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31 décembre 2024
Assawra
Haytham Manna veut désormais construire une Syrie « qui ressemble à la grande majorité des Syriennes et des Syriens ». / Julien Jaulin/hanslucas
Haytham Manna, militant progressiste des droits de l’homme, se réjouit de la chute des Assad mais dénonce la mainmise sur le pouvoir par Ahmed Al Charaa et Hayat Tahrir al-Cham. Les forces progressistes veulent tenir une conférence sur l’avenir du pays avant le 20 janvier.
Opposant de la première heure au régime baassiste et à la famille Assad, Haytham Manna a toujours combattu la vision des islamistes et leur stratégie armée. Ces derniers avaient d’ailleurs lancé une fatwa contre lui. Aujourd’hui, il cherche à organiser les forces démocratiques et la société civile en un large rassemblement progressiste.
L’homme fort de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), Ahmed Al Charaa, vient de s’exprimer sur la chaîne Al Arabiya et a présenté sa vision de la transition. Comment réagissez-vous ?
À part les habits neufs et les cravates, il est clair qu’il s’exprime de la même manière que celui qui a perpétré un coup d’État militaire, comme il le faisait autrefois dans le cadre du « gouvernement de salut syrien » qu’il a mis en place à Idleb. La feuille de route proposée fait pitié : il veut organiser dans quelques jours une conférence de dialogue national à laquelle il invitera les siens et quelques autres pour approuver ce qu’il a déjà fait, et lui donner tous les pouvoirs pour plusieurs années.
C’est comme ça qu’il faut entendre sa promesse d’une nouvelle Constitution dans trois ans et la tenue d’élections d’ici quatre ans. Il ne s’agit plus d’un gouvernement intérimaire ou une autorité de facto, mais plutôt de la concentration des pouvoirs et des avoirs du pays dans les mains d’un seul homme et un groupe homogène autour de lui. 24 heures avant l’interview, il a publié un décret dans lequel il confirme 49 nominations et promotions de sa propre milice HTC aux postes clés de la nouvelle armée.
À la direction des services de renseignement, on retrouve Anas Khattab, placé sur la liste des terroristes de l’ONU depuis 2014. L’homme lige de Charaa est passé par Daech et le Front al-Nosra. Il peut désormais dissoudre le HTC, devenu le noyau dur de l’armée syrienne et des moukhabarat (les renseignements).
Le projet de l’opposition démocratique et laïque, dont vous êtes l’un des représentants, peut-il s’intégrer dans celui du HTC ?
Aujourd’hui, nous avons devant nous l’expérience des Khmers rouges avec un drapeau noir. Pour le pouvoir actuel, l’expérience d’Idleb est un modèle. Mais là-bas, jusqu’à aujourd’hui, ils n’ont pas libéré un seul prisonnier dans les 11 établissements sous leur contrôle. Les droits des femmes n’existent pas, aucune formation politique ne peut agir.
Quand on lui parle des djihadistes étrangers dans les villes syriennes, il répond « qu’en Europe on obtient la nationalité après cinq ans et que ces gens sont en Syrie depuis dix ans ! ». Il a évité soigneusement de parler du futur statut des femmes, de sa nouvelle vision du rapport entre l’État et la religion… Il n’a jamais remis en cause la conception totalitaire, sectaire et exclusive du Jabhat al-Nosra. On ne peut pas jouer avec le feu et danser avec le diable.
Qui regroupez-vous et comment comptez-vous agir pour gagner les Syriens à votre projet ?
Avec une dizaine des forces politiques démocratiques et des ONG des droits de l’homme et de la société civile opposées au régime baassiste, nous avons constitué un réseau. Nous avons lancé un appel pour une conférence nationale syrienne élargie avant le 20 janvier à Genève et des visioconférences dans les grandes villes syriennes. Nous allons élaborer ensemble une feuille de route pour des actions communes afin de construire une Syrie qui ressemble à la grande majorité des Syriennes et des Syriens.
Pierre Barbancey
L’Humanité du 30 décembre 2024