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Gaza : « La qualification de génocide est plus pertinente que jamais »

samedi 17 mai 2025, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 17 mai 2025).

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17 mai 2025

Assawra

Des Palestiniens inspectent les décombres d’une maison, détruite par des frappes aériennes israéliennes à Khan Younès, dans la bande de Gaza, le jeudi 15 mai 2025. / Photo Abdel Kareem Hana / Ap / Sipa

Les exactions récentes et les dernières déclarations de hauts responsables israéliens qui appellent à la « destruction » de l’enclave viennent nourrir les procédures déjà en cours devant la justice internationale. Et renforcent la question de l’inaction complice des autres États.

Mardi 13 mai, interrogé sur TF1, Emmanuel Macron a refusé de se prononcer. Le président français laisse aux « historiens » la responsabilité de qualifier de génocide l’action d’Israël dans la bande de Gaza depuis un an et demi. « C’est un drame humanitaire inacceptable », s’est-il contenté de répondre.

En quelques jours, l’opération militaire israélienne à Gaza a pourtant franchi un nouveau cap, rendant encore moins contestable la qualification de génocide. Dans la nuit du 4 au 5 mai, les autorités israéliennes ont adopté un nouveau plan d’action militaire prévoyant la « conquête de la bande de Gaza ». Le lendemain, le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, a annoncé que la bande de Gaza « sera[it] complètement détruite ».

Le même jour, la publication du compte rendu officiel du cabinet de sécurité israélien révélait que le ministre de la sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, avait ouvertement évoqué la possibilité d’affamer les Palestinien·nes, déjà privé·es d’aide alimentaire, en bombardant leurs réserves.

Ce n’est pas la première fois que des responsables israéliens appellent à enfreindre le droit international. Mais ces sorties étaient souvent présentées comme des dérapages plus ou moins tolérés par le gouvernement.

Désormais, ce discours est devenu une position officielle et assumée par des ministres de premier plan. Ainsi, Bezalel Smotrich est un des ministres les plus importants du gouvernement, occupant à la fois le portefeuille des finances et la charge de l’administration civile de la Cisjordanie.

« Les dernières déclarations de responsables israéliens font clairement passer un cap dans le caractère déclaratif, c’est-à-dire la volonté de reprendre le contrôle total de certaines zones, d’en évacuer de force des populations et de dire qu’on va tout détruire et qu’on va reprendre le contrôle du territoire sur le terrain », confirme Julia Grignon, directrice de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) et professeure de droit international humanitaire à l’université Laval.

« Tous les éléments permettant de qualifier le génocide – à savoir les bombardements des civils mais également la privation de soins, d’aide humanitaire, qui soumettent le peuple palestinien à des conditions d’existence pouvant entraîner sa destruction physique totale ou partielle – perdurent et s’aggravent », ajoute Clémence Bectarte, avocate spécialisée en droit pénal international et coordinatrice du groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale des droits humains (FIDH).

« Mais, en plus, un cap a récemment été franchi dans les déclarations des dirigeants israéliens au plus haut niveau, poursuit-elle. Leur discours est beaucoup plus décomplexé, avec l’emploi de mots comme “destruction” et la revendication de vouloir affamer les Palestiniens, d’occuper la bande Gaza et donc de les en expulser. Cette intention est exprimée aujourd’hui de manière totalement désinhibée. Ce choix de partir ou de mourir auquel sont confrontés aujourd’hui les Palestiniens de Gaza fait que la qualification de génocide est plus pertinente que jamais. »

Des dénonciations déjà claires

Cela fait de nombreux mois que juristes, défenseurs des droits humains et ONG dans le monde entier alertent sur les crimes en cours à Gaza, parfois au risque de se faire réprimer.

« N’oublions pas que ceux et celles qui ont dénoncé le génocide israélien à Gaza ont été l’objet de poursuites judiciaires, de campagnes de harcèlement dans les médias, que des étudiants aux États-Unis sont encore emprisonnés et beaucoup sont menacés », rappelle Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, ONG qui avait publié au mois de décembre 2024 une enquête concluant, déjà, au génocide.

L’ancienne rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, et autrice de Une enquêtrice à l’ONU (Flammarion, avril 2025), s’agace même de celles et ceux dont la conscience ne se réveille qu’aujourd’hui. « Soyons absolument clair : le monde et les pays européens en particulier n’auraient jamais dû avoir “besoin” des deux derniers mois pour conclure que les crimes d’Israël demandaient des réponses fortes et immédiates », accuse Agnès Callamard.

Elle poursuit : « Au lieu de prévenir le génocide, ils ont cherché à nier la réalité, à justifier ce qui ne devrait jamais l’être, quand ils n’ont pas tout simplement caché ou menti sur les faits. Ce faisant, ils ont rendu l’Occident complice de milliers de morts. Ils ont empêché d’apporter des réponses appropriées et n’ont pas assuré le respect des décisions de la Cour internationale de justice. Ils ont vandalisé le droit international. »

« La qualification de génocide est aujourd’hui reconnue par de nombreux juristes et experts, complète Clémence Bectarte. Il faudrait désormais qu’elle soit attestée en justice pour qu’elle soit plus difficilement contestable. Il faut qu’il y ait une constatation judiciaire, par la Cour internationale de justice ou par une autre instance, qui vienne dire que les conditions juridiques sont réunies pour considérer qu’un crime de génocide peut être reproché à l’État d’Israël en tant que tel, ou à un certain nombre de dirigeants israéliens. »

Le poids des dernières annonces

Les dernières déclarations pourraient-elles avoir une influence sur la procédure devant la Cour internationale de justice (CIJ) ? Cette juridiction internationale, chargée de juger les États, a rendu en janvier 2025 une première décision, provisoire, en attendant une décision sur le fond, reconnaissant un risque de génocide.

