Jugements choisis concernant l’I.S. et classés selon leur motivation dominante


La bêtise

Les « enragés » représentent une trentaine d’étudiants qui se veulent « situationnistes », « super-anarchistes », pratiquant une éthique « révolutionnaire » que le fantaisiste Pierre Dac a résumée dans une formule fort célèbre — vieille de plus de trente ans : « Contre tout ce qui est pour, pour tout ce qui est contre. » Avec l’humour en moins et le genre beatnik en plus (…) Le premier chapitre s’intitulait : « Rendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité. » De la belle eau apportée au moulin du Doyen Grappin ! Certains étudiants, dans leur volonté destructrice, tiennent-ils absolument à ce que la Faculté soit considérée comme un vaste lupanar ?

ALAIN SPIRAUX,
Noir et Blanc (7-3-68).

Enfin et surtout, il y a les enragés, les « situationnistes », ceux qui sont décidés à exploiter la manifestation et à créer des incidents graves. Ce sont les plus dangereux, mais ils ne sont pas nombreux, une demi-douzaine environ, barbus et chevelus. Il faut y ajouter leurs égéries. Certaines ont payé très cher leur appartenance aux situationnistes. L’une d’elles, étudiante en lettres, 18 ans, après s’être droguée, a avalé en janvier un tube de gardénal ; résultat : trois semaines d’hôpital et un traitement psychiatrique qui dure encore.

Paris-Presse (30-3-68).

M. Max-Étienne Schmitt, recteur de l’Université de Nantes-Angers (…) a son explication : « Les situationnistes de Strasbourg, c’est moi qui en ai hérité. Le climat n’est pas catastrophique : on a dix-sept perturbateurs, mais c’est décourageant. »

Combat (24-4-68).

La majorité des étudiants désapprouvait les excès des enragés et réclamait sur l’air des lampions la reprise des cours qu’ils perturbaient. Mais elle ne s’est jamais opposée, d’une façon positive, par des mesures concrètes, à aucune des initiatives de ces extrémistes. Elle était en effet fascinée par la représentation théâtrale improvisée qui se jouait à bureaux ouverts sur le thème de la perte du pouvoir par les professeurs. C’était une sorte de happening permanent (…) La présence d’un groupe situationniste n’avait pas été étrangère à tout cela.

ÉPISTÉMON,
Ces idées qui ont ébranlé la France (Fayard, 3e trimestre 1968).

Internationale situationniste : ce mouvement est parti en France de l’Université de Strasbourg pendant l’année 1966-1967. Son influence, diffuse, non organisationnelle, est assez difficile à apprécier, mais paraît dans l’ensemble faible à la Sorbonne où les situationnistes ont pourtant contrôlé le premier comité d’occupation — du 14 au 17 mai — après en avoir seuls assumé la direction du 13 mai au 14 mai au soir.

JEAN MAITRON,
La Sorbonne par elle-même (Éditions Ouvrières, 4e trimestre 1968).

Sage, cette jeunesse strasbourgeoise qui semble simplement rejeter un monde où l’on débite de la culture comme des chapelets de saucisses ? Que non pas ! Plus folle même que la plus rageuse des jeunesses nanterroises. C’est qu’elle a goûté, bien avant qui que ce soit en France, à une étrange médecine expérimentée un peu partout, en Scandinavie, en Allemagne, au Japon. Cela s’appelle le « situationnisme », c’est du socialisme mâtiné de marxisme et d’anarchisme, et cela émane d’un évanescent groupe international de théoriciens qui se livreraient à la critique radicale de la société actuelle.

CHRISTIAN CHARRIÈRE,
Le printemps des Enragés (Arthème Fayard, 4e trimestre 1968).

Et lorsque les étudiants français, qui se sont mobilisés les derniers, rejoignent dans l’utopie leurs camarades italiens, allemands, hollandais, suédois, espagnols et belges, ils rédigent ensemble, à la fin de mai 1968, une « Adresse à tous les travailleurs » qui méritera de passer à l’Histoire par la hiérarchie qu’elle indique dans la détestation : « Ce que nous avons fait hante l’Europe et va bientôt menacer toutes les classes dominantes, des bureaucrates de Moscou et de Pékin aux milliardaires de Washington et de Tokyo. » Que l’aversion des jeunes mêle Pékin et Tokyo, et fasse passer les bureaucrates avant les milliardaires, ne rassurera sans doute pas Mitsubishi, mais doit rendre Mao Tsé-toung songeur.

