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8 janvier 2025
Assawra
Shadi Al Waisi (à gauche), en visite dans la ville de Sweida le 29 décembre 2024. /Bakr Alkasem / AFP
Des images publiées sur les réseaux sociaux montrent l’exécution sommaire d’une femme pour prostitution. Celui qui prononce la sentence, en pleine rue à Idleb, il y a plusieurs années, ne serait autre que Shadi Al Waisi, ancien juge promu dans le gouvernement mis en place au lendemain de la fuite du clan Assad.
La vidéo nous était parvenue depuis plusieurs jours déjà. On y voit un homme en qamis (vêtement à connotation religieuse). Devant lui, une femme en niqab (le voile intégral), agenouillée, contre laquelle il prononce une condamnation à mort « pour corruption et prostitution ». Un combattant s’avance alors, dégaine son révolver et loge une balle dans la tête de la femme.
Répercutées par les réseaux sociaux, ces images ont eu l’effet d’une bombe. Celui qui prononce la condamnation ne serait autre que Shadi Al Waisi, ancien cadi (juge) à Idleb, province tenue par le Hayat Tahrir al-Cham (HTC). L’identité d’Al Waisi est confirmée par le site d’authentification Verify-sy qui a procédé à des vérifications.
Al Waisi est aujourd’hui ministre de la Justice du nouveau pouvoir syrien. La plateforme cite un haut responsable de l’administration qui, sous couvert d’anonymat, confirme l’identité d’Al Waisi. Mais ce même responsable minimise le problème en arguant que ces images documentent « le processus d’application de la loi à un moment et dans un lieu précis », et parle « d’étape franchie ».
Des images qui ne surprennent pas
Si l’on en croit le site Verify-sy, la personne interrogée aurait également précisé : « Nous affirmons notre ferme attachement, sur le plan juridique et procédural, aux nouvelles règles et principes convenus par les Syriens. » Mais les Syriens n’ont convenu de rien !
Les images de l’exécution mises en ligne ne doivent pas surprendre ; qu’elles aient été tournées en 2015 ou il y a trois ans, à Idleb, alors dirigée par le Gouvernement de salut syrien (GSS), contrôlé par l’HTC. Lors de sa création en 2017, le GSS avait énoncé quatre principes, dont l’un stipulait que la charia (la loi islamique) était la « seule source de législation ».
Ahmed Al Charaa, l’actuel homme fort, a le souci de présenter un autre visage notamment vis-à-vis des pays occidentaux. Il veut tenir compte des expériences islamistes précédentes et se trouve pressé par son allié turc qui veut imposer son modèle islamo-nationaliste. Mais la réalité à Idleb était sombre.
Derrière les belles déclarations, la réalité des faits
C’est ce qu’avait montré un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, publié en février 2022. « Des personnes ont été arrêtées à la suite de commentaires tenus lors de conversations privées sur le coût de la vie ou des questions religieuses », peut-on lire.
« Ces commentaires ont été qualifiés de calomnie et de blasphème, ce dernier étant passible d’une peine d’emprisonnement d’un an. » Les autorités « ont continué d’arrêter des femmes parce qu’elles étaient habillées de manière « inappropriée » et parce qu’elles ne respectaient pas les interdictions liées aux divertissements ».
Le HTC, directement issu de Daech et d’Al-Qaida, peut-il vraiment faire peau neuve avec le même personnel ? Au-delà des déclarations, un certain nombre de faits indiquent l’inverse. La semaine dernière, Ahmed Al Charaa n’a pas serré la main de la ministre allemande des Affaires étrangères.
« Nous allons mettre en place un modèle propre à la société syrienne » Aïcha Al Debs, présidente du tout nouveau « bureau des Affaires de la femme », a expliqué de son côté lors d’une interview à la TRT, une chaine de télévision Turque : « Pourquoi adopter un modèle laïque ou civil ? Nous allons mettre en place un modèle propre à la société syrienne et c’est la femme syrienne qui va le réaliser. » Elle a appelé les femmes à « ne pas outrepasser les priorités de leur nature créée par Dieu », à savoir « leur rôle éducatif au sein de la famille ».
Dans le programme scolaire, la « défense de la nation » a d’ores et déjà été remplacée par la « défense de Dieu ». Les poèmes sur les femmes et l’amour sont supprimés. Les autorités, qui voulaient aller plus loin, temporisent face à la colère qui commence à s’exprimer sur les réseaux sociaux et même dans les rues. Reculer pour mieux sauter, craignent de nombreux Syriens.
Pierre Barbancey
L’Humanité du 07 janvier 2025