarisme, la bêtise, la vulgarité, le désordre.

En 1913, Page écrivait à Wilson :

« L’avenir du monde est à nous. Qu’allons-nous faire lorsque bientôt la domination du monde va tomber entre nos mains. »

Et en 1914 : « Que ferons-nous de cette Angleterre et de cet Empire, prochainement, quand les forces économiques auront mis entre nos mains la direction de la race ? »

Cet Empire… Et les autres…

Et de fait, ne voyez-vous pas avec quelle ostentation ces messieurs viennent de déployer l’étendard de l’anti-colonialisme ?

« Aide aux pays déshérités », dit Truman. « Le temps du vieux colonialisme est passé ». C’est encore du Truman.

Entendez que la grande finance américaine juge l’heure venue de rafler toutes les colonies du monde. Alors, chers amis, de ce côté-ci, attention !

Je sais que beaucoup d’entre vous, dégoûtés de l’Europe, de la grande dégueulasserie dont vous n’avez pas choisi d’être les témoins, se tournent – oh ! en petit nombre – vers l’Amérique, et s’accoutument à voir en elle une possible libératrice.

« L’aubaine ! » pensent-ils.

« Les bulls-dozers ! Les investissements massifs de capitaux ! Les routes ! Les ports !

Mais le racisme américain ? Peuh ! le racisme européen aux colonies nous a aguerris ! » Et nous voilà prêts à courir le grand risque yankee.

Alors, encore une fois, attention

L’américaine, la seule domination dont on ne réchappe pas. Je veux dire dont on ne réchappe pas tout à fait indemne.

Et puisque vous parlez d’usines et d’industries, ne voyez-vous pas, hystérique, en plein cœur de nos forêts ou de nos brousses, crachant ses escarbilles, la formidable usine, mais à larbins, la prodigieuse mécanisation, mais de l’homme, le gigantesque viol de ce que notre humanité de spoliés a su encore préserver d’intime, d’intact, de non souillé, la machine, oui, jamais vue la machine, mais a écraser, à broyer, à abrutir les peuples ?

En sorte que le danger est immense…

En sorte que, si l’Europe occidentale ne prend d’elle-même, en Afrique, en Océanie, à Madagascar, c’est-à-dire aux portes de l’Afrique du Sud, aux Antilles, c’est-à-dire aux portes de l’Amérique, l’initiative d’une politique des nationalités, l’initiative d’une politique nouvelle fondée sur le respect des peuples et des cultures ; que dis-je ? Si l’Europe ne galvanise les cultures moribondes ou ne suscite des cultures nouvelles ; si elle ne se fait réveilleuse de patries et de civilisations, ceci dit sans tenir

compte de l’admirable résistance des peuples coloniaux, que symbolisent actuellement le Viet-Nam de façon éclatante, mais aussi l’Afrique du R.D.A., l’Europe se sera enlevé à elle-même son ultime chance et, de ses propres mains, tiré sur elle-même le drap des mortelles ténèbres.

Ce qui, en net, veut dire que le salut de l’Europe n’est pas l’affaire d’une révolution dans les méthodes ; que c’est l’affaire de la Révolution : celle qui, à l’étroite tyrannie d’une bourgeoisie déshumanisée, substituera, en attendant la société sans classes, la prépondérance de la seule classe qui ait encore mission universelle, car dans sa chair elle souffre de tous les maux de l’histoire, de tous les maux universels : le prolétariat.

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