Les djihadistes de Hayat Tahrir al Cham (HTC ou HTS) veulent montrer patte blanche. Toutes ses déclarations et tous ses actes tendent à rassurer la communauté internationale. Pourtant, en fin de semaine dernière, à Damas, dans le quartier de Mazzeh, des individus munis de mégaphones ont averti la population qu’hommes et femmes ne devaient pas se mélanger.
Note de do : Les préjugés de cet article sur la Syrie de Bachar el-Assad font que je n’aurais pas mis cet article s’il ne montrait pas où se dirige déjà la Syrie d’aujourd’hui. Cet article se fait aussi des illusions sur le Rojava, qui est pourtant contrôlé par l’impérialisme américano-sioniste.
Salih Muslim (PYD) : « Résister et revendiquer la liberté pour tous les Syriens »
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16 décembre 2024
Assawra
Des syriens manifestent sur la place des Omeyyades à Damas, le 15 décembre 2024. / Nicolas Cleuet
Note de do : Regardez bien ce drapeau. C’est le drapeau de l’époque où la France colonisait la Syrie après les accord de sykes-Picot. Le drapeau de l’époque Bachar avait une bande rouge (communiste) au lieu d’un bande verte (Islam).
Salih Muslim, dirigeant historique du Parti de l’union démocratique, revient ici sur les tentatives kurdes de dialoguer avec le nouveau pouvoir de Damas dominé par Hayat Tahrir al Cham alors que les supplétifs de la Turquie attaquent les zones tenues par les Forces démocratiques syriennes. Une semaine après la fuite de Bachar Al Assad et la fin de la domination du parti Baas sur la Syrie, le calme règne dans la capitale où personne ne semble regretter le clan déchu. Pour la réouverture des universités, ce dimanche 15 décembre, les étudiants se sont même rassemblés sur la place des Omeyyades pour fêter « la liberté et surtout la liberté d’expression », comme le souligne, auprès de l’Humanité, Hanine, 23 ans, qui prépare son diplôme d’informaticienne, avec ce slogan « Tous les Syriens ne font qu’un » !
Les djihadistes de Hayat Tahrir al Cham (HTC) veulent montrer patte blanche, comme l’a demandé leur chef, connu jusque-là sous son nom de guerre, Abou Mohammad Al Jolani, mais qui a repris son véritable patronyme, Ahmed Al Charaa, en même temps qu’il a troqué son treillis contre un costume à l’occidentale.
Toutes ses déclarations et tous ses actes tendent à rassurer la communauté internationale. Pourtant, en fin de semaine dernière, à Damas, dans le quartier de Mazzeh, des individus munis de mégaphones ont averti la population qu’hommes et femmes ne devaient pas se mélanger. Initiative individuelle de quelques groupes ? Il est encore trop tôt pour le dire.
En revanche, la tension est forte dans le nord du pays. Les supplétifs syriens de la Turquie n’ont de cesse d’attaquer les zones tenues par les Forces démocratiques syriennes (SDF, à dominante kurde), multipliant les exactions contre les populations civiles, en particulier les femmes. Le cessez-le-feu instauré dans la ville de Manbij, sous la houlette des États-Unis, est précaire, tandis que Kobané demeure visée. Jusqu’à dimanche, aucun dialogue direct n’avait été établi entre les Kurdes de l’Administration autonome du Nord-Est syrien (Aanes) – qui pourtant le recherchent – et le HTC.
Nous avons pu joindre par téléphone Salih Muslim, dirigeant historique du Parti de l’union démocratique (PYD), qu’il a longtemps coprésidé. Il parle de cette nouvelle Syrie, des dangers existants et des tentatives pour surmonter les difficultés et mettre en échec la volonté d’Ankara d’empêcher l’expression des droits des Kurdes.
Comment expliquez-vous la chute de Bachar Al Assad ?
La fuite de Bachar Al Assad est le résultat de quatorze années de lutte contre la dictature. Cette lutte était évidente. Personne ne va le regretter mais nous ne savons pas encore ce qui va se produire. Nous espérons, bien sûr, que la Syrie sera stable à partir de maintenant et que, peut-être, les différents peuples qui composent le pays pourront vivre ensemble en démocratie. C’est notre vœu le plus cher et notre espoir.
Encore une fois, tout le monde a participé à cette chute du régime, pas seulement les extrémistes. C’est le cas en particulier du peuple kurde du Rojava (le Kurdistan syrien – NDLR). Comme vous le savez à l’Humanité, nous luttions déjà avant la révolution syrienne contre cette dictature. Et maintenant, nous vivons simplement avec l’espoir que la situation change et que toutes ces diversités pourront vivre ensemble, dans un seul pays. Les Kurdes, les Syriaques et les autres communautés – et aussi d’un point de vue religieux avec les Yézidis, les chrétiens, les Alaouites et les chiites –, tout le monde peut vivre ensemble dans une Syrie démocratique. C’est une sorte de mosaïque de peuples, de nationalités et d’identités syriennes.
Êtes-vous en contact avec les nouveaux dirigeants du pays ? Si oui, quelle est la nature des discussions ?
