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L’armée israélienne est gagnée par la fronde contre la guerre

samedi 17 mai 2025, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 17 mai 2025).

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16 mai 2025

Assawra

Des soldats israéliens lors d’un raid à Tulkarem, en Cisjordanie occupée, le 6 février 2025. / Photo Wahaj Bani Moufleh / Middle East Images via AFP

Lâché par une majorité de la population, une partie de l’armée et certains de ses anciens amis politiques, Benyamin Nétanyahou n’a jamais gouverné aussi seul. Marginalisé par son ancien allié et modèle Donald Trump, combien de temps encore va-t-il fuir la réalité et la justice ?

Benyamin Nétanyahou pourra-t-il lancer à Gaza, dans les jours à venir, l’énorme opération militaire approuvée à l’unanimité la semaine dernière par son « cabinet de sécurité » ? Baptisée « Chariots de Gédéon », en référence au récit biblique de la victoire de Gédéon sur les « cruels et farouches nomades madianites », cette nouvelle phase des opérations militaires israéliennes, qui exige la mobilisation de près de 100 000 réservistes, dont la moitié a déjà reçu sa convocation, a officiellement pour objectif « l’occupation du territoire et l’instauration d’une présence israélienne durable » à Gaza.

Elle devrait être déclenchée après la visite de Trump dans la région, si les derniers otages n’ont pas été libérés.

Selon les communicants du premier ministre, elle doit permettre d’assurer la « défaite complète » du Hamas et la libération des 59 otages encore retenu·es à Gaza, dont 35 sont considéré·es comme mort·es. En réalité, il s’agit une fois encore pour ce gouvernement de céder à l’influence décisive et désastreuse qu’ont, au sein de la coalition, les deux ministres de l’extrême droite nationaliste religieuse, les racistes et suprémacistes Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, qui rêvent de recoloniser Gaza.

Cela implique, dans un premier temps, de rassembler la majeure partie des 2 millions de Gazaoui·es survivant·es dans le sud de l’enclave, et de les concentrer dans une « zone stérile » voisine de la frontière égyptienne. Dans cette zone aménagée et étroitement contrôlée par l’armée israélienne, soixante camions d’aide humanitaire seraient admis chaque jour.

« Ce projet est logistiquement absurde, matériellement irréalisable et surtout en contradiction totale avec les principes humanitaires. Il est même dangereux », dit un responsable de l’Unrwa, l’agence de l’ONU chargée des réfugié·es palestinien·nes, qui refuse de participer à l’opération.

« C’est écœurant. Indécent. Les Israéliens, qui ont tué plus de 400 travailleurs de l’humanitaire, se moquent du monde, explose le représentant d’une ONG médicale internationale. Chacun a compris qu’il s’agit de préparer l’étape suivante à laquelle rêvent déjà Nétanyahou et ses alliés : expulsion, transfert, déportation, nettoyage ethnique. Autrement dit : crime contre l’humanité. »

Le burn-out des soldats

C’est pourtant encore trop concéder pour certains membres du gouvernement Nétanyahou ou de la majorité qui le soutient. « Je ne comprends pas pourquoi nous devons leur donner quoi que ce soit, s’étonne, faussement naïf ou d’un cynisme abject, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir. Nous n’avons aucune obligation de nourrir ceux qui nous combattent. Nous devrions même bombarder les réserves alimentaires du Hamas. » La famine est déjà depuis des mois le quotidien des Gazaoui·es survivant·es.

Le chiffre des pertes humaines israéliennes dans cette guerre (1 200 civils, 833 militaires) est sans commune mesure avec le bilan des victimes palestiniennes (60 000 à 70 000 morts officiellement recensées depuis octobre 2023), aggravé par la destruction systématique de toutes les constructions. Cependant, les conséquences humaines, sociales et économiques du conflit pour Israël sont si pesantes qu’elles risquent de rendre beaucoup plus difficile que prévu l’organisation des « Chariots de Gédéon ».

Dans un pays de moins de 10 millions d’habitant·es, où « tout le monde connaît tout le monde », le burn-out des soldat·es, mobilisé·es sans relâche par un conflit intense et interminable, le plus long de l’histoire pourtant tumultueuse d’Israël, est en train de devenir un mal national. Une sorte de lassitude collective de la guerre, aggravée par l’inégalité des citoyen·nes devant la mobilisation.

Car, pour conserver le soutien politique de la communauté ultraorthodoxe, indispensable à son maintien au pouvoir, la coalition droite-extrême droite qui gouverne Israël a préservé l’exemption de service militaire dont bénéficient les étudiants des écoles talmudiques qui reçoivent, en outre, une aide financière de l’État.

