tag:blogger.com,1999:blog-5803890691252433792011-04-21T15:58:26.223-07:00Internationale situationniste - les 12 numéros de la revueInternationale situationnisteLe duc de Trèflenoreply@blogger.comBlogger116125tag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-2818478761779032852007-04-20T13:26:00.001-07:002009-01-29T23:09:14.016-08:00<img src="http://accel21.mettre-put-idata.over-blog.com/0/20/69/98/is1.jpg" /><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-281847876177903285?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-16433043270160049162007-04-20T13:22:00.000-07:002007-04-20T13:24:43.642-07:00Situationnistes notoires<span style="font-weight: bold;">Section algérienne</span><br /><br /> * Mohamed Dahou<br /> * Abdelhafid Khatib<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Section allemande</span><br /><br /> * Ervin Eisch<br /> * Lothar Fischer<br /> * Heinz Hofl<br /> * Dieter Kunzelmann<br /> * Uwe Lausen<br /> * Renee Nele<br /> * Hans Platschek<br /> * Heimrad Prem<br /> * Gretel Stadler<br /> * Helmut Sturm<br /> * Hans-Peter Zimmer<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Section américaine</span><br /><br /> * Robert Chasse<br /> * Bruce Elwell<br /> * Jan Horelick<br /> * Tony Verlaan<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Section anglaise</span><br /><br /> * Timothy Clarke<br /> * Christopher Gray<br /> * Donald Nicholson-Smith<br /> * Charles Radcliffe<br /> * Ralph Rumney<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Section belge</span><br /><br /> * Walter Korun<br /> * Attila Kotanyi<br /> * Rudi Renson<br /> * Jan Stijbosch<br /> * Raoul Vaneigem<br /> * Maurice Wyckaert<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Section française</span><br /><br /> * François de Beaulieu<br /> * Michèle Bernstein<br /> * Patrick Cheval<br /> * Alain Chevalier<br /> * Guy Debord<br /> * Édith Frey<br /> * Théo Frey<br /> * Jean Garnault<br /> * Anton Hartstein<br /> * Herbert Holl<br /> * Mustapha Khayati<br /> * Ndjangani Lungela<br /> * René Riesel<br /> * Christian Sebastiani<br /> * René Viénet<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Section Hollandaise</span><br /><br /> * Anton Alberts<br /> * Armando<br /> * Constant<br /> * Jacqueline de Jong<br /> * Har Oudejans<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Section italienne</span><br /><br /> * Giors Melanotte<br /> * Walter Olmo<br /> * Claudio Pavan<br /> * Giuseppe Pinot-Gallizio<br /> * Eduardo Rothe<br /> * Paolo Salvadori<br /> * Gianfranco Sanguinetti<br /> * Piero Simondo<br /> * Elena Verrone<br /> * Glauco Wuerich<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Section scandinave</span><br /><br /> * Ansgar Elde<br /> * Asger Jorn<br /> * Stefan Larsson<br /> * Peter Laughesen<br /> * Katja Lindell<br /> * Jeppesen Victor Martin<br /> * Jørgen Nash<br /> * Hardy Strid<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Hors section</span><br /><br /> * Ivan Chtcheglov<br /> * André Frankin<br /> * Jacques Ovadia<br /> * Alexander Trocchi<div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-1643304327016004916?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-5526373956938122512007-04-20T10:27:00.001-07:002007-04-20T10:27:58.968-07:00La question de l’organisation pour l’I.S.<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>1.</i> Tout ce qui est connu de l’I.S. jusqu’à présent appartient à une époque qui est heureusement finie (on peut dire plus précisément que c’était la « deuxième époque », si l’on compte comme une première l’activité centrée sur le dépassement de l’art, en 1957-1962).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>2.</i> Les nouvelles tendances révolutionnaires de la société actuelle, si elles sont encore faibles et confuses, ne sont plus reléguées dans une marge clandestine : cette année elles paraissent dans la rue.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>3.</i> Parallèlement, l’I.S. est sortie du silence ; et doit — en termes stratégiques — exploiter maintenant cette percée. On ne peut empêcher la vogue, ici et là, du terme « situationmste ». Nous devons faire en sorte que ce phénomène (normal) nous serve plus qu’il ne nous nuira. « Ce qui nous sert », c’est à mes yeux indistinct de ce qui sert à unifier et radicaliser des luttes éparses. C’est la tâche de l’I.S. en tant qu’organisation. En dehors de ceci, le terme « situationniste » pourrait vaguement désigner une certaine époque de la pensée critique (c’est déjà assez bien d’avoir inauguré cela), mais où chacun n’est engagé que par ce qu’il fait personnellement, sans référence à une communauté organisationnelle. Mais tant que cette communauté existe, elle devra réussir à se distinguer de ce qui parle d’elle sans être elle.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>4.</i> On peut dire, relativement aux tâches que nous nous sommes déjà reconnues précédemment, qu’il faut mettre l’accent actuellement moins sur l’élaboration théorique — à poursuivre — que sur sa communication : essentiellement, sur la liaison pratique avec ce qui apparaît (en augmentant vite nos possibilités d’intervention, de critique, de soutien exemplaire).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>5.</i> Le mouvement qui commence pauvrement est le début de notre victoire (c’est-à-dire de la victoire de ce que nous soutenions et montrions depuis plusieurs années). Mais cette victoire ne doit pas être « capitalisée » par nous (chaque affirmation d’un moment de la critique révolutionnaire, à ce sens, en appelle déjà — au niveau où elle est — à cette exigence que toute organisation cohérente avancée sache se perdre elle-même dans la société révolutionnaire). Dans les courants subversifs actuels et prochains, il y a beaucoup à critiquer. Il serait très inélégant que nous fassions cette nécessaire critique en laissant l’I.S. au-dessus d’elle.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>6.</i> L’I.S. doit maintenant prouver son efficacité dans un stade ultérieur de l’activité révolutionnaire — ou bien disparaître.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>7.</i> Pour avoir des chances d’atteindre cette efficacité, il faut voir et déclarer quelques vérités sur l’I.S., qui évidemment étaient déjà vraies auparavant : mais, dans le stade présent, où ce « vrai se vérifie », il est devenu urgent de le préciser.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>8.</i> L’I.S. n’ayant jamais été considérée par nous comme un but, mais comme un moment d’une activité historique, la force des choses nous mène maintenant à le prouver. La « cohérence » de l’I.S., c’est le rapport, tendant à la cohérence, entre toutes nos thèses formulées ; entre elles et notre action ; ainsi que notre solidarité pour les questions (beaucoup, mais non toutes) où quelqu’un de nous doit engager la responsabilité des autres. Ce ne peut être la maîtrise garantie à quiconque, qui serait réputé avoir si bien acquis nos bases théoriques qu’il en tirerait automatiquement la bonne conduite indiscutable. Ce ne peut être l’exigence (encore moins la reconnaissance) d’une excellence égale de tous sur toutes les questions ou opérations.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>9.</i> La cohérence s’acquiert et se vérifie par la participation égalitaire à l’ensemble d’une pratique commune, qui à la fois révèle les défauts et fournit les remèdes— cette pratique exige des réunions formelles arrêtant les décisions, la transmission de toutes les informations, l’examen de tous les manquements constatés.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>10.</i> Cette pratique réclame à présent plus de participants dans l’I.S., pris parmi ceux qui affirment leur accord et montrent leurs capacités. Le petit nombre, assez injustement sélectionné jusqu’ici, a été cause et conséquence d’une surestimation ridicule « officiellement » accordée à tous les membres de l’I.S., du seul fait qu’ils le sont, alors même que beaucoup n’avaient nullement prouvé des capacités minimum réelles (voir les exclusions depuis un an, garnautins ou Anglais). Une telle limitation numérique pseudo-qualitative augmente exagérément l’importance de toute sottise particulière, en même temps qu’elle la suscite. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>11.</i> Un produit direct de cette illusion sélective, à l’extérieur, a été la reconnaissance mythologique de pseudo-groupes autonomes, situés glorieusement au niveau de l’I.S., alors qu’ils n’en étaient que les débiles admirateurs (donc, forcément, à court terme, les malhonnêtes détracteurs). Il me semble que nous ne pouvons pas reconnaître de groupe autonome sans milieu de travail pratique autonome ; ni la réussite durable d’un groupe autonome sans action unie avec les ouvriers (sans bien sûr que ceci retombe au-dessous de notre <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is11.htm#definition" target="_blank" style="text-decoration: none;">« définition minimum des organisations révolutionnaires »</a>). Toutes sortes d’expériences récentes ont montré le confusionnisme récupéré du terme « anarchiste », et il me semble que nous devons partout nous y opposer.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>12.</i> J’estime qu’il faut admettre dans l’I.S. la possibilité de tendances à propos de diverses préoccupations ou options tactiques, à condition que ne soient pas mises en question nos bases générales. De même, il faut aller vers une complète autonomie pratique des groupes nationaux, à mesure qu’ils pourront se constituer réellement.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>13.</i> Au contraire des habitudes des exclus qui, en 1966, prétendaient atteindre — inactivement — dans l’I.S. une réalisation totale de la transparence et de l’amitié (on se trouvait presque gênés de juger leur compagnie ennuyeuse), et qui corollairement développaient en secret les jalousies les plus idiotes, les mensonges indignes de l’école primaire, les complots aussi ignominieux qu’irrationnels, nous devons n’admettre entre nous que des rapports historiques (une confiance critique, la connaissance des possibilités ou limites de chacun), mais sur la base de la loyauté fondamentale qu’exige le projet révolutionnaire qui se définit depuis plus d’un siècle.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>14.</i> Nous n’avons pas le droit de nous tromper dans la rupture. Nous devrons nous tromper encore dans l’adhésion — plus ou moins fréquemment — : les exclusions n’ont presque jamais marqué un progrès théorique de l’I.S. (nous ne découvrions pas à ces occasions une définition plus précise de ce qui est inacceptable — le côté surprenant du garnautisme tient justement au fait qu’il était une exception à cette règle). Les exclusions ont été presque toujours des réponses à des pressions objectives que les conditions existantes réservent à notre action : ceci risque donc de se reproduire à des niveaux plus élevés. Toutes sortes de « nashismes » pourraient se reformer : il s’agit seulement d’être en état de les détruire.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>15.</i> Pour accorder la forme de ce débat à ce que je crois devoir être son contenu, je propose que ce texte soit communiqué à certains camarades proches de l’I.S. ou susceptibles d’en faire partie, et que nous sollicitions leur avis sur cette question.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p align="right">G<span style="font-size:-1;">UY </span>D<span style="font-size:-1;">EBORD</span></p></blockquote> <center style="font-family: arial;">N<span style="font-size:-1;">OTE AJOUTÉE EN AOÛT </span>1969</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">C<span style="font-size:-1;">ES NOTES </span>d’avril 1968 étaient une contribution à un débat sur l’organisation, qui devait alors commencer parmi nous. À deux ou trois semaines de là, le mouvement des occupations, qui fut évidemment plus agréable et plus instructif que ce débat, nous força de le repousser.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Seul le dernier point avait été tout de suite approuvé par les camarades de l’I.S. Ce texte donc, qui n’avait certes rien de secret, n’était même pas exactement un document interne. Cependant, vers la fin de 1968, nous avons constaté que des versions tronquées, et sans date, en avaient été mises en circulation par quelques groupes gauchistes, je ne sais dans quel but. L’I.S. a estimé en conséquence qu’il fallait publier dans cette revue la version authentique.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Quand notre discussion sur l’organisation put être reprise, à l’automne de 1968, les faits avaient marché très vite, et les situationnistes adoptèrent ces thèses, qui en ressortaient confirmées. Réciproquement, l’I.S. a su agir en mai d’une manière qui répondait assez bien aux exigences qu’elles avaient formulées pour l’avenir immédiat.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Je crois qu’il faut ajouter une précision, au moment où ce texte connaît une diffusion plus vaste, pour éviter un contre-sens sur la question de l’ouverture relative demandée pour l’I.S. Je n’ai proposé ici aucune concession à « l’action commune » avec ceux des courants semi-radicaux qui peuvent déjà chercher à se former ; ni surtout l’abandon de notre rigueur dans le choix des membres de l’I.S. et dans la limitation de leur nombre. J’ai critiqué un mauvais usage abstrait de cette rigueur, qui pourrait aboutir au contraire de ce que nous voulons. Les excès, admiratifs ou subséquemment hostiles, de tous ceux qui parlent de nous en spectateurs intempestivement passionnés, ne doivent pas trouver leur répondant dans une « situ-vantardise » qui, parmi nous, aiderait à faire croire que les situationnistes sont des merveilles possédant effectivement tous dans leur vie ce qu’ils ont énoncé, ou simplement admis, en tant que théorie et programme révolutionnaires. On a pu voir, depuis mai, quelle ampleur a pris ce problème, et quelle urgence. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Les situationnistes n’ont pas de monopole à défendre, ni de récompense à escompter. Une tâche, qui nous convenait, a été entreprise, maintenue bon an mal an et, dans l’ensemble, correctement, avec ce qui se trouvait là. L’actuel développement des conditions subjectives de la révolution doit mener à définir une stratégie qui, à partir des données différentes, soit aussi bonne que celle que l’I.S. a suivie en des temps plus difficiles.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p align="right">G.D.</p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-552637395693812251?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-66423910779834029582007-04-20T10:26:00.000-07:002007-04-20T10:27:20.650-07:00Correspondance avec un editeur<p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">L’I.S. à Monsieur Claude Gallimard<br /> 5, rue Sébastien-Bottin, Paris 7<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup></p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"><p align="right">Paris, le 16 janvier 1969</p> <p>M<span style="font-size:-1;">ONSIEUR</span>,</p></blockquote> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Nous apprenons que la semaine dernière, chez un certain Sergio Veneziani, un dénommé Antoine Gallimard a parlé à plusieurs personnes, qui nous en ont informé, des situationnistes et de leurs rapports avec la Maison Gallimard. Ce con a dit que « les situationnistes » avaient fait plusieurs offres de service, entre autres à propos d’une collection qu’il avait d’ailleurs fallu « refuser » ; et que pourtant les situationnistes, en corps, étaient « les employés » de la Maison Gallimard, ou sur le point de le devenir tous.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Cette raclure de bidet s’illusionne visiblement, mais ne peut cependant colporter de telles espérances que parce que vous les lui avez confiées.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Fils raté de votre père, vous ne serez pas surpris de trouver dans la génération suivante une débilité aggravée.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Le merdeux s’identifie naturellement, à son tour, à votre pauvre rôle parce que, comme vous, il espère hériter.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Cette vantardise est au-dessus de vos moyens.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Deux situationnistes, jusqu’à présent, avaient fait éditer un livre chez vous. Vous ne connaîtrez jamais plus de situationnistes et, des deux en question, vous n’aurez plus jamais un livre. </p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Tu es si bête et si malheureux qu’il est inutile d’ajouter rien de plus insultant. </p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"><p align="right"><i>Pour l’I.S.</i> :<br /> G<span style="font-size:-1;">UY </span>D<span style="font-size:-1;">EBORD, </span>M<span style="font-size:-1;">USTAPHA </span>K<span style="font-size:-1;">HAYATI, </span>R<span style="font-size:-1;">ENÉ </span>R<span style="font-size:-1;">IESEL, </span>R<span style="font-size:-1;">ENÉ </span>V<span style="font-size:-1;">IÉNET</span></p></blockquote> <center style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </center> <center style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">*</center> <center style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </center> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Éditions Gallimard</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"><p align="right">Paris le 17 janvier 1969</p> <p align="right">Monsieur René Viénet<br /> (…)<br /> Paris 4<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup></p> <p>C<span style="font-size:-1;">HER </span>M<span style="font-size:-1;">ONSIEUR</span>,</p></blockquote> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Votre lettre nous a tous beaucoup amusés, et ce n’est pas inutile dans une époque qui se veut tristement sérieuse.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">J’ai trouvé drôle que vous découvriez maintenant que je suis le fils de mon père ; quant à la question de savoir si mes parents m’ont raté ou réussi, je suis étonné que vous n’y ayez pas songé lorsque vous vous êtes uni par un accord avec moi pour la publication de vos livres.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Votre conception de l’hérédité m’a donné une idée (vous me direz que c’est étonnant), mais si mon fils est encore plus bête que moi et moi que mon père, votre grand’père avait sans doute du génie, vous ne nous en avez jamais parlé ?</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Mais soyons sérieux une seconde ; je vous ai connu très sérieux dans le domame de la recherche de l’information, en l’occurence vous sembler vous en tenir a des délations de seconde main, tronquées et anonymes.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Puisque vous aimez vous amuser, ne croyez-vous pas que nous pourrions prendre un verre avec le dénommé Antoine Gallimard qui, tout débile qu’il est, ne manque pas d’humour et nous pourrions les uns et les autres nous insulter avec bonheur, car il n’y a rien de fondé dans votre lettre qui puisse changer nos relations. Naturellement si vous pouvez amener vos amis à cette petite réunion qui me changerait un peu de la vie quotidienne, j’en serais enchanté.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"><p align="right">C<span style="font-size:-1;">LAUDE </span>G<span style="font-size:-1;">ALLIMARD</span></p></blockquote> <center style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </center> <center style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">*</center> <center style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </center> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">L’I.S. à Claude Gallimard</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"><p align="right">Paris, le 21 janvier 1969</p></blockquote> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">T<span style="font-size:-1;">U AS </span>peu de raisons de trouver amusante notre lettre du 16 janvier. Tu as encore plus tort de croire que tu vas pouvoir arranger la chose, et même nous rencontrer autour d’un verre.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Nos témoins sont directs, sûrs, et bien connus de nous. On t’a dit que tu n’auras plus jamais un seul livre d’un situationniste. Voilà tout.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Tu l’as dans le cul. Oublie-nous.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"><p align="right"><i>Pour l’I.S.</i> :<br /> C<span style="font-size:-1;">HRISTIAN </span>S<span style="font-size:-1;">ÉBASTIANI, </span>R<span style="font-size:-1;">AOUL </span>V<span style="font-size:-1;">ANEIGEM, </span>R<span style="font-size:-1;">ENÉ </span>V<span style="font-size:-1;">IÉNET</span></p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-6642391077983402958?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-16548828551232110092007-04-20T10:25:00.002-07:002007-04-20T10:26:34.894-07:00Jugements choisis concernant l’I.S. et classés selon leur motivation dominante<div style="text-align: justify;"><center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><b>La bêtise</b></center> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Les « enragés » représentent une trentaine d’étudiants qui se veulent « situationnistes », « super-anarchistes », pratiquant une éthique « révolutionnaire » que le fantaisiste Pierre Dac a résumée dans une formule fort célèbre — vieille de plus de trente ans : « Contre tout ce qui est pour, pour tout ce qui est contre. » Avec l’humour en moins et le genre beatnik en plus (…) Le premier chapitre s’intitulait : « Rendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité. » De la belle eau apportée au moulin du Doyen Grappin ! Certains étudiants, dans leur volonté destructrice, tiennent-ils absolument à ce que la Faculté soit considérée comme un vaste lupanar ?</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">A<span style="font-size:-1;">LAIN </span>S<span style="font-size:-1;">PIRAUX</span>,<br /> <i>Noir et Blanc</i> (7-3-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Enfin et surtout, il y a les enragés, les « situationnistes », ceux qui sont décidés à exploiter la manifestation et à créer des incidents graves. Ce sont les plus dangereux, mais ils ne sont pas nombreux, une demi-douzaine environ, barbus et chevelus. Il faut y ajouter leurs égéries. Certaines ont payé très cher leur appartenance aux situationnistes. L’une d’elles, étudiante en lettres, 18 ans, après s’être droguée, a avalé en janvier un tube de gardénal ; résultat : trois semaines d’hôpital et un traitement psychiatrique qui dure encore.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Paris-Presse</i> (30-3-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">M. Max-Étienne Schmitt, recteur de l’Université de Nantes-Angers (…) a son explication : « Les situationnistes de Strasbourg, c’est moi qui en ai hérité. Le climat n’est pas catastrophique : on a dix-sept perturbateurs, mais c’est décourageant. »</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Combat</i> (24-4-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">La majorité des étudiants désapprouvait les excès des enragés et réclamait sur l’air des lampions la reprise des cours qu’ils perturbaient. Mais elle ne s’est jamais opposée, d’une façon positive, par des mesures concrètes, à aucune des initiatives de ces extrémistes. Elle était en effet fascinée par la représentation théâtrale improvisée qui se jouait à bureaux ouverts sur le thème de la perte du pouvoir par les professeurs. C’était une sorte de <i>happening</i> permanent (…) La présence d’un groupe situationniste n’avait pas été étrangère à tout cela.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">É<span style="font-size:-1;">PISTÉMON</span>,<br /> <i>Ces idées qui ont ébranlé la France</i> (Fayard, 3<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> trimestre 1968). </p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Internationale situationniste : ce mouvement est parti en France de l’Université de Strasbourg pendant l’année 1966-1967. Son influence, diffuse, non organisationnelle, est assez difficile à apprécier, mais paraît dans l’ensemble faible à la Sorbonne où les situationnistes ont pourtant contrôlé le premier comité d’occupation — du 14 au 17 mai — après en avoir seuls assumé la direction du 13 mai au 14 mai au soir.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">J<span style="font-size:-1;">EAN </span>M<span style="font-size:-1;">AITRON</span>,<br /> <i>La Sorbonne par elle-même</i> (Éditions Ouvrières, 4<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> trimestre 1968). </p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Sage, cette jeunesse strasbourgeoise qui semble simplement rejeter un monde où l’on débite de la culture comme des chapelets de saucisses ? Que non pas ! Plus folle même que la plus rageuse des jeunesses nanterroises. C’est qu’elle a goûté, bien avant qui que ce soit en France, à une étrange médecine expérimentée un peu partout, en Scandinavie, en Allemagne, au Japon. Cela s’appelle le « situationnisme », c’est du socialisme mâtiné de marxisme et d’anarchisme, et cela émane d’un évanescent groupe international de théoriciens qui se livreraient à la critique radicale de la société actuelle.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">C<span style="font-size:-1;">HRISTIAN </span>C<span style="font-size:-1;">HARRIÈRE</span>,<br /> <i>Le printemps des Enragés</i> (Arthème Fayard, 4<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> trimestre 1968). </p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Et lorsque les étudiants français, qui se sont mobilisés les derniers, rejoignent dans l’utopie leurs camarades italiens, allemands, hollandais, suédois, espagnols et belges, ils rédigent ensemble, à la fin de mai 1968, une « Adresse à tous les travailleurs » qui méritera de passer à l’Histoire par la hiérarchie qu’elle indique dans la détestation : « Ce que nous avons fait hante l’Europe et va bientôt menacer toutes les classes dominantes, des bureaucrates de Moscou et de Pékin aux milliardaires de Washington et de Tokyo. » Que l’aversion des jeunes mêle Pékin et Tokyo, et fasse passer les bureaucrates avant les milliardaires, ne rassurera sans doute pas Mitsubishi, mais doit rendre Mao Tsé-toung songeur.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">S<span style="font-size:-1;">ERVAN-</span>S<span style="font-size:-1;">CHREIBER</span>,<br /> <i>L’Express</i> (30-12-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Après plusieurs mois d’éclipse et de silence, probablement consacrés à l’élaboration de ses travaux, vient d’intervenir dans ce débat le groupe de l’« Internationale situationniste », en publiant un livre chez Gallimard : <i>Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations</i>. On était en droit d’attendre, de la part d’un groupe qui a effectivement pris une part active dans les combats, une contribution approfondie à l’analyse de la signification de Mai, et cela d’autant plus que le temps de recul de plusieurs mois offrait des possibilités meilleures. On était en droit d’émettre des exigences et on doit constater que le livre ne répond pas à ses promesses. Mis à part le vocabulaire qui leur est propre : « Spectacle, Société de consommation, critique de la vie quotidienne, etc. », on peut déplorer que, pour leur livre, les cituationnistes aient allègrement cédé au goût du jour, se complaisant à le farcir de photos, d’images et de bandes de <i>comics</i> (…) La classe ouvrière n’a pas besoin d’être divertie. Elle a surtout besoin de comprendre et de penser. Les <i>comics</i>, les mots d’esprit et les jeux de mots leur sont d’un piètre usage. On adopte d’une part pour soi un langage philosophique, une terminologie particulièrement recherchée, obscure et ésotérique, réservée aux « penseurs intellectuels », d’autre part, pour la grande masse infantile des ouvriers, quelques images accompagnées de phrases simples, cela suffit amplement. </p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Révolution Internationale</i> n° 2 (février 1969).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">L’utilisation des carences de l’éducation sexuelle des nouveaux résidents explique le développement de ce qu’on nomme ici « l’anarchisme » et le « situationnisme ». Il ne s’agit nullement de philosophie de l’État et de l’individu, mais tout simplement de la justification, par le recours abusif au vocabulaire idéologique, de mœurs dont la ligne directrice est le refus de toute contrainte — y compris la sienne propre — et la répudiation de tout effort, ainsi que le culte de la jouissance oisive…</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">P<span style="font-size:-1;">. </span>D<span style="font-size:-1;">EGUIGNET</span>,<br /> <i>La Nation</i> (28-2-69).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Il faut ajouter que le style même de Vaneigem a été celui des slogans de mai. Il semble au reste avoir été à l’origine d’un grand nombre de formules parmi les plus heureuses et les plus poétiques. Sans doute avaient-elles été préalablement répandues par la revue de l’Internationale Situationniste dont il est un des plus éminents rédacteurs. Il faut peut-être rappeler que les situationnistes de Strasbourg avaient émigré à Nanterre au début de l’année scolaire 1967 (…) L’auteur du <i>Traité de Savoir-Vivre</i> nous donne une clé pour la compréhension du rôle et de la place des <i>mécanismes paranoïaques dans notre civilisation</i>.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">A<span style="font-size:-1;">NDRÉ </span>S<span style="font-size:-1;">TÉPHANE</span>,<br /> <i>L’Univers contestationnaire</i> (Éd. Payot, 2<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> trimestre 1969). </p></blockquote> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;">*</center> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><b>Le soulagement prématuré</b> </center> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Les faiblesses de l’I.S. — refus de l’organisation et de l’idéologie, la révolution pour la révolution, en somme l’utopie d’échapper au conditionnement de la société de consommation par la pure et simple négation ou l’invocation d’une solidarité anti-bureaucratique et spontanée des <i>prolétaires</i> — ont été vite mises en lumière. Le mouvement est entré en crise : les défections ont commencé (…) c’est le commencement de la fin, inévitable dans tout mouvement qui refuse d’institutionnaliser sa propre théorie (…) Restent les propositions, certaines intentions fort intelligentes, que d’autres sauront dans l’avenir reprendre avec une plus grande conscience des limites de toute action historique, pour opérer avec succès dans une société toujours plus complexe et ambiguë.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Nuova Presenza</i> n° 25-26 (printemps-été 1967).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Quant à l’Internationale situationniste, on ne peut donner sur elle que des informations limitées et approximatives, étant donné que personne n’en a jamais plus entendu parler depuis un an (…) Il était assez prévisible que la brochure du groupe de Strasbourg trouverait des interprétations empreintes de révolutionnarisme verbal, facilement récupérables, au demeurant, au niveau de la consommation, comme le prouve l’usage même qui a été fait de la brochure dans la moitié de l’Europe, et maintenant en Italie avec l’édition de la Maison Feltrinelli (…) Les rapports du groupe de Strasbourg avec l’I.S. n’ont pas duré plus de quatre mois, pour finir par une orageuse rupture.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Idéologie</i> n° 2, de Rome (1967).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Le mode commun de l’exposition situationniste est la <i>dénonciation</i>, une dénonciation globale, qui atteint, indifféremment, tous les domaines, de l’économique au culturel et qui, sans s’embarasser ni de concepts ni d’informations, <i>constate</i>, <i>révèle</i> l’aliénation sans cesse aggravée de l’humanité contemporaine (…) Il va de soi que de semblables énoncés découragent d’avance toute critique. Ils l’écartent, d’entrée de jeu, puisqu’ils tiennent pour évident que toute contestation de ce qu’ils disent émane d’une pensée sottement tributaire du « pouvoir » et du « spectacle » (…) Certes, le situationnisme n’est pas le spectre qui hante la civilisation industrielle, pas plus qu’en 1848 le communisme n’était le spectre qui hantait l’Europe.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">F<span style="font-size:-1;">RANÇOIS </span>C<span style="font-size:-1;">HÂTELET</span>,<br /> <i>Le Nouvel Observateur</i> (3-1-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Au comble de la notoriété, et de l’insuccès pratique, l’histoire des situationnistes prend le chemin du conflit interne. Mustapha Kebati, un des <i>leaders</i>, fils d’immigrés algériens, essaya d’accaparer tous les mérites de l’action accomplie, et de se déclarer l’unique auteur de la brochure <i>De la misère</i> (…) Les Strasbourgeois ne veulent même plus être appelés <i>situationnistes</i>. Ils ont publié un nouveau manifeste théorique : <i>L’Unique et sa propriété</i> (où l’<i>Unique</i>, c’est la société néo-capitaliste, unique système vraiment <i>cohérent</i> dans la répression de toute tendance à la critique) (…) Les Parisiens, de leur côté, ont été consummés dans la grande fournaise de la révolte de mai, et il ne reste rien d’eux que le nom de Guy Debord.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">M<span style="font-size:-1;">EMMO </span>G<span style="font-size:-1;">IAMPAOLI</span>,<br /> <i>Giovani, nuova frontiera</i> (Ed. SEI-Turin, mars 1969).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Disons que la vertu majeure qui semble caractériser le Situationnisme c’est l’impatience de jouer un rôle (…) Jouer sur le devant de la scène une farce énorme singularise. Elle permet de forcer les portes de ces cercles fermés où nos jeunes intellectuels prétendent à la première place (…) On y trouve des formules toutes faites comme « les révolutions seront des fêtes », dont le ridicule est désarmant (…) Aussi éphémère que les groupes d’intellectuels qui l’ont précédé, le situationniste appartient maintenant à l’histoire.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">M<span style="font-size:-1;">AURICE </span>J<span style="font-size:-1;">OYEUX</span>,<br /> <i>La Rue</i> n° 4 (2<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> trimestre 1969). </p></blockquote> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;">*</center> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><b>La panique</b></center> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">¶ « Selon les accusés, vous présidez un cercle à tendance extrémiste. Quels sont les buts de ce groupement? » — « Extrémiste n’est pas le terme qui convient, répondit l’artiste d’une voix mesurée. Le club est un foyer intellectuel où sont abordés tous les problèmes de prospective situationniste. » (...) « Ne vous imaginez pas avoir en face de vous une organisation bâtie sur le modèle des sociétés secrètes traditionnelles. » (...) Et puis, ils ont le nombre, leurs adhérents circulent partout, de part et d’autre du Rideau de fer. Même si l’on mobilisait contre eux toutes les forces de police et de contre-espionnage, elles n’y suffiraient pas! C’est un raz-de-marée, une lame de fond qui se propage et dont le centre n’est nulle part, avec des complicités à l’infini. (...) La doctrine est élaborée dans des universités d’Angleterre et de Hollande par de jeunes stratèges qui voient loin.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">P<span style="font-size:-1;">AUL </span>K<span style="font-size:-1;">ENNY</span>,<br /> <i>Complot pour demain</i> (Éd. Fleuve Noir, 3<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> trimestre 1967). </p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">C’est le ton qui tait la chanson, et la violence négative et provocante des formules, plus cynique chez Vaneigem et plus glacée chez Debord, ne laisse rien debout de ce que les époques antérieures ont produit, si ce n’est Sade, Lautréamont et Dada (...) Nos futurs Saint-Just en blousons noirs, qui s’annoncent comme les porteurs « d’une nouvelle innocence, d’une nouvelle grâce de vivre », nous auront au moins avertis : la civilisation ludiste des « maîtres sans esclaves « devra se résigner à sécréter ses commissaires ; et l’heureuse nouvelle de la suppression des tribunaux ne signifiera pas, hélas! la fin des exécutions.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">P<span style="font-size:-1;">.-</span>H<span style="font-size:-1;">. </span>S<span style="font-size:-1;">IMON</span>,<br /> <i>Le Monde</i> (14-2-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">La Kermesse communiste, pro-chinoise, trotskyste, castriste, anarchiste, situationniste et autres de la Sorbonne rappelait assez bien les tout premiers soviets de la révolution russe. Parmi les inscriptions murales de la faculté des Lettres et qui ne furent pas, semble-t-il, citées dans la presse quotidienne, il y avait et il y a encore : «À bas le crapeau de Nazareth » — « Comment penser librement à l’ombre d’une chapelle? » — « Ceux qui font la révolution à moitié ne font que creuser un tombeau « — « Défense de photographier, les pellicules seront saisies ». Un micro tenu par le comité d’occupation situationniste répétait la consigne : « Tous à Boulogne pour exprimer notre soutien aux ouvriers de chez Renault ». Cette consigne était réaulièrement démentie par des dissidents progressistes armés d’un porte-voix.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Rivarol</i> (25-5-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Le mouvement situationniste se définissait lui-même comme un groupe international de théoriciens qui a entrepris la critique radicale de la société actuelle sous tous ses aspects, en s’appuyant sur la théorie marxiste (...) L’écroulement d’Apocalypse préconisé par les auteurs devait être la conséquence inéluctable du sur-développement économique et de la croissance bureaucratique (...) La contestation effrénée, dont les situationnistes s’étaient fait les porte-paroles dans un extrémisme radical, tut un des symptômes précurseurs de la maladie. On eut tort de ne pas le prendre au sérieux.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Études</i> (juin 1968).</p> </blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Ce qui m’a surpris, c’est la date de la révolte, car je l’attendais pour la rentrée de novembre1968. On aurait tort de mésestimer certains antécédents, en particulier l’occupation en novembre 1966 des locaux de l’Association générale des Etudiants de Strasbourg. La stratégie est connue, d’autant mieux que les révolutionnaires n’en font aucun mystère : discréditer d’abord l’organisation réformiste des étudiants (...) Il y a deux ans, ce résultat fut acquis. Ce coup d’éclat permit d’augmenter le nombre des sympathisants et de préparer l’occupation des Facultés. Ce qui fut fait au cours du mois de mai dernier (...) Je connais assez bien les étudiants révolutionnaires de Strasbourg. Il se trouve parmi eux des farfelus pour qui la révolution n’est qu’une griserie stérile ou une « fête ». Mais il faut compter avec une minorité d’esprits conséquents et décidés, authentiquement révolutionnaires, aux idées organisées et claires ayant parfaitement conscience de leurs forces et de leurs faiblesses (...) L’observateur ne peut qu’être frappé de la rapidité avec laquelle la contagion s’est propagée dans toute l’Université et en général dans les milieux de la jeunesse non universitaire. Il semble donc que les mots d’ordre lancés par la petite minorité de révolutionnaires authentiques aient remué je ne sais quoi d’indéfinissable dans l’âme de la nouvelle génération (...) Malgré tout, dans les conditions actuelles, il faut faire une distinction essentielle entre les vrais révolutionnaires (peu nombreux) et la masse des ralliés qui a cru la révolution imminente et dont un certain nombre n’étaient que des opportunistes. L’ordre rétabli peut sans doute impressionner ces ralliés qui ont d’ailleurs été les principaux facteurs de désordre (Geismar, Sauvageot), mais non ceux qui vivent uniquement pour la révolution. Il faut souligner ce tait : nous voyons réapparaître, comme il y a cinquante ans, des groupes de jeunes gens qui se consacrent entièrement à la cause révolutionnaire, qui savent attendre selon une technique éprouvée les moments favorables pour déclencher ou durcir des troubles dont ils restent les maîtres, pour retourner ensuite à la clandestinité, continuer le travail de sape et préparer d’autres bouleversements sporadiques ou prolongés suivant le cas, afin de désorganiser lentement l’édifice social. Les désordres et les confusions qu’ils suscitent répondent à une tactique calculée dont les ralliés ne sont que des instruments.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">J<span style="font-size:-1;">ULIEN </span>F<span style="font-size:-1;">REUND</span>,<br /> <i>Guerres et Paix</i> n° 4 (1968).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;"><a name="jugements-estivals1"></a>L’Internationale Situationniste est essentiellement l’œuvre de Debord (...) Le nouveau mouvement devait progressivement évoluer de l’esthétique au politique, l’esthétique ayant dès l’origine un aspect politique, et la politique, aujourd’hui, restant toujours entachée, au dire des politiques eux-mêmes, d’un certain esthétisme (...) de 1961 à 1964 c’est essentiellement l’élaboration d’une plate-forme critique de la société dominante ; à partir de 1964 et jusqu’à nos j ours se préparent à la fois une ébauche de théorie constructive et surtout des actions politiques menées en répétition, d’abord à Strasbourg l’année dernière, et ensuite au mois de mai 68 à Paris et dans d’autres villes de province.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><a href="http://www.multimania.com/debordiana/who.html#estivals" target="_blank" style="text-decoration: none;">R</a><a href="http://www.multimania.com/debordiana/who.html#estivals" target="_blank" style="text-decoration: none;"><span style="font-size:-1;">. </span>E<span style="font-size:-1;">STIVALS</span></a>,<br /> <i>Communications</i> n° 12 (décembre 1968).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Les drapeaux rouges et noirs ont flotté pendant quelques heures, hier, aux fenêtres de la Sorbonne (...) Une fois de plus, des actes de vandalisme ont été commis, imputables (semble-t-il) à des « étudiants » qui n’avaient rien à faire à la Sorbonne : les «situationnistes » de Nanterre.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Le Parisien Libéré</i> (24-1-69).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Dehors pendant ce temps, des étudiants arrivent continuellement (les plus actifs sont les « commandos » situationnistes de Nanterre). Les policiers ont sorti de leurs camions les casques, les boucliers, les lacrymogènes. Alors les occupants — il est 18 heures — pénètrent dans le bureau du doyen de la faculté des lettres. Las Vergnas, et lui annoncent qu’ils le garderont en otage...