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Madagascar : une décolonisation inachevée (PDF, DOCX)

dimanche 26 octobre 2025, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 26 octobre 2025).

Reçu par courrier électronique le 26 octobre 2025

Repela Manankasy

25/10/2025

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Version PDF : https://mai68.org/spip3/IMG/pdf/Mad…

Madagascar : une décolonisation inachevée

Soixante-cinq ans après son indépendance, Madagascar reste prisonnière des structures héritées du colonialisme français. Si la décolonisation a bien été amorcée, elle n’a jamais été pleinement accomplie. Derrière l’image d’une souveraineté retrouvée, persiste une dépendance profonde —politique, économique et intellectuelle.

 

            L’histoire coloniale de Madagascar commence officiellement le 6 août 1896, lorsque la France met fin à la monarchie malgache et installe son administration.Cette île, riche en ressources naturelles et stratégiquement située, a depuis toujours attiré les convoitises.

            À la fin des années 1950, alors que soufflent les vents des mouvements anti-impérialistes et anticoloniaux, le général Charles de Gaulle comprend que la France ne peut contenir à la fois la guerre d’Indochine et la montée des revendications dans ses colonies africaines.Il choisit alors de promouvoir une indépendance négociée, sous la forme d’une continuité institutionnelle : la Communauté française.Le référendum du 14 octobre 1958 marque l’entrée de Madagascar dans cette Communauté, une autonomie sous tutelle où la France conserve la haute main sur l’économie, la défense et la diplomatie.

 

Les “gouverneurs noirs” et la continuité coloniale

            Les colonisateurs avaient déjà préparé des élites locales à prendre la relève. Ces collaborateurs, formés ou encadrés par l’administration française, prennent le pouvoir lors de l’accession à l’ indépendance.Les observateurs et chercheurs de la Françafrique parleront alors de « gouverneurs noirs » : les colons s’en vont, mais leurs relais demeurent.

Philibert Tsiranana en est l’exemple emblématique. Il a lui-même dit avec fierté qu’il était formé par le Général De Gaulle. Il fut l’un des fondateurs du PADESM, un parti politique soutenu par la France pour rivaliser avec le MDRM, mouvement nationaliste réprimé lors de l’insurrection de 1947.

            Derrière la façade de l’indépendance, la France maintient son influence à travers une série d’accords de coopération dans des secteurs clés : défense, justice, ressources stratégiques, enseignement supérieur et politique étrangère.

Indépendance sans rupture

            Le 26 juin 1960, Madagascar proclame son indépendance. Mais, comme le soulignait Frantz Fanon(Psychiatre et philosophe politique) dans Les Damnés de la Terre (1961), « la violence est nécessaire à la libération totale ». Autrement dit, il n’y a pas de rupture véritable sans conflit de fond.

Or, l’indépendance malgache fut négociée, pacifique, et donc incomplète. Il ne faut pas non plus oublier le détachement arbitraire des Îles Éparses, acté par décret le 1er avril 1960 — la veille même de la signature des accords d’indépendance. Cet épisode, souvent passé sous silence, montre combien cette indépendance fut juridiquement et symboliquement incomplète.
            Les luttes populaires, de
1947 à la révolution de 1972
, ont exprimé le désir d’émancipation, sans toutefois renverser les structures profondes de dépendance.
Même après la signature de nouveaux accords par
Didier Ratsiraka en 1973, la présence française demeure visible dans la vie politique, économique et culturelle du pays.

Madagascar continue d’évoluer dans un cadre institutionnel et mental largement hérité du modèle colonial.Cette dépendance, parfois invisible, s’est simplement adaptée aux temps modernes.

 

La décolonisation intellectuelle : un chantier oublié

            Au-delà de la domination politique, la colonisation a profondément marqué les mentalités.Elle a ancré dans la conscience collective une hiérarchie symbolique : le colon “supérieur”, le colonisé “inférieur”.Cette fracture, transmise de génération en génération, se manifeste encore dans la culture, la langue et les représentations.