Ce qui, en période de mobilisation des réservistes, provoque de réelles tensions. Et une multiplication d’actes d’indiscipline. Surtout dans les unités de combat soumises à des situations de stress intense très fréquentes.

Mais il y a une autre explication, beaucoup plus gênante pour Nétanyahou : le rejet par un nombre croissant d’officiers et de soldats de cette guerre, dénoncée comme un « conflit politique » qui n’a rien à voir avec la sécurité du pays. Encore moins avec son existence. Et sert exclusivement les intérêts politiques et personnels du premier ministre.

Le sort des Palestinien·nes ? Les souffrances qui leur sont infligées ? Leur destin en tant qu’hommes et femmes ? En tant que peuple ? Mises à part quelques exceptions, ils sont rarement évoqués par les porte-parole de cette fronde militaire. Un peu comme au début de 2023, lors des premières manifestations du boulevard Rothschild, à Tel-Aviv, contre les projets de réforme judiciaire de Nétanyahou qui visaient à placer la Cour suprême sous l’autorité du Parlement et du gouvernement – et non l’inverse, comme le disposent les « lois fondamentales ».

Lorsque des manifestants porteurs de banderoles ou de pancartes contre l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens voulaient se joindre aux cortèges, ils étaient bienvenus, à condition d’abandonner leurs slogans.

L’aviation critique

À l’époque déjà, les premiers militaires à se joindre à la protestation populaire dans la rue, mais aussi à rédiger et à faire circuler textes, appels et pétitions, et à refuser les convocations adressées aux réservistes avaient été les aviateurs. Considérée comme un corps d’élite, l’armée de l’air, qui a sauvé à de nombreuses reprises le destin du pays, est la branche la plus laïque des forces armées.

Aujourd’hui, les aviateurs sont de nouveau les premiers à lancer des pétitions contre la « guerre politique » du premier ministre, à refuser les convocations de réservistes pour des périodes d’entraînement ou de service actif.

La lettre que viennent de publier 970 pilotes, de réserve ou à la retraite, dont un ancien chef d’état-major général, affirme que « la guerre ne sert aucun de ses objectifs déclarés et provoquera la mort des otages, de soldats israéliens et de civils innocents ». « Seul un accord ramènera les otages à la maison en sécurité. Nous appelons tous les citoyens d’Israël à agir, écrivent-ils en conclusion, à demander partout et par tous les moyens : arrêtez la guerre et ramenez tous les otages. Maintenant. »

La mort de « civils innocents » n’est que brièvement mentionnée dans le document. Mais dans leurs confidences anonymes à Haaretz, un groupe de pilotes, d’opérateurs de drones, d’officiers de soutien et de membres du commandement, tous en service, avouent : « Nous sommes les champions de la répression. Nous tuons des gens innocents à Gaza, et tout le monde se tait. »

« Je n’ai pas confiance en notre gouvernement mais j’ai confiance en nos militaires et particulièrement en l’armée de l’air, confie un pilote de F-16 réserviste. Je sais que les gens qui préparent nos missions intègrent aussi les risques de victimes collatérales. Mais je sais aussi que les fantassins, au sol, qui risquent leur peau comme les Palestiniens, contrairement à moi, ont besoin de notre appui. »

Il poursuit : « Lorsque je déclenche la frappe pour détruire un immeuble qui abrite des combattants du Hamas, un chef militaire, ou un atelier de fabrication d’armes, je sais tout cela, mais je ne peux pas deviner qu’au même moment, des gamins vont sortir des décombres voisins pour jouer au foot dans la rue, au pied de ma cible. S’ils sont victimes de ma bombe guidée, je ne le saurai que plus tard, au debriefing, en regardant les photos. Après quoi je vais rentrer chez moi, où ma femme va m’engueuler, car elle est contre cette guerre inutile. Ce que je me dis alors, c’est que dès que les fantassins seront sortis de Gaza, je refuserai les missions d’attaque. »

Aussitôt la publication de la lettre, un responsable de l’armée israélienne a annoncé que les pilotes réservistes l’ayant signée seraient renvoyés de l’armée de l’air.

La contagion

Quelques jours après les aviateurs, 1 525 réservistes et vétérans du corps des blindés, renforcés par l’ancien premier ministre Ehoud Barak, l’un des officiers les plus décorés de l’armée israélienne, déclarent à leur tour dans une lettre que « l’État d’Israël doit tout faire pour ramener les otages, même si c’est au prix de la fin de la guerre ». Puis quinze anciens officiers supérieurs de la marine, et 500 anciens élèves de sa formation de forces d’élite, dont un ancien chef du Shin Bet, Ami Ayalon, ont réclamé « la fin de la guerre » et condamné « un gouvernement qui trahit la confiance du public et [leur] fait soupçonner que des décisions de sécurité nationale soient motivées par des considérations illégitimes ».