SERVAN-SCHREIBER,
L’Express (30-12-68).

Après plusieurs mois d’éclipse et de silence, probablement consacrés à l’élaboration de ses travaux, vient d’intervenir dans ce débat le groupe de l’« Internationale situationniste », en publiant un livre chez Gallimard : Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations. On était en droit d’attendre, de la part d’un groupe qui a effectivement pris une part active dans les combats, une contribution approfondie à l’analyse de la signification de Mai, et cela d’autant plus que le temps de recul de plusieurs mois offrait des possibilités meilleures. On était en droit d’émettre des exigences et on doit constater que le livre ne répond pas à ses promesses. Mis à part le vocabulaire qui leur est propre : « Spectacle, Société de consommation, critique de la vie quotidienne, etc. », on peut déplorer que, pour leur livre, les cituationnistes aient allègrement cédé au goût du jour, se complaisant à le farcir de photos, d’images et de bandes de comics (…) La classe ouvrière n’a pas besoin d’être divertie. Elle a surtout besoin de comprendre et de penser. Les comics, les mots d’esprit et les jeux de mots leur sont d’un piètre usage. On adopte d’une part pour soi un langage philosophique, une terminologie particulièrement recherchée, obscure et ésotérique, réservée aux « penseurs intellectuels », d’autre part, pour la grande masse infantile des ouvriers, quelques images accompagnées de phrases simples, cela suffit amplement.

Révolution Internationale n° 2 (février 1969).

L’utilisation des carences de l’éducation sexuelle des nouveaux résidents explique le développement de ce qu’on nomme ici « l’anarchisme » et le « situationnisme ». Il ne s’agit nullement de philosophie de l’État et de l’individu, mais tout simplement de la justification, par le recours abusif au vocabulaire idéologique, de mœurs dont la ligne directrice est le refus de toute contrainte — y compris la sienne propre — et la répudiation de tout effort, ainsi que le culte de la jouissance oisive…

P. DEGUIGNET,
La Nation (28-2-69).

Il faut ajouter que le style même de Vaneigem a été celui des slogans de mai. Il semble au reste avoir été à l’origine d’un grand nombre de formules parmi les plus heureuses et les plus poétiques. Sans doute avaient-elles été préalablement répandues par la revue de l’Internationale Situationniste dont il est un des plus éminents rédacteurs. Il faut peut-être rappeler que les situationnistes de Strasbourg avaient émigré à Nanterre au début de l’année scolaire 1967 (…) L’auteur du Traité de Savoir-Vivre nous donne une clé pour la compréhension du rôle et de la place des mécanismes paranoïaques dans notre civilisation.

ANDRÉ STÉPHANE,
L’Univers contestationnaire (Éd. Payot, 2e trimestre 1969).

*
Le soulagement prématuré

Les faiblesses de l’I.S. — refus de l’organisation et de l’idéologie, la révolution pour la révolution, en somme l’utopie d’échapper au conditionnement de la société de consommation par la pure et simple négation ou l’invocation d’une solidarité anti-bureaucratique et spontanée des prolétaires — ont été vite mises en lumière. Le mouvement est entré en crise : les défections ont commencé (…) c’est le commencement de la fin, inévitable dans tout mouvement qui refuse d’institutionnaliser sa propre théorie (…) Restent les propositions, certaines intentions fort intelligentes, que d’autres sauront dans l’avenir reprendre avec une plus grande conscience des limites de toute action historique, pour opérer avec succès dans une société toujours plus complexe et ambiguë.

Nuova Presenza n° 25-26 (printemps-été 1967).

Quant à l’Internationale situationniste, on ne peut donner sur elle que des informations limitées et approximatives, étant donné que personne n’en a jamais plus entendu parler depuis un an (…) Il était assez prévisible que la brochure du groupe de Strasbourg trouverait des interprétations empreintes de révolutionnarisme verbal, facilement récupérables, au demeurant, au niveau de la consommation, comme le prouve l’usage même qui a été fait de la brochure dans la moitié de l’Europe, et maintenant en Italie avec l’édition de la Maison Feltrinelli (…) Les rapports du groupe de Strasbourg avec l’I.S. n’ont pas duré plus de quatre mois, pour finir par une orageuse rupture.