Ce jugement ordonnait « des mesures qui devaient être prises par le gouvernement israélien et l’armée israélienne pour éviter un génocide. Mesures qui n’ont pas été suivies d’effet, qui n’ont pas été respectées par Israël qui, au contraire, a été beaucoup plus loin dans l’exécution de son projet génocidaire, en le mettant en œuvre », rappelle Alexis Deswaef, vice-président de la FIDH et avocat à la Cour pénale internationale (CPI), qui a par ailleurs effectué une mission en Palestine au mois de janvier 2025.

« Les récents développements vont alimenter la procédure devant la Cour internationale de justice, estime de son côté Clémence Bectarte. Par exemple, les déclarations du ministre de la défense, Israël Katz, qui a employé le mot “destruction”, ont été unanimement dénoncées comme des déclarations qui relevaient d’une intention génocidaire de manière assez certaine. »

« Il y a un point sur lequel les dernières annonces des responsables israéliens pourront avoir une influence, c’est celui de l’accès à l’assistance humanitaire, estime pour sa part Julia Grignon. Car un des éléments du crime de génocide est de placer la population dans des conditions qui la mettent dans des conditions d’existence devant entraîner sa destruction. »

Outre la procédure devant la CIJ, qui vise Israël en tant qu’État, d’autres procédures sont en cours devant la Cour pénale internationale qui, elle, est chargée de juger les individus. Le 21 novembre 2024, elle a ainsi émis trois mandats d’arrêt liés à l’opération israélienne à Gaza : un contre le commandant du Hamas Mohammed Deif, un contre Benyamin Nétanyahou et un contre l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant. Ceux-ci visent des crimes de guerre et contre l’humanité.

« À tout moment, la CPI peut élargir non seulement la qualification, mais aussi le nombre de personnes visées par les mandats d’arrêt, explique Alexis Deswaef. Notamment le mandat contre Nétanyahou, qui pourrait être cette fois-ci pour génocide, mais aussi contre des hauts responsables de l’armée ou des hauts responsables politiques, comme Ben Gvir ou Smotrich, qui revendiquent clairement le génocide. » Selon l’avocat, « c’est peut-être déjà le cas », sans que cela ait été communiqué par la CPI.

Interrogé par Mediapart, le bureau du procureur de la CPI refuse de donner des éléments à ce sujet. « Pour protéger l’intégrité de ses opérations et de son travail, le bureau ne peut pas faire de commentaire sur des sujets liés à des enquêtes en cours ou sur des charges spécifiques, écrit-il. Cette approche est essentielle pour assurer la sûreté et la sécurité des victimes, des témoins et de tous ceux avec qui le bureau interagit. »

Un silence complice au regard du droit international ?

On peut également s’interroger sur les conditions ayant permis cette désinhibition du discours génocidaire parmi les responsables israéliens. « Il y a tout d’abord l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui a décomplexé certains chefs d’État populistes qui se permettent même des provocations, comme Viktor Orbán, en Hongrie, lorsqu’il a reçu Benyamin Nétanyahou, refusant ainsi d’appliquer le mandat d’arrêt, et en annonçant le même jour le retrait de son pays de la CPI », avance Julia Grignon.

L’avocate ne manque pas pour autant de souligner « la lâcheté de tous les autres ». « À commencer par la France, qui a pourtant été capable, il y a quelques jours, de livrer une superbe plaidoirie lors d’audiences devant la CIJ consacrées à l’aide humanitaire à Gaza. Mais il s’agissait d’audiences très confidentielles, suivies uniquement par un public averti », déplore-t-elle.

« Ce qu’il faudrait, poursuit la juriste, c’est une véritable prise de position publique forte de la part de l’État français. Tous les États qui sont encore du côté du droit international et des droits humains doivent s’exprimer, prendre position de manière ferme et parler plus haut que les États populistes, autoritaires et suprémacistes qui ont actuellement le dessus. » L’accélération du processus génocidaire pourrait d’ailleurs avoir des conséquences juridiques sur le silence d’une partie de la communauté internationale, dont l’Union européenne.

Mardi 13 mai, Médecins du monde a ainsi publié un rapport sur le blocage de l’aide alimentaire intitulé « À Gaza, la faim est utilisée comme une arme de guerre ». Dans le communiqué qui l’accompagne, le président de l’ONG, le Dr Jean-François Corty, avertit : « L’inaction des États tiers qui ont les moyens de faire pression sur les autorités israéliennes pour qu’elles lèvent ce siège meurtrier est inacceptable et pourrait être assimilée à de la complicité au regard du droit international. »

« Il a tout à fait raison, acquiesce Alexis Deswaef. Nous avions déjà le statut de spectateur-approbateur, une notion issue de la jurisprudence du tribunal spécial pour l’ex-Yougoslavie et désignant un haut responsable militaire ou politique qui regarde, ne dit rien, ce qui est interprété par le perpétrateur du crime comme un encouragement. »

« Désormais, nous sommes passés du statut de spectateur-approbateur à celui de complice, poursuit l’avocat. La Convention pour la prévention et de répression du crime de génocide impose aux États tiers de tout mettre en œuvre pour éviter que le génocide ait lieu ou pour y mettre fin. En n’agissant pas, en ne prenant pas de sanctions comme nous l’avons fait avec la Russie, en ne prenant aucune mesure pour mettre fin à cette stratégie, à ce projet génocidaire, nous nous rendons complices. Nous devrions avoir honte de notre silence. »

Jérôme Hourdeaux
Médiapart du 16 mai 2025

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