</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Il Giorno</i> (24-1-69).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Leur quartier-général est secret mais je pense qu’il est quelque part dans Londres. Ce ne sont pas des étudiants, mais ce qui est connu sous le nom de situationnistes ; ils voyagent partout et exploitent le mécontentement des étudiants.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>News of the World</i> (16-2-69).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">À partir du 20 mai, la grève gagne l’Alsace (...) Et quand la préfecture envisage une action contre l’université maintenant totalement occupée, un des responsables du service d’ordre ne souligne-t-il pas les risques de l’entreprise 1 (...) il y aurait une quarantaine « d’agitateurs » locaux : situationnistes revenus de Paris, des marxistes pro-chinois, des trotskystes (... Les groupes extrémistes — toujours selon les milieux officiels — possèdent de l’armement, même s’ils n’ont pas les mille cinq cents fusils comme leur propagande veut le laisser croire.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">C<span style="font-size:-1;">LAUDE </span>P<span style="font-size:-1;">AILLAT</span>,<br /> <i>Archives secrètes</i> (Éd. Denoël, 1<sup><span style="font-size:-2;">er</span></sup> trim. 1969).</p> </blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Sept arrestations et quatre-vingt blessés légers, en majorité des policiers, tel est le bilan des graves incidents survenus pendant plus de trois heures en plein centre de la ville, après la manifestation organisée vendredi après-midi par les trois syndicats en hommage aux morts de Battipaglia (...) Quelqu’un parmi les plus excités — et il faut dire tout de suite que le mouvement étudiant est étranger à cette partie de la manifestation — a pris l’initiative de lancer sur une auto-pompe de la police un rudimentaire cocktail Molotov (...) Il y a eu des charges de police et un lancer très dense de grenades lacrymogènes ; certaines étant renvoyées par les manifestants (anarchistes, situationnistes, maoïstes, internationalistes, marxistes-léninistes).</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Il Giorno</i>, de Milan (13-4-69).</p> </blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">D’abord une volonté très apparente, non de corriger, d’améliorer, de réformer cette société de consommation, mais bien de la détruire : « La marchandise on la brûlera » (Internationale Situationniste, Hall Richelieu, Sorbonne).</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">A<span style="font-size:-1;">NDRÉ </span>S<span style="font-size:-1;">TÉPHANE</span>,<br /> <i>L’Univers contestationnaire</i> (Payot, 2<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> trim. 1969).</p> </blockquote> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;">*</center> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><b>Le confusionnisme spontané</b> </center> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Il est vrai qu’avant les explosions que vous savez, d’aucuns s’étaient imaginé d’expulser de France Daniel Cohn-Bendit, le chef des « enragés », que des intellectuels de gôche ont présenté, lui et ses amis, comme un disciple de l’Américain Marcuse, alors qu’il suffit de lire les livres en français des écrivains « situationnistes » Vaneigem et Debord pour y retrouver l’inspiration de Dany et de ses potes.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Le Canard Enchaîné</i> (22-5-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Une série de documents sur la lutte que mènent les étudiants italiens permettent de se faire une idée de la situation idéologique de ces groupes à la fin de l’hiver dernier (…) Le choix des textes ne met peut-être pas assez en évidence l’importance de Turin où « situationnistes » et « marcusiens » ont joué, à l’origine, un grand rôle.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">C<span style="font-size:-1;">LAUDE </span>A<span style="font-size:-1;">MBROISE</span>,<br /> <i>Le Monde</i> (25-1-69).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Nous avons évoqué dans le premier chapitre le « Mouvement du 22 mars » ; c’est le plus connu mais non le plus ancien des groupuscules ; à Nanterre parmi ses membres figurent quelques-uns des situationnistes qui ont fait scandale à Strasbourg deux ans plus tôt. L’entreprise de ces derniers, par ses méthodes et son programme, préfigure ce que Paris et la France vont connaître en 1968.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">C<span style="font-size:-1;">LAUDE </span>P<span style="font-size:-1;">AILLAT</span>,<br /> <i>Archives secrètes</i> (Éd. Denoël, 1<sup><span style="font-size:-2;">er</span></sup> trim. 1969).</p> </blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">La position d’intellectuels des situationnistes les a logiquement amenés à se regrouper entre eux pour diffuser les concepts élaborés ensemble. Si leur livre montre bien la force explosive que peut prendre une telle action de groupe et refléter une libération de toutes les contraintes, ils ont l’air d’oublier que c’est dans les usines que se passe l’essentiel. Et ils ne semblent pas avoir évité le danger de devenir prisonniers de leur propre langage.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Informations Correspondance Ouvrières</i> n° 78 (fév. 1969).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;"><a name="jugements-faligand"></a><a href="http://www.multimania.com/debordiana/who.html#estivals" target="_blank" style="text-decoration: none;">Robert Estivals</a> (<i>Communications</i>, 12), a esquissé une analyse de l’influence de la doctrine de l’I.S. dans les origines du mouvement né à Nanterre. Analyse insuffisante que le livre d’E. Brau — <i>elle-même membre de l’I.S.</i> — permet de dépasser. S’il n’est pas question pour les éducateurs modernes de devenir « situationnistes », il appartient à chacun de nous de reconnaître ses alliés (…) À condition que dans une prochaine étape révolutionnaire, ce radicalisme ne se réduise pas à un terrorisme lâche et borné. Comportement dont certains prétendus membres de l’I.S. ont fait montre il y a peu.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">M<span style="font-size:-1;">ICHEL </span>F<span style="font-size:-1;">ALIGAND</span>,<br /> <i>Interéducation</i> n° 8, mars 1969.</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">En Italie, Feltrinelli fut le premier à faire traduire <i>De la misère en. milieu étudiant</i>, mais l’édition tout de suite épuisée n’eut pas de réimpression (…) À trois ans de distance, cette inquiétante analyse sociologique semble presque un lieu commun, mais cela ne veut pas dire qu’elle apparaissait telle à l’époque de sa diffusion (…) Au contraire, la très rapide « escalade » des vérités contenues dans ce libelle et la brûlante présence au centre des « événements de Mai » de groupes anarcho-situationnistes tels que « L’Hydre de Lerne », « Les Enragés » et le « 22 mars » dont faisait également partie Cohn-Bendit, ont confirmé dans l’action leur charge authentiquement révolutionnaire.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">N<span style="font-size:-1;">ICOLA </span>G<span style="font-size:-1;">ARRONE</span>,<br /> <i>Paese Sera</i>, de Rome (27-4-69).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Cela dit, mai 1968 fut tout autre chose que ce que Trotsky, et finalement Lénine lui-même, avait pu imaginer (…) Entre certains trotskystes, maoïstes, anarchistes, situationnistes, ce n’était plus l’anathème stérile, mais une pratique commune. C’était peut-être le début du communisme. </p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">J<span style="font-size:-1;">ACQUES </span>B<span style="font-size:-1;">ELLEFROID</span>,<br /> <i>Le Monde</i> (28-5-69).</p></blockquote> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;">*</center> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><b>Le confusionnisme intéressé</b> </center> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Cette réunion aura lieu à la faculté de Nanterre au centre culturel (salle C 20). Les organisations suivantes participant au mouvement du 22 mars : J.C.R., C.V.N., U.J.C.M.L., C.V.B., E.S.U., U.N.E.F., S.N.E. Sup., S.D.S., C.A.L., M.A.U., Anarchistes, Situationnistes…</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Tract du « Mouvement du 22 mars »</i>, appelant à un meeting prévu pour le 2 mai 1968.</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Les organisations dissoutes sont de trois ordres. Il s’agit d’une part de l’ensemble des organisations trotskystes, d’autre part des groupements « pro-chinois », enfin, du Mouvement du 22 mars, qui est un cas à part (…) Il réunit des anarchistes, des situationnistes, des trotskistes et des « pro-chinois ».</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">F<span style="font-size:-1;">RÉDÉRIC </span>G<span style="font-size:-1;">AUSSEN</span>,<br /> <i>Le Monde</i> (14-6-68).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">N’écrasons pas sous les lourdes semelles du passé, serait-il relativement récent, l’herbe neuve de la révolte. Il importe au contraire de souligner ce que le mouvement actuel <i>ne doit pas</i> aux expériences ni aux théories antérieures, y compris les plus nobles, les plus dignes de considération, les plus fécondes. Ce qui vaut par rapport à la Révolution d’Octobre comme par rapport à la Commune, à la psychanalyse comme aux diverses théories socialistes, à Bakounine comme à Marx, à Marcuse comme à Mao-Tsé-Toung, au situationnisme comme au surréalisme.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>L’Archibras</i> n° 4 (Le surréalisme le 18 juin 1968).</p> </blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Aux pays sans tradition ouvrière revenaient le spontanéisme, l’anarchisme ou le situationnisme (<i>Flower Power</i> du Danemark, <i>Mother’s fuckers</i> des U.S.A.).</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Rouge</i> (16-4-69).</p></blockquote> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;">*</center> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><b>La calomnie démesurée</b> </center> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Car d’autre part, il ne faut pas oublier certaines choses. Que si l’on supprime le fait que le père de G. Debord soit un très riche industriel, les situationnistes ne sont plus rien (du moins en France). </p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">N<span style="font-size:-1;">ERSLAU</span>,<br /> <i>L’Hydre de Lerne</i> n° 5 (janvier 1968).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Les « enragés » au nombre d’abord d’une dizaine, puis d’une centaine, allaient réussir, en recourant à la violence, à paralyser le travail de quelque 12 000 étudiants. Le « mouvement du 22 mars » vient de là, d’une quarantaine de jeunes gens membres de l’Internationale situationniste qui a son siège à Copenhague et qui est manipulée par la H.V.A., service de sécurité et d’espionnage est-allemand.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">L<span style="font-size:-1;">OUIS </span>G<span style="font-size:-1;">ARROS</span>,<br /> <i>Historama</i> n° 206 (décembre 1968).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">On peut tenir pour certain que dans tout cela sont absentes aussi bien la poésie que la révolution, neutralisées et non exaltées l’une par l’autre. La rigueur de cette double exigence manque évidemment aux militants qui sont entrés dans la révolution comme on entre en littérature. Une complaisance de ce genre atteint son comble chez ceux qui se définissent comme « situationnistes ». Ce qui, en mai, dans les inscriptions murales, toucha pour un temps certains bourgeois sensibles, avait cette origine. Bien loin d’être spontané, mais absolument prémédité, ce travail de transcription était très semblable au développement, avec des moyens divers, de l’activité littéraire traditionnelle. Le récent livre de l’un d’eux, Viénet, en est la preuve. Au contraire, ce qu’aucun bourgeois ne pouvait apprécier dans les paroles de mai (« Nous sommes tous des juifs allemands », « Soyez réalistes, demandez l’impossible », etc.), n’était pas situationniste.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>Comité des écrivains et des étudiants</i> (D<span style="font-size:-1;">URAS, </span>M<span style="font-size:-1;">ASCOLO, </span>S<span style="font-size:-1;">CHUSTER, </span>etc.).<br /> Texte publié dans <i>Quindici</i> n° 17, juin 1969.</p></blockquote> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;">*</center> <center style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><b>La démence</b></center> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">Un asile de fous semblait partir à la rescousse d’un autre, les surréalistes aussi occupaient. Alliés aux « situationnistes », ils eurent même les premiers jours la majorité au « comité d’occupation » qui, en principe, réglait toutes les affaires intérieures de la Sorbonne (…) Un vent de juridisme tâtillon soufflait que les situationnistes calmèrent par la <i>via negativa</i> des mystiques, forçant l’assemblée générale à discuter pendant des heures du mode de discussion de l’ordre du jour de la séance en cours, laquelle s’achevait avant qu’on se soit mis d’accord sur le remède absolu contre tout risque de « bureaucratie ».</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right">E<span style="font-size:-1;">DGAR </span>A<span style="font-size:-1;">NDRÉ</span>,<br /> <i>Magazine littéraire</i> n° 20 (août 1968).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;">J’ai retrouvé dans mes archives une brochure éditée en 1966 par les situationnistes qui s’étaient emparé du bureau de l’U.N.E.F. de Strasbourg : ces quelque trente pages révolutionnaires sont à ce point proches des idées à l’origine de Mai qu’il m’a semblé intéressant de les rappeler, d’autant que cette contestation radicale pourrait être souvent la nôtre, si elle ne s’envolait pas dans une phraséologie désastreuse (…) Bravo, Messieurs, mais alors venez chez nous combattre la démocratie, au lieu de vouloir la réaliser sous ce que vous croyez pouvoir être une autre forme ! De l’audace !</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><i>AF Université</i>, Mensuel des Étudiants de la Restauration Nationale (octobre 1968).</p></blockquote> </div><p style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial; text-align: justify;"><a name="jugements-estivals2"></a>Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, la reconversion psychologique n’a pas été effectuée et elle est, selon nous, la cause de l’erreur de l’I.S., et par la suite l’échec de la néo-social-démocratie estudiantine de mai [19]68 (…) le principe de l’individualisme n’a pas été abandonné (…) Dans une perspective léniniste l’I.S. ne saurait être considérée autrement que comme une manifestation dangereuse de la pensée petite-bourgeoise. Elle sert le capitalisme, témoin l’audience qui lui fut faite ces derniers temps dans la presse bourgeoise.</p><div style="text-align: justify;"> <blockquote style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: arial;"><p align="right"><a href="http://www.multimania.com/debordiana/who.html#estivals" target="_blank" style="text-decoration: none;">R</a><a href="http://www.multimania.com/debordiana/who.html#estivals" target="_blank" style="text-decoration: none;"><span style="font-size:-1;">. </span>E<span style="font-size:-1;">STIVALS</span></a>,<br /> <i>Communications</i> n° 12 (décembre 1968).</p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-1654882855123211009?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-78981137137752417772007-04-20T10:25:00.001-07:002007-04-20T10:25:29.629-07:00Comment on ne comprend pas des livres situationnistes<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">S<span style="font-size:-1;">I L’ACTION </span>menée par l’I.S. n’avait pas entraîné depuis peu quelques conséquences publiquement scandaleuses et menaçantes, il est tout à fait hors de doute qu’aucune publication française n’aurait rendu compte de nos récents livres. C’est ce qu’avouait naïvement François Châtelet dans <i>Le Nouvel Observateur</i> du 3 janvier 1968 : « Le premier sentiment, face à des ouvrages semblables, est de les exclure purement et simplement, de laisser l’absolu point de vue où ils se placent dans l’absolu, précisément, dans le non-relatif, dans le non-relaté ». Mais à force de nous laisser dans le non-relaté, les organisateurs de cette conspiration du silence ont vu, après quelques années, cet étrange « absolu » leur retomber sur la tête, et se montrer comme étant peu distinct de <i>l’histoire actuelle</i>, dont ils s’étaient absolument séparés ; sans pouvoir empêcher cependant cette « vieille taupe » de faire son chemin vers le jour. Ce représentatif Châtelet accumulait dans son article tous les aveux malencontreux sur l’état d’esprit des canailles de son espèce. Évoquant les incidents de Strasbourg, ce bon prophète, cinq mois avant mai, jouissait d’être rassuré et trompait, comme d’habitude, ses imbéciles lecteurs : « Un court moment, ce fut la panique ; on craignait la contagion (…) tout rentra (…) dans l’ordre ». Il signale que Debord et Vaneigem, apportant « une dénonciation qui est à prendre dans son entier ou à laisser complètement », sont de ce fait même disqualifiés, et « découragent d’avance toute critique », car « ils tiennent pour évident que toute contestation de ce qu’ils disent émane d’une pensée sottement tributaire du « pouvoir » et du « spectacle ». Certes, <i>décourager</i> la critique de la misérable génération intellectuelle qui s’est prostituée dans le stalinisme, l’argumentisme et la pensée philosophante pour <i>L’Express</i> et <i>Le Nouvel Observateur</i>, est un de nos buts. Ce n’est pas <i>parce que l’on nous critique</i> que l’on est sottement spectaculaire et lâchement rampant devant les pouvoirs existants ; c’est au contraire parce qu’un Châtelet a rallié momentanément le stalinisme vers 1956, et depuis s’est fait le valet du spectacle dans quelques métiers un peu plus rentables, qu’il nous critique si stupidement. Châtelet trouve, parce que nous nous bornerions à une négation radicale mais « abstraite », que nous restons « dans l’empirique », et même « sans concept ». Le mot est dur. Mais qui le dit ? On sait pourtant que, dès que se trouve coupé d’eau sale le vin de la critique, cent livres quelconques sont vite salués comme très hautement conceptuels par Châtelet et tous les autres châtrés du concept, qui voudraient bien faire croire qu’ils en ont, aux malheureux lecteurs du <i>Nouvel Observateur</i>. Et d’ailleurs cet ex-stalinien, qui aurait évidemment combattu le communisme de 1848, donne sa mesure avec la phrase, peut-être, la plus maladroite qu’un crétin ait jamais commise à notre propos. Dans le but de nous diminuer, mais voulant aussi, comme les autres argumentistes cocus du stalinisme, déprécier l’ancienne exigence d’une révolution prolétarienne — qu’il croyait alors exorcisée à tout jamais, enterrée par son stalinisme et par son <i>Express</i> —, Châtelet avance que, quoiqu’on puisse tout de même relever comme des « symptômes » ces livres et l’existence de l’I.S., « comme petite lueur qui se promène vaguement de Copenhague à New-York », « le situationnisme n’est pas le spectre qui hante la société industrielle, <i>pas plus qu’en 1848 le communisme</i> n’était le spectre qui hantait l’Europe ». C’est nous qui soulignons cet hommage tout involontaire. Tout le monde comprendra aisément que nous trouverions <i>déjà assez bien</i> de nous être « trompés » comme Marx, plutôt que comme Châtelet.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Si la colère des prétentieux experts démentis par l’événement était déjà belle avant le mouvement des occupations, elle est devenue réellement grandiose après. Pierre Vianson-Ponté, dans <i>Le Monde</i> du 25 janvier 1969, écarte furieusement le livre de Viénet, avec une malhonnêteté assez extraordinaire, même parmi les rédacteurs de ce journal. Il n’y voit qu’« une prose à peu près illisible, une prétention sans bornes et une soif de publicité sans limites (…) Ils en concluent tout uniment que la révolte de mai (…) annonce la révolution mondiale, pas moins ». Vianson-Ponté est un imbécile, pas plus. Il commence son article par cette sentence à la Homais : « Jadis les révolutionnaires tombaient sur les barricades ou prenaient le pouvoir. Ils n’avaient pas le temps d’écrire leur histoire et ils n’en avaient généralement pas le goût ». Il est difficile d’aller plus loin dans l’erreur pompeuse. Les révolutionnaires, parmi les pires comme parmi les meilleures tendances, ont <i>toujours écrit</i> beaucoup, et personne ne peut même un instant se demander pourquoi ; sauf Vianson-Ponté qui ignorait simplement le fait. Est-il besoin de signaler que, dans la seule année 1871, ont paru à Genève et Bruxelles une dizaine de livres importants écrits par les survivants de la Commune (Gustave Lefrançais, <i>Étude sur le mouvement communaliste à Paris</i> ; Benoît Malon, <i>La troisième défaite du prolétariat français </i>; Lissagaray, <i>Les huit journées de mai derrière les barricades</i> ; Georges Janneret, <i>Paris pendant la commune révolutionnaire</i>, etc., sans même compter ici <i>La guerre civile en France</i>). Mais Vianson-Ponté veut du sang. Admettant automatiquement la thèse de la police, selon laquelle il y eut très peu de morts, il nous reproche ce piètre résultat : « les révolutionnaires de mai 68 sont, grâce à Dieu, bien vivants (…) Alors ils écrivent. Beaucoup. La main qui vient de lâcher le pavé saisit aussitôt le stylo ». Nous nous flattons de ce passage du stylo au pavé, et réciproquement, comme d’un début de dépassement de la séparation entre le travail manuel et le travail intellectuel. Mais l’imprudent nécrophage ne comprend-il pas que son ironie malvenue peut être lue comme un appel, pour la prochaine fois, à une plus sanglante répression policière et militaire ? Et, si cela advient, n’est-il pas évident que plusieurs de ceux qui ont essayé de nier le sérieux du mouvement de 1968 en tirant argument du fait qu’il n’y a pas eu assez de morts risqueraient d’être eux-mêmes au premier rang des victimes d’inévitables représailles spontanées ? Nous écrivions, en 1962, dans <i>I.S.</i> 7, page 19 : « L’étonnant est plutôt que tous les spécialistes des sondages d’opinion ignorent la grande proximité de cette juste colère qui se lève, à tant de propos. Ils seront tout étonnés de voir un jour traquer et pendre les architectes dans les rues de Sarcelles. » À cause de sa force même, qui lui venait de la participation, inachevée mais déjà écrasante, des masses prolétariennes, le mouvement de mai a été <i>clément</i>. Mais si l’on en vient un jour à des affrontements plus sanglants, les urbanistes et les journalistes (qui parlent déjà de fascisme rouge pour quelques coups reçus récemment à Vincennes par le stalinien Badia) seront forcément en péril. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il se trouve donc que, dans quelques dizaines d’articles, on s’est senti obligé de parler de nos livres en France ; une quantité presque égale d’articles un peu plus honnêtes et informés ayant paru dans la presse étrangère. Il y eut même des éloges ; sur lesquels il est inutile de s’étendre. Une contradiction générale pèse sur l’ensemble de ces critiques. Quelques-uns des auteurs qui croyaient trouver chez nous quelques vérités frappantes, étaient en fait dénués des plus simples connaissances politiques et théoriques qui auraient pu leur permettre de comprendre vraiment de quoi il était question dans ces livres, en considérant chacun dans la totalité de ce qu’il énonce. Un cas exemplaire est celui du critique Henri-Charles Tauxe, dans le journal suisse <i>La Gazette littéraire</i> du 13 janvier 1968, qui conclut son analyse, où il a en tout cas honnêtement cherché à exposer le contenu du livre dont il parle, par cette interrogation : « On pourrait certes se poser un certain nombre de questions sur les perspectives ouvertes par Debord et se demander en particulier si le concept même de révolution garde aujourd’hui un sens ». En revanche, ceux de nos critiques qui connaissent bien les problèmes traités dans ces livres ont été portés justement à les <i>maquiller</i>, avec une mauvaise foi étroitement dépendante des positions particulières, et des tribunes mêmes, à partir desquelles ils s’expriment. Pour ne pas risquer trop d’ennuyeuses redites, nous nous limiterons à relever trois attitudes typiques, chacune se manifestant à propos d’un de nos livres. Il s’agit, dans l’ordre, d’un universitaire marxiste, d’un psychanalyste, d’un militant ultra-gauchiste. Nous dirons en passant leurs motivations principales.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Claude Lefort a été révolutionnaire, et un des principaux théoriciens de la revue <i>Socialisme ou Barbarie</i> au début des années 50, — revue dont nous annoncions dans <i>I.S.</i> 10 qu’elle s’était effondrée dans le vulgaire questionnement « argumentiste » et qu’elle devait disparaître : elle nous a donné raison en disparaissant effectivement un ou deux mois après. Lefort, à ce moment, s’en était séparé depuis des années, ayant été en flèche dans le combat contre toute forme d’organisation révolutionnaire, qu’il dénonçait comme fatalement vouée à la bureaucratisation. Il s’est consolé depuis de cette affligeante découverte en suivant une banale carrière universitaire, et en écrivant dans <i>La Quinzaine littéraire</i>. Cet homme rangé, mais fort cultivé, dans le numéro du 1<sup><span style="font-size:-2;">er</span></sup> février 1968 de ce périodique, critique <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/spectacle.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">La Société du Spectacle</a></i>. Il y reconnaît d’abord quelques mérites. L’emploi dans ce livre de la méthodologie marxienne, et même du détournement, ne lui a pas échappé, quoiqu’il ne soit pas allé jusqu’à y retrouver aussi Hegel. Mais ce livre lui a paru tout de même universitairement imbuvable pour la raison suivante : « Debord ajoute les thèses aux thèses, mais il n’avance pas ; il répète inlassablement la même idée : que le réel est renversé dans l’idéologie, que l’idéologie changée en son essence dans le spectacle, se fait passer pour le réel, qu’il faut renverser l’idéologie pour rendre ses droits au réel. Peu importe le sujet qu’il traite ici et là, cette idée se mire dans toutes les autres, et c’est aux limites de son endurance que nous devons un arrêt à la 221<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> thèse ». Debord admet très volontiers qu’il a trouvé, à la 221<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> thèse, qu’il en avait bien assez dit ; et qu’il n’a jamais voulu dire autre chose que ce qui est précisément dans ce livre : il ne s’agissait que de décrire « inlassablement » ce qu’est le <i>spectacle</i>, et comment il peut être renversé. Que « cette idée se mire dans toutes les autres », voilà justement ce que nous considérons comme la caractéristique d’un <i>livre dialectique</i>. Un tel livre n’a pas à « avancer » comme un travail de doctorat d’État sur Machiavel, vers la satisfaction d’un jury et l’obtention d’un diplôme (et, selon le mot de Marx dans la postface à la deuxième édition allemande du <i>Capital</i> sur la manière dont peut être vu « le procédé d’exposition » de la méthode dialectique, « ce mirage peut faire croire à une construction <i>a priori</i> »). <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/spectacle.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">La Société du Spectacle</a></i> ne cache pas son parti-pris <i>a priori</i>, ne tente pas de faire surgir sa conclusion d’un questionnement universitaire ; mais n’est écrit que pour montrer le champ d’application cohérent <i>concret</i> d’une thèse qui existe elle-même au départ, venue d’une investigation que la critique révolutionnaire a pu porter sur le capitalisme moderne. Pour l’essentiel donc, à notre avis, c’est <i>un livre auquel il ne manque rien, qu’une ou plusieurs révolutions</i>. Lesquelles ne pouvaient tarder. Mais Lefort, ayant perdu tout intérêt pour ce genre de théorie et de pratique, trouve que ce livre est en lui-même un monde fermé : « On le croyait lancé à l’assaut de ses adversaires, il faut convenir que le grand déploiement d’un discours n’avait d’autre fin qu’une parade. Reconnaissons qu’elle a sa beauté : la parole n’est jamais en défaut. Toute question qui ne commandât pas sa réponse ayant été bannie dès les premières lignes, il est vrai qu’on chercherait en vain une faille ». Le contre-sens est complet : Lefort voit une sorte de pureté mallarméenne là où ce livre, comme <i>négatif</i> de la société spectaculaire — dans laquelle aussi, mais d’une façon inverse, toute question qui ne commande pas sa réponse est bannie à tout instant — ne recherche finalement rien d’autre qu’à <i>renverser le rapport de forces</i> existant dans les usines et dans la rue.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Après ce refus global, Lefort veut encore faire le marxiste sur un détail, pour rappeler que c’est sa spécialité, que c’est en tant que tel qu’il obtient des piges dans des périodiques intellectuels. Là, il commence à falsifier, pour se donner l’occasion d’introduire un rappel pédant de ce qui est bien connu. Il annonce gravement que Debord a changé « la marchandise en spectacle », ce qui est « plein de conséquences ». Il résume pesamment ce que Marx dit de la marchandise ; impute faussement à Debord d’avoir dit que « la production de la fantasmagorie commande celle des marchandises », <i>au lieu du contraire</i> — ce contraire qui est une évidence clairement énoncée dans <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/spectacle.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">La Société du Spectacle</a></i>, notamment dans le deuxième chapitre ; le spectacle n’étant défini que comme un <i>moment</i> du développement de la production de la marchandise. Ainsi donc, Lefort peut conclure plaisamment qu’« à la lecture de Debord, toute histoire paraît vaine » ! Il diagnostique aussi : « Étrange rejeton de Marx, Debord s’est grisé de la fameuse analyse consacrée au fétichisme de la marchandise ». N’entrons pas dans une polémique sur les meilleures manières de se griser, c’est une question que les universitaires connaissent mal. Mais notons que l’histoire revenait, et qu’elle a surpris Lefort plus que nous en mai. C’est alors que l’on put voir, dans ces « bacchanales de la vérité où personne ne reste sobre » (Hegel), des foules — déjà des foules — grisées par la découverte de la marchandise et du spectacle comme réalités de la pseudo-vie <i>devant être détruite</i>. Et Lefort, dans <i>Le Monde</i> du 5 avril 1969, toujours en retard sur ce qui arrive, et même <i>sur ce qu’il sait</i>, mais moins en retard tout de même qu’en février 1968, va jusqu’à écrire qu’il ne faut pas s’obnubiler, comme « les observateurs bourgeois », sur la réapparition de la vieillerie trotskiste à gauche de l’appareil stalinien, car désormais « les conditions sont réunies pour permettre une critique de l’univers bureaucratique et fonder une analyse en termes nouveaux, des mécanismes modernes d’exploitation et d’oppression. (…) Avec le mouvement de mai, avec les initiatives aussi qu’il a inspirées à de jeunes ouvriers, quelque chose de nouveau se prononce qui ne doit rien à l’intervention des héros : une opposition qui ne sait pas encore se nommer, mais défie de telle manière toutes les autorités établies que l’on ne saurait la confondre avec les mouvements du passé ». Mieux vaut tard que jamais ! Seulement, comme on a vu, en février 1968, les « conditions » étaient <i>déjà réunies</i>, bien que Lefort voulût les ignorer, et que <i>lui</i>, aujourd’hui, ne sache « pas encore » comment cette opposition <i>se nomme</i>.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Nous tombons plus bas avec l’<i>Univers contestationnaire</i> d’André Stéphane (Payot, 2<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> trim. 1969), dont le treizième chapitre est une critique du livre de Raoul Vaneigem. Le pseudonyme de Stéphane couvre, annonce l’éditeur, « deux psychanalystes ». Ils pourraient être aussi bien vingt-deux, et même le travail pourrait avoir été fait par quelque machine I.B.M. programmée en psychanalyse, tant la parodie du « freudisme orthodoxe » est chargée, tant l’ineptie prend son vol jusqu’à des orbites circumlunaires. Comme ces auteurs sont psychanalystes, Vaneigem doit être fou. Vaneigem est donc paranoïaque, c’est en cela qu’il a exprimé si parfaitement par avance le mouvement de mai, et diverses fâcheuses tendances de toute la société moderne. Ce ne sont que fantasmes, délires, refus du monde objectal et de la problématique œdipienne, narcissisme fusionnel, exhibitionnisme, pulsion sadique, etc. Ils couronnent leur édifice de niaiseries en professant de « l’admiration pour l’œuvre d’art qu’est ce livre ». Mais ce livre étant tombé en de mauvaises mains, le mouvement de mai a horrifié nos psychiatres par la violence aveugle qu’il a déployée, son terrorisme inhumain, sa cruauté nihiliste et son but explicite de détruire la civilisation et peut-être même la planète. En entendant le mot « fête », ils sortent leurs électrodes ; ils demandent tristement mais impérativement que l’on en revienne vite au sérieux, ne doutant pas un seul instant qu’eux-mêmes représentent fort bien le sérieux de la psychanalyse et de la vie sociale, et qu’ils peuvent écrire sur tout cela sans faire rire. Même des gens qui avaient la sottise d’être <i>les clients</i> de ces Laurel et Hardy de la médecine mentale, se sont sentis, après mai, un peu moins écrasés et dissociés, et le leur ont dit. Craignant de perdre là une fraction de leurs rentes (après avoir tremblé de tout perdre en mai, quand notre absolutisme intemporel menaçait jusqu’à l’existence de la marchandise et de l’argent), nos <i>délirants socialement intégrés</i> écrivent : « Ceci était très net chez certains patients qui semblaient considérer que si la Révolution (désir ancien qu’ils avaient abandonné) était possible, <i>tout</i> devenait possible ; il n’était plus nécessaire de renoncer à rien… » Ces gens seraient la honte de la psychanalyse s’il restait quelque dignité dans cette désolante profession ; si l’œuvre de Freud n’avait pas été mise en pièces depuis trente ans par sa récupération dans la société bourgeoise. Mais ces débiles mentaux, quand ils se hasardent, pressés par la haine, la peur, et le désir de maintenir leur fructueux petit prestige, à traiter dans un livre une question dont la base est évidemment <i>politique</i>, comment s’en sortent-ils ? Là, nos sages et raisonnables défenseurs de la société « réelle » — et du principe que tout va pour le mieux dans la meilleure des sociétés possibles — donnent la mesure de leur bêtise. Pour eux, il est hors de question que ce mouvement de mai qu’ils analysent avec une si fine perspicacité, a été un mouvement des <i>seuls étudiants</i> (ces chiens policiers de la détection de l’irrationnel n’ont pas un instant trouvé <i>anormal</i> et inexplicable qu’un simple accès de vandalisme des étudiants ait pu paralyser l’économie et l’État dans un grand pays industriel). De plus, selon eux, tous les étudiants sont riches, vivent fort bien dans l’abondance et le confort, n’ont aucun sujet de mécontentement rationnel discernable : ils participent à tous les bienfaits, sans contrepartie notable, d’une société heureuse et qui n’a jamais été moins répressive. Il serait donc démontré que le bonheur socio-économique, que connaissaient manifestement à l’état pur <i>tous</i> les révoltés de mai, a révélé en termes métaphysiques la misère intime des gens qui avaient soif d’absolu par « désir infantile », ceux que leur immaturité rend incapables de profiter « des bienfaits » de la société moderne. Détail qui traduit, pour ces cuistres, « une impossibilité d’investir libidinalement le monde extérieur pour des raisons conflictuelles. Les plus merveilleuses fêtes ne sauraient distraire qui porte en soi l’ennui, cette carence dans l’économie de la libido ».</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En lisant ces Stéphane, on est obligé de comprendre que ce qu’ils appellent « les plus merveilleuses fêtes » doit être pour eux quelque chose comme l’illumination en « Son et Lumière » de la pyramide de Chéops. Leur jugement sur l’automobile suffit à révéler l’infantilisme correctement sublimé de ces « vrais adultes », monogames et électeurs : cet admirable jouet a remplacé adéquatement leur petit train électrique de l’époque où ils liquidaient favorablement leur Œdipe, à la satisfaction générale de leurs respectables familles. Relevant (page 215) quelques phrases ironiques de Vaneigem sur la pseudo-satisfaction actuelle des besoins sociaux (« Les communards se sont fait tuer jusqu’au dernier pour que toi aussi tu puisses acheter une chaîne stéréophonique Philips haute-fidélité »), ils rejettent avec indignation ce point de vue paranoïaque, et professent franchement que les Communards auraient bel et bien été contents de savoir que leur sacrifice assurerait à leurs descendants le logis à Sarcelles et les émissions télévisées de Guy Lux. Ils tranchent : « Il faut vraiment avoir contre-investi la matérialité pour ne pas comprendre qu’acheter une voiture puisse constituer un but en soi, au moins provisoire, et que cette acquisition soit à même de procurer une grande joie ». Il faut vraiment avoir contre-investi la plus mince trace de pensée rationnelle pour se faire les chantres unilatéraux de cette « grande joie » à l’heure où les spécialistes de l’examen scientifique, même parcellaire et socialement désarmé, dénoncent dans tous les domaines les dangers de la prolifération de cette marchandise-vedette (destruction du milieu urbain, etc.) ; et où ceux mêmes qui sont le plus aliénés par cette « possession » d’une voiture ne cessent de se plaindre des conditions précises qui détériorent continuellement la « grande joie » que cet achat était censé, publicitairement, leur garantir (bien sûr ce malaise ne va pas encore jusqu’à comprendre que cette détérioration n’est pas causée par des carences particulières des pouvoirs publics, mais tout simplement par la multiplication obligatoire de ce pseudo-bien jusqu’à l’encombrement total). Enfin, nos deux psychiatres ne sont précis, sincères, réalistes, que sur un seul point. C’est dans une note de la page 99. On y dénonce quelques personnes « se prétendant psychanalystes et freudiennes » qui, après un débat à la faculté de Médecine sur la question du paiement des psychanalystes, auraient voulu mettre en cause la nécessité même du paiement. « Or pour qui connaît les effets du transfert, il apparaîtra clairement que l’argent que paie l’analysé lui garantit ce que schématiquement nous pourrons appeler “l’autonomie” (une fois qu’il a payé l’analyste, “il ne lui doit rien”) ». La psychanalyse n’a jamais été en peine, évidemment, d’énoncer une belle justification psychanalytique de la nécessité de payer. Mais si ceux qui en profitent pour consommer plus et vivre moins sont tant à l’aise pour psychanalyser les marxistes, ils ne feront pas oublier que la plus simple critique marxiste révèle, avec une meilleure exactitude, leur propre <i>psychologie des profondeurs</i> (pour reprendre ici leur style verbal d’analyse, le peuple ne dit pas pour rien « il a vite mis le blé <i>dans sa profonde</i> »), leur <i>économie</i>, et leurs <i>investissements</i>. Voilà donc l’origine du livre des Stéphane : leur monnaie fut menacée. Quel pire délire ont-ils jamais eu à traiter ? De mémoire de psychiatre, on n’a jamais vu mourir un mode de production ! On commence pourtant à sentir des craintes.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">À la fin de 1966, le Recteur Bayen de Strasbourg, déclarait à la presse que <i>nous relevions de la psychiatrie</i>. Dans l’année suivante, il a vu disparaître les « Bureaux d’Aide Psychologique Universitaire » de Strasbourg et de Nantes et même, dix-huit mois plus tard, tout ce qu’il connaissait comme son aimable monde universitaire, et un grand nombre de ses supérieurs hiérarchiques. Avec cette critique de Vaneigem, on voit donc venir tardivement ces psychiatres dont on nous menaçait. Ils auront très probablement déçus ceux qui en attendaient la solution définitive du problème situationniste.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le livre de René Viénet n’a pas eu les honneurs de la psychiatrie, mais a été critiqué dans un article du n° 2 de <i>Révolution Internationale</i> (Adresse : C. Gine, B.P. 183, 31 - Toulouse), tribune d’un groupe ultra-gauchiste, anti-trotskiste, point bordighiste, mais peu dégagé du léninisme, et visant toujours à reconstituer la savante direction d’un vrai « parti du prolétariat », qui promet de rester pourtant démocratique le jour où il existera. Les idées de ce groupe sentent un peu trop la poussière pour qu’il soit intéressant de les discuter ici. Nous nous contenterons, puisqu’il s’agit de gens qui ont des intentions révolutionnaires, de relever chez eux quelques <i>falsifications</i> précises. Cette pratique est à notre avis <i>beaucoup plus incompatible</i> avec l’activité d’une organisation révolutionnaire que la simple affirmation de théories erronées, toujours susceptibles d’être discutées et rectifiées. De plus, ceux qui croient avoir besoin de falsifier des textes pour défendre leurs thèses avouent <i>ipso facto</i> que leurs thèses sont indéfendables autrement.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le critique se déclare déçu par ce livre « d’autant plus que le temps de recul de plusieurs mois offrait des possibilités meilleures ». Quoique ce livre n’ait paru qu’à la fin d’octobre 1968, il est clairement indiqué dans l’introduction (p. 8), qu’il a été achevé le 26 juillet. Remis aussitôt à l’éditeur, ce livre n’a subi ensuite aucune correction ; seules deux courtes notes ajoutées, pp. 20 et 209, sont explicitement datées d’octobre ; elles concernent la Tchécoslovaquie et le Mexique, pour les développements connus après juillet.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">On reproche à ce livre de « céder au goût du jour » — c’est-à-dire, en fait, à notre propre style, car il a adopté le même genre de présentation que les anciens numéros d’<i>I.S.