Idéologie n° 2, de Rome (1967).

Le mode commun de l’exposition situationniste est la dénonciation, une dénonciation globale, qui atteint, indifféremment, tous les domaines, de l’économique au culturel et qui, sans s’embarasser ni de concepts ni d’informations, constate, révèle l’aliénation sans cesse aggravée de l’humanité contemporaine (…) Il va de soi que de semblables énoncés découragent d’avance toute critique. Ils l’écartent, d’entrée de jeu, puisqu’ils tiennent pour évident que toute contestation de ce qu’ils disent émane d’une pensée sottement tributaire du « pouvoir » et du « spectacle » (…) Certes, le situationnisme n’est pas le spectre qui hante la civilisation industrielle, pas plus qu’en 1848 le communisme n’était le spectre qui hantait l’Europe.

FRANÇOIS CHÂTELET,
Le Nouvel Observateur (3-1-68).

Au comble de la notoriété, et de l’insuccès pratique, l’histoire des situationnistes prend le chemin du conflit interne. Mustapha Kebati, un des leaders, fils d’immigrés algériens, essaya d’accaparer tous les mérites de l’action accomplie, et de se déclarer l’unique auteur de la brochure De la misère (…) Les Strasbourgeois ne veulent même plus être appelés situationnistes. Ils ont publié un nouveau manifeste théorique : L’Unique et sa propriété (où l’Unique, c’est la société néo-capitaliste, unique système vraiment cohérent dans la répression de toute tendance à la critique) (…) Les Parisiens, de leur côté, ont été consummés dans la grande fournaise de la révolte de mai, et il ne reste rien d’eux que le nom de Guy Debord.

MEMMO GIAMPAOLI,
Giovani, nuova frontiera (Ed. SEI-Turin, mars 1969).

Disons que la vertu majeure qui semble caractériser le Situationnisme c’est l’impatience de jouer un rôle (…) Jouer sur le devant de la scène une farce énorme singularise. Elle permet de forcer les portes de ces cercles fermés où nos jeunes intellectuels prétendent à la première place (…) On y trouve des formules toutes faites comme « les révolutions seront des fêtes », dont le ridicule est désarmant (…) Aussi éphémère que les groupes d’intellectuels qui l’ont précédé, le situationniste appartient maintenant à l’histoire.

MAURICE JOYEUX,
La Rue n° 4 (2e trimestre 1969).

*
La panique

¶ « Selon les accusés, vous présidez un cercle à tendance extrémiste. Quels sont les buts de ce groupement? » — « Extrémiste n’est pas le terme qui convient, répondit l’artiste d’une voix mesurée. Le club est un foyer intellectuel où sont abordés tous les problèmes de prospective situationniste. » (...) « Ne vous imaginez pas avoir en face de vous une organisation bâtie sur le modèle des sociétés secrètes traditionnelles. » (...) Et puis, ils ont le nombre, leurs adhérents circulent partout, de part et d’autre du Rideau de fer. Même si l’on mobilisait contre eux toutes les forces de police et de contre-espionnage, elles n’y suffiraient pas! C’est un raz-de-marée, une lame de fond qui se propage et dont le centre n’est nulle part, avec des complicités à l’infini. (...) La doctrine est élaborée dans des universités d’Angleterre et de Hollande par de jeunes stratèges qui voient loin.

PAUL KENNY,
Complot pour demain (Éd. Fleuve Noir, 3e trimestre 1967).

C’est le ton qui tait la chanson, et la violence négative et provocante des formules, plus cynique chez Vaneigem et plus glacée chez Debord, ne laisse rien debout de ce que les époques antérieures ont produit, si ce n’est Sade, Lautréamont et Dada (...) Nos futurs Saint-Just en blousons noirs, qui s’annoncent comme les porteurs « d’une nouvelle innocence, d’une nouvelle grâce de vivre », nous auront au moins avertis : la civilisation ludiste des « maîtres sans esclaves « devra se résigner à sécréter ses commissaires ; et l’heureuse nouvelle de la suppression des tribunaux ne signifiera pas, hélas! la fin des exécutions.

P.-H. SIMON,
Le Monde (14-2-68).