Plus de 250 réservistes et anciens de l’Unité de renseignement électronique 8200, l’une des plus importantes de l’armée, constatent également que « la guerre sert au premier chef des intérêts personnels et politiques et non ceux de la sécurité ». Près de 1 500 parachutistes et réservistes des forces spéciales, dont 16 % se déclarent en service actif, affirment qu’ils « continueront à remplir leurs missions » mais mettent en garde contre « des combats qui se poursuivent en raison de considérations politiques ».

Près de 250 vétérans du Mossad, parmi lesquels trois anciens patrons des services secrets, 100 anciens élèves du Collège national de sécurité, où les dirigeants militaires et politiques viennent parfaire leur formation, et 200 diplômé·es du programme Talpiot, programme de formation commun de l’armée israélienne et de l’université hébraïque de Jérusalem pour recruter et former des officiers dans les domaines scientifiques et technologiques, ont aussi signé des lettres publiques réclamant l’arrêt de la guerre, la libération des otages et affirmant leur soutien au texte des aviateurs.

Mais la prise de position la plus accablante et peut-être la plus surprenante pour Nétanyahou est probablement celle de son ancien compagnon au sein du Likoud, le général Moshe Ya’alon. Il fut aussi, de 2002 à 2005, son chef d’état-major général, puis pendant six ans son vice-premier ministre et son ministre de la défense. En 2016, Ya’alon quitte le Likoud, brouillé avec « Bibi », qui lui a préféré, au poste de ministre des affaires étrangères, Avigdor Liberman, ancien videur de boîtes de nuit d’origine moldave, dont l’incompétence diplomatique est notoire mais qui apporte au premier ministre le soutien de l’électorat russophone pour consolider sa coalition.

Aux yeux de Ya’alon, ancien faucon, le plan de réoccupation de Gaza que Smotrich et Ben Gvir ont « vendu » à Nétanyahou est irresponsable. « De quoi parlent-ils ?, interroge le général dans une interview au site Ynet. Veulent-ils vraiment évacuer la population entière de Gaza ? Que vous appeliez ça nettoyage ethnique, transfert, déportation, c’est toujours un crime de guerre. Et si le chef d’état-major ne s’oppose pas à cet ordre illégal, il revient désormais à chaque commandant et soldat de décider s’il doit obéir ou refuser. »

Donald Trump, la surprise

Mais le plus grand danger pour Nétanyahou ne vient ni de la fronde de ses généraux ni de l’indignation tardive d’un ancien complice trahi. Il est incarné par celui qu’il considérait jusqu’alors comme son ami américain : Donald Trump. Le premier ministre vient de découvrir que le président des États-Unis, tout comme lui, n’a pas d’amis mais des intérêts personnels à défendre.

La confiance aveugle et téméraire qui habitait Nétanyahou depuis que Trump avait exposé, à ses côtés à la Maison-Blanche, son projet de « Riviera du Proche-Orient » à Gaza s’est fracassée dans le choc avec la réalité qu’a été la préparation de la visite du président états-unien aux monarchies arabes du Golfe. Puis avec la visite elle-même, sans escale à Tel-Aviv, et accompagnée de confidences à ses courtisans médiatiques habituels, à qui le président avait confié qu’il était « fatigué de Nétanyahou et de ses combines pour continuer sa guerre et assurer la survie de sa coalition ».

L’administration Trump a obtenu du Hamas, sans intervention israélienne, la libération de l’otage israélo-américain Edan Alexander. Elle a conclu un accord bilatéral de non-agression avec les houthis du Yémen, qui continuent leurs tirs de missiles sur Israël. Elle poursuit des négociations nucléaires jugées prometteuses avec l’Iran et l’Arabie saoudite. Et vient d’engranger une série de mégacontrats commerciaux à Riyad et Doha. Mais elle reste à la recherche d’un succès diplomatique que la guerre en Ukraine ne lui offrira pas à court terme.

Washington compte apparemment sur une actualisation des accords d’Abraham, incluant l’instauration de la reconnaissance formelle entre l’Arabie saoudite et Israël pour vendre enfin à l’opinion internationale un triomphe de l’aventureuse diplomatie trumpiste. Mais cette reconnaissance reste impossible, pour l’Arabie saoudite, tant que se poursuit le massacre des Gazaoui·es et que la création d’un État palestinien n’est pas envisagée. Deux conditions inacceptables pour Israël. Tant que Nétanyahou est au pouvoir…

René Backmann
Médiapart du 16 mai 2025

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