Les penseurs postcoloniaux, tels qu’Edward Saïd (L’Orientalisme, 1978), ont appelé à une décolonisation intellectuelle :déconstruire le regard occidental, redonner voix et dignité à ceux qui ont été réduits au silence.Il faut déconstruire le regard binaire qui fixe de façon déséquilibrée et inégalitaire les identités entre l’Occident et l’Ailleurs.Comme le rappelait Saïd, les intellectuels ont la responsabilité de retrouver la mémoire, de réhabiliter l’histoire et de transmettre un savoir libéré des logiques coloniales.

            Fanon, de son côté, parle de désaliénation : un processus qui exige l’abandon du mode de pensée hérité du colon.Les intellectuels doivent combattre l’oppression culturelle et psychologique en changeant radicalement de perspective, en s’ancrant aux côtés du peuple dans sa lutte pour l’émancipation.Ce n’est qu’à cette condition que les séquelles psychosociales laissées par le système colonial — véritables pathologies de la domination — pourront être surmontées.

 

L’hégémonie persistante et les nouveaux rapports de force

            Pour la philosophe, spécialiste en études post-coloniales, Seloua Luste Boulbina, « l’hégémonie n’a pas disparu : l’indépendance n’a pas mis fin à l’inégalité entre les nations ». Elle rappelle également que « l’indépendance n’est pas la fin de la décolonisation, mais le début ». Cette réflexion souligne que la décolonisation n’est pas un événement ponctuel mais un processus —une transformation lente, politique, économique, culturelle et psychologique.

Comme le rappellent plusieurs juristes, la décolonisation véritable consiste à bâtir les conditions d’une souveraineté effective, et non simplement à proclamer une indépendance formelle. Le juriste Carré de Malberg affirmait déjà en 1920 que la souveraineté externe est, « en essence, synonyme d’indépendance ». Pourtant, comme l’a montré Stephen Krasner (1999), cette conception relève d’une « hypocrisie organisée » : les États invoquent la souveraineté dans le discours, mais son application dépend toujours des rapports de force et des intérêts stratégiques.

            Les anciennes puissances coloniales, dont la France, conservent une influence mondiale durable, notamment par leur rôle au Conseil de sécurité de l’ONU ou à travers leurs réseaux économiques et culturels. On parle de puissance pérenne des anciennes puissances coloniales. Mais cette asymétrie ne saurait condamner Madagascar à la soumission. Si le monde est régi par un rapport de forces, Madagascar doit s’allier avec une puissance capable d’équilibrer celle de la France sur le plan géopolitique — mais, bien sûr, dans un esprit de coopération équitable.

 

Pour une rupture totale et lucide

            La colonisation fut violente, et le néocolonialisme l’est encore, sous des formes plus subtiles.La France continue de tirer profit de la faiblesse institutionnelle, du désintérêt des élites intellectuelles et de la corruption des responsables politiques, tandis que la majorité du peuple reste enfermée dans la pauvreté et le désenchantement.

            Ainsi, la révolution actuelle à Madagascar, depuis le 25 septembre 2025, s’inscrit dans une volonté profonde de rupture et de libération totale, tant vis-à-vis du colonisateur que de ses relais locaux.Il est temps de prendre une décision claire et ferme : réaliser enfin cette rupture totale.

            Madagascar porte encore les traces d’une décolonisation incomplète, à la fois politique, économique et intellectuelle.Mais la conscience populaire se réveille.
Les Malgaches réclament aujourd’hui non plus une indépendance symbolique, mais une
libération réelle, fondée sur la dignité, la mémoire et la justice.L’avenir du pays dépendra de sa capacité à penser par lui-même, à coopérer sans se soumettre, et à bâtir une force collective capable d’imposer le respect.Ce n’est qu’à ce prix que Madagascar pourra tourner la page du passé colonial et écrire enfin sa propre histoire, libre et souveraine.

 

L’heure est venue pour Madagascar de rompre avec la dépendance et d’assumer pleinement son destin : un changement radical, lucide et irréversible.

 

Repela Manankasy

25/10/2025

03:09

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