</i> — parce qu’y sont inclus des photos et des <i>comics</i> (et on reproche du coup aux situationnistes de mépriser « la grande masse infantile des ouvriers », en visant à les <i>divertir</i>, tout comme la presse et le cinéma capitalistes). On fait remarquer sévèrement que « c’est surtout l’action des enragés et des situationnistes qui est décrite » ; mais pour ajouter tout de suite : « comme d’ailleurs l’annonce le titre ». Viénet s’est en effet proposé d’établir tout de suite un rapport sur nos activités dans cette période, accompagné de nos analyses et de quelques documents, en estimant que le tout constitue une documentation précieuse pour comprendre mai, et principalement pour ceux qui auront à agir dans les futures crises du même type (et c’est dans le même but que nous avons repris cette question dans ce numéro). Que cette expérience paraisse à certains utilisable, et à d’autres négligeable, c’est affaire de ce qu’ils pensent et <i>de ce qu’ils sont effectivement</i>. Mais ce qui est sûr, c’est que cette documentation précise aurait été cachée (ou connue fragmentairement et faussement) pour beaucoup de gens, sans ce livre. Le titre dit bien de quoi il s’agit.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Sans aller jusqu’à insinuer qu’il y aurait le moindre détail faux dans ce rapport, notre censeur estime que Viénet a donné une trop grande place à notre action, imaginée « prépondérante ». Il écrit que « ramenée à ses justes proportions, la place occupée par les situationnistes a été sûrement inférieure à celle de nombreux autres groupes et groupuscules, en tout cas pas supérieure ». On ne sait vraiment pas d’où vient la « sûreté » de sa balance, comme s’il s’agissait de peser, en plus ou moins lourd, un même poids de pavés que chaque groupe aurait porté au même édifice, et dans la même direction. Les C.R.S., et même les maoïstes, ont certainement eu dans la crise une « place » plus étendue que nous, un plus grand poids. La question est de savoir <i>dans quel sens</i> les uns et les autres ont pesé. S’il s’agit seulement du courant <i>révolutionnaire</i>, un grand nombre d’ouvriers inorganisés ont évidemment eu un poids si déterminant qu’aucun groupe ne peut même être cité en regard ; mais cette tendance n’est pas devenue consciemment maîtresse de sa propre action. S’il s’agit seulement — puisque notre critique paraît plus intéressé par une sorte de course entre les « groupes » ; et peut-être pense-t-il <i>au sien</i> ? — des groupes qui étaient sur des positions clairement révolutionnaires, on sait très bien qu’ils n’étaient pas si « nombreux » ! Et il faudrait alors dire de <i>quels groupes</i> il s’agissait, et <i>ce qu’ils ont fait</i> ; au lieu de laisser tout cela dans un vague mystérieux, pour décider seulement que l’action précise de l’I.S. a été, par rapport à ces groupes restés inconnus, « sûrement inférieure », et puis — ce qui est un peu différent — « pas supérieure ».</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En fait, la revue <i>R.I.</i> reproche aux situationnistes d’avoir dit, depuis quelques années, qu’un <i>nouveau</i> départ du mouvement révolutionnaire prolétarien était à attendre d’une critique moderne des nouvelles conditions d’oppression, et des nouvelles contradictions que celles-ci mettaient au jour. Pour <i>R.I.</i>, fondamentalement, il n’y a rien de nouveau dans le capitalisme, et donc dans sa critique ; le mouvement des occupations n’a présenté aucun caractère nouveau ; les concepts de « spectacle » ou de « survie », la critique de la marchandise atteignant un stade de production abondante, etc., ne sont que des mots creux. On voit que ces trois séries de postulats se tiennent inséparablement.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Si les situationnistes étaient seulement des obsédés de l’innovation intellectuelle, <i>Révolution Internationale</i>, qui sait tout sur la révolution prolétarienne depuis 1920 ou 1930, ne leur attacherait aucune importance. Ce qui choque notre critique, c’est que nous montrions en même temps que cette <i>nouveauté</i> du capitalisme, et corollairement les nouveautés de sa négation, <i>retrouvent aussi</i> l’ancienne vérité de la révolution prolétarienne autrefois vaincue. Ici <i>R.I.</i> est très mécontente, parce qu’elle veut posséder cette vieille vérité <i>sans aucun mélange</i> de nouveauté ; que la nouveauté surgisse dans la realité aussi bien que dans la théorie de l’I.S. ou d’autres, peu importe. Alors commence le truquage. On extrait un certain nombre de phrases des pages 13 et 14 du livre de Viénet, rappelant ces banalités de base de la révolution inaccomplie, et on les truffe de notes de professeur, en marge, comme à l’encre rouge : « C’est heureux vraiment que l’I.S. constate “aisément” ce que tous les ouvriers et tous les révolutionnaires savaient » ; « en voilà une découverte ! » ; « évidence », etc. Mais les extraits en question de ces deux pages de Viénet sont choisis habilement — si l’on ose dire. On cite par exemple littéralement ceci : « l’I.S. savait bien (…) que l’émancipation des travailleurs se heurtait partout et toujours aux organisations bureaucratiques ». Quels sont les quelques mots précisément supprimés par cette opportune parenthèse ? Voici la phrase exacte : « L’I.S. savait bien, <i>comme tant d’ouvriers privés de la parole</i>, que l’émancipation des travailleurs se heurtait partout et toujours aux organisations bureaucratiques ». L’<i>évidence</i> du procédé de <i>R.I.</i> est tout aussi grande que l’évidence ancienne de la lutte des classes, dont ce groupe semble bien se rêver exclusif propriétaire ; et que Viénet rappelait ici explicitement à l’adresse de « tant de commentateurs », ayant la parole dans les livres et les journaux, et qui « se sont accordés pour dire que c’était imprévisible ».</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Et, toujours pour nier que l’I.S. ait dit par avance quelque vérité sur la proximité d’une nouvelle époque du mouvement révolutionnaire, <i>R.I.</i>, qui ne veut pas du tout que cette époque soit nouvelle, demande ironiquement comment donc l’I.S. peut prétendre avoir prévu cette crise ; et pourquoi il a fallu attendre justement <i>cinquante</i> ans après la défaite de la révolution russe. « Pourquoi pas trente ou soixante-dix ? » dit platement notre critique. La réponse est bien simple. En mettant même de côté le fait que l’I.S. voyait d’assez près la montée de certains éléments de la crise (et par exemple à Strasbourg, à Turin, à Nanterre), <i>nous n’avons pas prévu la date, mais le contenu</i>.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le groupe de <i>Révolution Internationale</i> peut fort bien être en désaccord total avec nous quand il s’agit de juger le contenu du mouvement des occupations, comme il est plus généralement en désaccord avec la compréhension de son époque, et donc avec les formes d’action pratique que d’autres révolutionnaires ont pu commencer à ressaisir. Mais si nous méprisons le groupe de <i>Révolution Internationale</i> et ne voulons pas avoir de contact avec lui, ce n’est pas pour le contenu de sa science théorique un peu défraîchie, c’est pour le <i>style</i> petit-bureaucrate qu’il est amené, sans problème, à adopter pour la défense de ce contenu. Ainsi la forme et le contenu de ses perspectives sont en accord, et sont datés des mêmes tristes années.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Mais par ailleurs, l’histoire moderne a créé les yeux qui savent nous lire.</p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-7898113713775241777?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-3363496223201629782007-04-20T10:22:00.002-07:002007-04-20T10:23:18.763-07:00Avoir pour but la verite pratique<p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">E<span style="font-size:-1;">N ESSAYANT </span>de présenter aux nouvelles forces révolutionnaires un modèle de cohérence théorico-pratique, l’I.S. se trouve à chaque instant en mesure et en demeure de sanctionner, par l’exclusion ou la rupture, les manquements, les insuffisances, les compromissions de ceux qui en font — ou reconnaissent en elle — le stade expérimental le plus avancé de leur projet commun. Si la génération insurgée, résolue à fonder une société nouvelle, se montre, au départ de principes premiers et indiscutables, attentive à briser toute <i>tentative</i> de récupération, ce n’est nullement par goût de la pureté mais par simple réflexe d’autodéfense. Venant d’organisations qui préfigurent dans leurs traits essentiels le type d’organisation sociale à venir, la moindre des exigences consiste à ne pas tolérer des gens que le pouvoir s’entend à tolérer parfaitement.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Sous son aspect positif, la réponse « exclusion » et « rupture » pose la question de l’adhésion à l’I.S. et de l’alliance avec les groupes et les individus autonomes. Dans sa <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is11.htm#definition" target="_blank" style="text-decoration: none;">définition minimum des organisations révolutionnaires</a>, la 7<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> Conférence a insisté notamment sur le point suivant : « Une organisation révolutionnaire refuse toute reproduction en elle-même des conditions hiérarchiques du monde dominant. La seule limite de la participation à sa démocratie totale, c’est la reconnaissance et l’auto-appropriation par tous ses membres de la cohérence de sa critique : cette cohérence doit être dans la théorie critique proprement dite, et dans le rapport entre cette théorie et l’activité pratique. Elle critique radicalement toute idéologie en tant que pouvoir séparé des idées et idées du pouvoir séparé ».</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">La cohérence de la critique et la critique de l’incohérence sont un seul et même mouvement, condamné à se détruire et à se figer en idéologie dès l’instant où la séparation s’introduit entre les différents groupes d’une fédération, entre individus d’une organisation, entre la théorie et la pratique d’un membre de cette organisation. Dans la lutte globale où nous sommes engagés, céder d’un pouce sur le front de la cohérence, c’est laisser la séparation l’emporter sur toute la ligne. Voilà qui incite à la plus grande prudence : à ne jamais tenir notre cohérence pour acquise, à rester lucide sur les dangers qui la menacent dans l’unité fondamentale des conduites individuelles et collectives, à prévenir et à éviter ces dangers.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Qu’une fraction secrète ait pu se former parmi nous, mais aussi qu’elle se soit trouvée rapidement démasquée, indique assez la rigueur et le manque de rigueur dont nous avons fait preuve dans la transparence des rapports inter-subjectits. En d’autres termes, cela signifie que le rayonnement de l’I.S. tient essentiellement en ceci : elle est capable de <i>faire un exemple</i>, à la fois dans le sens négatif, en montrant ses faiblesses et en les corrigeant, et dans le sens positif, en tirant de ses corrections de nouvelles exigences. Nous avons souvent répété qu’il importait de ne pas se tromper sur les personnes ; il faut le prouver sans cesse et accroître du même coup l’impossibilité de se tromper sur nous. Et ce qui vaut pour les personnes vaut également pour les groupes.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">On connaît le mot de Socrate à l’un des jeunes gens auxquels il s’adressait : « Parle un peu que je te voie ». Nous sommes en mesure d’éviter ce genre de Socrate et ce genre de jeunes gens si le caractère exemplaire de notre activité assure la force d’irradiation de notre présence dans et contre le spectacle dominant. Aux caïds de la récupération et aux minables qui vont s’entendre de conserve pour nous présenter comme un groupe dirigeant, il convient d’opposer l’exemple anti-hiérarchique d’une radicalisation permanente ; ne rien dissimuler de nos expériences, établir par la diffusion de nos méthodes, de nos thèses critiques, de nos procédés d’agitation, la plus grande transparence sur la réalité du projet collectif de libération de la vie quotidienne.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">L’I.S. doit agir comme un axe qui, recevant son mouvement des impulsions révolutionnaires du monde entier, précipite, de façon unitaire, la tournure radicale des événements.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">À la différence des secteurs retardataires qui s’obstinent à rechercher avant tout l’unité tactique (les Fronts communs, nationaux, populaires), l’I.S. et des organisations autonomes alliées se rencontreront seulement dans la recherche d’une unité organique, considérant que l’unité tactique n’a d’efficacité que là où l’unité organique est possible. Groupe ou individu, il faut que chacun vive à la vitesse de radicalisation des événements afin de les radicaliser à son tour. La cohérence révolutionnaire n’est rien d’autre. </p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Assurément, nous sommes encore loin d’une telle harmonie de progression, mais nous y sommes engagés tout aussi sûrement. Des premiers principes à leur réalisation, il y a l’histoire des groupes et des individus, qui est aussi celle de leurs retards possibles. Seule la transparence dans la participation réelle arrête la menace qui pèse sur la cohérence : la transformation du retard en séparation. Tout ce qui nous sépare encore de la réalisation du projet situationniste tient à l’hostilité du vieux monde où nous vivons, mais la conscience de ces séparations contient déjà ce qui va les résoudre. </p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Or, c’est précisément dans la lutte engagée contre les séparations que le retard apparaît à des degrés divers ; c’est là que la non-conscience du retard obscurcit la conscience des séparations, introduit l’incohérence. Quand la conscience pourrit, l’idéologie suinte. On les a vus garder par devers soi, l’un (Kotányi) les résultats de ses analyses, les communiquant au compte-goutte avec la supériorité d’une clepsydre sur le temps, les autres (exclus de la dernière averse), leurs manques à tous égards, faisant le paon bien que la queue n’y soit pas. L’attentisme mystique et l’œcuménisme égalitaire avaient la même odeur. Passez donc, grotesque muscade, saltimbanques des malaises incurables.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">La notion de retard appartient au mode ludique, elle rejoint celle de meneur de jeu. De même que la dissimulation du retard, ou la dissimulation d’expériences, recrée la notion de prestige, tend à transformer le meneur de jeu en chef, engendre les conduites stéréotypées, le rôle avec ses séquelles névrotiques, ses attitudes tourmentées, son inhumanité, de même la transparence permet d’entrer dans le projet commun avec l’innocence calculée des joueurs phalanstériens rivalisant entre eux (composite), changeant d’occupation (papillonne), ambitionnant d’atteindre à la radicalité la plus poussée (cabaliste). Mais l’esprit de légèreté passe par l’intelligence des rapports de lourdeur. Il implique la lucidité sur les capacités de chacun.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Des capacités, nous ne voulons rien savoir hors de l’usage révolutionnaire qui s’en peut faire, usage qui prend son sens dans la vie quotidienne. Le problème n’est pas que certains vivent, pensent, baisent, tirent, parlent mieux que d’autres, mais bien qu’aucun camarade ne vive, ne pense, ne baise, ne tire ou ne parle si mal qu’il en vienne à dissimuler ses retards, à jouer les minorités brimées, et à réclamer, au nom même de la plus-value qu’il accorde aux autres par ses propres insuffisances, une démocratie de l’impuissance où il affirmerait évidemment sa maîtrise. En d’autres termes, il faut pour le moins que chaque révolutionnaire ait la passion de défendre ce qu’il a de plus cher : sa volonté de réalisation individuelle, le désir de libérer sa propre vie quotidienne.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Si quelqu’un renonce à engager la totalité de ses capacités — et par conséquent à les développer — dans le combat pour sa créativité, ses rêves, ses passions, de sorte qu’y renonçant il renonce par le fait à lui-même, il s’interdit aussitôt de parler en son nom et, <i>a fortiori</i> au nom d’un groupe qui porte en lui les chances de réalisation de tous les individus. Son goût du sacrifice, son choix de l’inauthentique, l’exclusion ou la rupture ne font que les concrétiser publiquement, avec la logique de la transparence à laquelle il a manqué.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Sur l’adhésion, sur l’alliance, l’<i>exemple</i> de la participation réelle au projet révolutionnaire décide souverainement. La conscience des retards, la lutte contre les séparations, la passion d’atteindre à plus de cohérence, tel est ce qui doit fonder entre nous, comme entre l’I.S. et les groupes autonomes ou les fédérations futures, une confiance objective. Il y a tout lieu d’espérer que nos alliés rivaliseront avec nous dans la radicalisation des conditions révolutionnaires, comme nous attendrons que rivalisent avec les situationnistes ceux qui auront choisi de les rejoindre. Tout permet de supposer qu’à un certain degré d’extension de la conscience révolutionnaire, chaque groupe aura atteint une cohérence telle que la qualité de meneur de jeu de tous les participants et le caractère dérisoire des retards laisseront aux individus le droit de varier dans leurs options et de changer d’organisation selon leurs affinités passionnelles. Mais la prééminence momentanée de l’I.S. est un fait dont il faut aussi tenir compte, une heureuse disgrâce, comme le sourire ambigu du chat-tigre des révolutions invisibles.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Parce que l’Internationale dispose aujourd’hui d’une richesse théorique et pratique qui n’augmente qu’une fois partagée, appropriée et renouvelée par les éléments révolutionnaires (jusqu’à ce que l’I.S. et les groupes autonomes disparaissent à leur tour dans la richesse révolutionnaire), elle se doit d’accueillir seulement ceux qui le désirent en connaissance de cause, c’est-à-dire quiconque a fait la preuve que parlant et agissant pour lui-même, il parle et agit au nom de beaucoup ; soit en créant par sa praxis poétique (tract, émeute, film, agitation, livre) un regroupement des forces subversives, soit en se trouvant seul détenteur de la cohérence dans l’expérience de radicalisation d’un groupe. L’opportunité du passage à l’I.S. devient dès lors une question de tactique à débattre : ou le groupe est assez fort pour céder un des meneurs de jeu, ou son échec est tel que les meneurs de jeu sont seuls à décider, ou le meneur de jeu n’a pas réussi, par suite de circonstances objectives inéluctables, à former un groupe.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">Partout où le nouveau prolétariat expérimente son émancipation, l’autonomie dans la cohérence révolutionnaire est le premier pas vers l’autogestion généralisée. La lucidité que nous nous efforçons d’entretenir sur nous-mêmes et sur le monde enseigne qu’il n’y a, dans la pratique de l’organisation, ni précision ni avertissement superflus. Sur la question de la liberté, l’erreur de détail est déjà une vérité d’État.</p><div style="text-align: justify; font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote><p align="right">R<span style="font-size:-1;">AOUL </span>V<span style="font-size:-1;">ANEIGEM</span></p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-336349622320162978?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-51731875890073439692007-04-20T10:22:00.001-07:002007-04-20T10:22:49.632-07:00Les situationnistes et les nouvelles formes d’action contre la politique et l’art<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">J<span style="font-size:-1;">USQU’ICI</span>, nous nous sommes principalement attachés à la subversion en utilisant des formes, des catégories, héritées des luttes révolutionnaires, du siècle dernier principalement. Je propose que nous complétions l’expression de notre contestation par des moyens qui se passent de toute référence au passé. Il ne s’agit pas pour autant d’abandonner des formes à l’intérieur desquelles nous avons livré le combat sur le terrain traditionnel du dépassement de la philosophie, de la réalisation de l’art, et de l’abolition de la politique ; il s’agit de parachever le travail de la revue, là où elle n’est pas encore opérante.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Une bonne partie des prolétaires se rendant compte qu’ils n’ont aucun pouvoir sur l’emploi de leur vie, le savent, mais ne l’expriment pas selon le langage du socialisme et des précédentes révolutions.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Crachons au passage sur ces étudiants devenus militants de base de groupuscules à vocation de parti de masse, qui osent parfois prétendre que l’I.S. est illisible pour les ouvriers, que son papier est trop glacé pour être mis dans les musettes et que son prix ne tient pas compte du S.M.I.G. Les plus conséquents avec eux-mêmes diffusent donc, ronéotée, l’image qu’ils se font de la conscience d’une classe où ils cherchent fébrilement leur Ouvrier Albert. Ils oublient, entre autres choses, que lorsque les ouvriers lisaient de la littérature révolutionnaire, ils allaient jusqu’à payer cher, relativement plus cher que le prix d’une place au T.N.P., et que lorsque l’envie les reprendra de le faire, ils n’hésiteront pas à dépenser deux ou trois fois ce qu’il faut pour acheter <i>Planète</i>. Mais ce que négligent avant tout ces détracteurs de la typographie, c’est que les rares individus qui prennent leurs bulletins sont précisément ceux qui ont les quelques références pour nous comprendre du premier coup, et que ce qu’ils écrivent est parfaitement illisible pour les autres. Quelques-uns, qui ignorent la densité de lecture des graffitis dans les W.C., ceux des cafés en particulier, ont tout juste pensé qu’avec une écriture parodiant celle de l’école communale, sur des papiers collés sur les gouttières à la façon des annonces de location d’appartements, il serait possible de faire coïncider le signifiant et le signifié de leurs slogans. Nous avons ici la mesure de ce qu’il ne faut pas faire.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il s’agit pour nous de relier la critique théorique de la société moderne à la critique en actes de cette même société. Sur-le-champ, en détournant les propositions mêmes du spectacle, nous donnerons les raisons des révoltes du jour et du lendemain.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Je propose que nous nous attachions :</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p><i>1. à l’expérimentation du détournement des photos-romans</i>, des photographies dites pornographiques, et que nous infligions sans ambage leur vérité en rétablissant de vrais dialogues. Cette opération fera crever à la surface les <i>bulles</i> subversives qui spontanément, mais plus ou moins consciemment, se forment pour se dissoudre aussitôt chez ceux qui les regardent. Dans le même esprit, il est également possible de détourner, au moyen de phylactères, <i>toutes</i> les affiches publicitaires ; en particulier celles des couloirs du métro, qui constituent de remarquables séquences.</p> <p><i>2. à la promotion de la guerilla dans les mass-media</i> ; forme importante de la contestation, non seulement au stade de la guerilla urbaine, mais encore auparavant. La voie a été ouverte par ces Argentins qui investirent le poste de commande d’un journal lumineux et lancèrent ainsi leurs propres consignes et slogans. Il est possible de profiter encore quelque temps du fait que les studios de radio et de télévision ne sont pas gardés par la troupe. Plus modestement, on sait que tout radio-amateur peut, sans grands frais, brouiller, sinon émettre, au niveau du quartier ; que la taille réduite de l’appareillage nécessaire permet une très grande mobilité et, ainsi, de se jouer des repérages trigonométriques. Au Danemark, un groupe de dissidents du P.C. a pu, il y a quelques années, posséder sa propre radio pirate. De fausses éditions de tel ou tel périodique peuvent ajouter au désarroi de l’ennemi. Cette liste d’exemples est vague et limitée pour des raisons évidentes.</p> <p>L’illégalité de telles actions interdit à toute organisation qui n’a pas choisi la clandestinité un programme suivi dans ce domaine, car il nécessiterait la constitution en son sein d’une <i>organisation spécifique</i> ; ce qui ne peut se concevoir (et être efficace) sans cloisonnement, donc hiérarchie, etc. En un mot, sans retrouver la pente savonneuse du terrorisme. Il convient de se référer plutôt ici à la propagande par le fait, qui est un mode très différent. Nos idées sont dans toutes les têtes — c’est bien connu — et n’importe quel groupe sans lien avec nous, quelques individus qui se réunissent pour cette occasion, peuvent improviser, améliorer les formules expérimentées ailleurs par d’autres. Ce type d’action non concertée ne peut viser à des bouleversements définitifs, mais peut utilement ponctuer la prise de conscience qui se fera jour. D’ailleurs, il ne s’agit pas de s’obnubiler sur le mot illégalité. Le plus grand nombre des actions dans ce domaine peut ne contrevenir en rien aux lois existantes. Mais la crainte de telles interventions amènera les directeurs de journaux à se méfier de leurs typographes, ceux des radios de leurs techniciens, etc., en attendant la mise au point de textes répressifs spécifiques.</p> <p><i>3. à la mise au point de </i>comics<i> situationnistes</i>. Les bandes dessinées sont la seule littérature vraiment populaire de notre siècle. Des crétins marqués par leurs années de lycée n’ont pu s’empêcher de disserter là-dessus ; mais ce n’est pas sans déplaisir qu’ils vont lire et collectionner les nôtres. Ils les achèteront même sans doute pour les brûler. Qui ne ressent immédiatement combien il serait facile, pour notre tâche de <a href="http://www.multimania.com/debordiana/vieux.html#contribution" target="_blank" style="text-decoration: none;">« rendre la honte encore plus honteuse »</a>, par exemple de transformer <i>13, rue de l’Espoir</i> en <i>1, bd du Désespoir</i>, en intégrant à l’arrière-plan quelques éléments supplémentaires, ou simplement en changeant les ballons. On voit que cette méthode prend le contrepied du <i>Pop’art</i> qui décompose en morceaux le <i>comics</i>. Ceci vise au contraire à rendre au <i>comics</i> sa grandeur et son contenu. </p> <p><i>4. à la réalisation de films situationnistes</i>. Le cinéma, qui est le moyen d’expression le plus neuf et sans doute le plus utilisable de notre époque, a piétiné près de ¾ de siècle. Pour résumer, disons qu’il était effectivement devenu le « 7<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> art » cher aux cinéphiles, aux ciné-clubs, aux associations de parents d’élèves. Constatons pour notre usage que le cycle s’est terminé (Ince, Stroheim, le seul <i>Âge d’or</i>, <i>Citizen Kane</i> et <i>M. Arkadin</i>, les films lettristes) ; même s’il reste à découvrir chez les distributeurs étrangers ou dans les cinémathèques certains chefs-d’œuvre, mais d’une facture classique et récitative. Approprions-nous les balbutiements de cette nouvelle écriture ; approprions-nous surtout ses exemples les plus achevés, les plus modernes, ceux qui ont échappé à l’idéologie artistique plus encore que les séries B américains : les actualités, les bandes-annonces, et surtout le cinéma publicitaire. </p> <p>Au service de la marchandise et du spectacle, c’est le moins qu’on puisse dire, mais libre de ses moyens, le cinéma publicitaire a jeté les bases de ce qu’entrevoyait Eisenstein lorsqu’il parlait de filmer <i>La Critique de l’Économie politique</i> ou <i>l’Idéologie allemande</i>. </p> <p>Je me fais fort de tourner <i>Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande</i> d’une façon immédiatement perceptible aux prolétaires de Watts qui ignorent les concepts impliqués dans ce titre. Et cette mise en forme nouvelle contribuera sans aucun doute à approfondir, à exacerber, l’expression « écrite » des mêmes problèmes ; ce que nous pourrons vérifier, par exemple, en tournant le film <i>Incitation au meurtre et à la débauche</i> avant de rédiger son équivalent dans la revue, <i>Correctifs à la conscience d’une classe qui sera la dernière</i>. Le cinéma se prête particulièrement bien, entre autres possibilités, à l’étude du présent comme problème historique, au démantèlement des processus de réification. Certes la réalité historique ne peut être atteinte, connue et filmée, qu’au cours d’un processus compliqué de médiations qui permette à la conscience de reconnaître un moment dans l’autre, son but et son action dans le destin, son destin dans son but et son action, sa propre essence dans cette nécessité. Médiation qui serait difficile si l’existence empirique des faits eux-mêmes n’était déjà une existence médiatisée qui ne prend une apparence d’immédiateté que dans la mesure où, et parce que, d’une part la conscience de la médiation fait défaut, et que d’autre part, les faits ont été arrachés du faisceau de leurs déterminations, placés dans un isolement artificiel et mal reliés au montage dans le cinéma classique. Cette médiation a précisément manqué, et devait nécessairement manquer, au cinéma pré-situationniste, qui s’est arrêté aux formes dites objectives, à la reprise des concepts politico-moraux, quand ce n’est pas au récitatif de type scolaire avec toutes ses hypocrisies. Cela est plus compliqué à lire qu’à voir filmé, et voilà bien des banalités. Mais Godard, le plus célèbre des Suisses pro-chinois, ne pourra jamais les comprendre. Il pourra bien récupérer, comme à son habitude, ce qui précède — c’est-à-dire dans ce qui précède récupérer un mot, une idée comme celle des films publicitaires — il ne pourra jamais faire autre chose qu’agiter des petites nouveautés prises ailleurs, des images ou des mots-vedettes de l’époque, et qui ont à coup sûr une résonnance, mais qu’il ne peut saisir (Bonnot, ouvrier, Marx, <i>made in U.S.A.</i>, Pierrot le Fou, Debord, poésie, etc.). Il est effectivement un enfant de Mao et du coca-cola.</p> <p>Le cinéma permet de tout exprimer, comme un article, un livre, un tract ou une affiche. C’est pourquoi il nous faut désormais exiger que chaque situationniste soit en mesure de tourner un film, aussi bien que d’écrire un article (<i>cf.</i> <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is8.htm#anti" target="_blank" style="text-decoration: none;">Anti-public relations</a></i>, n° 8, p. 59). Rien n’est trop beau pour les nègres de Watts.</p> <p align="right">R<span style="font-size:-1;">ENÉ </span>V<span style="font-size:-1;">IÉNET</span></p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-5173187589007343969?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-73372517604937572462007-04-20T10:20:00.001-07:002007-04-20T10:20:28.294-07:00Sur des publications de l’I.S.<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">D<span style="font-size:-1;">ANS LE NUMÉRO SPÉCIAL </span>sur l’avant-garde du <i>Times Literary Supplement</i> de septembre 1964, une note de Michèle Bernstein — <i>About the Situationist International</i> — était ainsi conclue : « En une centaine de lignes, il est évidemment impossible d’avancer des arguments sur les thèses situationnistes, ou même de les exposer avec une précision convenable… Parmi les premiers secteurs intellectuels qui ont déjà eu l’occasion de prendre connaissance de ces thèses, la grande majorité se demande si les situationnistes plaisantent ; ou s’ils se trompent complètement parce qu’ils atteindraient à un degré de sottise assez rarement observé. Les situationnistes assurent qu’aucun de ces doutes à leur endroit ne sera plus soutenable dans une centaine d’années. »</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Au moment de la parution à Londres, à l’automne 1964, des premières publications du « projet sigma » animé par Alexander Trocchi, il a été convenu d’un commun accord qu’une entreprise de recherche culturelle si ouverte ne pourrait engager l’I.S. en dépit de l’intérêt que nous reconnaissons au dialogue avec les plus exigeants des individus qui peuvent prendre contact par cette voie, notamment aux États-Unis et en Angleterre. Ce n’est donc plus en tant que membre de l’I.S. que notre ami Alexander Trocchi a développé depuis une activité dont plusieurs points nous agréent pleinement.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En 1964 aussi, des documents sur trois films de Guy Debord, et le texte de ces films, ont été recueillis dans un livre : <i>Contre le cinéma</i>, publié par les soins de l’Institut scandinave de Vandalisme comparé, à Aarhus. Il convient de noter qu’en dépit du caractère élogieux de cette édition, aucun moyen de s’exprimer par le cinéma ne s’est depuis présenté aux situationnistes (c’est encore l’époque de Godard).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Au Danemark en février 1965, J.V. Martin a publié ses commentaires — lourds de circonstances aggravantes — sur le procès intenté à l’I.S. par la branche locale du « Réarmement moral » (<i>Im Namen des Volkes</i>). La revue socialiste de gauche <i>Aspekt</i> a publié la traduction danoise de deux de nos textes : dans son numéro 1, sous le titre <i>Réaliser la philosophie, réaliser l’art</i>, la « réponse à une enquête » parue dans <i>I.S.</i> 9 ; et dans son numéro 3 les <i>Thèses sur la Commune</i> du tract <i>Aux poubelles de l’histoire</i>. La même revue a publié certains de nos « comics » en espagnol, assez souvent reproduits dans la presse européenne, qui précisément avaient occasionné les poursuites du « Réarmement moral ».</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le 17 mars 1965, des situationnistes ont interrompu à Strasbourg une conférence qu’essayaient de tenir le cybernéticien Moles et le sculpteur Schöffer. À cette occasion, nos camarades ont diffusé le tract <i>La tortue dans la vitrine (dialectique du robot et du signal)</i>, ainsi qu’une réédition de la <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is9.htm#correspondance" target="_blank" style="text-decoration: none;">Correspondance avec un cybernéticien</a></i> qui figurait dans <i>I.S.</i> 9. D’après le journal local du 28-3-65 (qui s’attendait peut-être à une mise à mort ?), « une escarmouche lancée en pure perte au début de la soirée par un commando restreint de situationnistes n’a pu troubler le déroulement de la conférence… »</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En mars également Uwe Lausen, nous ayant fait part de son intention d’organiser un « happening » à Munich, a été exclu de l’I.S.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En juillet 1965, l’I.S. a publié clandestinement en Algérie, ronéotypée, l’<i>Adresse aux révolutionnaires</i>, qui caractérisait le récent putsch de Boumedienne.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L’I.S. n’a pas été matériellement capable, jusqu’ici, de poursuivre la publication de la revue allemande <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/gedanke.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">Der Deutsche Gedanke</a></i>, ni de sa revue en danois. Un prochain numéro de celle-ci (<i>Situationistisk Revolution</i>) est maintenant envisagé. Le projet de <i>Dictionnaire des concepts situationnistes</i>, longtemps remis, est maintenant en cours de réalisation, dans une forme plus étendue, sous la direction de Mustapha Khayati (voir <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is10.htm?#mots" target="_blank" style="text-decoration: none;">sa préface</a> publiée ici).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L’I.S. a réédité en novembre, dans une brochure imprimée en français, allemand, espagnol, anglais et arabe, le texte de l’<i>Adresse</i>. En décembre, deux suppléments au présent numéro de cette revue ont été tirés à part : <i>Les luttes de classes en Algérie</i>, dans un tract qui a été diffusé sur place ; et l’analyse des émeutes de Los Angeles, dans une brochure en anglais intitulée <i>The decline and the fall of the “spectacular” commodity-economy</i>.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La correspondance pour la revue <i>Internationale Situationniste</i> doit être envoyée désormais à la Boîte Postale 307-03, Paris. Pour la revue <i>Acción Comunista</i> (cf. notre <i>Contribution au programme…</i>) c/o F. Lardinois, 13 rue du Géron, Liège, Belgique. Pour la Fédération <i>Zengakuren</i> : Hirota Building 2-10 Kandajimbo-cho, Chiyoda Ku, Tokyo, Japon.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le livre dans lequel Debord développe la théorie du spectacle n’est pas encore achevé ; en revanche Vaneigem a terminé à la fin de 1965 son <i>Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations</i>, et depuis le manuscrit (en français) a commencé à se heurter à l’obstruction des éditeurs de Paris.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><blockquote><p><a name="correspondance"></a>M<span style="font-size:-1;">ONSIEUR</span>,</p></blockquote> <p>Nous aurions dû vous répondre plus tôt. Mais nous avons longtemps hésité avant de vous faire savoir que notre Comité de Lecture était très divisé à propos de votre livre intitulé « <i>Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations</i> » dont l’intérêt est incontestable.</p> <p>Tous nos lecteurs ont reconnu votre talent, votre passion de persuader par un style vigoureux et des formules frappantes. Les uns ont été convaincus, d’autres pas et ont regretté des redites dans votre texte et sa division en deux parties qui leur a paru artificielle.</p> <p>M. Gallimard hésite toujours. Il aimerait savoir qui vous êtes, votre âge, vos projets, le climat dans lequel vous avez écrit ce copieux essai, qui dissimule sous la litote du titre une grande fureur. Puis-je espérer une réponse qui me permette d’éclairer M. Gallimard sur votre personnalité ?</p> <p>Dans cette attente, je vous prie de croire, Monsieur, à mes sentiments les meilleurs.</p> <blockquote><p align="right"><i>La Secrétaire de M. Gaston Gallimard</i><br /> O<span style="font-size:-1;">DETTE </span>L<span style="font-size:-1;">AIGLE</span></p> </blockquote> <center><b>Les hésitations de M. Gallimard, le 11 mars</b></center> </blockquote> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La VII<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> Conférence de l’Internationale situationniste se réunira durant l’été de 1966.</p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-7337251760493757246?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-55847989200627996152007-04-20T10:18:00.001-07:002007-04-20T10:18:23.895-07:00Les mois les plus longs<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L’I<span style="font-size:-1;">.</span>S<span style="font-size:-1;">. A PUBLIÉ</span>, en février 1963, un document intitulé <i>Aux poubelles de l’histoire</i>, à propos de la disparition de la revue <i>Arguments</i>. Dans ce document se trouve reproduit le texte situationniste <i>Sur la Commune</i>, ainsi que la copie diluée qu’Henri Lefebvre en avait sournoisement publiée, sous sa signature, dans le dernier numéro d’<i>Arguments</i>, paraphant ainsi, sur le mode grandiose, ce carnaval du truquage de la pensée moderne dont <i>Arguments</i> a été, en France, l’expression la plus pure.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p>La liste qui suit est celle des collaborateurs d’<i>Arguments</i> : J.-M. Albertini, K. Axelos, Roland Barthes, Abel Benssi, Jacques Berque, Yvon Bourdet, Pierre Broué, T. Caplow, Bernard Cazes, François Châtelet, Jean Choay, Choh-Ming-Li, Michel Colinet, Lewis Coser, Michel Crozier, Michel Deguy, Gilles Deleuze, Romain Denis, Albert Détraz, Manuel de Diégez, Jean Duvignaud, Claude Faucheux, F. Fejtö, Léopold Flam, J.-C. Filloux, P. Fougeyrollas, Jean Fourastié, André Frankin, F. François, G. Friedmann, J. Gabel, P. Gaudibert, Daniel Guérin, Roberto Guiducci, Luc de Heusch, Roman Jakobson, K.A. Jelenski, Bertrand de Jouvenel, Georges Lapassade, Henri Lefebvre, O. Loras, Stéphane Lupasco, Tibor Mende, Meng-Yu-Ku, Robert Misrahi, Abraham Moles, Jacques Monbart, E. Morin, V. Morin, Serge Moscovici, Roger Munier, Pierre Naville, Max Pagès, R. Pagès, Robert Paris, François Perroux, A. Phillip, André Pidival, Alexandre Pizzorno, David Rousset, Maximilien Rubel, Otto Schiller, Walter Schulz, H.F. Schurmann, M. Sheppard, Jean Starobinski, A. Stawar, Jan Tinbergen, Jean Touchard, Alain Touraine, Bernard Ullmann, Aimé Valdor.</p></blockquote> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Les thèses situationnistes sur la Commune ont été traduites en italien et publiées dans le n° 9 de la revue <i>Nuova Presenza</i> (printemps 1963), en regard de leur copie par Lefebvre. Les deux directeurs de cette revue ayant exprimé en deux articles des avis assez différents, il importe de remarquer que l’un et l’autre feignent de croire que l’essentiel de la théorie de l’I.S., et de sa présence dans notre temps, se ramène à une interprétation de la Commune de 1871 ; et surtout qu’aucun d’eux ne signale que la publication de ces thèses n’est qu’un détail dans un document concernant la lutte <i>pratique</i> de l’I.S. contre le déguisement spectaculaire qui cache, en ce moment, les questions réellement subversives (en ce cas, notre <i>boycott</i> d’<i>Arguments</i> et la démonstration de son plein succès). Ainsi, il leur devient aisé de parler de “faiblesse pratique” et de “manque de perspectives historiques”. C’est bien la question.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p>« Précisons que l’<i>Internationale Situationniste</i> est l’organe d’un groupe de jeunes qui se placent sur une position de critique radicale de la “société du spectacle”, c’est-à-dire l’organisation technologique et technocratique moderne qui tend à manipuler, selon les fins de l’industrie de consommation, les manifestations de la créativité humaine… Continuation d’un mouvement théorique qui a ses racines dans le premier romantisme, et se poursuit à travers Rimbaud, les surréalistes, Bataille, Klossowski ; au-delà de sa faiblesse pratique, condamné qu’il est à succomber par manque de perspectives historiques sous l’appareil de domination et de frustration des bureaucrates modernes, ce mouvement représente l’expression de refus des nouvelles générations qui se trouvent en face d’une société fondée sur la mystification et le mensonge. » — F<span style="font-size:-1;">RANCO </span>F<span style="font-size:-1;">LOREANINI </span>(<i>Les valeurs de la Commune dans la lutte contre le totalitarisme des technocrates et la pétrification idéologique des stalinistes et des bureaucrates du socialisme</i>).