Nous essayons de contacter les nouveaux dirigeants du gouvernement de Damas. Nous avons un dialogue, mais pas directement. Nous le faisons par l’intermédiaire de médiateurs, principalement la Coalition internationale (formée en 2014 pour combattre Daech – NDLR), qui essaie de nous aider à établir des discussions ou un dialogue entre nous et le nouveau pouvoir. Mais il est trop tôt pour en parler.
Peut-être que dans un futur proche nous aurons des contacts directs. Nous préparons une délégation de toutes les composantes participant à l’Administration autonome du Nord-Est syrien (Aanes), des Arabes et des Kurdes, pour se rendre à Damas et discuter de l’avenir de la Syrie. Nous essayons donc, mais jusqu’à présent rien ne s’est produit directement. La médiation se poursuit néanmoins.
Que vous disent les États-Unis et qu’attendez-vous d’eux ?
Nos représentants ont des contacts quotidiens avec les Américains et la coalition internationale – principalement la France, le Royaume-Uni, en plus des États-Unis – pour nous aider à calmer et à réduire les tensions existantes. La préoccupation de la coalition internationale – ces pays le disent publiquement – est de ne pas permettre à Daech de réapparaître parce que les activités de l’« État islamique » ont augmenté dans d’autres zones contrôlées jusque-là par l’ancien régime. Ils prennent donc des précautions pour que Daech ne réapparaisse pas.
C’est ce qu’ils font maintenant. Et ils essaient de calmer les choses entre nous, le nouveau gouvernement de Damas, et l’ensemble des groupes qui nous attaquent. Si un cessez-le-feu a pu être instauré à Manbij, c’est grâce aux efforts de la coalition internationale, donc des États-Unis. Nous espérons qu’ils pourront jouer un rôle très positif à cet égard.
Pourtant, vous subissez des attaques de la part des milices pro-Turcs regroupées au sein de l’Armée nationale syrienne (ANS)…
Nous avons été attaqués par ces groupes qui sont inféodés à la Turquie. Ils suivent la politique d’Ankara contre le peuple kurde, pas seulement au Rojava (Kurdistan de l’Ouest), mais aussi dans tout le Kurdistan : dans le Kurdistan du Nord (en Turquie), de l’Est (en Iran) et du Sud (en Irak). Ils essaient donc d’éradiquer le peuple kurde partout. Et ils n’acceptent aucun droit démocratique pour les Kurdes. Ces groupes sont principalement des mercenaires de la Turquie, qui les a déjà envoyés en Libye, en Somalie, en Azerbaïdjan, et maintenant en Syrie contre le peuple kurde au Rojava.
Il s’agit donc d’une politique turque, pas syrienne. Les Syriens ne sont pas du tout comme ça. Mais, bien sûr, lorsque vous avez de tels miliciens, que vous les payez, les formez, puis que vous les armez et les envoyez en Syrie, il ne peut pas se produire autre chose.
J’espère que, dans un avenir proche, ils seront éliminés. Mais, je le répète, ce ne sont pas des membres de Hayat Tahrir al Cham (HTC). Leur mentalité est différente. Nous essayons simplement d’établir un lien avec le HTC et le nouveau gouvernement syrien afin de trouver des solutions pour le Rojava et pour le peuple kurde. Mais ces groupes fidèles à la Turquie ne l’acceptent pas. Nous le savons. Il s’agit donc d’une politique turque contre la Syrie.
Cette offensive contre l’Administration autonome peut-elle atteindre votre capitale, Qamishli ?
Ils essaient d’éradiquer tout le peuple kurde et ils vont très certainement essayer d’attaquer Qamishli, ainsi que d’autres endroits. Comme nous l’avons vu, ces derniers jours, lorsqu’ils ont attaqué Kobané et le pont entre Kobané et Manbij, ainsi que le barrage de Tichrine, ils essaient de s’étendre partout. Mais, bien sûr, nous luttons à nouveau contre eux. Jusqu’à présent, ils n’ont pas réussi.
Mais, à l’avenir, nous ne savons pas si la Turquie, en tant qu’État, attaquera. Quoi qu’il arrive, nous résisterons. Nous ne le permettrons pas. Mais l’objectif de la politique turque est d’éradiquer tout le peuple kurde et de ne pas lui permettre de faire partie du gouvernement et de partager le pouvoir en Syrie. Même si c’est difficile, nous allons essayer de nous y opposer.
Comment peut évoluer la situation ?
Nous ne savons pas comment les choses évolueront à l’avenir. Nous essayons, bien sûr, de trouver une solution politique en Syrie. Les choses s’orientent dans ce sens. Nous faisons de notre mieux pour y parvenir et pour dialoguer avec le gouvernement. Tous les Syriens espèrent maintenant retrouver la stabilité dans un avenir proche.
Mais avec ces groupes djihadistes partout, ce sera difficile. Nous devons donc résister et continuer à revendiquer la liberté et la démocratie pour les Syriens, en particulier les Syriens laïcs, pour tout le peuple. Nous ferons de notre mieux, mais ce sera douloureux.
Pierre Barbancey
L’Humanité du 15 décembre 2024