La Kermesse communiste, pro-chinoise, trotskyste, castriste, anarchiste, situationniste et autres de la Sorbonne rappelait assez bien les tout premiers soviets de la révolution russe. Parmi les inscriptions murales de la faculté des Lettres et qui ne furent pas, semble-t-il, citées dans la presse quotidienne, il y avait et il y a encore : «À bas le crapeau de Nazareth » — « Comment penser librement à l’ombre d’une chapelle? » — « Ceux qui font la révolution à moitié ne font que creuser un tombeau « — « Défense de photographier, les pellicules seront saisies ». Un micro tenu par le comité d’occupation situationniste répétait la consigne : « Tous à Boulogne pour exprimer notre soutien aux ouvriers de chez Renault ». Cette consigne était réaulièrement démentie par des dissidents progressistes armés d’un porte-voix.

Rivarol (25-5-68).

Le mouvement situationniste se définissait lui-même comme un groupe international de théoriciens qui a entrepris la critique radicale de la société actuelle sous tous ses aspects, en s’appuyant sur la théorie marxiste (...) L’écroulement d’Apocalypse préconisé par les auteurs devait être la conséquence inéluctable du sur-développement économique et de la croissance bureaucratique (...) La contestation effrénée, dont les situationnistes s’étaient fait les porte-paroles dans un extrémisme radical, tut un des symptômes précurseurs de la maladie. On eut tort de ne pas le prendre au sérieux.

Études (juin 1968).

Ce qui m’a surpris, c’est la date de la révolte, car je l’attendais pour la rentrée de novembre1968. On aurait tort de mésestimer certains antécédents, en particulier l’occupation en novembre 1966 des locaux de l’Association générale des Etudiants de Strasbourg. La stratégie est connue, d’autant mieux que les révolutionnaires n’en font aucun mystère : discréditer d’abord l’organisation réformiste des étudiants (...) Il y a deux ans, ce résultat fut acquis. Ce coup d’éclat permit d’augmenter le nombre des sympathisants et de préparer l’occupation des Facultés. Ce qui fut fait au cours du mois de mai dernier (...) Je connais assez bien les étudiants révolutionnaires de Strasbourg. Il se trouve parmi eux des farfelus pour qui la révolution n’est qu’une griserie stérile ou une « fête ». Mais il faut compter avec une minorité d’esprits conséquents et décidés, authentiquement révolutionnaires, aux idées organisées et claires ayant parfaitement conscience de leurs forces et de leurs faiblesses (...) L’observateur ne peut qu’être frappé de la rapidité avec laquelle la contagion s’est propagée dans toute l’Université et en général dans les milieux de la jeunesse non universitaire. Il semble donc que les mots d’ordre lancés par la petite minorité de révolutionnaires authentiques aient remué je ne sais quoi d’indéfinissable dans l’âme de la nouvelle génération (...) Malgré tout, dans les conditions actuelles, il faut faire une distinction essentielle entre les vrais révolutionnaires (peu nombreux) et la masse des ralliés qui a cru la révolution imminente et dont un certain nombre n’étaient que des opportunistes. L’ordre rétabli peut sans doute impressionner ces ralliés qui ont d’ailleurs été les principaux facteurs de désordre (Geismar, Sauvageot), mais non ceux qui vivent uniquement pour la révolution. Il faut souligner ce tait : nous voyons réapparaître, comme il y a cinquante ans, des groupes de jeunes gens qui se consacrent entièrement à la cause révolutionnaire, qui savent attendre selon une technique éprouvée les moments favorables pour déclencher ou durcir des troubles dont ils restent les maîtres, pour retourner ensuite à la clandestinité, continuer le travail de sape et préparer d’autres bouleversements sporadiques ou prolongés suivant le cas, afin de désorganiser lentement l’édifice social. Les désordres et les confusions qu’ils suscitent répondent à une tactique calculée dont les ralliés ne sont que des instruments.

JULIEN FREUND,
Guerres et Paix n° 4 (1968).

L’Internationale Situationniste est essentiellement l’œuvre de Debord (...) Le nouveau mouvement devait progressivement évoluer de l’esthétique au politique, l’esthétique ayant dès l’origine un aspect politique, et la politique, aujourd’hui, restant toujours entachée, au dire des politiques eux-mêmes, d’un certain esthétisme (...) de 1961 à 1964 c’est essentiellement l’élaboration d’une plate-forme critique de la société dominante ; à partir de 1964 et jusqu’à nos j ours se préparent à la fois une ébauche de théorie constructive et surtout des actions politiques menées en répétition, d’abord à Strasbourg l’année dernière, et ensuite au mois de mai 68 à Paris et dans d’autres villes de province.