</p> <p>« Quelques lignes ne paraissent pas suffisantes pour examiner l’interprétation avancée par Lefebvre à propos de la Commune, surtout si ces lignes doivent être consacrées exclusivement à les confronter avec les thèses de l’<i>Internationale Situationniste</i>, desquelles elle découle critiquement. C’est ici seulement l’occasion de prendre en considération ces dernières thèses et leur réexamen critique opéré par Lefebvre : et le jugement sur les premières comme sur le second ne peut être, à notre avis, que résolument négatif. Au complexe phénomène historique du stalinisme, pas encore surmonté en Union Soviétique et dans l’élite communiste française, se voit opposée une forme historique mystique : dans une telle forme mystique de “dictature du prolétariat” on veut retrouver l’autonomie des forces prolétariennes et la participation directe et indirecte de telles forces au pouvoir, qui manque dans le stalinisme installé dans sa bureaucratie immobile et son anti-humanisme. Mais une telle participation se trouve complètement séparée de sa problématique historique et structurelle pour devenir une aspiration irrationnelle confuse, sans réels termes idéologiques. L’autonomie des forces prolétariennes, le problème principiel et historique de leur participation au pouvoir en viennent à se réduire au mythe suggestif et transcendant d’un “<i>jeu</i> quotidien avec le pouvoir”, d’une “fête” populaire, de “l’autonomie” des groupes armés populaires. Et l’on n’hésite pas à mêler dans cet élan utopique des formules qui semblent franchement médiocres et quasi-superstitieuses : ainsi la prétendue originalité d’un “<i>urbanisme révolutionnaire</i>” qui “ne croit pas qu’un monument soit innocent”, l’apologie anti-humaniste de ceux qui voulaient détruire la cathédrale Notre-Dame, exprimant ainsi “par cette démolition leur défi total à la société”, ou enfin le regret qui n’est pas moins anti-humaniste concernant les actes demeurés “ébauchés”, et en tant que tels considérés comme des “atrocités”. Tout ce nœud d’irrationnalité, qui trouve sa base naturelle dans une expérience distante et non point vécue historiquement, reste substantiellement intégré dans ce que Lefebvre a repensé, réussissant seulement à exclure quelques formules parmi les plus abstraites… Une protestation qui n’a pas, et ne veut pas avoir, de contact avec la réalité historique d’aujourd’hui… Le stalinisme… est pour lui-même une mystification irrationnelle, une projection sur les forces prolétariennes d’aspirations abstraites, semblables par leur schématisme à celles qui se trouvent dans les thèses sur la Commune de l’<i>Internationale Situationniste</i>. Il est temps que les communistes se posent le problème du dépassement du stalinisme à travers une rationalisation de la vie politique et idéologique, par des formes institutionnalisées qui garantissent la dialectique entre les forces de la classe ouvrière et celles qui assument la conduite de la révolution sociale. » — M<span style="font-size:-1;">ARCELLO </span>G<span style="font-size:-1;">ENTILI </span>(<i>Deux protestations irrationnelles contre le stalinisme</i>).</p></blockquote> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Quelques débris d’une nuance stalinienne du surréalisme étant venus relancer des situationnistes à Anvers, sous un prétexte d’anti-fascisme parfaitement onirique, leur éjection a été commentée par un tract du 27 février 1963, en néerlandais et en français : <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/dialogue.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">Pas de dialogue avec les suspects ! Pas de dialogue avec les cons !</a></i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le premier numéro de la revue de l’I.S. en langue allemande <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/gedanke.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">Der Deutsche Gedanke</a></i> a paru en avril 1963, sous la direction de Raoul Vaneigem. Compte tenu de diverses conditions pratiques, son adresse a été finalement établie : Boîte postale 155, Bruxelles 31.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En juin 1963, l’I.S. a organisé au Danemark, sous la direction de J.V. Martin, la manifestation « Destruction de R.S.G. 6 ». À cette occasion, les situationnistes ont diffusé une réédition clandestine du tract anglais <i>Danger! Official secret - R.S.G. 6</i>, signé <i>Spies for peace</i>, qui a révélé le plan et la fonction de l’« abri gouvernemental régional n° 6 ». Un texte théorique <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/action.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">Les situationnistes et les nouvelles formes d’action dans la politique ou l’art</a></i> a été aussi publié en danois, anglais et français. La base — révoltante — du décor de cette manifestation était formée, dans une première zone, par la reconstitution d’un abri anti-atomique ; et dans une deuxième surtout par des <i>cartographies thermonucléaires</i> de Martin, détournement du <i>pop-art</i>, esquissant une représentation des différentes régions du globe pendant la troisième guerre mondiale.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p>« Le mouvement situationniste présente une exposition, si l’on peut dire, avec une idée. Il manifeste, à l’aide de productions chaotiques à base de plâtre, cheveux et soldats de plomb éclaboussés avec de la peinture ou des slogans, en faveur de la destruction de l’abri du gouvernement anglais R.S.G. 6, qui a été construit comme défense en cas de guerre atomique. Bien sûr, ils protestent en réalité contre la guerre elle-même et l’État totalitaire ; ils prendront probablement pour un compliment que l’on dise qu’ils ne l’ont pas fait avec des moyens artistiques. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que ce puisse être un compliment. » — P<span style="font-size:-1;">IERRE </span>L<span style="font-size:-1;">ÜBECKER</span>, <i>Politiken</i> du 3 juillet 1963. </p></blockquote> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Un compte rendu intelligent a été fait par Else Steen Hansen, sous le titre <i>Homo ludens</i>, dans le numéro 5-6 de la revue suédoise <i>Konstrevy</i> (décembre 1963). </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le situationniste Rudi Renson, alors qu’il se rendait à la même manifestation, a été arbitrairement refoulé à la frontière danoise. Sous l’effet du scandale évoqué pendant plusieurs jours par la presse de tout le pays, la police des frontières a successivement prétendu qu’il n’avait pas de passeport ; qu’il n’avait pas assez d’argent ; qu’il avait une sale tête. Le dernier point restant évidemment discutable, la fausseté des deux autres a été démontrée (mais la saisie des publications situationnistes continue depuis, à cette frontière). Renson prépare, actuellement, un recueil des études de l’I.S. sur <i>L’architecture et le détournement</i>.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">T. Kurokawa et Toru Tagaki, délégués en Europe par le mouvement japonais <i>Zengakuren</i> au printemps de 1963, ont apporté ici une précieuse contribution à la discussion sur le nouveau départ d’une organisation révolutionnaire. Adresse : <i>Zenshinsha</i>, 1-50 Ikebukurohigashi, Toshima-ku, Tokyo.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">« Au même titre que les diverses spécialisations intellectuelles, la poésie doit disparaître en tant que pratique particulière d’une caste de “techniciens” et de virtuoses littéraires pour se manifester directement dans <i>tout acte créateur humain</i>, — y compris l’acte d’écrire — ce que n’arrivent pas à comprendre les ramasse-miettes lettristes ou situationnistes, pour qui l’abolition pure et simple de l’écriture grammaticale ou de l’expression artistique sert de remède miracle à la crise de l’expression poétique. » — <i>Front Noir</i>, n° 1 (juin 1963).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Dans le livre <i>L’Extricable</i>, où Raymond Borde agite, à la sauce de la plus vulgaire rigolade, quelques faits et quelques notions qui vont effectivement venir à la mode, on peut lire cet étrange aveu : « L’idée est en l’air du côté du surréalisme. Elle a été reprise par les situationnistes, mais dans un contexte aléatoire. Elle peut fournir — sait-on jamais ? — la clé d’une théorie révolutionnaire… » On sait (voir cette revue, page 19) que Raymond Borde a toujours pu placer ses exercices de style dans un contexte non-aléatoire : il n’a jamais changé que de livrée.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il est tout à fait abusif d’écrire, comme l’avait fait <i>France-Observateur</i> du 7 février 1963, que la brochure de Robert Dehoux, <i>Teilhard est un con</i> (même si nous approuvons absolument ce titre), révèle des “accointances avec les situationnistes”. L’<i>autonomie</i> de Robert Dehoux est pourtant manifeste, et encore confirmée récemment par son deuxième ouvrage, <i>Ecce Ego</i>. Il semble que certains critiques soient tellement habitués à voir des copistes qui affectent d’ignorer l’I.S. que lorsqu’ils rencontrent quelqu’un qui a la bonne foi de nous citer, et de donner les références situationnistes qui lui paraissent utiles pour son propos, on le ramène tout de suite à ce maudit sigle.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Attila Kotányi a été exclu de l’I.S. le 27 octobre 1963. Il avait soumis aux situationnistes, trois semaines auparavant, un texte qui demandait une réorientation théorique fondamentale. Cette réorientation était extrêmement rétrograde, jusqu’au mysticisme inclus. Son auteur a été rejeté à l’unanimité. Seul le situationniste danois Peter Laugesen a déclaré qu’il ne voyait rien de particulièrement choquant là-dedans. Il a donc été lui-même exclu à l’instant (voir la circulaire diffusée en décembre <i>Sur l’exclusion d’Attila Kotányi</i>). Depuis, Laugesen se répand dans la presse scandinave sur l’inépuisable thème : « Ils sont affreux ; je sais de quoi je parle ; j’avais le malheur d’y être ». A. Kotányi a fait au moins ce pas vers le nashisme qu’il a essayé de répandre le bruit que tout ceci était un désolant malentendu, et qu’il reprendrait bientôt contact avec l’I.S. Il nous faut bien dire que non : son texte était parfaitement clair. Les nôtres aussi.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><a name="mois-estivals"></a>Dans <i>Le Mouvement du Signe</i>, <a href="http://www.multimania.com/debordiana/who.html#estivals" target="_blank" style="text-decoration: none;">Estivals</a> s’obstine contre toute apparence de raison à chercher à comprendre l’I.S. Entre mille autres sottises, il en a « prévu et expliqué l’éclatement inévitable ». Pour lui, ce mouvement centrifuge s’est révélé dès l’exclusion de Ralph Rumney, dans les toutes premières : avant même que nous ayons publié une ligne. C’est peut-être parce qu’il est assurément de ceux qui n’ont « même pas eu la chance de se faire exclure » (<i>I.S.</i> 8) qu’il se bouche les yeux sur le sens réel des exclusions. Peut-être estime-t-il que l’onde de choc de cette explosion de l’I.S. a déjà atteint les zones mentales déshéritées où il hiberne ? Toujours est-il qu’il s’est présenté dans quelques rédactions parisiennes — au moins celles des <i>Lettres Nouvelles</i> et de <i>France-Observateur</i> — en prétendant avoir quelque chose de commun avec les situationnistes. Il est évident que l’imposture ne pourra tromper que ceux qui veulent l’être : pas seulement parce que les situationnistes sont intelligents, et qu’Estivals, même comme chercheur du C.N.R.S., paraît d’une faiblesse inhabituelle ; surtout parce que les situationnistes ne pratiquent pas ce genre de démarches, on le sait bien.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le nashisme s’est dilué et effiloché, principalement dans deux directions : la revue hollandaise <i>Situationist Times</i> a tourné à la revue d’art quelque peu académique, réunissant une très riche iconographie sur des thèmes parfois très bien choisis (le labyrinthe). La petite partie laissée aux commentaires n’est malheureusement pas à la hauteur de cet effort historico-universitaire. Le Dr H.L.C. Jaffé, fameux muséographe, donnant une citation italienne des <i>trois</i> premiers vers de <i>La Divine Comédie</i> n’y accumule pas moins de <i>six</i> fautes (contresens ou non-sens). À ce compte, on pourrait démontrer n’importe quoi ; peut-être même que le titre inexpliqué de cette revue a eu un sens ? D’autre part, Nash et ses amis suédois font la quête sur la voie publique, en montreurs d’ours et avaleurs de flammes du <i>pop-art</i> saupoudré de mystique scandinave. Dans un tract récent, Nash s’est opportunément proclamé « fils de Dieu ». Tel père, tel fils.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">« Au seuil d’une époque où la science et la technique jouent un rôle parfois démentiel, il faut bien parler des jeux cybernétiques ou téléguidés, de ces activités pour adultes, plus proches du ludisme que de l’art, que le <i>Groupe de recherches d’art visuel</i> a introduits au Musée d’Art moderne de la ville de Paris à l’occasion de la III<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> Biennale. Il y a là des jeux dignes de quelque Luna-Park mathématique. Sous couleur de modifier le rapport œuvre-spectateur, le <i>Groupe</i> demande la participation de celui-ci. En lançant des balles, en manipulant des éléments divers, le visiteur crée de multiples situations… » — R<span style="font-size:-1;">ABECQ-</span>M<span style="font-size:-1;">AILLARD </span>(<i>Le jeu et l’actualité</i>, n° 16-17 de <i>La Nef</i>, janvier 1964).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Depuis la scission de 1963, la revue <i>Socialisme ou Barbarie</i> s’efforce de prendre la succession d’<i>Arguments</i> (cf. « Nous savons que votre abonnement à <i>Arguments</i> témoignait de préoccupations analogues », dans la circulaire du 20 janvier 1964 adressée par le nouveau comité de rédaction au public qu’ils veulent récupérer). Mais cela vient avec retard, et c’est nettement plus faible et insignifiant. Politiquement, c’est l’expression de la frange la plus gauchiste et la plus <i>fantaisiste</i> de ces managers et cadres moyens de la gauche qui veulent avoir la théorie révolutionnaire de leur carrière effective dans la société, et aussi bien la carrière sociale ouverte à une telle « théorie révolutionnaire ». Mais alors que les Mallet ou les Gorz sont des professionnels de cette activité, les gens de <i>Socialisme ou Barbarie</i> font visiblement amateurs : détente pour les week-ends de managers dont la vraie carrière est ailleurs. La minorité qui a rompu par fidélité au marxisme a accepté le débat sur le plus faux terrain : le « moderne » était l’apanage des cardanistes, et la « révolution », le drapeau de la minorité. Mais en fait, ni un camp ni l’autre ne représente l’une ou l’autre de ces notions, parce qu’il ne peut y avoir de révolution hors du moderne, ni de pensée moderne hors de la critique révolutionnaire à réinventer. La minorité (<i>Pouvoir Ouvrier</i>) est si détachée des vétilles de l’époque qu’elle n’a pas jugé utile d’exprimer le sens de la dissolution de <i>Socialisme ou Barbarie</i>, phénomène trop moderne à son gré, ni même d’en <i>informer</i> ses rares lecteurs, tous fervents, cependant, de démocratie ouvrière. Dans <i>Socialisme ou Barbarie</i>, il ne reste qu’assez peu de traces de l’utile travail théorique fait pendant des années sur nombre de points. Tout est noyé dans une extraordinaire atmosphère de surenchère à la démission, tout le monde se bouscule <i>aux postes d’abandon</i> de toute pensée critique. Dans ce naufrage, il semble que le capitalisme, seul, se défoule euphoriquement. Cardan, après quinze ans d’efforts inutiles pour que la dialectique se donne à lui, fût-ce un bref instant, décide que c’est un fruit trop vert et proclame que « nous ne pouvons pas nous donner d’emblée une dialectique quelle qu’elle soit, car une dialectique postule la rationalité du monde et de l’histoire, et cette rationalité est problème, tant théorique que pratique » (<i>Socialisme ou Barbarie</i>, n° 37, page 27). Dès lors, il peut afficher avec la plus grande fierté son impuissance, longtemps déguisée, à saisir le jeu des contradictions : « À la base de cette théorie (marxiste) de l’histoire, il y a une philosophie de l’histoire, profondément et contradictoirement tissée avec elle, et elle-même contradictoire, comme on le verra. » Il est sûr que, parti d’un si bon pied, on va tout voir, et même Lapassade diriger psychodramatiquement une telle avant-garde de la révolution du « questionnement ».</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L’I.S. a accepté de répondre, en décembre 1963, à l’enquête du Centre d’Art socio-expérimental, sur la relation art-société ; mais a, évidemment, refusé toute participation aux discussions ouvertes entre différents courants artistiques pour une « union des artistes ». C’est même, plus généralement, un appel à l’union de tous les honnêtes gens pour faire la chasse aux situationnistes qu’Isou a lancé, à ce moment, par une proclamation affichée dans les locaux du Centre (et reprise dans <i>L’avant-garde lettriste et esthapeïriste</i>) :</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p>« Comme certains groupes réactionnaires affirment qu’il faut détruire les machines, d’autres groupes réactionnaires — comme les <i>situationnistes</i>, basés sur un ersatz sous-sous-sous-marxiste mal digéré — <i>troglodyte</i>, comme l’appelait Lénine —, affirment que <i>l’art, en son ensemble, sera éliminé dans l’avenir proche</i>… À une époque où, comme en Amérique et en Angleterre, des mouvements néo-nazis se reconstituent avec croix gammée et salut hitlérien, en même temps que reparaissent des groupuscules qui attaquent les recherches des formes et des matières de l’art, comme aux périodes les plus sinistres de l’<i>anti-formalisme</i> de Goering et de Staline, les personnes soucieuses de l’épanouissement novateur de l’homme doivent s’unir pour repousser les efforts de crétinisation ignobles des nullités obscurantistes du type <i>troglodyte-détournant</i>. » — (<i>Réponse aux déchets obscurantistes « situationnistes »</i>).</p></blockquote> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Les personnes soucieuses de ce que vous savez s’uniront bel et bien, puisqu’en mars 1964, le « Centre International de Recherches Esthétiques » de Turin, dirigé par Piero Simondo (exclu de l’I.S. presque dès l’origine, pour crypto-catholicisme), présentait l’œuvre picturale d’Isou, préfacée avec enthousiasme par le jésuite Tapié, que l’on croyait mort. Tout cela fera de beaux enfants.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Un livre de Guy Debord a figuré sans son autorisation, et sans qu’il en soit averti d’aucune manière, à l’exposition <i>Schrift und Bild</i>, à Baden-Baden, puis à Amsterdam. À une première protestation adressée aux organisateurs quand cette manœuvre nous a été finalement signalée, les Allemands de Baden-Baden répondent que la responsabilité en incomberait au Hollandais Ad. Petersen, du <i>Stedelijk Museum</i> d’Amsterdam, tandis que ce musée affirme, en même temps, que le choix dépendait de l’Allemand Mahlow, directeur du <i>Kunsthalle</i> de Baden-Baden (à suivre).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">« Ce qu’il faut en société anarchiste, c’est se réveiller chaque fois dans un monde inconnu, nouveau, qui offrira d’autres possibilités qu’hier… Les situationnistes semblent avoir compris cela et proposent, par exemple, une révolution architecturale (l’aspect d’une ville pourrait changer chaque jour) qui mettrait l’homme chaque jour dans des situations nouvelles. Ce n’est qu’un aspect, mais il va dans notre sens, c’est toute la vie actuelle qu’il faut révolutionner… » — <i>Jeunes Libertaires</i> (mars 1964).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Après la publication, dans la revue anglaise <i>Tamesis</i> (mars 1964), du texte <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is8.htm#all" target="_blank" style="text-decoration: none;">All the king’s men</a></i> (cf. <i>I.S.</i> 8), traduit par David Arnott, deux professeurs de l’Université de Reading l’ont commenté dans la même revue, à des niveaux d’incompréhension nettement distincts.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p>« Ces gens qui, dans certaines de leurs manifestations, apparaissent plutôt comme des anarchistes du <span style="font-size:-1;">XIX</span><sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> siècle. Je pense qu’ils sont environ 70, répartis dans trente pays différents. Trois membres ont déjà été exclus pour des mesures déviationnistes ou autres… Et ceci, d’un certain point de vue, serait la chose la plus originale, que la révolution doive prendre place en dehors de l’autorité (non seulement en dehors de ce que les autorités linguistiques ou les experts ont établi, mais en dehors de l’autorité du gouvernement — en dehors du corps politique presque). C’est par là que l’on peut voir que ce pamphlet a été pensé d’une façon complètement anarchiste. » — P<span style="font-size:-1;">R. </span>L<span style="font-size:-1;">UCAS</span>.</p> <p>« Mais le mot <i>qui est permis</i> implique qu’il y a quelqu’un qui permet, et l’auteur, manifestement, désire rejeter même ce foyer de pouvoir. Et c’est pourquoi il est anarchiste d’une façon qui n’a pas, à ma connaissance du moins, été formulée depuis longtemps… Cet homme est-il en train de télescoper la vue marxiste d’une révolution sociale, d’essayer d’introduire le prochain stade dans le présent, par un effort conscient, d’essayer de rendre utilisable la poésie moderne, par exemple, du point de vue du <span style="font-size:-1;">XXI</span><sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> siècle ? Je pense que oui… C’est seulement d’une façon superficielle que l’article s’avance dans toute une série d’arguments. C’est à la fois un manifeste et un exemple de ce que le manifeste cherche à accomplir. Il doit être pris dans ses propres termes ou pas du tout. » — P<span style="font-size:-1;">R. </span>B<span style="font-size:-1;">OLTON</span>.</p></blockquote> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Giuseppe Pinot-Gallizio qui avait été, à la Conférence de Cosio d’Arroscia, un des fondateurs de l’I.S., et qui en fut exclu en 1960, est mort soudainement à Alba, le 12 février 1964. Expérimentateur en tous genres, Gallizio a été un des artistes qui représentaient au mieux un point extrême atteint dans la période créative de l’art moderne. Il a été partagé entre la recherche d’un dépassement, et un certain attachement aux goûts de cette période ancienne. Certains de ces goûts, la pression surtout de son entourage, en vinrent à rendre difficile sa participation à l’I.S. ; il sut, par la suite, rester indépendant. Étant personnellement très inventif, il était aux antipodes du battage falsificateur nashiste. Les débuts du mouvement situationniste lui doivent beaucoup.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">À Copenhague, des étudiants communistes ont été exclus en mai sous l’accusation de menées pro-chinoises. On leur reprochait, en réalité, leur intérêt pour les thèses de l’I.S.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Dans le livre du professeur Guy Atkins, <i>Asger Jorn</i> (éditions Methuen, Londres, 1964), on peut lire : </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p>« Ultérieurement à Cobra, le plus important mouvement auquel Jorn prit part fut le mouvement situationniste international, qui commença en 1957. Il est intéressant de comparer ces deux mouvements si différents… Chacun a existé effectivement pendant trois ans environ. Cobra était une avalanche qui se grossit de tout jusqu’à devenir monstrueuse. L’I.S. était exactement le contraire. Elle est apparue fermée et cohérente. Elle s’est cassée en éclats de marbre. Vers le milieu de 1962, presque tout le monde avait été “exclu” par Guy Debord, bien que Jorn ait eu l’habileté de démissionner en 1961. Cobra produisit une imagerie commune. L’I.S. créa un esprit et une attitude, et mena une activité expérimentale avec de curieuses et subtiles idées. Cobra, avec ses Danois grégaires, a eu trop peu de discipline. Les situationnistes ont été faits, et puis brisés, par leur propre discipline. »</p> </blockquote> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Au réalisme de cette conclusion, nos lecteurs pourront juger de la valeur qu’il convient d’attribuer aux autres termes de ce parallèle (Cobra a peint les hommes tels qu’ils sont, et l’I.S. tels qu’ils doivent être ?).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En juillet 1964, l’I.S. a publié, en espagnol et en français, le tract <i>España en el corazón</i>, attirant l’attention sur une nouvelle forme de propagande actuellement expérimentée en Espagne.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>Toutes les publications de l’I.S. mentionnées ici peuvent être communiquées à toute personne qui en fera la demande </i>motivée<i>.</i></p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-5584798920062799615?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-1460300434977426692007-04-20T10:15:00.000-07:002007-04-20T10:16:15.326-07:00Anti-public relations<div style="text-align: justify;"><b style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">S<span style="font-size:-1;">ITUATIONIST </span>I<span style="font-size:-1;">NTERNATIONAL</span></b><br /><b style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"> </b><i style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">anti</i><b style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);">-public-relations service</b> <blockquote style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0);"><p>Y<span style="font-size:-1;">OU ARE </span>in agreement with the S.l.!<br /> You want to join the S.l.!</p> <p>We oniy ask of you a little preliminary work, to verify objectively (in your own interest as well as ours) how near you come to our problems, and your ability to play a full role in our undertaking <i>(the S.l. does not want mère disciples)</i>: </p> <blockquote><p><i>1.</i> Choose for yourself a point which you consider important, in the theses published by the S.l., and develop several arguments and possible expansions of thus theses (a minimum of one page of typescript — we impose no maximum). </p> <p><i>2.</i> Choose for yourself, in the same texts published by the S.l., a point which can be criticized, and destroy this position (the conditions are the same).</p> <p><i>N.B.—</i>This is not a meaningless game. The S.l. proceeds like this very often, to reexamine and advance on its own basic ideas. Perhaps you will chance on a point already criticized. But you might also start a correct criticism from a position insuficiently raised by us to now. Your criticism, therefore, if it is well done, will be well argued in any case; and perhaps even will be useful as putting forward something new! </p></blockquote> <center>*</center> <center><b>I<span style="font-size:-1;">NTERNATIONALE SITUATIONNISTE</span><br /> service des <i>anti</i>-public-relations</b></center> <p>V<span style="font-size:-1;">OUS ÊTES </span>d’accord avec l’I.S. !<br /> Vous voulez adhérer à l’I.S. !</p> <p>Nous vous demandons seulement un petit travail préalable, pour contrôler objectivement (dans votre intérêt comme dans le nôtre), votre approche réelle de nos problèmes, et votre capacité de participation complète à notre entreprise <i>(L’I.S. ne veut pas de disciples)</i> :</p> <blockquote><p><i>1.</i> Choisissez vous-même un point que vous considérez comme important, dans les thèses publiées par l’I.S., et développez quelques arguments et suites possibles. (Minimum : une page dactylographiée, aucun maximum imposé.)</p> <p><i>2.</i> Choisissez vous-même, dans les mêmes textes publiés par l’I.S., un point critiquable, et détruisez cette position (mêmes conditions). </p> <p><i>N.B. —</i> Ceci n’est pas un jeu arbitraire. L’I.S. procède couramment ainsi comme réexamen et dépassement de ses propres bases. Vous pouvez tomber sur un point déjà critiqué. Mais aussi bien commencer la juste critique d’une position insuffisamment remise en question par nous jusqu’ici. Votre critique donc, si elle est bien faite, sera en tout cas juste ; et peut-être même utile comme nouveauté !</p></blockquote></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-146030043497742669?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-72420048359109113602007-04-20T10:07:00.000-07:002007-04-20T10:08:13.069-07:00Le commencement d’une epoque<p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">« N<span style="font-size:-1;">OUS VIVRONS ASSEZ </span>pour voir une révolution politique ? <i>nous</i>, les contemporains de ces Allemands ? Mon ami, vous croyez ce que vous désirez », écrivait Arnold Ruge à Marx, en mars 1844 ; et quatre ans plus tard cette révolution était là. Comme exemple amusant d’une inconscience historique qui, entretenue toujours plus richement par des causes similaires, produit intemporellement les mêmes effets, la malheureuse phrase de Ruge fut citée en épigraphe dans <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/spectacle.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">La Société du Spectacle</a></i>, qui parut en décembre 1967 ; et six mois après survint le mouvement des occupations, le plus grand moment révolutionnaire qu’ait connu la France depuis la Commune de Paris.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">La plus grande grève générale qui ait jamais arrêté l’économie d’un pays industriel avancé, et la première <i>grève générale sauvage</i> de l’histoire ; les occupations révolutionnaires et les ébauches de démocratie directe ; l’effacement de plus en plus complet du pouvoir étatique pendant près de deux semaines ; la vérification de toute la théorie révolutionnaire de notre temps, et même çà et là le début de sa réalisation partielle ; la plus importante expérience du mouvement prolétarien moderne qui est en voie de se constituer dans tous les pays sous sa forme <i>achevée</i>, et le modèle qu’il a désormais à dépasser — voilà ce que fut essentiellement le mouvement français de mai 1968, voilà <i>déjà</i> sa victoire.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Nous dirons plus loin les faiblesses et les manques du mouvement, les conséquences naturelles de l’ignorance et de l’improvisation, comme du poids mort du passé, là même où ce mouvement a pu le mieux s’affirmer ; conséquences surtout des <i>séparations</i> que réussirent de justesse à défendre toutes les forces associées du maintien de l’ordre capitaliste, les encadrements bureaucratiques politico-syndicaux s’y étant employés, au moment où c’était pour le système une question de vie ou de mort, plus et mieux que la police. Mais énumérons d’abord les caractères manifestes du mouvement des occupations là où était son <i>centre</i>, là où il fut le plus libre de traduire, en paroles et en actes, son contenu. Il y proclama ses buts <i>bien plus explicitement</i> que tout autre mouvement révolutionnaire spontané de l’histoire ; et des buts beaucoup plus radicaux et actuels que ne surent jamais en énoncer, dans leurs programmes, les organisations révolutionnaires du passé, même aux meilleurs jours qu’elles connurent.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Le mouvement des occupations, c’était le retour soudain du prolétariat comme classe historique, <i>élargi</i> à une majorité des salariés de la société moderne, et tendant toujours à l’abolition effective des classes et du salariat. Ce mouvement était la redécouverte de l’histoire, à la fois collective et individuelle, le sens de l’intervention possible sur l’histoire et le sens de l’événement irréversible, avec le sentiment du fait que « rien ne serait plus comme avant » ; et les gens regardaient avec amusement l’existence <i>étrange</i> qu’ils avaient menée huit jours plus tôt, leur survie dépassée. Il était la <i>critique généralisée</i> de toutes les aliénations, de toutes les idéologies et de l’ensemble de l’organisation ancienne de la vie réelle, la passion de la généralisation, de l’unification. Dans un tel processus, la propriété était niée, chacun se voyant partout chez soi. Le <i>désir reconnu</i> du dialogue, de la parole intégralement libre, le goût de la communauté véritable, avaient trouvé leur terrain dans les bâtiments ouverts aux rencontres et dans la lutte commune : les téléphones, qui figuraient parmi les très rares moyens techniques encore en fonctionnement, et l’errance de tant d’émissaires et de voyageurs, à Paris et dans tout le pays, entre les locaux occupés, les usines et les assemblées, portaient cet usage réel de la communication. Le mouvement des occupations était évidemment le refus du travail aliéné ; et donc la fête, le jeu, la présence réelle des hommes et du temps. Il était aussi bien le refus de toute autorité, de toute spécialisation, de toute dépossession hiérarchique ; le refus de l’État et, donc, des partis et des syndicats aussi bien que des sociologues et des professeurs, de la morale répressive et de la médecine. Tous ceux que le mouvement, dans un enchaînement foudroyant — « Vite », disait seulement celui des slogans écrits sur les murs qui fut peut-être le plus beau — avait réveillés, méprisaient radicalement leurs anciennes conditions d’existence, et donc ceux qui avaient travaillé à les y maintenir, des vedettes de la télévision aux urbanistes. Aussi bien que les illusions staliniennes de beaucoup se déchiraient, sous leurs formes diversement édulcorées, depuis Castro jusqu’à Sartre, tous les mensonges rivaux et solidaires d’une époque tombaient en ruines. La solidarité internationale reparut spontanément, les travailleurs étrangers se jetant en nombre dans la lutte, et quantité de révolutionnaires d’Europe accourant en France. L’importance de la participation des femmes à toutes les formes de lutte est un signe essentiel de sa profondeur révolutionnaire. La libération des mœurs fit un grand pas. Le mouvement était également la critique, encore partiellement illusoire, de la marchandise (sous son inepte travestissement sociologique de « société de consommation »), et déjà un <i>refus</i> de l’art qui ne se connaissait pas encore comme sa <i>négation</i> historique (sous la pauvre formule abstraite « d’imagination au pouvoir », qui ne savait pas les moyens de mettre en pratique ce pouvoir, de tout réinventer ; et qui, manquant de pouvoir, manqua d’imagination). La haine partout affirmée des <i>récupérateurs</i> n’atteignait pas encore au savoir théorico-pratique des manières de les éliminer : néo-artistes et néo-directeurs politiques, néo-spectateurs du mouvement même qui les démentait. Si la critique en actes du spectacle de la non-vie n’était pas encore leur dépassement révolutionnaire, c’est que la tendance « spontanément conseilliste » du soulèvement de mai a été en avance sur presque tous les moyens concrets, parmi lesquels sa conscience théorique et organisationnelle, qui lui permettront de se traduire en pouvoir, en étant le seul pouvoir.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Crachons en passant sur les commentaires applatissants et les faux-témoignages des sociologues, des retraités du marxisme, de tous les doctrinaires du vieil ultra-gauchisme en conserve ou de l’ultra-modernisme rampant de la société spectaculaire ; personne, parmi ceux qui ont <i>vécu</i> ce mouvement, ne pourra dire qu’il ne contenait pas tout cela.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Nous écrivions, en mars 1966, dans le n° 10 d’<i>Internationale Situationniste</i> (p. 77) : « Ce qu’il y a d’apparemment osé dans plusieurs de nos assertions, nous l’avançons avec l’assurance d’en voir suivre une démonstration historique d’une irrécusable lourdeur. » On ne pouvait mieux dire.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Naturellement, nous n’avions rien prophétisé. Nous avions dit ce qui <i>était là</i> : les conditions matérielles d’une nouvelle société avaient été produites depuis longtemps, la vieille société de classes s’était maintenue <i>partout</i> en modernisant considérablement son oppression, et en développant avec toujours plus d’<i>abondance</i> ses contradictions, le mouvement prolétarien vaincu revenait pour un second assaut plus conscient et plus total. Tout ceci, certes, que l’histoire et le présent montraient à l’évidence, beaucoup le pensaient et certains même le disaient, mais abstraitement, donc dans le vide : sans écho, sans possibilité d’intervention. Le mérite des situationnistes fut simplement de reconnaître et de désigner les nouveaux points d’application de la révolte dans la société moderne (qui n’excluent aucunement mais, au contraire, ramènent tous les anciens) : urbanisme, spectacle, idéologie, etc. Parce que cette tâche fut accomplie radicalement, elle fut en mesure de susciter parfois, en tout cas de renforcer grandement, certains cas de révolte pratique. Celle-ci ne resta pas sans écho : la critique <i>sans concessions</i> avait eu bien peu de porteurs dans les gauchismes de l’époque précédente. Si beaucoup de gens ont <i>fait</i> ce que nous avons <i>écrit</i>, c’est parce que nous avions écrit essentiellement le négatif qui avait été vécu, par tant d’autres avant nous, et aussi par nous-mêmes. Ce qui est ainsi venu au jour de la conscience dans ce printemps de 1968, n’était rien d’autre que ce qui dormait dans cette nuit de la « société spectaculaire », dont les <i>Sons et Lumières</i> ne montraient qu’un éternel décor positif. Et nous, nous avions « cohabité avec le négatif », selon le programme que nous formulions en 1962 (cf. <i>I.S.</i> 7, p. 10). Nous ne précisons pas nos « mérites » pour être applaudis ; mais pour éclairer autant que possible d’autres, qui vont agir de même.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Tous ceux qui se bouchaient les yeux sur cette « critique dans la mêlée » ne contemplaient, dans la force inébranlable de la domination moderne, que leur propre renoncement. Leur « réalisme » anti-utopique n’était pas davantage le réel qu’un commissariat de police ou la Sorbonne ne sont des bâtiments plus réels que ceux qu’en font des incendiaires ou des « Katangais ». Quand les fantômes souterrains de la révolution totale se levèrent et étendirent leur puissance sur tout le pays, ce furent toutes les puissances du vieux monde qui parurent des illusions fantomatiques qui se dissipaient au grand jour. Tout simplement, après trente années de misère qui, dans l’histoire des révolutions, n’ont pas plus compté qu’un mois, est venu ce mois de mai qui résume en lui trente années.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Faire de nos désirs la réalité est un travail historique précis, exactement contraire à celui de la prostitution intellectuelle qui greffe, sur n’importe quelle réalité existante, ses illusions de permanence. Ce Lefebvre, par exemple, déjà cité dans le précédent numéro de cette revue (octobre 1967), parce qu’il s’aventurait dans son livre <i>Positions contre les technocrates</i> (éditions Gonthier), à une conclusion catégorique dont la prétention scientifique a révélé, elle aussi, sa valeur en guère plus de six mois : « Les situationnnistes… ne proposent pas une utopie concrète, mais une utopie abstraite. Se figurent-ils vraiment qu’un beau matin ou un soir décisif, les gens vont se regarder en se disant : “Assez ! Assez de labeur et d’ennui ! Finissons-en !” et qu’ils entreront dans la Fête immortelle, dans la création des situations ? Si c’est arrivé une fois, le 18 mars 1871 à l’aube, cette conjoncture ne se reproduira plus. » Ainsi Lefebvre se voyait attribuer quelque influence intellectuelle là où il copiait subrepticement certaines thèses radicales de l’I.S. (voir dans ce numéro la réédition de notre tract de 1963 : <i>Aux poubelles de l’histoire</i>), mais il réservait au passé la vérité de cette critique qui, pourtant, venait du <i>présent</i> plus que de la réflexion historicienne de Lefebvre. Il mettait en garde contre l’illusion qu’une lutte présente pût retrouver ces résultats. N’allez pas croire que Henri Lefebvre soit le seul ci-devant penseur que l’événement a définitivement ridiculisé : ceux qui se gardaient d’expressions aussi comiques que les siennes n’en pensaient pas moins. Sous le coup de leur émotion en mai, tous les <i>chercheurs du néant historique</i> ont admis que personne n’avait en rien prévu ce qui était arrivé. Il faut cependant faire une place à part pour toutes les sectes de « bolcheviks ressuscités », dont il est juste de dire que, pendant les trente dernières années, elles n’avaient pas cessé un instant de signaler l’imminence de la révolution <i>de 1917</i>. Mais ceux-là aussi se sont bien trompés : ce n’était vraiment pas 1917, et ils n’étaient même pas tout à fait Lénine. Quant aux débris du vieil ultra-gauchisme non-trotskiste, il leur fallait au moins une crise économique majeure. Ils subordonnaient tout moment révolutionnaire à son retour, et ne voyaient rien venir. Maintenant qu’ils ont reconnu une crise révolutionnaire en mai, il leur faut prouver qu’il y avait donc là, au printemps de 1968, cette crise économique <i>invisible</i>. Ils s’y emploient sans crainte du ridicule, en produisant des schémas sur la montée du chômage et des prix. Ainsi, pour eux, la crise économique n’est plus cette réalité objective, terriblement voyante, qui fut tant vécue et décrite jusqu’en 1929, mais une sorte de présence eucharistique qui soutient leur religion.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">De même qu’il faudrait rééditer toute la collection d’<i>I.S.</i> pour montrer combien tous ces gens ont pu se tromper <i>avant</i>, de même il faudrait écrire un fort volume pour faire le tour des stupidités et des demi-aveux qu’ils ont produits depuis mai. Bornons-nous à citer le pittoresque journaliste Gaussen, qui croyait pouvoir rassurer les lecteurs du <i>Monde</i>, le 9 décembre 1966, en écrivant des quelques fous situationnistes, auteurs du scandale de Strasbourg, qu’ils avaient « une confiance messianique dans la capacité révolutionnaire des masses et dans son aptitude à la liberté ». Aujourd’hui, certes, l’aptitude à la liberté de Frédéric Gaussen n’a pas progressé d’un millimètre, mais le voilà, dans le même journal en date du 29 janvier 1969, s’affolant de trouver partout « le sentiment que le souffle révolutionnaire est universel ». « Lycéens de Rome, étudiants de Berlin, “enragés” de Madrid, “orphelins” de Lénine à Prague, contestataires à Belgrade, tous s’attaquent à un même monde, le Vieux Monde… » Et Gaussen, utilisant presque les mêmes mots, attribue maintenant à toutes ces foules révolutionnaires la même « croyance quasi-mystique en la spontanéité créatrice des masses ».</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Nous ne voulons pas nous étendre triomphalement sur la déconfiture de tous nos adversaires intellectuels, non que ce « triomphe », qui est en fait simplement celui du mouvement révolutionnaire moderne, n’ait pas une importante signification ; mais à cause de la monotonie du sujet, et de l’éclatante évidence du jugement qu’a prononcé, sur toute la période qui a fini en mai, la réapparition de la lutte des classes directe, reconnaissant des buts révolutionnaires <i>actuels</i>, la réapparition de l’histoire (avant, c’était la subversion de la société existante qui paraissait invraisemblable ; maintenant, c’est son maintien). Au lieu de souligner ce qui est déjà vérifié, il est plus important désormais de poser les nouveaux problèmes ; de <i>critiquer le mouvement de mai</i> et d’inaugurer la pratique de la nouvelle époque.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Dans tous les autres pays, la récente recherche, d’ailleurs restée jusqu’ici confuse, d’une critique radicale du capitalisme moderne (privé ou bureaucratique) n’était pas encore sortie de la base étroite qu’elle avait acquise dans un secteur du milieu étudiant. Tout au contraire, et quoiqu’affectent d’en croire le gouvernement et les journaux aussi bien que les idéologues de la sociologie moderniste, <i>le mouvement de mai ne fut pas un mouvement d’étudiants</i>. Ce fut un mouvement révolutionnaire prolétarien, resurgissant d’un demi-siècle d’écrasement et, normalement, <i>dépossédé</i> de tout : son paradoxe malheureux fut de ne pouvoir prendre la parole et prendre figure concrètement que sur le <i>terrain</i> éminemment défavorable d’une révolte d’étudiants : les rues tenues par les émeutiers autour du Quartier Latin et les bâtiments occupés dans cette zone, qui avaient généralement dépendu de l’Éducation Nationale. Au lieu de s’attarder sur la parodie historique, effectivement risible, des étudiants léninistes, ou staliniens chinois, qui se déguisaient en prolétaires, et du coup en avant-garde dirigeante du prolétariat, il faut voir que c’est au contraire la fraction la plus avancée des travailleurs, inorganisés, et séparés par toutes les formes de répression, qui s’est vue <i>déguisée en étudiants</i>, dans l’imagerie rassurante des syndicats et de l’information spectaculaire. Le mouvement de mai ne fut pas une quelconque théorie politique qui cherchait ses exécutants ouvriers : ce fut le prolétariat agissant qui cherchait sa conscience théorique.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Que le <i>sabotage</i> de l’Université, par quelques groupes de jeunes révolutionnaires qui étaient en fait notoirement des <i>anti-étudiants</i>, à Nantes et à Nanterre (en ce qui concerne les « Enragés », et non certes la majorité du « 22 mars » qui prit tardivement la relève de leur activité), ait donné <i>l’occasion</i> de développer des formes de lutte directe que le mécontentement des ouvriers, principalement les jeunes, avait déjà choisies dans les premiers mois de 1968, par exemple à Caen et à Redon, voilà une circonstance qui n’est aucunement fondamentale, et qui ne pouvait en rien nuire au mouvement. Ce qui fut nuisible, c’est que la grève lancée en tant que <i>grève sauvage</i>, contre toutes les volontés et les manœuvres des syndicats, ait pu être ensuite contrôlée par les syndicats. Ils acceptèrent la grève qu’ils n’avaient pu empêcher, ce qui a toujours été la conduite d’un syndicat devant une grève sauvage ; mais cette fois ils durent l’accepter à l’échelle nationale. Et en acceptant cette grève générale « non-officielle », ils restèrent acceptés par elle. Ils restèrent en possession des portes des usines, et <i>isolèrent du mouvement réel</i> à la fois l’immense majorité des ouvriers en bloc, et chaque entreprise relativement à toutes les autres. De sorte que l’action la plus unitaire et la plus <i>radicale</i> dans sa critique qu’on ait jamais vue fut en même temps une somme d’isolements, et un festival de platitudes dans les revendications officiellement soutenues. De même qu’ils avaient dû laisser la grève générale s’affirmer <i>par fragments</i>, qui aboutirent à une quasi-unanimité, les syndicats s’employèrent à liquider la grève par fragments, en faisant accepter dans chaque branche, par le terrorisme du truquage et des liaisons monopolisées, les miettes qui avaient été encore rejetées <i>par tous</i> le 27 mai. La grève révolutionnaire fut ainsi ramenée à un équilibre de <i>guerre froide</i> entre les bureaucraties syndicales et les travailleurs. Les syndicats <i>reconnurent</i> la grève à condition que la grève reconnût tacitement, par sa passivité dans la pratique, <i>qu’elle ne servirait à rien</i>. Les syndicats n’ont pas « manqué une occasion » d’être révolutionnaires parce que, des staliniens aux réformistes embourgeoisés, ils ne le sont absolument pas. Et ils n’ont pas manqué une occasion d’être <i>réformistes avec de grands résultats</i>, parce que la situation était trop dangereusement révolutionnaire pour qu’ils prennent le risque de jouer avec ; pour qu’ils s’attachent même à en tirer parti. Ils voulaient, très manifestement, que cela finisse d’urgence, à n’importe quel prix. Ici, l’hypocrisie stalinienne, rejointe d’admirable façon par les sociologues semi-gauchistes (cf. Coudray, dans <i>La Brèche</i>, Éditions du Seuil, 1968) feint, seulement à l’usage de moments si exceptionnels, un extraordinaire respect de la compétence des ouvriers, de leur « décision » expérimentée que l’on suppose, avec le plus fantastique cynisme, clairement débattue, adoptée en connaissance de cause, reconnaissable d’une façon absolument univoque : les ouvriers, pour une fois, sauraient bien ce qu’ils veulent, parce « qu’ils ne voulaient pas la révolution » ! Mais les obstacles et les baillons que les bureaucrates ont accumulés, en suant l’angoisse et le mensonge, devant cette <i>non-volonté</i> supposée des ouvriers, constituent la meilleure preuve de leur volonté réelle, désarmée et redoutable. C’est seulement en oubliant la totalité historique du mouvement de la société moderne que l’on peut se gargariser de ce positivisme circulaire, qui croit retrouver partout comme rationnel l’ordre existant, parce qu’il élève sa « science » jusqu’à considérer cet ordre successivement du côté de la demande et du côté de la réponse. Ainsi, le même Coudray note que « si l’on a ces syndicats, on ne peut avoir que 5 % et si c’est 5 % que l’on veut, ces syndicats y suffisent ». En laissant de côté la question de leurs intentions en relation avec leur vie réelle et ses intérêts, ce qui pour le moins manque à tous ces messieurs, c’est la dialectique.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Les ouvriers, qui avaient naturellement — comme toujours et comme partout — d’excellents motifs de mécontentement, ont commencé la grève sauvage parce qu’ils ont senti <i>la situation révolutionnaire</i> créée par les nouvelles formes de sabotage dans l’Université, et les erreurs successives du gouvernement dans ses réactions. Ils étaient évidemment aussi indifférents que nous aux formes ou réformes de l’institution universitaire ; mais certainement pas à la critique de la culture, du paysage et de la vie quotidienne du capitalisme avancé, critique qui s’étendit si vite à partir de la première déchirure de ce voile universitaire.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Les ouvriers, en faisant la grève sauvage, ont <i>démenti les menteurs</i> qui parlaient en leur nom. Dans la masse des entreprises, ils n’ont pas su aller jusqu’à prendre véridiquement la parole pour leur compte, et <i>dire ce qu’ils voulaient</i>. Mais pour dire ce qu’ils veulent, il faut déjà que les travailleurs créent, par leur action autonome, les conditions concrètes, <i>partout inexistantes</i>, qui leur permettent de parler et d’agir. Le manque, presque partout, de ce dialogue, de cette liaison, aussi bien que de la connaissance théorique des buts autonomes de la lutte de classe prolétarienne (ces deux catégories de facteurs ne pouvant se développer qu’ensemble), a empêché les travailleurs <i>d’exproprier les expropriateurs de leur vie réelle</i>. Ainsi, le noyau avancé des travailleurs, autour duquel prendra forme la prochaine organisation révolutionnaire prolétarienne, vint au Quartier Latin en <i>parent pauvre</i> du « réformisme étudiant », lui-même produit largement artificiel de la pseudo-information ; ou de l’illusionnisme groupusculaire. C’étaient de jeunes ouvriers ; des employés ; des travailleurs de bureaux occupés ; des blousons noirs et chômeurs ; des lycéens révoltés, qui étaient souvent ces fils d’ouvriers que le capitalisme moderne recrute pour cette instruction au rabais destinée à préparer le fonctionnement de l’industrie développée (« <i>Staliniens, vos fils sont avec nous !</i> ») ; des « intellectuels perdus » et des « Katangais ».</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Qu’une proportion non négligeable des étudiants français, et surtout parisiens, ait participé au mouvement, voilà un fait évident, mais qui ne peut servir à le caractériser fondamentalement, ni même être accepté comme un de ses points principaux. Sur 150 000 <i>étudiants</i> parisiens, 10 à 20 000 tout au plus furent présents dans les heures les moins dures des manifestations, et quelques milliers seulement dans les violents affrontements de rue. L’unique moment de la crise qui a dépendu des seuls étudiants — ce fut du reste un des moments décisifs de son extension — a été l’émeute spontanée du Quartier Latin, le 3 mai, après l’arrestation des responsables gauchistes dans la Sorbonne. Au lendemain de l’occupation de la Sorbonne, près de la moitié des participants de ses assemblées générales, alors qu’elles avaient visiblement pris une fonction insurrectionnelle, étaient encore des étudiants inquiets des modalités de leurs examens, et souhaitant quelque réforme de l’Université qui leur fût favorable. Sans doute un nombre un peu supérieur des participants <i>étudiants</i> admettait que la question du pouvoir était posée ; mais ceux-ci l’admettaient le plus souvent en tant que naïve clientèle des petits partis gauchistes ; en spectateurs des vieux schémas léninistes, ou même de l’exotisme extrême-oriental du stalinisme maoïste. Ces groupuscules, en effet, avaient leur base quasi-exclusive dans le milieu étudiant ; et la <i>misère</i> qui s’était conservée là était clairement lisible dans la quasi-totalité des tracts émanant de ce milieu : néant des Kravetz, bêtise des Péninou. Les meilleures interventions des ouvriers accourus, dans les premières journées de la Sorbonne, furent souvent accueillies par la pédante et hautaine sottise de ces étudiants qui se rêvaient docteurs ès-révolutions, quoique les mêmes fussent prêts à saliver et applaudir au stimulus du plus maladroit manipulateur avançant quelque ineptie tout en citant « la classe ouvrière ». Cependant le fait même que les groupements recrutent une certaine quantité d’étudiants est déjà un signe du malaise dans la société actuelle : les groupuscules sont l’expression théâtrale d’une révolte réelle et vague, qui cherche ses raisons au rabais. Enfin, le fait qu’une petite fraction des étudiants a vraiment adhéré à toutes les exigences radicales de mai témoigne encore de la profondeur de ce mouvement ; et reste à leur honneur.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Bien que plusieurs milliers d’étudiants aient pu, en tant qu’individus, à travers leur expérience de 1968, se détacher plus ou moins complètement de la place qui leur est assignée dans la société, la masse des étudiants n’en a pas été transformée. Ceci, non en vertu de la platitude pseudo-marxiste qui considère comme déterminante l’<i>origine</i> sociale des étudiants, très majoritairement bourgeoise ou petite-bourgeoise, mais bien plutôt à cause du destin social qui définit l’étudiant : le <i>devenir</i> de l’étudiant est la vérité de son être. Et il est massivement fabriqué et conditionné pour le haut, le moyen ou le petit encadrement de la production industrielle moderne. L’étudiant est du reste malhonnête quand il se scandalise de « découvrir » cette logique de sa formation — qui a toujours été franchement déclarée. Que les incertitudes économiques de son emploi optimum, et surtout la mise en question du caractère véritablement désirable des « privilèges » que la société présente peut lui offrir, aient eu un rôle dans son désarroi et sa révolte, c’est certain. Mais c’est justement en ceci que l’étudiant fournit le bétail avide de trouver sa marque de qualité dans l’idéologie de l’un ou l’autre des groupuscules bureaucratiques. L’étudiant qui se rêve bolchevik ou stalinien-conquérant (c’est-à-dire : le maoïste) joue sur les deux tableaux : il escompte bien gérer quelque fragment de la société en tant que cadre du capitalisme, par le simple résultat de ses études, si le changement du pouvoir ne vient pas répondre à ses vœux. Et dans le cas où son rêve se réaliserait, il se voit la gérant plus glorieusement, avec un plus beau grade, en tant que cadre politique « scientifiquement » garanti. Les rêves de domination des groupuscules se traduisent souvent avec maladresse dans l’expression de mépris que leurs fanatiques croient pouvoir se permettre, vis-à-vis de quelques aspects des revendications ouvrières, qu’ils ont souvent qualifiées de simplement « alimentaires ». On voit déjà poindre là, dans l’impuissance qui ferait mieux de se taire, le dédain que ces gauchistes seraient heureux de pouvoir opposer au mécontentement futur de ces mêmes travailleurs le jour où eux, spécialistes auto-patentés des intérêts généraux du prolétariat, pourraient tenir « dans leurs mains fragiles » ainsi opportunément renforcées, le pouvoir étatique et la police, comme à Cronstadt, comme à Pékin. Une fois mise à part cette perspective de ceux qui sont les porteurs de germes de bureaucraties souveraines, on ne peut rien reconnaître de sérieux aux oppositions sociologico-journalistiques entre les étudiants rebelles, qui seraient censés refuser « la société de consommation », et les ouvriers, qui seraient encore avides d’y accéder. La consommation en question n’est que celle des marchandises. C’est une consommation hiérarchique, et qui croît pour tous, mais en se hiérarchisant davantage. La baisse et la falsification de la valeur d’usage sont présentes pour tous, quoique inégalement, dans la marchandise moderne. Tout le monde vit cette consommation des marchandises spectaculaires <i>et</i> réelles dans une pauvreté fondamentale, « parce qu’elle n’est pas elle-même au-delà de la privation, mais qu’elle est la privation devenue plus riche » (<i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/spectacle.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">La Société du Spectacle</a></i>). Les ouvriers aussi passent leur vie à consommer le spectacle, la passivité, le mensonge idéologique et marchand. Mais en outre ils ont moins d’illusions que personne sur les conditions concrètes que leur impose, sur ce que leur coûte, dans tous les moments de leur vie, la <i>production</i> de tout ceci.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Pour cet ensemble de raisons, les étudiants, comme couche sociale elle aussi en crise, n’ont rien été d’autre, en mai 1968, que <i>l’arrière-garde</i> de tout le mouvement.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">La déficience presque générale de la fraction des étudiants qui affirmait des intentions révolutionnaires a été certainement, par rapport au temps libre que ceux-ci <i>auraient pu</i> consacrer à l’élucidation des problèmes de la révolution, lamentable, mais très secondaire. La déficience de la grande masse des travailleurs, tenue en laisse et bâillonnée, a été, au contraire, bien excusable, mais décisive. La définition et l’analyse des situationnistes quant aux <i>moments principaux</i> de la crise ont été exposés dans le livre de René Viénet, <i>Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations</i> (Gallimard, 1968). Il nous suffira ici de résumer les points retenus par ce livre, rédigé à Bruxelles dans les trois dernières semaines de juillet, avec les documents déjà disponibles, mais dont aucune conclusion ne nous semble devoir être modifiée. De janvier à mars, le groupe des Enragés de Nanterre (relayé tardivement en avril par le « mouvement du 22 mars ») entreprit avec succès le sabotage des cours et des locaux. La répression, trop tardive et fort maladroite, par le Conseil de l’Université, assortie de deux fermetures successives de la Faculté de Nanterre, entraîna l’émeute spontanée des étudiants, le 3 mai au Quartier Latin. L’Université fut paralysée par la police et par la grève. Une semaine de lutte dans la rue donna l’occasion aux jeunes ouvriers de passer à l’émeute ; aux staliniens de se discréditer chaque jour par d’incroyables calomnies ; aux dirigeants gauchistes du S.N.E. Sup. et des groupuscules, d’étaler leur manque d imagination et de rigueur ; au gouvernement, d’user toujours à contre-temps de la force et des concessions malheureuses. Dans la nuit du 10 au 11 mai, le soulèvement qui s’empara du quartier environnant la rue Gay-Lussac et put le tenir plus de huit heures, en résistant sur soixante barricades, réveilla tout le pays, et amena le gouvernement à une capitulation majeure : il retira du Quartier Latin les forces du maintien de l’ordre, et rouvrit la Sorbonne qu’il ne pouvait plus faire fonctionner. La période du 13 au 17 mai fut celle de l’ascension irrésistible du mouvement, devenu une crise révolutionnaire générale, le 16 étant sans doute la journée décisive dans laquelle les usines commencèrent à se déclarer pour la grève sauvage. Le 13, la simple journée de grève générale décrétée par les grandes organisations bureaucratiques pour achever vite et bien le mouvement, en en tirant si possible quelque avantage, ne fut en réalité qu’un début : les ouvriers et les étudiants de Nantes attaquèrent la préfecture, et ceux qui rentrèrent dans la Sorbonne comme occupants l’ouvrirent aux travailleurs. La Sorbonne devint à l’instant un « club populaire » en regard duquel le langage et les revendications des clubs de 1848 paraissent timides. Le 14, les ouvriers nantais de Sud-Aviation occupèrent leur usine, tout en séquestrant les managers. Leur exemple fut suivi le 15 par deux ou trois entreprises, et par davantage à partir du 16, jour où la base imposa la grève chez Renault à Billancourt. La quasi-totalité des entreprises allaient suivre ; et la quasi-totalité des institutions, des idées et des habitudes allaient être contestées dans les jours suivants. Le gouvernement et les staliniens s’employèrent fébrilement à arrêter la crise par la dissolution de sa force principale : ils s’accordèrent sur des concessions de salaire susceptibles de faire reprendre tout de suite le travail. Le 27, la base rejeta partout « les accords de Grenelle ». Le régime, qu’un mois de dévouement stalinien n’avait pu sauver, se vit perdu. Les staliniens eux-mêmes envisagèrent, le 29, l’effondrement du gaullisme, et s’apprêtèrent à contre-cœur à ramasser, avec le reste de la gauche, son dangereux héritage : la révolution sociale à désarmer ou à écraser. Si, devant la panique de la bourgeoisie et l’usure rapide du frein stalinien, de Gaulle s’était retiré, le nouveau pouvoir n’eût été que l’alliance précédente affaiblie, mais <i>officialisée</i> : les staliniens auraient défendu un gouvernement, par exemple Mendès-Waldeck, avec des milices bourgeoises, des activistes du parti et des fragments de l’armée. Ils auraient essayé de faire non du Kerensky, mais du Noske. De Gaulle, plus ferme que les cadres de son administration, soulagea les staliniens en annonçant, le 30, qu’il essaierait de se maintenir par tous les moyens : c’est-à-dire en engageant l’armée pour ouvrir la guerre civile, pour tenir ou reconquérir Paris. « Les staliniens, enchantés, se gardèrent bien d’appeler à maintenir la grève jusqu’à la chute du régime. Ils s’empressèrent de se rallier aux élections gaullistes, quel qu’en dût être pour eux le prix. Dans de telles conditions, l’alternative était immédiatement entre l’affirmation autonome du prolétariat ou la défaite complète du mouvement ; entre la révolution des Conseils et les accords de Grenelle. Le mouvement révolutionnaire ne pouvait en finir avec le P.C.F. sans avoir d’abord chassé de Gaulle. La forme du pouvoir des travailleurs qui aurait pu se développer dans la phase après-gaulliste de la crise, se trouvant bloquée à la fois par le vieil État réaffirmé et le P.C.F., n’eut plus aucune chance de prendre de vitesse sa défaite en marche. » (Viénet, <i>op. cit.</i>). Le reflux commença, quoique les travailleurs aient poursuivi obstinément, pendant une ou plusieurs semaines, la grève que tous leurs syndicats les pressaient d’arrêter. Naturellement, la bourgeoisie n’avait pas disparu en France ; elle était seulement muette de terreur. Au 30 mai, elle resurgit, avec la petite bourgeoisie conformiste, pour appuyer l’État. Mais cet État, déjà si bien défendu par la gauche bureaucratique, aussi longtemps que les travailleurs n’avaient pas éliminé la base du pouvoir de ces bureaucrates en imposant la forme de leur propre pouvoir autonome, ne pouvait tomber que s’il le voulait bien. Les travailleurs lui laissèrent cette liberté, et en subirent les conséquences normales. Ils n’avaient pas, en majorité, reconnu le sens total de leur propre mouvement ; et personne ne pouvait le faire à leur place.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Si, dans une seule grande usine, entre le 16 et le 30 mai, une assemblée générale s’était constituée en <i>Conseil</i> détenant tous les pouvoirs de décision et d’exécution, chassant les bureaucrates, organisant son auto-défense et appelant les grévistes de toutes les entreprises à se mettre en liaison avec elle, ce dernier pas qualitatif franchi eût pu porter le mouvement tout de suite à la <i>lutte finale</i> dont il a tracé historiquement toutes les directives. Un très grand nombre d’entreprises aurait suivi la voie ainsi découverte. Immédiatement, cette usine eût pu se substituer à l’incertaine et, à tous égards, excentrique Sorbonne des premiers jours, pour devenir le centre réel du mouvement des occupations : de véritables <i>délégués</i> des nombreux conseils existant déjà virtuellement dans certains bâtiments occupés, et de tous ceux qui auraient pu s’imposer dans toutes les branches de l’industrie, se seraient ralliés autour de cette base. Une telle assemblée eût pu alors proclamer l’expropriation de tout le capital, <i>y compris étatique</i> ; annoncer que tous les moyens de production du pays étaient désormais la propriété collective du prolétariat organisé en démocratie directe ; et en appeler directement — par exemple, en saisissant enfin quelques-uns des moyens techniques des télécommunications — aux travailleurs du monde entier pour soutenir cette révolution. Certains diront qu’une telle hypothèse est utopique. Nous répondrons : c’est justement parce que le mouvement des occupations a été objectivement, à plusieurs instants, <i>à une heure</i> d’un tel résultat, qu’il a répandu une telle épouvante, lisible par tous sur le moment dans l’impuissance de l’État et l’affolement du parti dit communiste, et depuis dans la conspiration du silence qui est faite sur sa gravité. Au point que des millions de témoins, repris par « l’organisation sociale de l’apparence » qui leur présente cette époque comme une folie passagère de la jeunesse — peut-être même uniquement universitaire — doivent se demander à quel point n’est pas elle-même folle une société qui a pu ainsi <i>laisser passer</i> une si stupéfiante aberration.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Naturellement, dans cette perspective, la guerre civile était inévitable. Si l’affrontement armé n’avait plus dépendu de ce que le gouvernement craignait ou feignait de craindre quant aux mauvaises intentions éventuelles du parti dit communiste mais, tout objectivement, de la consolidation d’un pouvoir prolétarien direct dans une base industrielle (pouvoir évidemment total, et non quelque « pouvoir ouvrier » limité à on ne sait quel pseudo-contrôle de la production de sa propre aliénation), la contre-révolution armée eût été déclenchée sûrement aussitôt. Mais elle n’était pas sûre de gagner. Une partie des troupes se serait évidemment mutinée ; les ouvriers auraient su trouver des armes, et n’auraient certainement plus construit de barricades — bonnes sans doute comme forme d’expression <i>politique</i> au début du mouvement, mais évidemment dérisoires <i>stratégiquement</i> (et tous les Malraux qui disent <i>a posteriori</i> que les tanks eussent emporté la rue Gay-Lussac bien plus vite que la gendarmerie mobile ont certes raison sur ce point, mais pouvaient-ils alors couvrir <i>politiquement</i> les dépenses d’une telle victoire ? Ils ne s’y sont pas risqués, en tout cas, ils ont préféré faire les morts ; et ce n’est certainement pas par humanisme qu’ils ont digéré cette humiliation). L’invasion étrangère eût suivi fatalement, quoi qu’en pensent certains idéologues (on peut avoir lu Hegel et Clausewitz, et n’être que Glucksmann), sans doute à partir des forces de l’O.T.A.N., mais avec l’appui indirect ou direct du « Pacte de Varsovie ». Mais alors, tout aurait été sur-le-champ rejoué à quitte ou double devant le prolétariat d’Europe.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Depuis la défaite du mouvement des occupations, ceux qui y ont participé aussi bien que ceux qui ont dû le subir, ont souvent posé la question : « Était-ce une révolution ? ». L’emploi répandu, dans la presse et la vie quotidienne, d’un terme lâchement neutre — « les événements » —, signale précisément le recul devant une réponse ; devant même la formulation de la question. Il faut placer une telle question dans sa vraie lumière historique. La « réussite » ou l’« échec » d’une révolution, référence triviale des journalistes et des gouvernements, ne signifient rien dans l’affaire, pour la simple raison que, depuis les révolutions bourgeoises, <i>aucune révolution n’a encore réussi</i> : aucune n’a aboli les classes. La révolution prolétarienne n’a vaincu nulle part jusqu’ici, mais le processus pratique à travers lequel son projet se manifeste a déjà créé une dizaine, au moins, de moments révolutionnaires d’une extrême importance historique, auxquels il est convenu d’accorder le nom de révolutions. Jamais le <i>contenu total</i> de la révolution prolétarienne ne s’y est déployé ; mais chaque fois il s’agit d’une interruption essentielle de l’ordre socio-économique dominant, et de l’apparition de nouvelles formes et de nouvelles conceptions de la vie réelle, phénomènes variés qui ne peuvent être compris et jugés que dans leur signification d’ensemble, qui n’est pas elle-même séparable de l’avenir historique qu’elle peut avoir. De tous les critères partiels utilisés pour accorder ou non le titre de révolution à telle période de trouble dans le pouvoir étatique, le plus mauvais est assurément celui qui considère si le régime politique alors en place est tombé ou a surnagé. Ce critère, abondamment invoqué après mai par les penseurs du gaullisme, est le même qui permet à l’information au jour le jour de qualifier de révolution n’importe quel <i>putsch</i> militaire qui aura changé dans l’année le régime du Brésil, du Ghana, de l’Irak, et on en passe. Mais la révolution de 1905 n’a pas abattu le pouvoir tsariste, qui a seulement fait quelques concessions provisoires. La révolution espagnole de 1936 ne supprima pas formellement le pouvoir politique existant : elle surgissait au demeurant d’un soulèvement prolétarien commencé pour maintenir cette République contre Franco. Et la révolution hongroise de 1956 n’a pas aboli le gouvernement bureaucratique-libéral de Nagy. À considérer en outre d’autres limitations regrettables, le mouvement hongrois eut beaucoup d’aspects d’un soulèvement national contre une domination étrangère ; et ce caractère de résistance nationale, quoique moins important dans la Commune, avait cependant un rôle dans ses origines. Celle-ci ne supplanta le pouvoir de Thiers que dans les limites de Paris. Et le soviet de Saint-Pétersbourg en 1905 n’en vint même jamais à prendre le contrôle de la capitale. Toutes les crises citées ici comme exemples, inachevées dans leurs réalisations pratiques et même dans leurs contenus, apportèrent cependant assez de nouveautés radicales, et mirent assez gravement en échec les sociétés qu’elles affectaient, pour être légitimement qualifiées de révolution. Quant à vouloir juger des révolutions par l’ampleur de la tuerie qu’elles entraînent, cette vision romantique ne mérite pas d’être discutée. D’incontestables révolutions se sont affirmées par des heurts fort peu sanglants, même la Commune de Paris, qui allait finir en massacre ; et quantité d’affrontements civils ont accumulé les morts par milliers sans être en rien des révolutions. Généralement, ce ne sont pas les révolutions qui sont sanglantes, mais la réaction et la répression qu’on y oppose dans un deuxième temps. On sait que la question du nombre des morts dans le mouvement de mai a donné lieu à une polémique sur laquelle les tenants de l’ordre, provisoirement rassurés, ne cessent de revenir. La vérité officielle est qu’il n’y eut que cinq morts, tués sur le coup, dont un seul policier. Tous ceux qui l’affirment ajoutent eux-mêmes que c’est un bonheur invraisemblable. Ce qui ajoute beaucoup à l’invraisemblance scientifique, c’est que l’on n’a jamais admis qu’un seul des très nombreux blessés graves ait pu mourir dans les jours suivants : cette chance singulière n’est pourtant pas due à des secours chirurgicaux rapides, surtout lors de la nuit de Gay-Lussac. Par ailleurs, si un facile truquage pour sous-estimer le nombre des morts était fort utile <i>sur le moment</i> pour le gouvernement aux abois, il est resté fort utile <i>après</i>, pour des raisons différentes. Mais enfin, dans l’ensemble, les preuves rétrospectives du caractère révolutionnaire du mouvement des occupations sont aussi éclatantes que celles qu’il a jetées à la face du monde <i>en existant</i> : la preuve qu’il avait ébauché une légitimité nouvelle, c’est que le régime rétabli en juin n’a jamais cru pouvoir poursuivre, pour atteindre à la même sûreté intérieure de l’État, les responsables d’actions manifestement illégales qui l’avaient partiellement dépouillé de son autorité, voire de ses bâtiments. Mais le plus évident, pour ceux qui connaissent l’histoire de notre siècle, est encore ceci : tout ce que les staliniens ont fait, sans répit, à tous les stades, pour combattre le mouvement, prouve que la révolution était là.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Tandis que les staliniens représentèrent, comme toujours, en quelque sorte l’idéal de la bureaucratie anti-ouvrière comme forme pure, les embryons bureaucratiques des gauchismes étaient en porte-à-faux. Tous ménageaient ostensiblement les bureaucraties effectives, tant par calcul que par idéologie (à l’exception du « 22 mars », qui se contentait de ménager ses propres noyauteurs, J.C.R., maoïstes, etc.). De sorte qu’il ne leur restait plus qu’à vouloir « pousser à gauche » — mais seulement en fonction de leurs propres calculs déficients — à la fois un mouvement spontané qui était bien plus extrémiste qu’eux, et des appareils qui ne pouvaient en aucun cas faire des concessions au gauchisme dans une situation si manifestement révolutionnaire. Aussi les illusions pseudo-stratégiques fleurirent-elles abondamment : certains gauchistes croient que l’occupation d’un quelconque ministère dans la nuit du 24 mai, aurait assuré la victoire du mouvement (mais d’autres gauchistes manœuvrèrent alors pour empêcher un « excès » qui n’entrait pas dans leur propre planification de la victoire). D’autres, en attendant le rêve plus modeste d’en conserver la gestion « responsable » et dératisée pour y tenir une « université d’été », crurent que les facultés deviendraient des bases de la guérilla urbaine (toutes tombèrent après la grève ouvrière sans s’être défendues, et déjà la Sorbonne, alors même qu’elle était le centre momentané du mouvement en expansion, toutes portes ouvertes et presque dépeuplée vers la fin de la nuit critique du 16 au 17 mai, eût pu être reprise en moins d’une heure par un raid de C.R.S.). Ne voulant pas voir que le mouvement allait déjà au-delà d’un changement politique dans l’État, et en quels termes était posé l’enjeu réel (une prise de conscience <i>cohérente</i>, totale, dans les entreprises), les groupuscules travaillèrent assurément contre cette perspective, en répandant à foison les illusions mangées aux mites et en donnant partout le mauvais exemple de cette conduite bureaucratique vomie par tous les travailleurs révolutionnaires ; enfin, en parodiant de la manière la plus malheureuse toutes les formes de révolutions du passé, le parlementarisme comme la guérilla dans le style zapatiste, sans que ce pauvre cinéma recoupât jamais la moindre réalité. Les idéologues attardés des petits partis gauchistes, adorateurs des erreurs d’un passé révolutionnaire disparu, étaient normalement fort désarmés pour comprendre un mouvement <i>moderne</i>. Et leur somme éclectique, enrichie d’incohérence moderniste cousue de bouts de ficelle, le « mouvement du 22 mars », combina presque toutes les tares idéologiques du passé avec les défauts du confusionnisme naïf. Les récupérateurs étaient installés à la direction de ceux-là mêmes qui manifestaient leur crainte de « la récupération », considérée d’ailleurs vaguement comme un péril d’une nature quelque peu mystique, faute de la moindre connaissance des vérités élémentaires sur la récupération et sur l’organisation ; sur ce qu’est un délégué et sur ce qu’est un « porte-parole » irresponsable, tenant de ce fait la direction, puisque le principal pouvoir effectif du « 22 mars » fut de parler aux journalistes. Leurs vedettes dérisoires venaient sous tous les <i>sunlights</i> pour déclarer à la presse qu’elles prenaient garde de ne pas devenir vedettes. </p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Les « Comités d’action », qui s’étaient formés spontanément un peu partout, se trouvèrent sur la frontière ambiguë entre la démocratie directe et l’incohérence noyautée et récupérée. Cette contradiction divisait intérieurement presque tous ces comités. Mais la division était encore plus claire entre les deux types principaux d’organisation que la même étiquette recouvrit. D’un côté, il y eut des comités formés sur une base <i>locale</i> (C.A. de quartiers ou d’entreprises, comités d’occupatiun de certains bâtiments tombés aux mains du mouvement révolutionnaire), ou bien constitués pour accomplir certaines tâches spécialisées dont la nécessité pratique était évidente, notamment l’extension internationaliste du mouvement (C.A. italien, maghrébin, etc.). De l’autre côté, on vit se multiplier des comités <i>professionnels</i>, tentative de restauration du vieux syndicalisme, mais le plus souvent à l’usage de semi-privilégiés, donc avec un caractère nettement corporatiste, comme tribune des spécialistes séparés qui voulaient, en tant que tels, se rallier au mouvement, y survivre, et même y pêcher quelque avantage en notoriété (« États Généraux du Cinéma », Union des Écrivains, C.A. de l’Institut d’Anglais, et la suite). L’opposition des méthodes était encore plus nette que l’opposition des buts. Là, les décisions étaient exécutoires ; ici, elles étaient des vœux abstraits. Là, elles préfiguraient le pouvoir révolutionnaire des Conseils ; ici, elles parodiaient les groupes de pression du pouvoir étatique.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Les bâtiments occupés, quand ils ne furent pas sous l’autorité des « loyaux gérants » syndicalistes, et dans la mesure où ils ne restèrent pas isolés comme possession pseudo-féodale de la seule assemblée de leurs habituels usagers universitaires (par exemple la Sorbonne des premiers jours, les bâtiments ouverts aux travailleurs et zonards par les « étudiants » de Nantes, l’I.N.S.A. où s’installèrent des ouvriers révolutionnaires de Lyon, l’Institut Pédagogique National), constituaient un des points les plus forts du mouvement. La logique propre de ces occupations pouvait conduire aux meilleurs développements : on doit noter, du reste, combien un mouvement qui resta paradoxalement timide devant la perspective de la <i>réquisition</i> des marchandises, ne s’inquiétait aucunement de s’être déjà approprié une part du capital immobilier de l’État.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Si la reprise de cet exemple dans les usines fut finalement empêchée, il faut dire aussi que le style créé par beaucoup de ces occupations laissait grandement à désirer. Presque partout les routines conservées empêchèrent de voir la portée de la situation, les instruments qu’elle offrait pour l’action en cours. Par exemple, le numéro 77 d’<i>Informations Correspondance Ouvrières</i> (janvier 1969) objecte au livre de Viénet — qui avait cité leur présence à Censier — que les travailleurs depuis longtemps en contact autour de ce bulletin « n’ont pas “siégé” : ni a la Sorbonne, ni à Censier, ni ailleurs ; tous étaient engagés dans la grève sur leur lieu de travail » et « dans les assemblées, dans la rue ». « Ils n’ont jamais pensé tenir, sous une forme ou sous une autre une “permanence” dans les facultés, encore moins se constituer en “liaison ouvrière” ou en “conseil”, fut-ce pour le “maintien des occupations” » ; ce qu’ils disent considérer comme « une participation à des organismes parallèles dont la finalité aurait été de se substituer au travailleur ». Plus loin, <i>I.C.O.</i> ajoute qu’ils avaient tout de même tenu là « deux réunions par semaine » de leur groupe parce que « les facultés et notamment Censier, plus calme, offraient des salles gratuites et disponibles ». Ainsi, les scrupules des travailleurs d’<i>I.C.O.</i> (que l’on veut bien supposer des travailleurs aussi efficaces que modestes là où ils s’engagent dans la grève, sur les lieux précis de leur travail et dans les rues avoisinantes) les ont menés à ne voir dans un des aspects les plus originaux de la crise que la possibilité de remplacer leur café habituel en empruntant des salles gratuites dans une faculté calme. Ils conviennent aussi, mais d’un air toujours aussi satisfait, que nombre de leurs camarades ont « rapidement cessé d’assister aux réunions d’<i>I.C.O.</i> parce qu’ils n’y trouvaient pas une réponse à leur désir de “faire quelque chose” ». Ainsi, « faire quelque chose » est devenu automatiquement, pour ces travailleurs, la honteuse tendance à se substituer « au travailleur », en quelque sorte à l’être du travailleur en soi qui n’existerait, par définition, que dans son usine, là où par exemple les staliniens l’obligeront à se taire, et où <i>I.C.O.</i> devrait normalement attendre que tous les travailleurs se soient purement libérés <i>sur place</i> (sinon, ne risque-t-on pas de se substituer à ce vrai travailleur encore muet ?). Un tel choix idéologique de la dispersion est un défi au besoin essentiel dont tant de travailleurs ont ressenti en mai l’urgence vitale : la coordination et la communication des luttes et des idées à partir de bases de rencontres libres, extérieurement à leurs usines soumises à la police syndicale. Pourtant <i>I.C.O.</i> n’a pas été, ni avant ni depuis mai, jusqu’au bout de son raisonnement métaphysique. Il existe, en tant que publication ronéotypée à travers laquelle quelques dizaines de travailleurs se résignent à « substituer » leurs analyses à celles que peuvent faire spontanément quelques centaines d’autres travailleurs qui ne l’ont pas rédigé. Le numéro 78, de février, nous apprend même qu’« en un an, le tirage d’<i>I.C.O.</i> est passé de 600 exemplaires à 1000 ». Mais ce <i>Conseil pour le maintien des occupations</i>, par exemple, qui semble choquer la vertu d’<i>I.C.O.</i>, rien qu’en occupant l’Institut Pédagogique National, et sans préjudice de ses autres activités ou publications du moment, a pu faire tirer gratuitement à 100 000 exemplaires, par une entente immédiatement obtenue avec les grévistes de l’imprimerie de l’I.P.N. à Montrouge, des textes dont le tirage fut répandu, dans sa très grande majorité, parmi d’autres travailleurs en grève ; et dont personne n’a jusqu’à présent essayé de montrer que le contenu pouvait viser le moins du monde à se substituer aux décisions de quelque travailleur que ce soit. Et la participation aux liaisons assurées par le C.M.D.O., à Paris et en province, n’a jamais été contradictoire avec la présence de grévistes sur leurs lieux de travail (ni, certes, dans les rues). De plus, quelques typographes grévistes du C.M.D.O. trouvaient fort bon de travailler n’importe où ailleurs sur les machines disponibles, plutôt que de rester passifs dans « leur » entreprise.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Si les puristes de l’inaction ouvrière ont certainement manqué là des occasions de prendre la parole, en réponse à toutes les fois où ils furent contraints à un silence qui est devenu chez eux une sorte de fière habitude, la présence d’une foule de noyauteurs néo-bolcheviks fut beaucoup plus nuisible. Mais le pire fut encore l’extrême <i>manque d’homogénéité</i> de l’assemblée qui, dans les premiers jours de l’occupation de la Sorbonne, se retrouva, sans l’avoir voulu ni même clairement compris, le centre exemplaire d’un mouvement qui entraîna les usines. Ce manque d’homogénéité sociale découlait d’abord du poids numérique écrasant des étudiants, malgré la bonne volonté de beaucoup d’entre eux, aggravé même par une assez forte proportion de visiteurs obéissant à des motivations simplement touristiques : c’est une telle base objective qui permit le déploiement des plus grossières manœuvres des Péninou ou des Krivine. L’ambiguïté des participants s’ajoutait à l’ambiguïté essentielle des actes d’une assemblée improvisée qui, par la force des choses, en était venue à <i>représenter</i> (à tous les sens du mot, et donc aussi au plus mauvais sens) la perspective conseilliste pour tout le pays. Cette assemblée prenait à la fois des décisions pour la Sorbonne — d’ailleurs mal, d’une manière mystifiée : elle ne put même jamais devenir maîtresse de son propre fonctionnement — et pour la société en crise : elle voulait et proclamait, en termes maladroits mais sincères, l’union avec les travailleurs, la négation du vieux monde. En disant ses fautes, n’oublions pas combien elle a été <i>écoutée</i>. Le même numéro 77 d’<i>I.C.O.</i> reproche aux situationnistes d’avoir cherché alors dans cette assemblée l’acte exemplaire à faire « entrer dans la légende » ; d’y avoir placé quelques têtes « sur le podium de l’histoire ». Nous croyons, nous, n’avoir mis personne en vedette sur une tribune historique, mais nous pensons aussi que l’affectation d’ironie supérieure de ces « belles âmes » ouvrières tombe fort mal. <i>C’était</i> une tribune historique.