R. ESTIVALS,
Communications n° 12 (décembre 1968).

Les drapeaux rouges et noirs ont flotté pendant quelques heures, hier, aux fenêtres de la Sorbonne (...) Une fois de plus, des actes de vandalisme ont été commis, imputables (semble-t-il) à des « étudiants » qui n’avaient rien à faire à la Sorbonne : les «situationnistes » de Nanterre.

Le Parisien Libéré (24-1-69).

Dehors pendant ce temps, des étudiants arrivent continuellement (les plus actifs sont les « commandos » situationnistes de Nanterre). Les policiers ont sorti de leurs camions les casques, les boucliers, les lacrymogènes. Alors les occupants — il est 18 heures — pénètrent dans le bureau du doyen de la faculté des lettres. Las Vergnas, et lui annoncent qu’ils le garderont en otage...

Il Giorno (24-1-69).

Leur quartier-général est secret mais je pense qu’il est quelque part dans Londres. Ce ne sont pas des étudiants, mais ce qui est connu sous le nom de situationnistes ; ils voyagent partout et exploitent le mécontentement des étudiants.

News of the World (16-2-69).

À partir du 20 mai, la grève gagne l’Alsace (...) Et quand la préfecture envisage une action contre l’université maintenant totalement occupée, un des responsables du service d’ordre ne souligne-t-il pas les risques de l’entreprise 1 (...) il y aurait une quarantaine « d’agitateurs » locaux : situationnistes revenus de Paris, des marxistes pro-chinois, des trotskystes (... Les groupes extrémistes — toujours selon les milieux officiels — possèdent de l’armement, même s’ils n’ont pas les mille cinq cents fusils comme leur propagande veut le laisser croire.

CLAUDE PAILLAT,
Archives secrètes (Éd. Denoël, 1er trim. 1969).

Sept arrestations et quatre-vingt blessés légers, en majorité des policiers, tel est le bilan des graves incidents survenus pendant plus de trois heures en plein centre de la ville, après la manifestation organisée vendredi après-midi par les trois syndicats en hommage aux morts de Battipaglia (...) Quelqu’un parmi les plus excités — et il faut dire tout de suite que le mouvement étudiant est étranger à cette partie de la manifestation — a pris l’initiative de lancer sur une auto-pompe de la police un rudimentaire cocktail Molotov (...) Il y a eu des charges de police et un lancer très dense de grenades lacrymogènes ; certaines étant renvoyées par les manifestants (anarchistes, situationnistes, maoïstes, internationalistes, marxistes-léninistes).

Il Giorno, de Milan (13-4-69).

D’abord une volonté très apparente, non de corriger, d’améliorer, de réformer cette société de consommation, mais bien de la détruire : « La marchandise on la brûlera » (Internationale Situationniste, Hall Richelieu, Sorbonne).

ANDRÉ STÉPHANE,
L’Univers contestationnaire (Payot, 2e trim. 1969).

*
Le confusionnisme spontané

Il est vrai qu’avant les explosions que vous savez, d’aucuns s’étaient imaginé d’expulser de France Daniel Cohn-Bendit, le chef des « enragés », que des intellectuels de gôche ont présenté, lui et ses amis, comme un disciple de l’Américain Marcuse, alors qu’il suffit de lire les livres en français des écrivains « situationnistes » Vaneigem et Debord pour y retrouver l’inspiration de Dany et de ses potes.

Le Canard Enchaîné (22-5-68).

Une série de documents sur la lutte que mènent les étudiants italiens permettent de se faire une idée de la situation idéologique de ces groupes à la fin de l’hiver dernier (…) Le choix des textes ne met peut-être pas assez en évidence l’importance de Turin où « situationnistes » et « marcusiens » ont joué, à l’origine, un grand rôle.

CLAUDE AMBROISE,
Le Monde (25-1-69).

Nous avons évoqué dans le premier chapitre le « Mouvement du 22 mars » ; c’est le plus connu mais non le plus ancien des groupuscules ; à Nanterre parmi ses membres figurent quelques-uns des situationnistes qui ont fait scandale à Strasbourg deux ans plus tôt. L’entreprise de ces derniers, par ses méthodes et son programme, préfigure ce que Paris et la France vont connaître en 1968.

CLAUDE PAILLAT,
Archives secrètes (Éd. Denoël, 1er trim. 1969).

La position d’intellectuels des situationnistes les a logiquement amenés à se regrouper entre eux pour diffuser les concepts élaborés ensemble. Si leur livre montre bien la force explosive que peut prendre une telle action de groupe et refléter une libération de toutes les contraintes, ils ont l’air d’oublier que c’est dans les usines que se passe l’essentiel. Et ils ne semblent pas avoir évité le danger de devenir prisonniers de leur propre langage.

Informations Correspondance Ouvrières n° 78 (fév. 1969).

Robert Estivals (Communications, 12), a esquissé une analyse de l’influence de la doctrine de l’I.S. dans les origines du mouvement né à Nanterre. Analyse insuffisante que le livre d’E. Brau — elle-même membre de l’I.S. — permet de dépasser. S’il n’est pas question pour les éducateurs modernes de devenir « situationnistes », il appartient à chacun de nous de reconnaître ses alliés (…) À condition que dans une prochaine étape révolutionnaire, ce radicalisme ne se réduise pas à un terrorisme lâche et borné. Comportement dont certains prétendus membres de l’I.S. ont fait montre il y a peu.

MICHEL FALIGAND,
Interéducation n° 8, mars 1969.

En Italie, Feltrinelli fut le premier à faire traduire De la misère en. milieu étudiant, mais l’édition tout de suite épuisée n’eut pas de réimpression (…) À trois ans de distance, cette inquiétante analyse sociologique semble presque un lieu commun, mais cela ne veut pas dire qu’elle apparaissait telle à l’époque de sa diffusion (…) Au contraire, la très rapide « escalade » des vérités contenues dans ce libelle et la brûlante présence au centre des « événements de Mai » de groupes anarcho-situationnistes tels que « L’Hydre de Lerne », « Les Enragés » et le « 22 mars » dont faisait également partie Cohn-Bendit, ont confirmé dans l’action leur charge authentiquement révolutionnaire.

NICOLA GARRONE,
Paese Sera, de Rome (27-4-69).

Cela dit, mai 1968 fut tout autre chose que ce que Trotsky, et finalement Lénine lui-même, avait pu imaginer (…) Entre certains trotskystes, maoïstes, anarchistes, situationnistes, ce n’était plus l’anathème stérile, mais une pratique commune. C’était peut-être le début du communisme.

JACQUES BELLEFROID,
Le Monde (28-5-69).

*
Le confusionnisme intéressé

Cette réunion aura lieu à la faculté de Nanterre au centre culturel (salle C 20). Les organisations suivantes participant au mouvement du 22 mars : J.C.R., C.V.N., U.J.C.M.L., C.V.B., E.S.U., U.N.E.F., S.N.E. Sup., S.D.S., C.A.L., M.A.U., Anarchistes, Situationnistes…

Tract du « Mouvement du 22 mars », appelant à un meeting prévu pour le 2 mai 1968.

Les organisations dissoutes sont de trois ordres. Il s’agit d’une part de l’ensemble des organisations trotskystes, d’autre part des groupements « pro-chinois », enfin, du Mouvement du 22 mars, qui est un cas à part (…) Il réunit des anarchistes, des situationnistes, des trotskistes et des « pro-chinois ».

FRÉDÉRIC GAUSSEN,
Le Monde (14-6-68).

N’écrasons pas sous les lourdes semelles du passé, serait-il relativement récent, l’herbe neuve de la révolte. Il importe au contraire de souligner ce que le mouvement actuel ne doit pas aux expériences ni aux théories antérieures, y compris les plus nobles, les plus dignes de considération, les plus fécondes. Ce qui vaut par rapport à la Révolution d’Octobre comme par rapport à la Commune, à la psychanalyse comme aux diverses théories socialistes, à Bakounine comme à Marx, à Marcuse comme à Mao-Tsé-Toung, au situationnisme comme au surréalisme.

L’Archibras n° 4 (Le surréalisme le 18 juin 1968).