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">La révolution ayant été perdante, les mécanismes socio-techniques de la fausse conscience devaient naturellement se rétablir, intacts pour l’essentiel : le spectacle se heurte à sa négation pure, et nul réformisme ne peut ensuite venir majorer, ne serait-ce que de 7 %, les concessions qu’il accorde à la réalité. Voilà ce que suffirait à montrer aux moins avertis l’examen des <i>trois cents livres</i> environ qui ont paru, à ne considérer que l’édition en France même, dans l’année qui a suivi le mouvement des occupations. Ce n’est pas ce nombre de livres qui pourrait être raillé ou blâmé, comme ont cru devoir le déclarer certains obsédés du péril de la récupération ; qui pourtant ont d’autant moins de raisons d’être inquiets qu’il n’y a généralement pas grand chose chez eux qui puisse attirer la cupidité des récupérateurs. Le fait que tant de livres aient été publiés signifie principalement que l’importance historique du mouvement a été profondément ressentie, malgré les incompréhensions et les dénégations intéressées. Ce qui est criticable, beaucoup plus simplement, c’est que, sur trois cents livres, il n’y en ait guère que dix qui méritent d’être lus, qu’il s’agisse de récits et d’analyses échappant à des idéologies risibles, ou de recueils de documents non-truqués. La sous-information ou la falsification, qui dominent sur toute la ligne, ont trouvé une application privilégiée dans la manière dont on a, presque toujours, rendu compte de l’activité des situationnistes. Sans parler même des livres qui se bornent à garder le silence sur ce point, ou à quelques imputations absurdes, trois styles de contre-vérité ont été choisis par autant de séries de ces ouvrages. Le premier modèle consiste à limiter l’action de l’I.S. à Strasbourg, dix-huit mois auparavant, comme premier déclenchement lointain d’une crise dont elle aurait ensuite disparu (c’est également la position du livre des Cohn-Bendit, qui a même réussi à ne pas dire un mot sur l’existence du groupe des « Enragés » à Nanterre). Le deuxième modèle, mensonge cette fois positif et non plus par omission, affirme contre toute évidence que les situationnistes auraient accepté d’avoir un contact quelconque avec le « mouvement du 22 mars » ; et beaucoup vont jusqu’à nous y fondre complètement. Enfin, le troisième modèle nous présente comme un groupe autonome d’irresponsables et de furieux, surgissant par surprise, voire à main armée, à la Sorbonne ou ailleurs, pour semer un monstrueux désordre ; et proférant les plus extravagantes exigences.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Pourtant, il est difficile de nier une certaine continuité dans l’action des situationnistes en 1967-1968. Il semble même que cette continuité ait été précisément ressentie comme un désagrément par ceux qui prétendent, à grands coups d’<i>interviews</i> ou de recrutements, se faire attribuer un rôle de <i>leader</i> du mouvement, rôle que l’I.S., pour sa part, a toujours repoussé : leur stupide ambition porte certains de ces gens à cacher ce que, justement, ils connaissent un peu mieux que d’autres. La théorie situationniste s’était trouvée pour beaucoup dans l’origine de cette critique généralisée qui produisit les premiers incidents de la crise de mai, et qui se déploya avec elle. Ceci n’était pas seulement le fait de notre intervention contre l’Université de Strasbourg. Les livres de Vaneigem et Debord, par exemple, dans les quelques mois précédant mai, avaient été répandus déjà à 2 ou 3 000 exemplaires chaque, surtout à Paris, et une proportion inhabituelle en avait été lue par des travailleurs révolutionnaires (d’après certains indices, il paraît que ces deux livres ont été, du moins relativement à leur tirage, <i>les plus volés</i> en librairie de l’année 1968). À travers le groupe des Enragés, l’I.S. peut se flatter de n’avoir pas été sans importance dans l’origine précise de l’agitation de Nanterre, qui mena si loin. Enfin, nous croyons n’être pas trop restés en deçà du grand mouvement spontané des masses qui domina le pays en mai 1968, tant par ce que nous avons fait à la Sorbonne que par les diverses formes d’action que put ensuite mener le « Conseil pour le maintien des occupations ». En plus de l’I.S. proprement dite, ou d’un bon nombre d’individus qui en admettaient les thèses et agirent en conséquence, bien d’autres encore défendirent des perspectives situationnistes, soit par une influence directe, soit inconsciemment, parce qu’elles étaient en grande partie celles que cette époque de crise révolutionnaire portait objectivement. Ceux qui en doutent n’ont qu’à <i>lire les murs</i> (pour qui n’a pas eu cette expérience directe, citons le recueil de photographies publié par Walter Lewino, <i>L’imagination au pouvoir</i>, Losfeld, 1968).</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">On peut donc avancer que la minimisation systématique de l’I.S. n’est qu’un détail homologue à la minimisation actuelle, et normale dans l’optique dominante, de l’ensemble du mouvement des occupations. L’espèce de jalousie éprouvée par certains gauchistes, et qui contribue fortement à cette besogne, est du reste complètement hors de propos. Les groupuscules les plus gauchistes n’ont aucun motif de se poser en rivaux de l’I.S., parce que l’I.S. n’est pas un groupe dans leur genre, les concurrençant sur le terrain de leur militantisme ou prétendant comme eux diriger le mouvement révolutionnaire, au nom de l’interprétation prétendue « correcte » de telle verité pétrifiée extraite du marxisme ou de l’anarchisme. Voir ainsi la question, c’est oublier que, contrairement à ces redites abstraites où d’anciennes conclusions toujours actuelles dans les luttes de classes se trouvent inextricablement mélangées à une foule d’erreurs ou d’impostures qui s’entredéchirent, l’I.S. avait principalement apporté un <i>esprit nouveau</i> dans les débats théoriques sur la société, la culture, la vie. Cet esprit était, assurément, révolutionnaire. Il a pu se lier, dans une certaine mesure, au mouvement révolutionnaire réel qui recommençait. Et c’est dans la mesure même où ce mouvement avait lui aussi un caractère nouveau qu’il s’est trouvé <i>ressembler</i> à l’I.S., qu’il en a partiellement repris à son compte les thèses ; et nullement par un processus politique traditionnel d’adhésion ou de suivisme. Le caractère largement nouveau de ce mouvement pratique est précisément lisible dans cette <i>influence</i> même, tout à fait étrangère à un rôle directif, que l’I.S. s’est trouvée exercer. Toutes les tendances gauchistes — y compris le « 22 mars » qui tenait dans son bric-à-brac du léninisme, du stalinisme chinois, de l’anarchisme, et même un zeste de « situationnisme » incompris — s’appuyaient très explicitement sur un long passé de luttes, d’exemples, de doctrines cent fois publiées et discutées. Sans doute, ces luttes et ces publications avaient été étouffées par la réaction stalinienne, négligées par les intellectuels bourgeois. Mais elles étaient cependant infiniment plus accessibles que les positions nouvelles de l’I.S., qui n’avaient jamais pu se faire connaître que par nos propres publications et activités récentes. Si les rares documents connus de l’I.S. ont rencontré une telle audience, c’est évidemment qu’une partie de la critique pratique avancée se reconnaissait d’elle-même dans ce langage. Ainsi, nous nous trouvons maintenant en assez bonne position pour dire ce que mai fut essentiellement, même dans sa part demeurée latente : pour rendre conscientes les tendances inconscientes du mouvement des occupations. D’autres, qui mentent, disent qu’il n’y avait rien à comprendre dans ce déchaînement absurde ; ou bien ne décrivent comme le tout, à travers l’écran de leur idéologie, que des aspects réels plus anciens et moins importants ; ou bien continuent l’« argumentisme » à travers maintenant de nouveaux sujets de « questionnement » nourri de lui-même. Ils ont pour eux les grands journaux et les petites amitiés, la sociologie et les gros tirages. Nous n’avons rien de tout cela, et nous ne tenons notre droit à la parole que de nous-mêmes. Et pourtant, ce qu’ils disent de mai devra s’éloigner dans l’indifférence et être oublié ; et c’est ce que nous en disons, nous, qui devra rester, qui finalement sera cru et sera repris.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">L’influence de la théorie situationniste se lit, aussi bien que sur les murs, dans les actions des révolutionnaires de Nantes et dans celles, différemment exemplaires, des Enragés à Nanterre. On voit, dans la presse du début de 1968, quelle indignation répondit aux nouvelles formes d’action inaugurées ou systématisées par les Enragés. Nanterre-dans-la-boue y devenait « Nanterre-la-Folie » parce que quelques « voyous de campus » s’étaient mis un jour d’accord sur le fait que « tout ce qui est discutable est à discuter », et parce qu’ils voulaient « qu’on se le dise ».</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">De fait, ceux qui se rencontrèrent alors et formèrent le <i>Groupe des Enragés</i> n’avaient pas d’idée d’agitation préconçue. Ces « étudiants » n’étaient là que pour la forme, et <i>les bourses</i>. Il arriva seulement que les ornières et les bidonvilles leur furent moins odieux que les bâtiments de béton, la balourde fatuité étudiante, et les arrières-pensées des professeurs modernistes. Ils voyaient là un reste d’humanité, quand ils ne trouvaient que misère, ennui, ou mensonge, dans le bouillon de culture où pataugeaient de concert Lefebvre et son honnêteté, Touraine et la fin de la lutte des classes, Bouricaud et ses gros bras, Lourau et son avenir. De plus, ils connaissaient les thèses situationnistes, savaient que les têtes pensantes du ghetto les connaissaient, y pensaient souvent, et y puisaient leur modernisme. Ils décidèrent que tout le monde le saurait, et s’employèrent à démasquer le mensonge, se réservant de trouver plus tard d’autres terrains de jeux : ils comptaient bien que, les menteurs et les étudiants chassés, la Faculté détruite, la chance leur nouerait d’autres rencontres, à une autre échelle, et qu’alors « bonheur et malheur prendraient forme ».</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Leur passé, qu’ils ne cachaient pas (origine majoritairement anarchiste mais aussi surréaliste, dans certain cas trotskiste) eut tôt fait d’inquiéter ceux auxquels ils se heurtèrent d’abord : les vieux groupuscules gauchistes, trotskistes du C.L.E.R. ou étudiants anarchistes englobant Daniel Cohn-Bendit, se disputant tous sur le manque d’avenir de l’U.N.E.F. et la fonction de psychologue. Le choix qu’ils firent d’exclusions nombreuses et sans indulgence inutile les garantit contre le succès qu’ils connurent rapidement auprès d’une vingtaine d’<i>étudiants</i> ; il les garantissait aussi des adhérents débiles, de tous ceux qui guettaient un situationnisme sans situationniste où ils pourraient porter leurs obsessions et leurs misères. Dans ces conditions, le groupe, qui atteignit parfois la quinzaine, fut le plus souvent formé d’une demi-douzaine d’agitateurs. On a vu que c’était suffisant.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Les méthodes qu’employèrent les Enragés, sabotages de cours en particulier, si elles sont aujourd’hui banales dans les Facultés comme dans les lycées, scandalisèrent profondément aussi bien les gauchistes que les bons étudiants, les premiers organisant même parfois des services d’ordre pour protéger les professeurs d’une pluie d’injures et d’oranges pourries. La généralisation de l’usage de l’insulte méritée, du graffiti, le mot d’ordre de boycott inconditionnel des examens, la distribution de tracts dans les locaux universitaires, le scandale quotidien de leur existence enfin, attirèrent sur les Enragés la première tentative de répression : convocation de Riesel et Bigorgne devant le doyen, le 25 janvier ; expulsion de Cheval hors de la résidence au début de février ; interdiction de séjour (fin février), puis cinq ans d’exclusion de l’Université française (début avril) pour Bigorgne. Entretenue par les groupuscules, une agitation plus étroitement politique commença à se développer parallèlement.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Cependant, les vieux singes de la Réserve, perdus dans l’imbroglio de la mise en scène de leur « pensée », ne s’inquiétèrent que tardivement. Il fallut donc les forcer à faire la grimace, tel Morin s’écriant, vert de dépit, sous les applaudissements des étudiants : « L’autre jour vous m’avez rejeté aux poubelles de l’Histoire… » — Interruption : « Comment se fait-il que tu en sois ressorti ? » — « Je préfère être du côté des poubelles que du côté de ceux qui les manient, et en tout cas, je préfère être du côté des poubelles que du côté des crématoires ! » Tel encore Touraine, bavant de rage et hurlant : « J’en ai assez des anarchistes, et encore plus des situationnistes ! Pour le moment, c’est moi qui commande ici, et si un jour c’était vous, je m’en irais dans les endroits où l’on sait ce que c’est que le travail. » Ce n’est qu’un an plus tard que les découvertes de ces précurseurs trouvèrent leur usage, dans les articles de Raymond Aron et d’Étiemble, protestant contre l’impossibilité de travailler, et la montée du totalitarisme gauchiste et du fascisme rouge. À partir du 26 janvier, les interruptions violentes des cours ne cessèrent presque pas, jusqu’au 22 mars. Elles entretenaient une agitation permanente en vue de la réalisation de plusieurs projets qui avortèrent : publication d’une brochure au début de mai, et aussi envahissement et pillage du bâtiment administratif de la Faculté, avec l’aide des révolutionnaires nantais, au début de mars. Avant d’en voir tant, le Doyen Grappin dénonçait dans sa conférence de presse du 28 mars « un groupe d’étudiants irresponsables, qui depuis quelques mois perturbent les cours et les examens, et pratiquent des méthodes de partisans dans la Faculté… Ces étudiants ne se rattachent à aucune organisation politique connue. Ils constituent un élément explosif dans un milieu très sensible. » Quant à la brochure, l’imprimeur des Enragés avança moins vite que la révolution. Après la crise, il fallut renoncer à publier un texte qui eût paru prétendre au prophétisme après l’événement. </p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Tout ceci explique l’intérêt que les Enragés prirent à la soirée du 22 mars, quelque pût être leur méfiance <i>a priori</i> pour l’ensemble des autres protestataires. Tandis que Cohn-Bendit, déjà star au firmament nanterrois, parlementait avec les moins décidés, dix Enragés seuls s’installèrent dans la salle du Conseil de Faculté, où ils ne furent rejoints que 22 minutes plus tard par le futur « Mouvement du 22 Mars ». On sait (cf. Viénet) comment et pourquoi ils se retirèrent de cette farce. Ils voyaient, de plus, que la police n’arrivait pas et qu’ils ne pourraient avec de tels gens réaliser le seul objectif qu’ils s’étaient fixé pour la nuit : détruire complètement les dossiers d’examens. Aux premières heures du 23, ils décidaient d’exclure cinq d’entre eux qui avaient refusé de quitter la salle, par crainte de « se couper des masses » étudiantes !</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Il est certes piquant de constater qu’aux origines du mouvement de mai on trouve un règlement de comptes avec les penseurs doubles du gang argumentiste. Mais, en s’attaquant à la laide cohorte des penseurs subversifs appointés par l’État, les Enragés faisaient autre chose que vider une querelle ancienne : ils parlaient déjà en tant que <i>mouvement des occupations</i> luttant pour l’occupation réelle, par tous les hommes, de tous les secteurs de la vie sociale régis par le mensonge. Et de même, en écrivant sur des murs en béton « prenez vos désirs pour la réalité », ils détruisaient déjà l’idéologie récupératrice de « l’imagination au pouvoir », prétentieusement lancée par le « 22 mars ». C’est qu’ils avaient des désirs, et les autres pas d’imagination.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Les Enragés ne revinrent presque plus à Nanterre en avril. Les velléités de démocratie directe affichées par le « mouvement du 22 mars » étaient évidemment irréalisables en si mauvaise compagnie, et ils refusaient d’avance la petite place qu’on était tout prêt à leur faire comme amuseurs extrémistes, à gauche de la dérisoire « Commission culture et créativité ». À l’opposé la reprise par les étudiants nanterrois, quoique dans un but trouble d’anti-impérialisme, de certaines de leurs techniques d’agitation, signifiait que le débat commençait à être placé sur le terrain qu’ils avaient voulu définir. Les étudiants de Paris qui avaient attaqué la police le 3 mai, en réponse à la dernière des maladresses de l’administration universitaire, le prouvèrent aussi : le violent tract de mise en garde des Enragés <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/enrages.htm#rage" target="_blank" style="text-decoration: none;">La rage au ventre</a></i>, distribué le 6 mai, ne put indigner que les léninistes qu’il dénonçait, tant il était à la mesure exacte du mouvement réel ; en deux journées de combat de rue, les émeutiers avaient trouvé son mode d’emploi. L’activité autonome des Enragés s’acheva d’une manière aussi conséquente qu’elle avait commencé. Ils furent traités <i>en situationnistes</i> avant même d’être dans l’I.S., puisque les récupérateurs gauchistes s’inspirèrent d’eux en croyant pouvoir les cacher, par leur propre étalage devant ces journalistes que les Enragés avaient évidemment repoussés. Le terme même d’« Enragés », par lequel Riesel a donné une marque inoubliable au mouvement des occupations, prit tardivement et pour quelque temps une signification publicitaire « cohn-bendiste ».</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">La succession rapide des luttes dans la rue, dans la première décade de mai, avait tout de suite rassemblé les membres de l’I.S., les Enragés, et quelques autres camarades. Cet accord fut formalisé au lendemain de l’occupation de la Sorbonne, le 14 mai, quand ils se fédérèrent dans un « Comité Enragés-I.S. », qui commença le même jour à publier quelques documents portant cette signature. Une plus large expression autonome des thèses situationnistes à l’intérieur du mouvement s’en suivit, mais il ne s’agissait pas de poser des principes particuliers d’après lesquels nous aurions prétendu modeler le mouvement réel : en disant ce que nous pensions, nous disions <i>qui</i> nous étions, alors que tant d’autres se déguisaient pour expliquer qu’il fallait suivre la politique correcte de leur comité central. Ce soir-là, l’assemblée générale de la Sorbonne, effectivement ouverte aux travailleurs, entreprit d’organiser son pouvoir sur place, et René Riesel, qui y avait affirmé les positions les plus radicales sur l’organisation même de la Sorbonne et sur l’extension totale de la lutte commencée, fut élu au premier Comité d’Occupation. Le 15, les situationnistes présents à Paris adressèrent en province et à l’étranger une circulaire : <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/occupations.htm#circulaire15" target="_blank" style="text-decoration: none;">Aux membres de l’I.S., aux camarades qui se sont déclarés en accord avec nos thèses</a></i>. Ce texte analysait brièvement le processus en cours et ses développements possibles, par ordre de probabilité décroissante — épuisement du mouvement au cas où il resterait limité « chez les étudiants avant que l’agitation anti-bureaucratique n’ait gagné plus le milieu ouvrier » ; répression ; ou enfin « révolution sociale ? » Il comportait aussi un compte-rendu de notre activité jusque-là, et appelait à agir tout de suite au maximum « pour faire connaître, soutenir, étendre l’agitation ». Nous proposions comme thèmes immédiats en France : « l’occupation des usines » (on venait d’apprendre l’occupation de Sud-Aviation, survenue la veille au soir) ; « constitution de Conseils Ouvriers ; la fermeture définitive de l’Université, critique complète de toutes les aliénations ». Il faut noter que c’était la première fois, depuis que l’I.S. existe, que nous demandions à qui que ce fût, même parmi les plus proches de nos positions, de faire quelque chose. Aussi notre circulaire ne resta-t-elle pas sans écho, et notamment dans quelques-unes des villes où le mouvement de mai s’imposait le plus fortement. Le 16 au soir, l’I.S. lança une deuxième circulaire, exposant les développements de la journée et prévoyant « une épreuve de force majeure ». La grève générale interrompit là cette série, qui fut reprise sous une autre forme, après le 20 mai, par les émissaires que le C.M.D.O. envoyait en province et à l’étranger.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Le livre de Viénet a décrit en détails comment le Comité d’occupation de la Sorbonne, réélu en bloc par l’assemblée générale du 15 au soir, vit disparaître sur la pointe des pieds la majorité des ses membres, qui pliaient devant les manœuvres et les tentatives d’intimidation d’une bureaucratie informelle s’employant à ressaisir souterrainement la Sorbonne (U.N.E.F., M.A.U., J.C.R., etc.). Les Enragés et les situationnistes se trouvèrent donc avoir la responsabilité du Comité d’occupation les 16 et 17 mai. L’assemblée générale du 17 n’ayant finalement pas approuvé les actes par lesquels ce Comité avait exercé son mandat, et ne les ayant du reste pas davantage désapprouvés (les manipulateurs empêchèrent tout vote de l’assemblée), nous avons aussitôt déclaré que nous quittions la Sorbonne défaillante, et tous ceux qui s’étaient groupés autour de ce Comité d’occupation s’en allèrent avec nous : ils allaient constituer le noyau du Conseil pour le maintien des occupations. Il convient de faire remarquer que le deuxième Comité d’occupation, élu après notre départ, resta en fonction, identique à lui-même et de la glorieuse manière que l’on sait, jusqu’au retour de la police en juin. <i>Jamais plus il ne fut question de faire réélire chaque jour par l’assemblée ses délégués révoquables</i>. Ce Comité de professionnels en vint même vite par la suite à supprimer les assemblées générales, qui n’étaient à ses yeux qu’une cause de trouble et une perte de temps. Au contraire, les situationnistes peuvent résumer leur action dans la Sorbonne par cette seule formule : « tout le pouvoir à l’assemblée générale ». Aussi est-il plaisant d’entendre maintenant parler du <i>pouvoir situationniste</i> dans la Sorbonne, alors que la réalité de ce « pouvoir » fut de rappeler constamment le principe de la démocratie directe ici même et partout, de dénoncer d’une façon ininterrompue récupérateurs et bureaucrates, d’exiger de l’assemblée générale qu’elle prenne ses responsabilités <i>en décidant</i>, et en rendant toutes ses décisions exécutoires.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Notre Comité d’occupation, par son attitude conséquente, avait soulevé l’indignation générale des manipulateurs et bureaucrates gauchistes. Si nous avions défendu dans la Sorbonne les principes et les méthodes de la démocratie directe, nous étions pourtant assez dépourvus d’illusions sur la composition sociale et le niveau général de conscience de cette assemblée : nous mesurions bien le paradoxe d’une délégation plus ferme que ses mandants dans cette volonté de démocratie directe, et nous voyions qu’il ne pouvait durer. Mais nous nous étions surtout employés à mettre au service de la grève sauvage qui commençait les moyens, non négligeables, que nous offraient la possession de la Sorbonne. C’est ainsi que le Comité d’occupation lança le 16, à 15 heures, <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/occupations.htm#appel" target="_blank" style="text-decoration: none;">une brève déclaration</a> par laquelle il appelait « à l’occupation immédiate de toutes les usines en France et à la formation de Conseils Ouvriers ». Le reste de ce qui nous fut reproché n’était presque rien en regard du scandale que causa partout — sauf chez les « occupants de base » — ce « téméraire » engagement de la Sorbonne. Pourtant, à cet instant, deux ou trois usines étaient occupées, une partie des transporteurs des N.M.P.P. essayaient de bloquer la distribution des journaux, et plusieurs ateliers de Renault, comme on allait l’apprendre deux heures après, commençaient avec succès à faire interrompre le travail. On se demande au nom de quoi des individus sans titre pouvaient prétendre gérer la Sorbonne s’ils n’étaient pas partisans de la saisie par les travailleurs de toutes les propriétés dans le pays ? Il nous semble qu’en se prononçant de la sorte, la Sorbonne apporta une dernière réponse restant encore au niveau du mouvement dont les usines prenaient heureusement la suite, c’est-à-dire au niveau de la réponse qu’elles apportaient elles-mêmes aux premières luttes limitées du Quartier Latin. Certainement, cet appel n’allait pas contre les intentions de la majorité des gens qui étaient alors dans la Sorbonne, et qui firent tant pour le répandre. D’ailleurs, les occupations d’usines s’étendant, même les bureaucrates gauchistes devinrent partisans d’un fait sur lequel ils n’avaient pas osé se compromettre la veille, quoique sans renier leur hostilité aux Conseils. Le mouvement des occupations n’avait vraiment pas besoin d’une approbation de la Sorbonne pour s’étendre à d’autres entreprises. Mais, outre le fait qu’à ce moment chaque heure comptait pour relier toutes les usines à l’action commencée par quelques-unes, tandis que les syndicats essayaient partout de gagner du temps pour empêcher l’arrêt général du travail, et qu’un tel appel à cet endroit connut sur le champ une grande diffusion, y compris radiophonique, il nous paraissait surtout important de montrer, avec la lutte qui commençait, le <i>maximum</i> auquel elle devait tendre tout de suite. Les usines n’allèrent pas jusqu’à former des Conseils, et les grévistes qui commençaient à accourir à la Sorbonne n’y découvrirent certes pas le modèle.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Il est permis de penser que cet appel contribua à ouvrir çà et là quelques perspectives de lutte radicale. En tout cas, il figure certainement parmi les faits de cette journée qui inspirèrent le plus de craintes. On sait que le Premier ministre, à 19 heures, faisait diffuser un communiqué affirmant que le gouvernement « en présence de diverses tentatives annoncées ou amorcées par des groupes d’extrémistes pour provoquer une agitation généralisée », ferait tout pour maintenir « la paix publique » et l’ordre républicain, « dès lors que la réforme universitaire ne serait plus qu’un prétexte pour plonger le pays dans le désordre ». On rappelait en même temps 10 000 réservistes de la gendarmerie. La « réforme universitaire » n’était effectivement qu’un prétexte, même pour le gouvernement, qui masquait sous cette honorable nécessité, si brusquement découverte par lui, son recul devant l’émeute au Quartier Latin.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Le Conseil pour le maintien des occupations, occupant d’abord l’I.P.N. rue d’Ulm, fit de son mieux pendant la suite d’une crise à laquelle, dès que la grève fut générale et s’immobilisa dans la défensive, aucun groupe révolutionnaire organisé existant alors n’avait d’ailleurs plus les moyens d’apporter une contribution notable. Réunissant les situationnistes, les Enragés, et de trente à soixante autres révolutionnaires conseillistes (dont moins d’un dixième peuvent être comptés comme étudiants), le C.M.D.O. assura un grand nombre de liaisons en France et au-dehors, s’employant particulièrement, vers la fin du mouvement, à en faire connaître la signification aux révolutionnaires d’autres pays, qui ne pouvaient manquer de s’en inspirer. Il publia, à près de 200 000 exemplaires pour chacun des plus importants, un certain nombre d’affiches et de documents, dont les principaux furent le <i>Rapport sur l’occupation de la Sorbonne</i>, du 19 mai ; <i>Pour le pouvoir des Conseils Ouvriers</i>, du 22 ; et l’<i>Adresse à tous les travailleurs</i>, du 30. Le C.M.D.O., qui n’avait été dirigé ni embrigadé pour le futur par personne, « convint de se dissoudre le 15 juin (…) Le C.M.D.O. n’avait rien cherché à obtenir <i>pour lui</i>, pas même à mener un quelconque recrutement en vue d’une existence permanente. Ses participants ne séparaient pas leurs buts personnels des buts généraux du mouvement. C’étaient des individus indépendants, qui s’étaient groupés pour une lutte, sur des bases déterminées, dans un moment précis ; et qui redevinrent indépendants après elle. » (Viénet, <i>op. cit.</i>). Le Conseil pour le maintien des occupations avait été « un lien, pas un pouvoir ».</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Certains nous ont reproché, en mai et depuis, d’avoir critiqué tout le monde, et ainsi de n’avoir présenté comme acceptable que la seule activité des situationnistes. C’est inexact. Nous avons approuvé le mouvement des masses, dans toute sa profondeur, et les initiatives remarquables de dizaines de milliers d’individus. Nous avons approuvé la conduite de quelques groupes révolutionnaires que nous avons pu connaître, à Nantes et à Lyon ; ainsi que les actes de tous ceux qui ont été en contact avec le C.M.D.O. Les documents cités par Viénet montrent à l’évidence qu’en outre nous approuvons <i>partiellement</i> nombre de déclarations émanant de Comités d’action. Il est certain que beaucoup de groupes ou comités qui sont restés inconnus de nous pendant la crise auraient eu notre approbation si nous avions eu l’occasion d’en être informés — et il est encore plus patent que, les ignorant, nous n’avons pu d’aucune manière les critiquer. Ceci dit, quand il s’agit des petits partis gauchistes et du « 22 mars », de Barjonet ou de Lapassade, il serait tout de même surprenant que l’on attendît de nous quelque approbation polie, quand on connaît nos positions préalables, et quand on peut constater quelle a été dans cette période l’activité des gens en question.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Pas davantage nous n’avons prétendu que certaines formes d’action qu’a revêtu le mouvement des occupations — à l’exception peut-être de l’emploi des bandes dessinées critiques — aient eu une origine directement situationniste. Nous voyons, au contraire, l’origine de toutes dans <i>des luttes ouvrières</i> « sauvages » ; et depuis plusieurs années certains numéros de notre revue les avaient citées à mesure, en spécifiant bien d’où elles venaient. Ce sont les ouvriers qui, les premiers, ont attaqué le siège d’un journal pour protester contre la falsification des informations les concernant (à Liège en 1961) ; qui ont brûlé les voitures (à Merlebach en 1962) ; qui ont commencé à écrire sur les murs les formules de la nouvelle révolution (« Ici finit la liberté », sur un mur de l’usine Rhodiaceta en 1967). En revanche, on peut signaler, évident prélude à l’activité des Enragés à Nanterre, qu’à Strasbourg, le 26 octobre 1966, pour la première fois un professeur d’Université fut pris à partie et chassé de sa chaire : c’est le sort que les situationnistes firent subir au cybernéticien Abraham Moles lors de son cours inaugural.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Tous nos textes publiés pendant le mouvement des occupations montrent que les situationnistes n’ont jamais répandu d’illusions, à ce moment, sur les chances d’un succès complet du mouvement. Nous savions que ce mouvement révolutionnaire, objectivement possible et nécessaire, était parti subjectivement de très bas : spontané et émietté, ignorant son propre passé et la totalité de ses buts, il revenait d’un demi-siècle d’écrasement, et trouvait devant lui tous ses vainqueurs encore bien en place, bureaucrates et bourgeois. Une victoire durable de la révolution n’était à nos yeux qu’une très faible possibilité, entre le 17 et le 30 mai. Mais, du moment que cette chance existait, nous l’avons montrée comme le <i>maximum</i> en jeu à partir d’un certain point atteint par la crise, et qui valait certainement d’être risqué. Déjà, à nos yeux, le mouvement était alors, quoi qu’il pût advenir, une grande victoire historique, et nous pensions que <i>la moitié seulement</i> de ce qui s’était déjà produit eût été un résultat très significatif.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Personne ne peut nier que l’I.S., opposée également en ceci à tous les groupuscules, s’est refusée à toute propagande en sa faveur. Ni le C.M.D.O. n’a arboré le « drapeau situationniste », ni aucun de nos textes de cette époque n’a parlé de l’I.S., excepté pour répondre à l’impudente invite de front commun lancée par Barjonet au lendemain du meeting de Charléty. Et parmi les multiples sigles publicitaires des groupes à vocation dirigeante, on n’a pas pu voir une seule inscription évoquant l’I.S. tracée sur les murs de Paris ; dont cependant nos partisans étaient sans doute les principaux maîtres.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Il nous semble, et nous présentons cette conclusion d’abord aux camarades d’autres pays qui connaîtront une crise de cette nature, que ces exemples montrent ce que peuvent faire, dans le premier stade de réapparition du mouvement révolutionnaire prolétarien, quelques individus, cohérents pour l’essentiel. En mai, il n’y avait à Paris qu’une dizaine de situationnistes et d’Enragés, et aucun en province. Mais l’heureuse conjonction de l’improvisation révolutionnaire spontanée et d’une sorte d’aura de sympathie qui existait autour de l’I.S. permirent de coordonner une action assez vaste, non seulement à Paris, mais dans plusieurs grandes villes, comme s’il s’était agi d’une organisation préexistante à l’échelle nationale. Plus largement même que cette organisation spontanée, une sorte de vague et mystérieuse menace situationniste fut ressentie et dénoncée en beaucoup d’endroits : en étaient les porteurs quelques centaines, voire quelques milliers, d’individus que les bureaucrates et les modérés qualifiaient de situationnistes ou, plus souvent, selon l’abréviation populaire qui apparut à cette époque, de <i>situs</i>. Nous nous considérons comme honorés par le fait que ce terme de « situ », qui paraît avoir trouvé son origine péjorative dans le langage de certains milieux étudiants de province, non seulement a servi à désigner les plus extrémistes participants du mouvement des occupations, mais encore comportait certaines connotations évoquant le vandale, le voleur, le voyou.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Nous ne pensons pas avoir évité de commettre des fautes. C’est encore pour l’instruction de camarades qui peuvent se trouver ultérieurement dans des circonstances similaires, que nous les énumérons ici.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Dans la rue Gay-Lussac, où nous nous retrouvions par petits groupes rassemblés spontanément, chacun de ces groupes rencontra plusieurs dizaines de personnes connues, ou qui seulement nous connaissaient de vue et venaient nous parler. Puis chacun, dans l’admirable désordre que présentait ce « quartier libéré », même longtemps avant l’inévitable attaque des policiers, s’éloignait vers telle « frontière » ou tel préparatif de défense. De sorte que, non seulement tous ceux-là restèrent plus ou moins isolés, mais nos groupes mêmes, le plus souvent, ne purent se joindre. Ce fut une lourde erreur de notre part de n’avoir pas tout de suite demandé à tous de rester groupés. En moins d’une heure, un groupe agissant ainsi eût inévitablement fait boule de neige, en rassemblant tout ce que nous pouvions connaître parmi ces barricadiers — où chacun de nous retrouvait plus d’amis qu’on en rencontre au hasard en une année dans Paris. On pouvait ainsi former une bande de deux à trois cents personnes, se connaissant et agissant ensemble, ce qui justement a le plus manqué dans cette lutte dispersée. Sans doute, le rapport numérique avec les forces qui cernaient le quartier, environ trois fois plus nombreuses que les émeutiers, sans parler même de la supériorité de leur armement, condamnait de toute façon cette lutte à l’échec. Mais un tel groupe pouvait permettre une certaine liberté de manœuvre, soit par quelque contre-charge sur un point du périmètre attaqué, soit en poussant les barricades à l’est de la rue Mouffetard, zone assez mal tenue par la police jusqu’à une heure très tardive, pour ouvrir une voie de retraite à tous ceux qui furent pris dans le filet (quelques centaines n’échappant que par chance, grâce au précaire refuge de l’École Normale Supérieure).</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Au Comité d’occupation de la Sorbonne, nous avons fait, vu les conditions et la précipitation du moment, à peu près tout ce que nous pouvions faire. On ne peut nous reprocher de n’avoir pas fait davantage pour modifier l’architecture de ce triste édifice, dont nous n’eûmes même pas le temps de faire le tour. Il est vrai qu’une chapelle y subsistait, fermée, mais nous avions appelé par affiche les occupants — et Riesel également dans son intervention à l’assemblée générale du 14 mai — à la détruire au plus vite. D’autre part, « Radio-Sorbonne » n’existe nullement en tant qu’appareil <i>émetteur</i>, et on ne doit donc pas nous blâmer de ne pas l’avoir employé. Il va de soi que nous n’avons pas envisagé ni préparé l’incendie du bâtiment, le 17 mai, comme le bruit en a couru alors à la suite de quelques calomnies obscures des groupuscules : cette date suffit à montrer combien le projet eût été impolitique. Nous ne nous sommes pas davantage dispersés sur les détails, quelque utilité qu’on puisse leur reconnaître. Ainsi, c’est pure fantaisie quand Jean Maitron avance que « le restaurant et la cuisine de la Sorbonne… sont restés jusqu’en juin contrôlés par les “situationnistes”. Très peu d’étudiants parmi eux. Beaucoup de jeunes sans travail. » (<i>La Sorbonne par elle-même</i>, p. 114, Éditions Ouvrières, 1968). Nous devons toutefois nous reprocher cette erreur : les camarades chargés d’envoyer au tirage les tracts et déclarations émanant du Comité d’occupation, à partir de 17 heures le 16 mai, remplacèrent la signature « Comité d’occupation de la Sorbonne » par « Comité d’occupation de l’Université autonome et populaire de la Sorbonne », et personne ne s’en avisa. Il est sûr que c’était une régression d’une certaine portée, car la Sorbonne n’avait d’intérêt à nos yeux qu’en tant que <i>bâtiment saisi par le mouvement révolutionnaire</i>, et cette signature donnait à croire que nous pouvions reconnaître le lieu comme prétendant encore être une <i>Université</i>, fut-elle « autonome et populaire » ; chose que nous méprisons en tout cas, et qu’il était d’autant plus fâcheux de paraître accepter en un tel moment. Une faute d’inattention, moins importante, fut commise le 17 mai quand un tract, émanant d’ouvriers de la base venus de Renault, fut diffusé sous la signature « Comité d’occupation ». Le Comité d’occupation avait certes très bien fait de fournir des moyens d’expression, sans aucune censure, à ces travailleurs, mais il fallait préciser que ce texte était rédigé par eux, et se trouvait seulement <i>édité</i> par le Comité d’occupation ; et ceci d’autant plus que ces ouvriers, appelant à continuer les « marches sur Renault », admettaient encore à cette heure l’argument mystifiant des syndicats sur la nécessité de garder fermées les portes de l’usine, pour qu’une attaque de la police ne pût pas prendre prétexte et avantage de leur ouverture.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Le C.M.D.O. oublia de faire porter sur chacune de ses publications la mention « imprimé par des ouvriers en grève », qui certainement eût été exemplaire, en parfait accord avec les théories qu’elles évoquaient, et qui eût donné une excellente réplique à l’habituelle marque syndicale des imprimeries de presse. Erreur plus grave : tandis qu’un usage excellent était fait du téléphone, nous avons complètement négligé la possibilité de nous servir des <i>téléscripteurs</i> qui permettaient de toucher quantité d’usines et de bâtiments occupés en France, et d’envoyer des informations dans toute l’Europe. Singulièrement, nous avons négligé le circuit utilisable des observatoires astronomiques, qui nous était accessible au moins à partir de l’Observatoire occupé de Meudon. </p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Mais ceci dit, et s’il s’agit de formuler un jugement sur l’essentiel, toutes ces entreprises de l’I.S. rassemblées et considérées, nous ne voyons point en quoi elle mériterait d’être blâmée.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Citons maintenant les principaux <i>résultats</i> du mouvement des occupations, jusqu’ici. En France, ce mouvement a été vaincu, mais d’aucune manière <i>écrasé</i>. C’est sans doute le point le plus notable, et qui présente le plus grand intérêt dans la pratique. Il semble que jamais une crise sociale d’une telle gravité n’avait fini sans qu’une répression ne vienne affaiblir, plus ou moins durablement, le courant révolutionnaire ; comme une sorte de contrepartie dont il doit s’attendre à payer l’expérience historique qui, chaque fois, a été portée à l’existence. On sait qu’aucune répression proprement politique n’a été maintenue, quoique naturellement, en plus des nombreux étrangers expulsés administrativement, plusieurs centaines d’émeutiers se soient trouvés condamnés, dans les mois suivants, pour des délits dits « de droit commun » (si plus d’un tiers de l’effectif du Conseil pour le maintien des occupations avait été arrêté dans les divers affrontements, aucun de ses membres ne tomba dans cette rubrique, le mouvement de retraite du C.M.D.O., à la fin de juin, ayant été fort bien conduit). Tous les responsables politiques qui n’avaient pas su échapper à l’arrestation à la fin de la crise ont été libérés après quelques semaines de détention, et aucun n’a été traduit devant un tribunal. Le gouvernement a dû se résoudre à ce nouveau recul rien que pour obtenir une apparence de rentrée universitaire calme, et une <i>apparence d’examens</i> à l’automne de 1968 ; la seule pression du Comité d’action des étudiants en médecine obtint cette importante concession dès la fin du mois d’août.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">L’ampleur de la crise révolutionnaire a gravement déséquilibré « ce qui a été attaqué de front… l’économie capitaliste <i>fonctionnant bien</i> » (Viénet), non certes du fait de l’augmentation, tout à fait supportable, consentie sur les salaires, ni même du fait de l’arrêt total de la production pendant quelques semaines ; mais surtout parce que la bourgeoisie française <i>a perdu sa confiance dans la stabilité du pays</i> : ce qui — rejoignant les autres aspects de l’actuelle crise monétaire des échanges internationaux — a entraîné l’évasion massive des capitaux et la crise du Franc apparue dès novembre (les réserves en devises du pays sont tombées de 30 milliards de Francs en mai 1968 à 18 milliards un an après). Après la dévaluation <i>retardée</i> du 8 août 1969, <i>Le Monde</i> du lendemain commençait à s’apercevoir que « le franc, comme le général, était “mort” en mai ».</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Le régime « gaulliste » n’était qu’un bien mince détail dans cette mise en question générale du capitalisme moderne. Pourtant le pouvoir de de Gaulle a reçu, lui aussi, le coup mortel en mai. Malgré son rétablissement de juin — objectivement facile, comme nous l’avons dit, puisque la véritable lutte avait été perdue ailleurs —, de Gaulle ne pouvait effacer, comme responsable de l’État qui avait <i>survécu</i> au mouvement des occupations, la tare d’avoir été responsable de l’État qui <i>avait subi</i> le scandale de son existence. De Gaulle, qui ne faisait que couvrir, dans son style personnel, tout ce qui arrivait — et ce cours des choses n’était rien d’autre que la modernisation normale de la société capitaliste — avait prétendu régner par le prestige. Son prestige a subi en mai une humiliation définitive, subjectivement ressentie par lui-même aussi bien qu’objectivement constatée par la classe dominante et les électeurs qui la plébiscitent indéfiniment. La bourgeoisie française recherche une forme de pouvoir politique plus rationnelle, moins capricieuse et moins rêveuse ; plus intelligente pour la défendre des nouvelles menaces dont elle a constaté avec stupeur le surgissement. De Gaulle voulait effacer le mauvais rêve persistant, « les derniers fantômes de mai », en gagnant, le 27 avril, ce référendum annoncé le 24 mai, et que l’émeute avait annulé dans la même nuit. Le « pouvoir stable » qui a trébuché alors sentait bien qu’il n’avait plus retrouvé son équilibre, et il tenait imprudemment à être vite rassuré par un rite de réadhésion factice. Les slogans des manifestants du 13 mai 1968 ont été justifiés : de Gaulle n’a pas atteint son onzième anniversaire ; non certes du fait de l’opposition bureaucratique ou pseudo-réformiste, mais parce que, le lendemain, on vit que la rue Gay-Lussac débouchait directement sur toutes les usines de France.