Aux pays sans tradition ouvrière revenaient le spontanéisme, l’anarchisme ou le situationnisme (Flower Power du Danemark, Mother’s fuckers des U.S.A.).

Rouge (16-4-69).

*
La calomnie démesurée

Car d’autre part, il ne faut pas oublier certaines choses. Que si l’on supprime le fait que le père de G. Debord soit un très riche industriel, les situationnistes ne sont plus rien (du moins en France).

NERSLAU,
L’Hydre de Lerne n° 5 (janvier 1968).

Les « enragés » au nombre d’abord d’une dizaine, puis d’une centaine, allaient réussir, en recourant à la violence, à paralyser le travail de quelque 12 000 étudiants. Le « mouvement du 22 mars » vient de là, d’une quarantaine de jeunes gens membres de l’Internationale situationniste qui a son siège à Copenhague et qui est manipulée par la H.V.A., service de sécurité et d’espionnage est-allemand.

LOUIS GARROS,
Historama n° 206 (décembre 1968).

On peut tenir pour certain que dans tout cela sont absentes aussi bien la poésie que la révolution, neutralisées et non exaltées l’une par l’autre. La rigueur de cette double exigence manque évidemment aux militants qui sont entrés dans la révolution comme on entre en littérature. Une complaisance de ce genre atteint son comble chez ceux qui se définissent comme « situationnistes ». Ce qui, en mai, dans les inscriptions murales, toucha pour un temps certains bourgeois sensibles, avait cette origine. Bien loin d’être spontané, mais absolument prémédité, ce travail de transcription était très semblable au développement, avec des moyens divers, de l’activité littéraire traditionnelle. Le récent livre de l’un d’eux, Viénet, en est la preuve. Au contraire, ce qu’aucun bourgeois ne pouvait apprécier dans les paroles de mai (« Nous sommes tous des juifs allemands », « Soyez réalistes, demandez l’impossible », etc.), n’était pas situationniste.

Comité des écrivains et des étudiants (DURAS, MASCOLO, SCHUSTER, etc.).
Texte publié dans Quindici n° 17, juin 1969.

*
La démence

Un asile de fous semblait partir à la rescousse d’un autre, les surréalistes aussi occupaient. Alliés aux « situationnistes », ils eurent même les premiers jours la majorité au « comité d’occupation » qui, en principe, réglait toutes les affaires intérieures de la Sorbonne (…) Un vent de juridisme tâtillon soufflait que les situationnistes calmèrent par la via negativa des mystiques, forçant l’assemblée générale à discuter pendant des heures du mode de discussion de l’ordre du jour de la séance en cours, laquelle s’achevait avant qu’on se soit mis d’accord sur le remède absolu contre tout risque de « bureaucratie ».

EDGAR ANDRÉ,
Magazine littéraire n° 20 (août 1968).

J’ai retrouvé dans mes archives une brochure éditée en 1966 par les situationnistes qui s’étaient emparé du bureau de l’U.N.E.F. de Strasbourg : ces quelque trente pages révolutionnaires sont à ce point proches des idées à l’origine de Mai qu’il m’a semblé intéressant de les rappeler, d’autant que cette contestation radicale pourrait être souvent la nôtre, si elle ne s’envolait pas dans une phraséologie désastreuse (…) Bravo, Messieurs, mais alors venez chez nous combattre la démocratie, au lieu de vouloir la réaliser sous ce que vous croyez pouvoir être une autre forme ! De l’audace !

AF Université, Mensuel des Étudiants de la Restauration Nationale (octobre 1968).

Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, la reconversion psychologique n’a pas été effectuée et elle est, selon nous, la cause de l’erreur de l’I.S., et par la suite l’échec de la néo-social-démocratie estudiantine de mai [19]68 (…) le principe de l’individualisme n’a pas été abandonné (…) Dans une perspective léniniste l’I.S. ne saurait être considérée autrement que comme une manifestation dangereuse de la pensée petite-bourgeoise. Elle sert le capitalisme, témoin l’audience qui lui fut faite ces derniers temps dans la presse bourgeoise.

R. ESTIVALS,
Communications n° 12 (décembre 1968).

 


« Tous les textes publiés dans "internationale situationniste" peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés, même sans indication d'origine. » (Internationale situationniste, numéro 2)

Mise en ligne des 12 numéros de la revue internationale situationniste.