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Un désordre généralisé, qui met en cause à leur racine toutes les institutions, s’est installé dans la plupart des facultés, et surtout dans les lycées. Si, se limitant au plus urgent, l’État a sauvé à peu près le niveau de l’enseignement dans les disciplines scientifiques et les grandes écoles, ailleurs l’année universitaire 1968-69 a été bel et bien perdue, et les diplômes sont effectivement dévalués, alors même qu’ils sont encore loin d’être méprisés par la masse des étudiants. Une telle situation est, à la longue, incompatible avec le fonctionnement normal d’un pays industriel avancé, et amorce une chute dans le sous-développement, en créant un « goulot d’étranglement » qualitatif dans l’enseignement secondaire. Même si le courant extrémiste n’a gardé en réalité qu’une base étroite dans le milieu étudiant, il semble qu’il ait la force suffisante pour maintenir un processus de dégradation continue : à la fin de janvier, l’occupation et la mise à sac du rectorat à la Sorbonne, et nombre d’incidents assez graves depuis, ont montré que le simple maintien d’un pseudo-enseignement constitue un sujet d’inquiétude considérable pour les forces du maintien de l’ordre. </p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">L’agitation sporadique des usines, qui ont appris la grève sauvage et où se sont implantés des groupes radicaux plus ou moins consciemment ennemis des syndicats, entraîne, malgré les efforts des bureaucrates, nombre de grèves partielles qui paralysent aisément des entreprises de plus en plus concentrées, pour lesquelles s’accroît toujours l’interdépendance des différentes opérations. Ces secousses ne laissent oublier à personne que le sol n’est pas redevenu solide dans les entreprises, et que les formes <i>modernes</i> d’exploitation ont révélé en mai à la fois l’ensemble de leurs moyens associés, et leur nouvelle fragilité.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Après l’érosion du vieux stalinisme orthodoxe (lisible même dans les pertes de la C.G.T. aux récentes élections professionnelles), c’est le tour des petits partis gauchistes de s’user en manœuvres malheureuses : presque tous auraient bien voulu recommencer <i>mécaniquement</i> le processus de mai, pour y recommencer leurs erreurs. Ils ont noyauté facilement ce qui restait de Comités d’action, et les Comités d’action n’ont pas manqué de disparaître. Les petits partis gauchistes eux-mêmes éclatent en de nombreuses nuances hostiles, chacun tenant ferme sur une sottise qui exclut glorieusement toutes celles de leurs rivaux. Sans doute, les éléments radicaux, devenus nombreux depuis mai, sont encore dispersés — et d’abord dans les usines. La cohérence qu’il leur faut acquérir est encore, faute d’avoir su organiser une véritable pratique autonome, altérée par des illusions anciennes, ou du verbiage, ou même parfois par une malsaine admiration unilatérale « pro-situationniste ». Leur seule voie est pourtant tracée, qui sera évidemment difficile et longue : la formation d’organisations <i>conseillistes</i> de travailleurs révolutionnaires, se fédérant sur la seule base de la démocratie totale et de la critique totale. Leur première tâche théorique sera de combattre, et de démentir en pratique, la dernière forme d’idéologie que le vieux monde leur opposera : <i>l’idéologie conseilliste</i>, telle qu’une première forme grossière était exprimée, à la fin de la crise, par un groupe « Révolution Internationale », implanté à Toulouse, qui proposait tout simplement — on ne sait d’ailleurs à qui — <i>d’élire</i> des Conseils Ouvriers au-dessus des assemblées générales, qui ainsi n’auraient plus qu’à ratifier les actes de cette sage néo-direction révolutionnaire. Ce monstre léninisto-yougoslave, repris depuis par l’« Organisation trotskiste » de Lambert, est presque aussi étrange à présent que l’emploi du terme de « démocratie directe » par les gaullistes quand ils étaient entichés de « dialogue » référendaire. La prochaine révolution ne reconnaîtra comme Conseils que les assemblées générales souveraines de la base, dans les entreprises et les quartiers ; et leurs délégués toujours révocables dépendant d’elles seules. Une organisation conseilliste ne défendra jamais d’autre but : il lui faut traduire en actes une dialectique qui dépasse les termes figés et unilatéraux du spontanéisme et de l’organisation ouvertement ou sournoisement bureaucratisée. Elle doit être une organisation qui marche <i>révolutionnairement</i> vers la révolution des Conseils ; une organisation qui ne se disperse pas après le moment de la lutte déclarée, et qui ne s’institutionnalise pas.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Cette perspective n’est pas limités à la France, mais internationale. C’est le sens total du mouvement des occupations qu’il faudra comprendre partout, comme déjà son exemple en 1968 a déclenché, ou porté à un degré supérieur, des troubles graves à travers l’Europe, en Amérique et au Japon. Des suites immédiates de mai, les plus remarquables furent la sanglante révolte des étudiants mexicains, qui put être brisée dans un relatif isolement, et le mouvement des étudiants yougoslaves contre la bureaucratie et pour l’autogestion prolétarienne, qui entraîna partiellement les ouvriers et mit le régime de Tito en grand péril : mais là, plus que les concessions proclamées par la classe dominante, l’intervention russe en Tchécoslovaquie vint puissamment au secours du régime ; elle lui permit de rassembler le pays en faisant redouter l’éventualité d’une invasion par une bureaucratie étrangère. La main de la nouvelle Internationale commence à être dénoncée par les polices de différents pays, qui croient découvrir les directives de révolutionnaires français à Mexico pendant l’été de 1968 comme à Prague dans la manifestation antirusse du 28 mars 1969 ; et le gouvernement franquiste au début de cette année, a explicitement justifié son recours à l’état d’exception par un risque d’évolution de l’agitation universitaire vers une crise générale du type français. Il y a longtemps que l’Angleterre connaissait des grèves sauvages, et un des buts principaux du gouvernement travailliste était évidemment d’arriver à les interdire ; mais il est hors de doute que c’est la première expérience d’une grève générale sauvage qui a mené Wilson à déployer tant de hâte et d’acharnement pour arracher cette année une législation répressive contre ce type de grève. Cet arriviste n’a pas hésité à risquer sur le « projet Castle » sa carrière, et l’unité même de la bureaucratie politico-syndicale travailliste, car si les syndicats sont les ennemis directs de la grève sauvage, ils ont peur de perdre eux-mêmes toute importance en perdant tout contrôle sur les travailleurs, dès que serait abandonné à l’État le droit d’intervenir, sans passer par leur médiation, contre les formes réelles de la lutte de classes. Et, le 1<sup><span style="font-size:-2;">er</span></sup> mai, la grève anti-syndicale de 100 000 dockers, typographes et métallurgistes contre la loi dont on les menaçait a montré, pour la première fois depuis 1926, une grève politique en Angleterre : comme il est juste, c’est contre un gouvernement travailliste que cette forme de lutte a pu reparaître.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Wilson a du se déconsidérer en renonçant à son projet le plus cher, et en’repassant à la police syndicale le soin de réprimer elle-même les 95 % des arrêts du travail constitués désormais en Angleterre par les grèves sauvages. En août, la srève sauvage gagnée après huit semaines par les fondeurs des aciéries de Port-Talbot « a prouvé que la direction du T.U.C. n’est pas armée pour ce rôle » (<i>Le Monde</i>, 30-8-69).</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Nous reconnaissons bien le ton nouveau sur lequel désormais, à travers le monde, une critique radicale prononce sa déclaration de guerre à la vieille société, depuis le groupe extrémiste mexicain <i>Caos</i>, qui appelait pendant l’été de 1968 au sabotage des Jeux Olympiques et de « la société de consommation spectaculaire », jusqu’aux inscriptions des murs d’Angleterre et d’Italie ; depuis le cri d’une manifestation à Wall Street, rapporté par l’A.F.P. du 12 avril — « Stop the Show » —, dans cette société américaine dont nous signalions en 1965 « le déclin et la chute » et que ses responsables eux-mêmes avouent maintenant être « une société malade », jusqu’aux publications et aux actes des <i>Acratas</i> de Madrid.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">En Italie, l’I.S. a pu apporter une certaine aide au courant révolutionnaire, dès la fin de 1967, moment où l’occupation de l’Université de Turin donna le départ à un vaste mouvement ; tant par quelques éditions, mauvaises mais vite épuisées, de textes de base (chez Feltrinelli et De Donato), que du fait de l’action radicale de quelques individus, quoique l’actuelle section italienne de l’I.S. n’ait été formellement constituée qu’en janvier 1969. La lente évolution depuis vingt-deux mois, de la crise italienne — ce qui a été appelé « le mai rampant » — s’était d’abord enlisée en 1968 dans la constitution d’un « Mouvement étudiant » beaucoup plus arriéré encore qu’en France, et isolé — à l’exemplaire exception près de l’occupation de l’hôtel de ville d’Orgosolo, en Sardaigne, par les étudiants, les bergers et les ouvriers unis. Mais les luttes ouvrières commençaient elles-mêmes lentement, et s’aggravaient en 1969, malgré les efforts du parti stalinien et des syndicats qui s’épuisent à fragmenter la menace en concédant des grèves d’une journée à l’échelle nationale par catégories, ou des grèves générales d’une journée par province. Au début d’avril, l’insurrection de Battipaglia, suivie de la mutinerie des prisons de Turin, Milan et Gênes, ont porté la crise à un niveau supérieur, et réduit encore la marge de manœuvre des bureaucrates. À Battipaglia, les travailleurs, après que la police ait tiré, sont restés maîtres de la ville pendant plus de vingt-quatre heures, s’emparant des armes, assiégeant les policiers réfugiés dans leurs casernes et les sommant de se rendre, barrant les routes et les voies ferrées. Alors que l’arrivée massive des renforts de carabiniers avait repris le contrôle de la ville et des voies de communication, une ébauche de Conseil existait encore à Battipaglia, prétendant remplacer la municipalité et exercer le pouvoir direct des habitants sur leurs propres affaires. Si les manifestations de soutien dans toute l’Italie, encadrées par les bureaucrates, restèrent platoniques, du moins les éléments révolutionnaires de Milan réussirent-ils à s’attaquer violemment à ces bureaucrates, et à ravager le centre de la ville, se heurtant fortement à la police. En cette occasion, les situationnistes italiens ont repris les méthodes françaises de la plus adéquate manière.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">Dans les mois suivants, les mouvements « sauvages » chez Fiat et parmi les ouvriers du nord, plus que la décomposition achevée du gouvernement, ont montré à quel point l’Italie est proche d’une crise révolutionnaire <i>moderne</i>. Le tour pris en août par les grèves sauvages de la Pirelli de Milan et de Fiat à Turin signale l’imminence d’un affrontement total.</p><div style="text-align: justify;"> </div><p style="font-family: arial; color: rgb(0, 0, 0); text-align: justify;">On comprendra aisément la principale raison qui nous a fait ici traiter ensemble la question du sens général des nouveaux mouvements révolutionnaires et celle de leurs rapports avec les thèses de l’I.S. Naguère, ceux qui voulaient bien reconnaître de l’intérêt à quelques points de notre théorie regrettaient que nous en suspendions nous-mêmes toute la vérité à un retour de la révolution sociale, et jugeaient cette dernière « hypothèse » incroyable. En revanche, divers activistes tournant à vide, mais tirant vanité de rester allergiques à toute théorie actuelle, posaient, à propos de l’I.S., la stupide question : « quelle est son action pratique ? » Faute de comprendre, si peu que ce soit, le processus dialectique d’une rencontre entre le mouvement réel et « sa propre théorie inconnue », tous voulaient négliger ce qu’ils croyaient être <i>une critique désarmée</i>. Maintenant, elle s’arme. Le « lever du soleil qui, dans un éclair, dessine en une fois la forme du nouveau monde », on l’a vu dans ce mois de mai de France, avec les drapeaux rouges et les drapeaux noirs mêlés de la démocratie ouvrière. La suite viendra partout. Et si nous, dans une certaine mesure, sur le retour de ce mouvement, nous avons écrit notre nom, ce n’est pas pour en conserver quelque moment ou en tirer quelque autorité. Nous sommes désormais sûrs d’un aboutissement satisfaisant de nos activités : l’I.S. sera dépassée.</p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-7242004835910911360?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-80535654760366232752007-04-20T10:05:00.000-07:002007-04-20T10:06:26.290-07:00Nos buts et nos methodes dans le scandale de Strasbourg<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L<span style="font-size:-1;">ES DIVERSES MANIFESTATIONS </span>de stupeur et d’indignation qui ont fait écho à la brochure situationniste <i>De la misère en milieu étudiant</i>, publiée aux frais de la section strasbourgeoise de l’Union Nationale des Étudiants de France, si elles ont eu l’effet opportun de faire lire assez largement les thèses contenues dans la brochure même, ne pouvaient manquer d’accumuler les contresens dans l’exposé et le commentaire de ce qui a été l’activité de l’I.S. en la circonstance. En face des illusions de tous genres entretenues par des journaux, des autorités universitaires, et même un certain nombre d’étudiants irréfléchis, nous allons maintenant préciser ici quelles ont été exactement les conditions de notre intervention, et rappeler quels buts nous poursuivions par les moyens qui nous ont paru y correspondre. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Plus erronée même que les exagérations de la presse, ou de certains avocats adverses, sur l’ampleur des sommes que l’I.S. aurait saisi l’occasion de piller dans les caisses du malheureux syndicat d’étudiants, se trouve être cette information aberrante, dont les récits journalistiques ont fréquemment fait état, selon laquelle l’I.S. aurait pu s’abaisser à faire campagne devant les étudiants de Strasbourg, pour les persuader de la validité de ses perspectives, et pour faire élire un bureau sur un tel programme. Pas davantage, nous n’avons entrepris le moindre noyautage de l’U.N.E.F., en y glissant secrètement des partisans. Il suffit de nous lire pour comprendre que tels ne peuvent être nos champs d’intérêt, ni nos méthodes. En fait, quelques étudiants de Strasbourg vinrent nous trouver, pendant l’été de 1966, et nous firent savoir que six de leurs amis — et non eux-mêmes — venaient d’être élus comme direction de l’Association étudiante locale (A.F.G.E.S.), sans programme d’aucune sorte, et en dépit du fait qu’ils étaient notoirement connus dans l’U.N.E.F. comme des extrémistes en désaccord complet avec toutes les variantes de sa décomposition, et même résolus à tout casser. Leur élection, au reste tout à fait régulière, manifestait donc à l’évidence et le désintérêt absolu de la base, et l’aveu d’impuissance définitive de ce qui restait de bureaucrates dans cette organisation. Ceux-ci calculaient sans doute que le bureau « extrémiste » ne saurait pas trouver une quelconque expression de ses intentions négatives. C’était inversement la crainte des étudiants qui vinrent alors nous trouver ; et c’est principalement pour ce motif qu’eux-mêmes n’avaient pas cru devoir personnellement figurer dans cette « direction » : car seul un coup d’une certaine ampleur, et non quelque justification humoristique, pouvait sauver ses membres de l’air de compromission que comporte immédiatement un si pauvre rôle. Pour achever la complexité du problème, alors que les étudiants qui nous parlaient connaissaient les positions de l’I.S., et déclaraient les approuver en général, ceux qui étaient membres du bureau les ignoraient plutôt, mais comptaient principalement sur nos interlocuteurs pour définir au mieux l’activité qui pourrait correspondre à leur bonne volonté subversive.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">À ce stade, nous nous sommes bornés à conseiller la rédaction et la publication, par eux tous, d’un texte de critique générale du mouvement étudiant et de la société, un tel travail comportant au moins pour eux l’utilité de leur faire clarifier en commun ce qui leur restait confus. Nous soulignâmes en outre que le fait de disposer d’argent et de crédit était le point essentiel utilisable de la dérisoire autorité qui leur avait été si imprudemment laissée ; et qu’un emploi non-conformiste de ces ressources aurait à coup sûr l’avantage de choquer beaucoup de monde, et par là de faire mieux voir ce qu’ils pourraient mettre de non-conformiste dans le contenu. Ces camarades approuvèrent nos avis. Dans le développement de ce projet, ils restèrent en contact avec l’I.S., particulièrement par l’intermédiaire de Mustapha Khayati.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La discussion et les premières ébauches de rédaction entreprises collectivement par ceux qui nous avaient rencontrés et les membres du bureau de l’A.F.G.E.S. — tous résolus à mener à bonne fin cette affaire — apportèrent au plan une importante modification. Tous se montraient d’accord sur le fond de la critique à produire, et précisément sur les grandes lignes telles que Khayati avait pu les évoquer, mais se découvrirent incapables d’aboutir à une formulation satisfaisante, surtout dans le bref délai que leur imposait la date de la rentrée universitaire. Cette incapacité ne doit pas être considérée comme la conséquence d’un grave manque de talent, ou de l’inexpérience, mais tout simplement était produite par l’extrême <i>hétérogénéité</i> de ce groupe, dans le bureau et à côté du bureau. Leur rassemblement préalable sur la base d’accord la plus vague les rendait très peu aptes à rédiger ensemble l’expression d’une théorie qu’ils n’avaient pas réellement reconnue ensemble. Des oppositions et méfiances personnelles apparaissaient en outre entre eux à mesure que le projet prenait de l’ampleur ; le ralliement à la variante la plus large et la plus sérieuse qu’il serait possible de concevoir pour ce coup constituant d’ailleurs leur seule réelle volonté commune. Dans de telles conditions, Mustapha Khayati se trouva conduit à assumer presque seul l’essentiel de la rédaction du texte, qui fut à mesure discuté et approuvé dans ce groupe d’étudiants à Strasbourg, et aussi par les situationnistes à Paris — ces derniers étant seuls à y introduire des adjonctions tant soit peu notables, en nombre du reste limité.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Diverses mesures préliminaires annoncèrent la parution de la brochure. Le 26 octobre, le cybernéticien Moles (<i>cf.</i> <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is9.htm#correspondance" target="_blank" style="text-decoration: none;">I.S.</a></i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is9.htm#correspondance" target="_blank" style="text-decoration: none;"> 9</a>, page 44), enfin parvenu à une chaire de psycho-sociologie pour s’y adonner à la programmation des jeunes cadres, en fut chassé dès les premières minutes de son cours inaugural par les tomates que lui lançaient une douzaine d’étudiants (le même traitement a été appliqué à Moles, en mars, au Musée des Arts Décoratifs de Paris, où ce robot conforme devait discourir sur le contrôle des populations par les méthodes de l’urbanisme ; cette dernière réfutation lui était portée par une trentaine de jeunes anarchistes, appartenant à des groupes qui veulent ramener la critique révolutionnaire dans toutes les questions modernes). Peu après ce cours inaugural, certainement aussi insolite que Moles lui-même dans les annales de l’Université, l’A.F.G.E.S. entreprit l’affichage, en guise de publicité pour la brochure, d’un <i>comics</i> réalisé par André Bertrand, <i>Le retour de la colonne Durruti</i>, document qui avait le mérite d’exposer dans les termes les plus nets ce que ses camarades pensaient faire de leurs fonctions : « La crise générale des vieux appareils syndicaux, des bureaucraties gauchistes, se faisait sentir partout et principalement chez les étudiants, où l’activisme n’avait depuis longtemps plus d’autre ressort que le dévouement le plus sordide aux idéologies défraîchies et l’ambition la moins réaliste. Le dernier carré de professionnels qui élut nos héros n’avait même pas l’excuse d’une mystification. Ils placèrent leur espoir d’un renouveau dans un groupe qui ne cachait pas ses intentions de saborder au plus vite et pour le mieux tout ce militantisme archaïque. »</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La brochure fut distribuée à brûle-pourpoint aux personnalités officielles, lors de la rentrée solennelle de l’Université ; simultanément le bureau de l’A.F.G.E.S. faisait savoir que son seul programme « étudiant » était la dissolution immédiate de cette association, et convoquait une assemblée générale extraordinaire pour voter là-dessus. On sait que la perspective horrifia aussitôt beaucoup de gens. « Ce serait la première manifestation concrète d’une révolte qui vise tout bonnement à détruire la société », écrivait un journal local (<i>Dernières Nouvelles</i>, 4-12-66). Et <i>L’Aurore</i> du 26 novembre : « l’Internationale situationniste, organisation qui compte quelques adhérents dans les principales capitales d’Europe. Ces anarchistes se prétendent révolutionnaires et veulent “prendre le pouvoir”. Le prendre non pour le conserver, mais pour semer le désordre et détruire même leur propre autorité. » Et même, à Turin, la <i>Gazetta del Popolo</i> du même jour manifestait des inquiétudes démesurées : « Il s’agirait toutefois de considérer si d’éventuelles mesures de représailles… ne risqueraient pas d’entraîner des désordres… À Paris et dans d’autres villes universitaires de France, l’Internationale situationniste, électrisée par le triomphe obtenu par ses adeptes à Strasbourg, s’apprête à déchaîner une offensive de grand style pour s’assurer le contrôle des organismes étudiants. » À ce moment il nous fallait prendre garde à un nouveau facteur décisif : les situationnistes devaient se défendre d’une <i>récupération</i> dans l’actualité journalistique ou la mode intellectuelle. La brochure s’était finalement transformée en un texte de l’I.S. ; nous n’avions pas cru devoir refuser d’aider ces camarades dans leur volonté de porter un coup contre le système, et cette aide n’avait malheureusement <i>pas pu être moindre</i>. Cet engagement de l’I.S. nous donnait pour la durée de l’opération une fonction de direction <i>de facto</i>, que nous ne voulions en aucun cas prolonger au-delà de cette action commune limitée : peu nous importe, comme tout le monde peut s’en douter, le lamentable <i>milieu étudiant</i>. Nous avions seulement à agir, dans ce cas comme toujours, pour faire réapparaître, par la pratique sans concessions qui est son support exclusif, la nouvelle critique sociale qui se constitue présentement. C’est le caractère inorganisé du groupe d’étudiants de Strasbourg qui, à la fois, avait créé la nécessité de l’intervention situationniste directe, et avait empêché même la réalisation d’un dialogue ordonné, qui seul eût pu garantir un minimum d’égalité dans la décision. Le débat qui définit normalement une action commune entre des groupes indépendants n’avait guère de réalité dans le cas d’un agglomérat d’individus qui montraient toujours plus qu’ils étaient réunis dans l’approbation de l’I.S., et séparés à tous autres propos.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il va de soi qu’une telle carence ne constituait aucunement à nos yeux une recommandation pour <i>l’ensemble</i> de ce groupe d’étudiants, dans la mesure où il paraissait vouloir plus ou moins s’intégrer à l’I.S., en quelque sorte pour faire l’économie de sa propre affirmation. Le manque d’homogénéité des Strasbourgeois avait eu aussi l’occasion d’apparaître, à un degré que nous n’avions pu prévoir, sur une question inattendue : plusieurs avaient soudainement hésité devant la distribution brutale du texte dans la cérémonie de la rentrée de l’Université. Khayati avait dû montrer aux personnes concernées qu’on ne doit pas essayer de faire les scandales à moitié, ni espérer au milieu d’un acte de ce genre que l’on pourrait être moins compromis, quand on a déjà choisi de l’être, en n’étendant pas trop loin la résonnance du coup — et qu’au contraire le succès d’un scandale est la seule sauvegarde relative de ceux qui l’ont sciemment déclenché<sup>1</sup>. Plus inacceptable encore que l’hésitation tardive sur un point de tactique aussi sommaire, nous paraissait l’éventualité dans laquelle certains de ces individus si peu sûrs les uns des autres en viendraient à faire des déclarations en notre nom. Mustapha Khayati fut alors chargé par l’I.S. de faire préciser par les membres du bureau de l’A.F.G.E.S. qu’aucun d’eux n’était situationniste. Ce qu’il firent par leur communiqué du 29 novembre : « Aucun des membres de notre bureau ne fait partie de l’Internationale Situationniste, mouvement qui publie depuis quelque temps la revue du même nom, mais nous nous sommes proclamés entièrement solidaires de ses analyses et perspectives ». Sur la base de cette <i>autonomie</i> affirmée, l’I.S. adressa alors une lettre à André Schneider, président de l’A.F.G.E.S., et à Vayr-Piova, vice-président, pour affirmer sa solidarité complète avec ce qu’ils avaient fait. Cette solidarité de l’I.S. a été toujours maintenue depuis, tant par notre refus immédiat du dialogue avec ceux qui essayèrent de nous approcher tout en proclamant une certaine hostilité envieuse envers les responsables du bureau (voire en ayant la sottise de dénoncer leur action auprès de l’I.S. comme étant de nature « spectaculaire » !), que par l’aide financière et le soutien public devant la répression subséquente (<i>cf.</i> au début d’avril une déclaration signée par 79 étudiants de Strasbourg qui se solidarisaient avec Vayr-Piova, alors exclu de l’Université, sanction qui fut rapportée quelques mois après). Schneider et Vayr-Piova gardèrent devant les sanctions et les menaces une attitude très ferme ; cependant cette fermeté ne se retrouva pas au même degré dans leur attitude vis-à-vis de l’I.S. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La répression judiciaire aussitôt entamée à Strasbourg — qui s’est poursuivie depuis par une série, encore ouverte, de procès qui confirment ce début —, se concentra sur une prétendue illégalité du bureau de l’A.F.G.E.S., soudainement considéré, depuis la publication de la brochure situationniste, comme un « comité de fait » usurpant la représentation syndicale des étudiants. Cette répression était d’autant plus nécessaire que l’union sacrée des bourgeois, des staliniens et des curés, réalisée contre l’A.F.G.E.S., disposait visiblement parmi les 18 000 étudiants de la ville, d’une « force » encore moins considérable que celle du bureau. Elle s’ouvrit par l’ordonnance du tribunal des référés en date du 13 décembre, qui mettait sous séquestre les locaux et la gestion de l’Association, et interdisait l’assemblée générale convoquée par le bureau pour le 16, dans le but d’y faire voter la dissolution de l’A.F.G.E.S. Ce jugement, qui reconnaissait implicitement (mais à tort) qu’une majorité des étudiants que l’on empêchait ainsi de voter risquait d’approuver la position du bureau, en gelant l’évolution des événements, entraîna pour nos camarades — dont la seule perspective était de liquider sans délai leur propre position dirigeante — l’obligation de prolonger leur résistance jusqu’à la fin de janvier. La meilleure pratique du bureau, jusque-là, avait été le traitement qu’il réserva à une quantité de journalistes accourus pour solliciter des interviews : refus du plus grand nombre, boycott insultant de ceux qui représentaient les pires institutions (Télévision française, <i>Planète</i>) ; ainsi une partie de la presse put-elle être amenée à donner une version plus exacte du scandale, et à reproduire moins infidèlement les communiqués de l’A.F.G.E.S. Puisqu’on en était aux mesures administratives, et puisque le bureau <i>in partibus</i> de l’A.F.G.E.S. avait conservé le contrôle de la section locale de la Mutuelle Nationale des Étudiants, il riposta en décidant le 11 janvier, et en exécutant cette décision dès le lendemain, la fermeture du « Bureau d’aide psychologique universitaire » qui en dépendait, « considérant que les B.A.P.U. sont la réalisation en milieu étudiant du contrôle para-policier d’une psychiatrie répressive, dont la claire fonction est de maintenir… la passivité de toutes les catégories d’exploités…, considérant que l’existence d’un B.A.P.U. à Strasbourg est une honte et une menace pour tous les étudiants de cette université qui sont résolus à penser librement ». À l’échelon national l’U.N.E.F., que la révolte de sa section strasbourgeoise — jusque là considérée comme exemplaire — obligeait à reconnaître sa faillite générale, sans évidemment aller jusqu’à défendre les vieilles illusions de liberté syndicale qui étaient si franchement refusées à ses opposants par les autorités, ne pouvait tout de même reconnaître l’exclusion judiciaire du bureau de Strasbourg. À l’assemblée générale de l’Union Nationale, tenue à Paris le 14 janvier, vint donc une délégation de Strasbourg qui, dès l’ouverture de la séance, exigea le vote préalable de sa motion de <i>dissolution de toute l’U.N.E.F.</i>, « considérant que l’affirmation de l’U.N.E.F. en tant que syndicat réunissant l’avant-garde de la jeunesse (Charte de Grenoble, 1946) coïncide avec une période où le syndicalisme ouvrier était depuis longtemps vaincu et devenu un appareil d’autorégulation du capitalisme moderne, travaillant à l’intégration de la classe ouvrière au système marchand… considérant que la prétention avant-gardiste de l’U.N.E.F. est démentie à tout moment par ses mots d’ordre et sa pratique sous-réformistes… considérant que le syndicalisme étudiant est une pure et simple imposture et qu’il est urgent d’y mettre fin ». Cette motion se concluait en appelant « tous les étudiants révolutionnaires du monde… à préparer avec tous les exploités de leurs pays une lutte impitoyable contre tous les aspects du vieux monde, en vue de contribuer à l’avènement du pouvoir international des Conseils Ouvriers ». Deux associations seulement, celle de Nantes et celle des « Étudiants en maisons de repos », ayant voté avec Strasbourg pour que ce préalable fût posé avant l’audition du rapport de gestion de la direction nationale (il faut noter pourtant que, dans les semaines précédentes, les jeunes bureaucrates de l’U.N.E.F. avaient réussi à renverser deux autres bureaux d’association spontanément favorables à la position de l’A.F.G.E.S., à Bordeaux et à Clermont-Ferrand), la délégation de Strasbourg quitta aussitôt un débat où elle n’avait rien d’autre à dire.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La sortie finale du bureau de l’A.F.G.E.S., ne devait cependant pas être aussi digne. À ce moment, trois situationnistes se trouvèrent exclus, pour avoir commis en équipe — et pour s’être trouvés contraints d’avouer devant l’I.S. — plusieurs mensonges calomnieux dirigés contre Khayati, qu’ils comptaient, par ce beau détour, faire lui-même exclure (cf. le tract de l’I.S. en date du 22 janvier : <i>Attention ! trois provocateurs</i>). Leur exclusion n’avait aucun rapport avec le scandale de Strasbourg — en ceci, comme en tout, ils avaient ostensiblement approuvé les conclusions des débats de l’I.S. —, mais deux d’entre eux se trouvaient être Alsaciens. D’autre part, nous l’avons dit plus haut, certains des étudiants de Strasbourg avaient commencé à trouver mauvais que l’I.S. ne récompensât pas leurs insuffisances en les <i>recrutant</i>. Les menteurs exclus cherchèrent auprès d’eux un public peu exigeant, et dans ce cercle crurent couvrir leurs précédents mensonges, et leurs aveux, par une inflation nouvelle de mensonges. Ainsi tous les <i>repoussés</i> s’unirent dans la prétention mystique d’aller au-delà de cette <i>pratique</i> qui les condamnait. Ils commencèrent à croire les journaux ; et même à en rajouter. Ils se virent masses qui auraient vraiment « saisi le pouvoir » dans une sorte de Commune de Strasbourg. Ils se dirent qu’ils n’avaient pas été traités comme un prolétariat révolutionnaire mérite de l’être. Ils s’assurèrent que leur action historique avait dépassé toute théorie antérieure : en oubliant que la seule « action » discernable dans un incident de ce genre était, tout au plus, <i>la rédaction d’un texte</i>, ils compensèrent collectivement par une inflation d’illusionnisme leur déficience à cet égard. Il ne s’agissait de rien de plus ambitieux que de rêver ensemble quelques semaines, en forçant toujours plus sur la drogue des truquages, réitérés avec précipitation. La douzaine d’étudiants de Strasbourg qui avait effectivement soutenu le scandale se divisa en deux parts égales. Le problème supplémentaire agit donc comme <i>révélateur</i>. À ceux qui restèrent « partisans de l’I.S. », nous n’avions évidemment <i>rien à promettre</i> pour l’avenir, et nous avons nettement dit que nous ne le faisions à aucun degré : ceux-là n’avaient qu’à être, inconditionnellement, partisans de la vérité. Vayr-Piova et d’autres devinrent partisans du mensonge avec les exclus « garnautins » (quoique certainement sans avoir connaissance de plusieurs excessives maladresses dans les fabrications récentes de Frey et Garnault, mais en en connaissant tout de même beaucoup). André Schneider, dont les menteurs souhaitaient l’appui parce qu’il était tenant du titre de président de l’A.F.G.E.S., abreuvé par eux tous de fausses nouvelles, eut la faiblesse de les croire sans autre examen, et de contresigner une de leurs déclarations. Mais après quelques jours seulement, s’avisant tout seul d’un certain nombre déjà de mensonges indiscutables que ces gens trouvaient normal d’évoquer entre initiés pour le sauvetage de leur mauvaise cause, Schneider ne douta pas un instant qu’il devait affirmer publiquement l’erreur de son premier mouvement : par le tract <i>Souvenirs de la maison des morts</i>, il dénonça ceux qui l’avaient abusé, et qui lui avaient fait partager la responsabilité d’un faux-témoignage monté contre l’I.S. Le retournement de Schneider, dont les menteurs avaient sous-estimé le caractère, et qui s’était trouvé ainsi témoin privilégié du dernier état de leur manipulation collective des faits gênants, porta un coup définitif, à Strasbourg même, aux exclus et à leurs complices, déjà discrédités partout ailleurs. Dans leur dépit, les malheureux qui s’étaient tant mis en frais, la semaine d’avant, pour obtenir la caution de Schneider, proclamèrent alors qu’il était notoirement un faible d’esprit, et cédait tout simplement « au prestige de l’I.S. » (c’est un fait qui se reproduit de plus en plus fréquemment depuis quelque temps, dans les débats les plus divers, que le « prestige de l’I.S. » soit ainsi maladroitement identifié par des menteurs <i>avec le simple fait de dire la vérité</i> ; amalgame qui assurément nous honore). D’ailleurs, avant que trois mois ne soient écoulés, l’association de Frey et consorts avec Vayr-Piova et tous ceux qui voulaient bien les soutenir d’une adhésion âprement sollicitée (ils furent jusqu’à 8 ou 9) devait étaler elle-même au grand jour sa triste réalité : fondée sur la base de mensonges enfantins par des individus qui s’estiment réciproquement comme de malhabiles menteurs, ce fut exactement la démonstration, involontairement parodique, d’un genre d’« action collective » qu’il ne faut en aucun cas commettre ; et avec les gens qu’il ne faut à aucun degré fréquenter ! On les vit mener ensemble une dérisoire <i>campagne électorale</i> devant les étudiants de Strasbourg. De pédants débris de pseudo-souvenirs d’idées et de phrases situationnistes étaient utilisés, par dizaines de pages, avec une totale inconscience du ridicule, dans le seul but de <i>garder le « pouvoir » à la section strasbourgeoise de la M.N.E.F.</i>, fief micro-bureaucratique de Vayr-Piova, rééligible le 13 avril. Aussi heureux dans ce cas que dans leurs manœuvres précédentes, ils se trouvèrent en plus battus par d’aussi bêtes qu’eux, staliniens et chrétiens plus naturellement friands d’électoralisme ; et qui s’offrirent en prime le luxe de dénoncer leurs déplorables rivaux comme de « faux situationnistes ». Dans le tract <i>L’I.S. vous l’avait bien dit</i>, publié le lendemain, André Schneider et ses camarades montrèrent aisément à quel point cette tentative ratée d’exploitation publicitaire <i>des restes</i> du scandale survenu cinq mois plus tôt s’avouait comme le reniement complet de l’esprit et des perspectives affirmées alors. <a name="buts-vayr-piova"></a>Vayr-Piova, dans un communiqué diffusé le 20 avril, déclarait pour finir : « Je trouve réjouissant de me voir enfin dénoncé comme “non-situationniste” — chose que j’ai toujours proclamée ouvertement depuis que l’I.S. s’est érigée en puissance officielle ». On a ici un échantillon suffisant d’une immense littérature déjà oubliée. Que l’I.S. soit devenue <i>une puissance officielle</i>, voilà une de ces thèses typiques de Vayr-Piova ou Frey, qui peuvent être examinées par ceux qui s’intéressent à la question ; et selon les conclusions qu’ils adopteront, ils sauront aussi ce qu’ils doivent penser de l’intelligence de tels théoriciens. Mais à côté de ceci, le fait que Vayr-Piova proclame — « ouvertement », ou serait-ce même « secrètement », dans une « proclamation » réservée aux plus discrets complices de ses mensonges, par exemple ? — qu’il ne fait pas partie de l’I.S. depuis, quelle que soit la date qu’il voudra bien lui assigner, le jour de notre transformation en « puissance officielle », voilà qui est <i>un mensonge caractérisé</i>. Tous ceux qui le connaissent savent que <i>jamais</i> Vayr-Piova n’a eu l’occasion de se dire autre chose que « non-situationniste » (voir ce que nous avons écrit plus haut du communiqué de l’A.F.G.E.S. en date du 29 novembre 1966).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Les plus heureux résultats de cet ensemble d’incidents sont, bien entendu, au-delà de ce nouvel exemple, opportunément très remarqué, de notre refus d’enrôler tout ce que le néo-militantisme en quête de subordination glorieuse peut jeter sur notre route. Non moins négligeable peut être considéré cet aspect du résultat qui a fait prendre acte d’une décomposition irrémédiable de l’U.N.E.F., plus achevée même que le donnait à penser sa pitoyable apparence : le coup de grâce résonnait encore en juillet, à Lyon, à son 56<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> Congrès, au cours duquel le triste président Vandenburie devait avouer : « L’unité de l’U.N.E.F. a cessé depuis longtemps. Chaque association vit (<i>note de l’I.S.</i> : ce terme reste prétentieusement inadéquat) de façon autonome, sans faire aucune référence aux mots d’ordre du bureau national. Le décalage croissant entre la base et les organismes de direction a atteint un état de dégradation important. L’histoire des instances de l’U.N.E.F. n’est qu’une suite de crises… La réorganisation et la relance de l’action n’ont pas été possibles. » À égalité dans le comique se placent les quelques remous constatés parmi les universitaires qui crurent devoir pétitionner encore une fois sur ce phénomène d’actualité : on concevra aisément que nous jugions la position publiée par les quarante professeurs et assistants de la faculté des lettres de Strasbourg qui dénoncèrent les <i>faux étudiants</i> à l’origine de cette « agitation en vase clos » autour de faux problèmes « sans l’ombre d’une solution », plus logique et socialement plus rationnelle (comme d’ailleurs les attendus du juge Llabador) que cette pateline tentative d’approbation incompétente que firent circuler en février quelques débris modernistes-institutionnalistes groupés autour d’un maigre croûton à ronger aux chaires de « Sciences humaines » de Nanterre (le hardi Touraine, le loyal Lefebvre, le pro-chinois Baudrillard, le subtil Lourau).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En fait, nous voulons que les idées redeviennent <i>dangereuses</i>. On ne pourra pas se permettre de nous supporter, dans la pâte molle du faux intérêt éclectique, comme des Sartre, des Althusser, des Aragon, des Godard. Notons le mot plein de sens d’un professeur d’université nommé Lhuillier, rapporté par <i>Le Nouvel Observateur</i> du 21 décembre : « Je suis pour la liberté de penser. Mais s’il y a des Situationnistes dans la salle, qu’ils sortent. » Sans négliger tout à fait l’utilité que la diffusion de certaines vérités sommaires a pu avoir pour accélérer très légèrement le mouvement qui porte la jeunesse française retardataire vers la prise de conscience d’une prochaine crise plus générale de la société, nous croyons qu’une importance beaucoup plus nette est attribuable à la diffusion de ce texte, comme facteur de clarification, dans quelques autres pays où un tel processus est déjà bien plus manifeste. Les situationnistes anglais ont écrit dans la présentation de leur édition du texte de Khayati : « La critique la plus hautement développée de la vie moderne a été produite dans un des moins hautement développés parmi les pays modernes, dans un pays qui n’a pas encore atteint ce point où la désintégration complète de toutes les valeurs devient patente et engendre corollairement les forces d’un refus radical. Dans le contexte français, la théorie situationniste a marché en avant des forces sociales par lesquelles elle sera réalisée. » Les thèses de <i>La misère en milieu étudiant</i> ont été beaucoup plus réellement entendues aux États-Unis ou en Angleterre (en mars, la grève de la <i>London School of Economics</i> a fait une certaine impression, le commentateur du <i>Times</i> y découvrant avec tristesse un retour de la lutte des classes, qu’il croyait finie). Ceci est vrai aussi, dans une moindre mesure en Hollande — où la critique de l’I.S., recoupant une critique plus cruelle des événements eux-mêmes, n’a pas été sans effet sur la dissolution récente du mouvement « provo » — et dans les pays scandinaves. Les luttes des étudiants de Berlin-Ouest cette année en ont elles-mêmes retenu quelque chose, quoique dans un sens encore très confus.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Mais bien entendu, la jeunesse révolutionnaire n’a pas d’autre voie que la fusion avec la masse des travailleurs qui, à partir de l’expérience des nouvelles conditions d’exploitation, vont reprendre la lutte pour la domination de leur monde, pour la suppression du travail. Quand la jeunesse commence à connaître la forme théorique actuelle de ce mouvement réel qui partout ressurgit spontanément du sol de la société moderne, ce n’est là qu’un <i>moment</i> du cheminement par lequel cette critique théorique unifiée, qui s’identifie à une <i>unification pratique</i> adéquate, s’emploie à briser le silence et l’organisation générale de la séparation. C’est uniquement dans ce sens que nous trouvons le résultat satisfaisant. De cette jeunesse, nous excluons évidemment la fraction aliénée aux semi-privilèges de la formation universitaire : ici est la base naturelle pour une consommation admirative d’une supposée théorie situationniste, comme dernière mode spectaculaire. Nous n’avons pas fini de décevoir et de démentir ce genre d’approbation. On verra bien que l’I.S. ne doit pas être jugée sur les aspects superficiellement scandaleux de certaines manifestations par lesquelles elle apparaît, mais sur sa vérité centrale <i>essentiellement scandaleuse</i>. </p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-8053565476036623275?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-10163508946684952442007-04-20T09:55:00.000-07:002007-04-20T10:29:22.345-07:00Internationale situationniste - numéro 12<span style="font-size:85%;">septembre 1969<br />Directeur : GUY DEBORD<br />comité de rédaction : Mustapha Khayati, René Riesel, Christian Sébastiani, Raoul Vaneigem, René Viénet</span><br /><br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/le-commencement-dune-epoque.html"> Le commencement d'une époque</a><br />Réforme et contre-réforme dans le pouvoir bureaucratique<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/comment-on-ne-comprend-pas-des-livres.html">Comment on ne comprend pas des livres situationnistes</a><br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/jugements-choisis-concernant-lis-et.html">Jugements choisis concernant l'I.S. et classés selon leur motivation dominante</a><br />Préliminaires sur les conseils et l'organisation conseilliste<br />Avis aux civilisés relativement à l'autogestion généralisée<br />La conquête de l'espace dans le temps du pouvoir<br /><br /><span style="font-size:100%;"> La pratique de la théorie</span><br /><br /><span style="font-size:130%;">Documents :</span><br />Raisons d'une réédition<br />Aux poubelles de l'histoire<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/la-question-de-lorganisation-pour-lis.html">La question de l'organisation pour l'I.S.</a><br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/correspondance-avec-un-editeur.html"> Correspondance avec un éditeur</a><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-1016350894668495244?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-4476018360182114422007-04-20T09:52:00.000-07:002007-04-20T10:24:16.880-07:00Internationale situationniste - numéro 11octobre 1967<br />Directeur : GUY DEBORD<br />Comité de rédaction : Mustapha Khayati, J.V. Martin, Donald Nicholson-Smith, Raoul Vaneigem<br /><br /> Le point d'explosion de l'idéologie en Chine<br /> Deux guerres locales<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/nos-buts-et-nos-methodes-dans-le.html"> Nos buts et nos méthodes dans le scandale de Strasbourg</a><br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/les-situationnistes-et-les-nouvelles.html">Les situationnistes et les nouvelles formes d'action contre la politique et l'art</a><br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/avoir-pour-but-la-verite-pratique.html">Avoir pour but la vérité pratique</a><br />Contribution servant à rectifier l'opinion du public sur la révolution dans les pays sous-développés<br />La séparation achevée<br />Jugements choisis avancés récemment à propos de l'I.S.<br /><br /> La pratique de la théorie<div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-447601836018211442?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-5007632878893668022007-04-20T09:51:00.001-07:002007-04-20T10:21:28.464-07:00Internationale situationniste - numéro 10<span style="font-size:85%;">mars 1966<br />Directeur : GUY DEBORD<br />Comité de rédaction : Michèle Bernstein, Théo Frey, Mustapha Khayati, J.V. Martin, Raoul Vaneigem</span><br /><br /><br />Le déclin et la chute de l'économie spectaculaire-marchande<br />Les luttes de classes en Algérie<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/lis-et-les-incidents-de-randers.html">L'I.S. et les incidents de Randers</a><br />Contribution au programme des conseils ouvriers en Espagne<br />Perspectives pour une génération<br />Les structures élémentaires de la réification<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/de-quelques-questions-theoriques.html">De quelques questions théoriques sans questionnement ni problématique</a><br />Adresse aux révolutionnaires d'Algérie et de tous les pays<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/les-mots-captifs.html">Les mots captifs. Préface à un dictionnaire situationniste</a><br /><span style="font-size:100%;"><br /></span><span style="font-size:100%;"> De l'aliénation. Examen de plusieurs aspects concrets</span><br /><br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/sur-des-publications-de-lis.html"> Sur des publications de l'I.S.</a><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-500763287889366802?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-14072074760834886062007-04-20T09:50:00.000-07:002007-04-20T10:18:54.806-07:00Internationale situationniste - numéro 9<span style="font-size:85%;">août 1964<br />Directeur : GUY DEBORD<br />comité de rédaction : MICHÈLE BERNSTEIN, J.V. MARTIN, JAN STRIJBOSCH, RAOUL VANEIGEM</span><br /><br /><br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/maintenant-lis.html">Maintenant, l'I.S.</a><br /><span style="font-size:100%;"><br /></span><span style="font-size:100%;">Le monde dont nous parlons</span><br /><br />L'I.S. vous l'avait bien dit<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/le-questionnaire.html">Le questionnaire</a><br />Mousse contrôlée<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/les-mois-les-plus-longs.html">Les mois les plus longs (février 1963-juillet 1964)</a><br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/lettres-de-loin.html">Lettres de loin</a><br />Réponse à une enquête du Centre d'art socio-expérimental<br /><a href="http://i-situationniste.blogspot.com/2007/04/correspondance-avec-un-cyberneticien.html">Correspondance avec un cybernéticien</a><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-1407207476083488606?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-63328783677553753132007-04-20T09:48:00.003-07:002007-04-20T09:48:50.852-07:00Les mots captifs<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L<span style="font-size:-1;">ES BANALITÉS</span>, par ce qu’elles cachent, travaillent pour l’organisation dominante de la vie. C’en est une de dire que le langage n’est pas dialectique, pour du coup interdire l’usage de toute dialectique. Or rien n’est manifestement plus soumis à la dialectique que le langage, en tant que réalité vivante. Ainsi toute critique du vieux monde s’est-elle faite avec le langage de ce monde et pourtant contre lui, donc automatiquement dans un langage <i>autre</i>. Toute théorie révolutionnaire a dû inventer ses propres mots, détruire le sens dominant des autres mots et apporter de nouvelles positions dans le « monde des significations », correspondant à la nouvelle réalité en gestation, et qu’il s’agit de libérer du fatras dominant. Les mêmes raisons qui empêchent nos adversaires (les maîtres du Dictionnaire) de fixer le langage, nous permettent aujourd’hui d’affirmer des positions autres, négatrices du sens existant. Toutefois nous savons d’avance que ces mêmes raisons ne nous permettent en rien de prétendre à une certitude légiférée définitivement ; une définition est toujours ouverte, jamais définitive ; les nôtres valent historiquement, pour une période donnée, liée à une praxis historique précise.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il est impossible de se débarrasser d’un monde sans se débarrasser du langage qui le cache et le garantit, sans mettre à nu sa vérité. Comme le pouvoir est le mensonge permanent et la « vérité sociale », le langage est sa garantie permanente, et le Dictionnaire se référence universelle. Toute praxis révolutionnaire a éprouvé le besoin d’un nouveau champ sémantique, et d’affirmer une nouvelle vérité ; depuis les Encyclopédistes jusqu’à la « critique du langage de bois » stalinien (par les intellectuels polonais en 1956), cette exigence ne cesse d’être affirmée. <i>C’est que le langage est la demeure du pouvoir</i>, le refuge de sa violence policière. Tout dialogue avec le pouvoir est violence, subie ou provoquée. Quand le pouvoir économise l’usage de ses armes, c’est au langage qu’il confie le soin de garder l’ordre opprimant. Plus encore, la conjugaison des deux est l’expression la plus naturelle de tout pouvoir.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>Passer des mots aux idées, il n’y a qu’un pas</i> ; toujours franchi par le pouvoir et ses penseurs. Toutes les théories du langage, depuis le mysticisme débile de l’être jusqu’à la suprême rationalité (oppressive) de la machine cybernétique, appartiennent à un seul et même monde, à savoir le discours du pouvoir, considéré comme seul monde de référence possible, comme la médiation universelle. Comme le Dieu chrétien est la médiation nécessaire entre deux consciences et entre la conscience et soi, le discours du pouvoir s’installe au cœur de toute communication, devient la médiation nécessaire de soi à soi. Ainsi parvient-il à mettre la main sur la contestation, la plaçant d’avance sur son propre terrain, la contrôlant, la noyautant, de l’intérieur. La critique du langage dominant, son <i>détournement</i>, va devenir la pratique permanente de la nouvelle théorie révolutionnaire.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Parce que tout sens nouveau est appelé <i>contresens</i> par les <i>autorités</i>, les situationnistes vont instaurer la légitimité du contresens, et dénoncer l’imposture du sens garanti et donné par le pouvoir. Parce que le dictionnaire est le gardien du sens <i>existant</i>, nous nous proposons de le détruire systématiquement. Le <i>remplacement</i> du dictionnaire, du maître à parler (et à penser) de tout le langage hérité et domestiqué, trouvera son expression adéquate dans le noyautage révolutionnaire du langage, dans <i>le détournement</i>, largement pratiqué par Marx, systématisé par Lautréamont et que l’I.S. met à la portée de tout le monde.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>Le détournement</i>, que Lautréamont appelait plagiat, confirme la thèse, depuis longtemps affirmée par l’art moderne, de l’insoumission des mots, de l’impossibilité pour le pouvoir de <i>récupérer totalement</i> les sens créés, de fixer une fois pour toutes le sens existant, bref l’impossibilité objective d’un « novlangue ». La nouvelle théorie révolutionnaire ne peut avancer sans une redéfinition des principaux concepts qui la soutiennent. « Les idées s’améliorent, dit Lautréamont, le sens des mots y participe. Le plagiat est nécessaire : le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par une idée juste. » Pour sauver la pensée de Marx, il faut toujours la préciser, la corriger, la reformuler à la lumière de cent années de renforcement de l’aliénation et des possibilités de sa négation. Marx a besoin d’être détourné par ceux qui continuent cette route historique et non pas d’être imbécilement cité par les mille variétés de récupérateurs. D’autre part la pensée du pouvoir lui-même devient, entre nos mains, une arme contre lui. Depuis son avènement, la bourgeoisie triomphante a rêvé d’une langue universelle, que les cybernéticiens essaient aujourd’hui de réaliser électroniquement. Descartes rêvait d’une langue (ancêtre du novlangue) où les pensées se suivraient, tels les nombres, avec une rigueur mathématique : la « mathesis universalis » ou la pérennité des catégories bourgeoises. Les Encyclopédistes qui rêvaient (sous le pouvoir féodal) de « définitions si rigoureuses que la tyrannie ne saurait s’en accommoder », préparaient l’éternité du futur pouvoir, comme <i>ultima ratio</i> du monde, de l’histoire.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L’insoumission des mots, de Rimbaud aux surréalistes, a révélé, dans une phase expérimentale, que la critique théorique du monde du pouvoir est inséparable d’une pratique qui le détruit ; la récupération par le pouvoir de tout l’art moderne et sa transformation en catégories oppressives de son spectacle règnant en est la triste confirmation. « Ce qui ne tue pas le pouvoir, le pouvoir le tue. » Les Dadaïstes ont les premiers signifié aux mots leur défiance, inséparable d’une volonté de « changer la vie ». Ils ont, après Sade, affirmé le droit de <i>tout dire</i>, d’affranchir les mots et de « remplacer l’alchimie du verbe par une véritable chimie » (Breton). <i>L’innocence</i> des mots est désormais consciemment dénoncée, et le langage est affirmé comme « la pire des conventions » à détruire, à démystifier, à libérer. Les contemporains de Dada n’ont pas manqué de souligner sa volonté de tout détruire (« entreprise de démolition » s’inquiétait Gide), le danger qu’il représentait pour le sens dominant. Avec Dada, c’est devenu une absurdité de croire qu’un mot est pour toujours enchaîné à une idée : Dada a réalisé tous les possibles du <i>dire</i>, et fermé à jamais la porte de l’art comme spécialité. Il a définitivement posé le problème de la réalisation de l’art. Le surréalisme n’a de valeur qu’en tant que prolongement de cette exigence ; c’est une <i>réaction</i> dans ses réalisations littéraires. Or, la réalisation de l’art, la poésie (au sens situationniste) signifie qu’on ne peut se réaliser dans une « œuvre », mais au contraire se réaliser tout court. Le « tout dire » inauguré par Sade impliquait déjà l’abolition du domaine de la littérature séparée (où seul ce qui est littéraire peut être dit). Seulement cette abolition, consciemment affirmée par les Dadaïstes, après Rimbaud et Lautréamont, n’était pas un <i>dépassement</i>. Il n’y a pas de dépassement sans réalisation, et on ne peut dépasser l’art sans le réaliser. Pratiquement il n’y a même pas eu d’abolition, puisqu’après Joyce, Duchamp et Dada, une nouvelle littérature spectaculaire continue de pulluler. C’est que le « <i>tout dire</i> » ne peut exister sans la liberté de tout faire. Dada avait une chance de réalisation dans <i>Spartakus</i>, dans la pratique révolutionnaire du prolétariat allemand. L’échec de celui-ci rendait le sien inévitable. Il est devenu, dans les écoles artistiques ultérieures (sans exclure la quasi-totalité de ses protagonistes), l’expression littéraire du néant du faire poétique, l’art d’exprimer le néant de la liberté quotidienne. L’ultime expression de cet art du « tout dire » privé du faire est la page blanche… La poésie moderne (expérimentale, permutationnelle, spatialiste, surréaliste ou néodadaïste) est le contraire de la poésie, le projet artistique récupéré par le pouvoir. Elle abolit la poésie sans la réaliser ; elle vit de son autodestruction permanente. « À quoi bon sauver la langue — reconnaît misérablement Max Bense — quand il n’y a plus rien à dire ? », aveu de spécialiste ! Psittacisme ou mutisme, c’est la seule alternative des spécialistes de la permutation. La pensée et l’art moderne garantis par le pouvoir, et le garantissant, se meuvent donc dans ce que Hegel appelait « le langage de la flatterie ». Tous contribuent à l’éloge du pouvoir et de ses produits, perfectionnent la réification et la banalisent. En affirmant que « la réalité consiste en langage », ou que le langage « ne peut être considéré qu’en lui-même et pour lui-même » les spécialistes du langage concluent au « langage-objet », aux « mots-choses » et font leur délectation de l’éloge de leur propre réification. Le modèle de la chose devient dominant, et la marchandise, encore une fois, trouve sa réalisation, ses poètes. La théorie de l’État, de l’économie, du droit, de la philosophie, de l’art, tout a maintenant ce caractère de précaution apologétique.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Là où le pouvoir séparé remplace l’action autonome des masses, donc là où la bureaucratie s’empare de la direction de tous les aspects de la vie sociale, elle s’attaque au langage et réduit sa poésie à la vulgaire prose de son information. Elle s’approprie privativement le langage, comme tout le reste, et l’impose aux masses. Le langage est alors sensé communiquer ses messages et contenir sa pensée ; il est le support matériel de son idéologie. Que le langage soit avant tout un moyen de communication entre les hommes, la bureaucratie l’ignore. Puisque toute communication passe par elle, les hommes n’ont même plus besoin de se parler : ils doivent avant tout assumer leur rôle de <i>récepteur</i>, dans le réseau de communication informationniste auquel est réduite toute la société, récepteurs des ordres à exécuter.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le mode d’existence de ce langage est la bureaucratie, son devenir la bureaucratisation. L’ordre bolchevik issu de l’échec de la révolution soviétique a imposé une série d’expressions plus ou moins magiques, impersonnelles, à l’image de la bureaucratie au pouvoir. « Politburo », « Komintern », « Cavarmée », « Agitprop », sont autant de noms mystérieux d’organismes spécialisés, réellement mystérieux, qui se meuvent dans la sphère nuageuse de l’État (ou la direction du parti) sans rapport avec les masses, si ce n’est d’instituer et de renforcer la domination. Le langage colonisé par la bureaucratie se réduit à une série de formules sans nuances, inflexibles, où les mêmes noms sont toujours accompagnés des mêmes adjectifs et participes ; le nom les gouverne et chaque fois qu’il apparaît, ils suivent automatiquement et à l’endroit opportun. Cette « mise au pas » des mots traduit une militarisation plus profonde de toute la société, sa division en deux catégories principales : la caste des dirigeants et la grande masse des exécutants. Mais ces mêmes mots sont appelés à jouer d’autres rôles ; ils sont pénétrés du pouvoir magique de soutenir la réalité opprimante, de la masquer, et de la présenter comme la vérité, la seule vérité possible. Ainsi on n’est plus « trotskiste », mais « hitléro-trotskiste », il n’y a plus de marxisme, mais « le marxisme-léninisme », et l’opposition est automatiquement « réactionnaire » en « régime soviétique ». La rigidité avec laquelle on sacralise les formules rituelles a pour but de préserver la pureté de cette « substance » en face des faits qui apparemment la contredisent. Le langage des maîtres est alors tout, et la réalité rien, elle est tout au plus la carapace de ce langage. Les gens doivent, dans leurs actes, dans leurs pensées et leurs sentiments, faire comme si leur État était cette raison, cette justice, cette liberté proclamées par l’idéologie ; le rituel (et la police) sont là pour faire observer ce comportement (cf. Marcuse, <i>Marxisme Soviétique</i>).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le déclin de la pensée radicale accroît considérablement le pouvoir des mots, les mots du pouvoir. « Le pouvoir ne crée rien, il récupère. » (cf. <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is8.htm#all" target="_blank" style="text-decoration: none;">I.S.</a></i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is8.htm#all" target="_blank" style="text-decoration: none;"> 8</a>). Les mots forgés par la critique révolutionnaire sont comme les armes des partisans, abandonnées sur un champ de bataille : ils passent à la contre-révolution ; et comme les prisonniers de guerre, ils sont soumis au régime des travaux forcés. Nos ennemis les plus immédiats sont les tenants de la fausse critique, ses fonctionnaires patentés. Le divorce entre la théorie et la pratique fournit la base centrale de la récupération, de la pétrification de la théorie révolutionnaire en idéologie, qui transforme les exigences pratiques réelles (dont les indices de réalisation existent déjà dans la société actuelle) en des systèmes d’idées, en exigences de la raison. Les idéologues de tout bord, chiens de garde du spectacle dominant, sont les exécutants de cette tâche ; et les concepts les plus corrosifs sont alors vidés de leur contenu, remis en circulation, au service de l’aliénation entretenue : le dadaïsme à rebours. Ils deviennent des slogans publicitaires (cf. le récent prospectus du « Club Méditerranée »). Les concepts de la critique radicale connaissent le même sort que le prolétariat ; on les prive de leur histoire, on les coupe de leurs racines : ils sont bons pour les machines à penser du pouvoir.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Notre projet de libération des mots est historiquement comparable à l’entreprise Encyclopédiste. Au langage du « déchirement » de l’<i>Aufklärung</i> (pour continuer l’image hégélienne), il manquait la dimension historique consciente ; il était bel et bien la critique du vieux monde féodal décrépit, mais ignorait totalement ce qui allait en sortir : aucun des Encyclopédistes n’était républicain. Il exprimait plutôt le propre déchirement des penseurs bourgeois ; le nôtre vise avant tout la pratique qui déchire le monde, en commençant par déchirer les voiles qui le cachent. Tandis que les Encyclopédistes cherchaient l’énumération quantitative, la description enthousiaste d’un monde d’objets où se déploie la victoire déjà présente de la bourgeoisie et de la marchandise, notre dictionnaire traduit le <i>qualitatif</i> et la victoire possible encore absente, le refoulé de l’histoire moderne (le Prolétariat) et <i>le retour du refoulé</i>. Nous proposons la libération réelle du langage, car nous nous proposons de le mettre dans la pratique libre de toute entrave. Nous rejetons <i>toute autorité</i>, linguistique ou autre : seule la vie réelle <i>permet</i> un sens, et seule la praxis le vérifie. La querelle sur la réalité ou la non-réalité du sens d’un mot, isolée de la pratique, est une question purement scolastique. Nous plaçons notre dictionnaire dans cette région libertaire qui échappe encore au pouvoir, mais qui est sa seule héritière universelle possible.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le langage reste encore la médiation nécessaire de la prise de conscience du monde de l’aliénation (Hegel dirait : l’aliénation nécessaire), l’instrument de la théorie radicale qui finira par s’emparer des masses, parce qu’elle est la leur ; et c’est alors seulement qu’il trouvera sa vérité. Il est primordial donc que nous forgions notre propre langage, le langage de la vie réelle, contre le langage idéologique du pouvoir, lieu de justification de toutes les catégories du vieux monde. Nous devons interdire dès à présent la falsification de nos théories, leur récupération possible. Nous utilisons des concepts déterminés, déjà utilisés par les spécialistes, mais en leur donnant un nouveau contenu, en les retournant contre les spécialisations qu’ils soutiennent, et contre les futurs penseurs à gages qui (comme l’ont fait Claudel pour Rimbaud et Klossowski pour Sade) seraient tentés de projeter leur propre pourriture sur la théorie situationniste. Les futures révolutions doivent inventer elles-mêmes leur propre langage. Pour retrouver leur vérité, les concepts de la critique radicale seront réexaminés un à un : le mot <i>aliénation</i>, par exemple, un des concepts-clés pour la compréhension de la société moderne, doit être désinfecté après avoir passé par la bouche d’un Axelos. Tous les mots, tous serviteurs du pouvoir qu’ils sont, sont dans le même rapport avec celui-ci que le prolétariat et, comme lui, ils sont l’instrument et l’agent de la future libération. Pauvre Revel ! Il n’y a pas de mots interdits ; dans le langage, comme ce sera partout ailleurs, <i>tout est permis</i>. S’interdire l’emploi d’un mot, c’est renoncer à une arme utilisée par nos adversaires.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Notre dictionnaire sera une sorte de grille avec laquelle on pourra décrypter les informations, et déchirer le voile idéologique qui recouvre la réalité. Nous donnerons les traductions possibles qui permettent d’appréhender les différents aspects de la société du spectacle, et montrer comment les moindres indices (les moindres signes) contribuent à la maintenir. C’est en quelque sorte un dictionnaire bilingue, car chaque mot possède un sens « idéologique » du pouvoir, et un sens réel ; que nous estimons correspondre à la vie réelle dans la phase historique actuelle. Aussi nous pourrons à chaque pas déterminer les diverses positions des mots dans la guerre sociale. Si le problème de l’idéologie est de savoir comment descendre du ciel des idées dans le monde réel, notre dictionnaire sera une contribution à l’élaboration de la nouvelle théorie révolutionnaire, où le problème est de savoir comment passer du langage dans la vie. L’appropriation réelle des mots qui <i>travaillent</i> ne peut se réaliser en dehors de l’appropriation du travail lui-même. L’établissement de l’activité créatrice libérée sera en même temps l’établissement de la véritable communication, enfin libérée, et la transparence des rapports humains remplacera la pauvreté des mots sous l’ancien régime de l’opacité. Les mots ne cesseront pas de <i>travailler</i> tant que les hommes n’auront pas cessé de le faire.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p align="right">M<span style="font-size:-1;">USTAPHA </span>K<span style="font-size:-1;">HAYATI</span></p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-6332878367755375313?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-30224816483388222442007-04-20T09:48:00.001-07:002007-04-20T09:48:27.261-07:00De quelques questions theoriques<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">I<span style="font-size:-1;">L FAUT EMPÊCHER </span>que soit traité par la spéculation ce qui peut l’être par la théorie radicale. À mesure que l’analyse situationniste de la réalité amorce la réalisation pratique de notre projet, une telle exigence tend à accroître sa portée.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La connaissance est inséparable de l’usage qui s’en fait. L’agitation que nos évidences théoriques commencent à fomenter à des degrés divers dans <i>tous</i> les secteurs du vieux monde va se charger de parfaire et de corriger notre bon usage des idées et des choses : c’est pourquoi nous sommes, dans la société de l’abondance prévisible, les seuls que l’abondance n’effraie pas.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le mode d’emploi n’est jamais problématique. Les spécialistes du questionnement — de <i>Socialisme ou Barbarie</i> à <i>Planète</i> — s’inquiètent seulement de dissimuler à qui profite leur idéologie de la confusion. Les situationnistes travaillent dans la perspective inverse. Ils ne posent que des questions auxquelles peut répondre la volonté de subversion du plus grand nombre des hommes. Il s’agit de donner à cette volonté son maximum d’efficacité.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Les points à considérer, énumérés ci-dessous dans une liste sommaire et exemplative, auront l’intérêt d’éclairer sur la valeur révolutionnaire de celui qui les traitera, et partant, sur l’importance qu’il faut leur accorder dans les luttes actuelles. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Critique de l’économie politique — Critique des sciences humaines — Critique de la psychanalyse (en particulier : Freud, Reich, Marcuse) — Dialectique de la décomposition et du dépassement dans la réalisation de l’art et de la philosophie — La sémiologie, contribution à l’étude d’un système idéologique — La nature et ses idéologies — Le rôle du ludique dans l’histoire — Histoire des théories et théories de l’histoire — Nietzsche et la fin de la philosophie — Kierkegaard et la fin de la théologie — Marx et Sade — Les structuralistes.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La crise romantique — La préciosité — Le baroque — Les langages artistiques — L’art et la créativité quotidienne — Critique du Dadaïsme — Critique du surréalisme — Perspective picturale et société — L’art auto-parodique — Mallarmé, Joyce et Malévitch — Lautréamont — Les arts primitifs — De la poésie.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La révolution mexicaine (Villa et Zapata) — La révolution espagnole — Asturies 1934 — L’insurrection de Vienne — La guerre des paysans (1525) — La révolution spartakiste — La révolution congolaise — Les Jacqueries — Les révolutions inconnues — La révolution anglaise — Les mouvements communalistes — Les Enragés — La Fronde — La chanson révolutionnaire (étude et anthologie) — Cronstadt — Bolchevisme et Trotskisme — L’Église et les hérésies — Les socialismes — Socialisme et sous-développement — La cybernétique et le pouvoir — L’État — Les origines de l’Islam — Thèses sur l’anarchie — Thèses pour une solution finale du problème chrétien — Le monde des spécialistes — De la démocratie — Les Internationales — De l’insurrection — Problèmes et théorie de l’autogestion — Partis et syndicats — De l’organisation des mouvements révolutionnaires — Critique du droit civil et du droit pénal — Les sociétés non-industrialisées — Thèses sur l’utopie — Éloge de Charles Fourier — Les conseils ouvriers — Le fascisme et la pensée magique.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Du répétitif dans la vie quotidienne — Les rêves et l’onirisme — Traité des passions — Les moments et la construction des situations — L’urbanisme et la construction populaire — Manuel de détournement subversif — Aventure individuelle et aventure collective — Inter-subjectivité et cohérence dans les groupes révolutionnaires — Jeu et vie quotidienne — Les rêveries individuelles — Sur la liberté d’aimer — Études préliminaires à la construction d’une base — La folie et les états seconds. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p align="right">R<span style="font-size:-1;">AOUL </span>V<span style="font-size:-1;">ANEIGEM</span></p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-3022481648338822244?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-67245745224679340512007-04-20T09:47:00.001-07:002007-04-20T09:47:56.407-07:00L’I.S. et les incidents de Randers<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">A<span style="font-size:-1;">U DÉBUT DE </span>1965, l’inculpation de J.V. Martin au Danemark à propos de l’édition des « <i>comics</i> subversifs » dont le précédent numéro de cette revue a publié trois exemples (pages 21, 36 et 37) faisait quelque bruit. Martin se trouvait personnellement poursuivi, en tant que responsable de l’I.S., sur une plainte de la branche danoise du mouvement du « Réarmement moral », la fameuse organisation idéologique de choc du capitalisme américain, concernant essentiellement des tracts que nous avions diffusés clandestinement <i>en Espagne</i>. Ces tracts étant formellement un détournement des <i>comics</i>, des filles dévêtues y exprimaient quelques vérités en faveur de la liberté morale et politique, inscrites dans le traditionnel « ballon ». Ceci donnait l’occasion au « Réarmement moral » d’exiger la condamnation de l’I.S., en commençant par Martin, pour offenses à la morale et aux bonnes mœurs, érotisme, pornographie, activité anti-sociale, outrages à l’État, etc. Jointe à ces documents, la célèbre image de Christine Keeler, déclarant sa supériorité évidente sur la princesse danoise qui avait consenti à épouser le roi Constantin (justement qualifié de fasciste avant qu’il ait fait ses preuves, l’été dernier, contre la quasi-totalité du peuple grec), amenait l’accusation supplémentaire d’injure à la famille royale danoise. L’énormité du procédé dont le « Réarmement moral » entendait faire le test émut la presse danoise dans son ensemble. Martin convint aussitôt, dans une déclaration publique, que les situationnistes étaient effectivement ennemis de toutes les valeurs défendues par le « Réarmement moral » et s’employaient activement au <i>désarmement moral</i> de la société que nous connaissons. Il admit que « les photographies de filles nues pouvaient avoir une certaine résonnance érotique, heureusement ». Il rappela que la question de l’édition pornographique était sans rapport avec nos tracts, quoique non sans rapport avec la morale répressive qui la provoque, et du reste la tolère généralement. Enfin, il fit voir la profondeur paradoxale de l’attitude des autorités social-démocrates d’un pays officiellement ennemi du franquisme, s’efforçant de réprimer chez elles des publications injurieuses pour l’ordre franquiste. Finalement, la justice préféra renoncer à déférer Martin devant un tribunal. Elle abandonna l’accusation avant un procès qui eût été instructif.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Peu après l’O.T.A.N. décida de faire entrer des troupes allemandes au Danemark, à deux reprises, pour participer à des manœuvres communes avec l’armée danoise. C’était la première fois que l’on devait revoir l’armée allemande dans ce pays depuis la fin de son occupation en 1945. Le fait suscita de grandes protestations creuses de toute la gauche, des réclamations, des pétitions. Personne, naturellement, n’en tint compte. Les premiers éléments devaient arriver le 16 mars à Randers, dans le Jutland. Martin résidait à ce moment dans cette ville. La célébrité que lui valaient les récentes poursuites renforçait la liaison que son activité situationniste précédente avait créé entre lui et quelques éléments d’avant-garde. Avec Martin, quelques étudiants de l’université d’Aarhus, des dockers, d’anciens partisans du temps de la lutte armée anti-nazie, il se constitua un comité qui fit savoir que l’on s’opposerait par la force à l’entrée de ces troupes dans la ville. Des affiches et des inscriptions le proclamèrent sur les murs. Des gens vinrent de tout le Danemark. Des envoyés de tous les journaux scandinaves, et quelques allemands, se rendirent sur les lieux pour observer la rencontre.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le 16 mars, l’armée danoise, aidée d’importants renforts de police, investit la ville. Son plan était de faire entrer par surprise la colonne motorisée allemande jusqu’aux casernes où elle devait stationner. Mais le comité organisa la surveillance de toutes les routes, de sorte qu’il put être prévenu en temps utile de la voie d’approche des troupes, à la tombée de la nuit. Des petits groupes postés à cette fin retardèrent le convoi. La masse des manifestants eut le temps de se rassembler et de se porter devant les casernes, du côté où l’on projetait d’y faire pénétrer la colonne. Il y eut un choc violent entre les manifestants et les soldats et policiers danois, les véhicules des Allemands arrivant au milieu de cette mêlée. Des voitures furent lapidées, des pneus crevés. On vola même une jeep. Finalement les troupes entrèrent dans les casernes et y passèrent la nuit. Mais ce fut pour repartir après cette conquête symbolique. Peu après, un porte-parole de Bonn démentit que le projet ait jamais été conçu d’envoyer deux fois des troupes allemandes en manœuvres au Danemark. Il déclarait parfaitement satisfaisante l’unique expérience accomplie.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le surlendemain, 18 mars, dans la soirée, alors que Martin, avec un groupe de responsables de la manifestation, sortait de sa maison — 16, Slodsgade — qui était le local utilisé pour toute l’organisation de l’action en cours, et donc désignée un peu partout comme « le quartier-général de l’émeute », une puissante bombe incendiaire explosa dans la pièce qu’ils venaient de quitter, blessant légèrement son jeune fils Morton, à un autre étage. Le feu consuma complètement la maison en peu de temps. La première impression fut qu’il s’agissait d’une contre-attaque de l’extrême-droite. Mais la police arrêta aussitôt Martin, en l’accusant d’une activité terroriste opportunément révélée par cet « accident ».</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Cependant, dès le lendemain, la police changea complètement sa thèse peu soutenable. Elle trouva facilement l’incendiaire, un manifestant nommé Kanstrup qui avait <i>oublié dans un taxi</i> une deuxième bombe, avec des bagages à son nom. La carrière de Kanstrup vaut qu’on s’y arrête : dirigeant des « Jeunesses Communistes », il s’était infiltré dans une organisation de néo-nazis, mais c’était pour découvrir leurs agents en R.D.A., qu’il dénonçait aux autorités de Berlin-Est. Il avait été ainsi arrêté pour espionnage par la police de Copenhague. Après ce tournant obscur, Kanstrup était devenu trotskiste, et ainsi avait fait secrètement de « l’entrisme » dans un groupe socialiste de gauche. C’est à ce titre qu’il participait à la manifestation de Randers, sans révéler bien sûr qu’il avait apporté deux bombes.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Selon les déclarations de Kanstrup à la police, sa bombe, dont il avait envisagé de faire seul un usage purement symbolique, avait explosé accidentellement chez Martin. Mais il était évident que Kanstrup était un provocateur. Cependant, on ne peut dire si l’explosion visait l’élimination physique des gens qui se trouvaient dans cette pièce quelques instants auparavant, ou seulement la destruction de l’immeuble. Kanstrup avait pu lui-même mettre en action un détonateur, ou bien un complice avait « amorcé » sa bombe en jetant une grenade par la fenêtre (Kanstrup émit quelque temps cette hypothèse, puis la retira, considérant l’invraisemblance de la coïncidence ; et sa propre affirmation qu’il était seul à connaître la présence de cette bombe). Nous ne nous sommes pas souciés de démêler si Kanstrup avait agi pour le compte de la police politique de Copenhague, qui avait barre sur lui depuis son affaire d’espionnage, ou pour le compte des staliniens (que ce soit l’insignifiant parti danois ou bien ses chefs directs de Berlin-Est). En effet les buts de ces deux institutions étaient liés en la circonstance. Il s’agissait d’abord d’intimider brutalement une partie des manifestants ; et d’autre part de semer le trouble en laissant entendre que les organisateurs pourraient être impliqués dans une conspiration terroriste en rapport avec les bureaucrates de l’Est. C’est la police politique danoise qui avait le plus grand intérêt dans une telle manipulation de Kanstrup (ce que la suite a montré assez clairement). Cependant les staliniens ne pouvaient que se trouver bien d’un coup porté à une organisation autonome qui venait de montrer sa capacité d’agir puissamment. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">J.V. Martin, traité à la fois dans la presse allemande d’anarchiste et de pro-stalinien, et en tout cas d’anti-allemand (bien que des affiches en allemand aient souligné à Randers que cet accueil visait seulement le militarisme allemand) affirma que son opposition au Pacte de Varsovie était égale à son opposition à l’O.T.A.N., et que les situationnistes sont si peu anti-allemands qu’une de nos revues était intitulée <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/gedanke.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">Der Deutsche Gedanke</a></i> (La pensée allemande).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La police suédoise et la presse scandinave découvrirent alors un groupuscule nazi en Suède, qui aurait possédé quelques armes et adressé quelques menaces par correspondance ; et essayèrent ainsi de dresser un tableau équilibré d’extrémismes symétriques. Dès l’ouverture du procès de Kanstrup, à la surprise visible de son avocat — le stalinien Madsen —, le procureur abandonna soudain sans explication le délit de destruction par explosif d’immeuble habité, et se borna à requérir deux mois de prison ferme, qu’il obtint, pour « détention d’explosifs et participation à une manifestation interdite » ! Il ne faudrait pas en déduire que le Danemark connaît la mansuétude judiciaire d’un Far-West de cinéma car, quelque temps après, un jeune camarade qui avait lancé une simple grenade lacrymogène dans un meeting du répugnant pasteur Billy Graham a été condamné à trois mois de prison. Le laboratoire de la police de Copenhague conclut ensuite que la bombe <i>avait pu</i> exploser parce qu’un fort degré de chaleur ambiante était dépassé (mais sans tenir compte du fait qu’elle avait éclaté dans une pièce non-chauffée). Enfin, en décembre, l’avocat Madsen demanda l’ouverture d’une nouvelle enquête, accusant avec précision la police de Randers d’avoir été au courant vingt-quatre heures à l’avance du projet de l’attentat de Kanstrup chez Martin ; et donc au moins de l’avoir laissé accomplir. Il accusa aussi l’armée d’avoir fourni des explosifs. L’ensemble de la presse danoise rapporta ses accusations, y compris le quotidien stalinien <i>Land og Folk</i> (1-1-66). Ainsi les staliniens n’ont révélé le rôle du louche Kanstrup comme provocateur au service de la police qu’après le très long délai pendant lequel l’incertitude a servi leurs desseins.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Toute cette affaire est intéressante, comme signe de la montée générale de la violence, sous le confort de la démocratie scandinave ; et du mouvement qui porte cette violence vers sa transformation en contestation de la société, ici en essayant les méthodes dont l’avant-garde japonaise a aujourd’hui la meilleure expérience. L’exemple tout récent des centaines de jeunes « provos » d’Amsterdam qui ont tenu la rue le 10 mars, sabotant complètement les cérémonies du mariage de la princesse locale avec un ex-nazi, s’inscrit dans ce même courant. Il est remarquable que, dès le lendemain de l’affrontement où la pratique de l’I.S. avait montré son excellence, une manifestation de protestation distincte et pacifique à Randers, appelée par divers organismes non-violents, s’est trouvée attaquée par de jeunes blousons noirs. Autre détail notable, avec la destruction intégrale du principal dépôt de publications de l’I.S. en Europe du Nord, la plupart des anti-tableaux réalisés dix-huit mois auparavant (Martin, Bernstein) pour la manifestation « Destruction de R.S.G. 6 » (cf.<i> <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is9.htm#mois" target="_blank" style="text-decoration: none;">I.S.</a></i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is9.htm#mois" target="_blank" style="text-decoration: none;"> 9</a>, page 32) furent également anéantis : voilà bien une suppression de la négation artistique, qui n’est pas encore son dépassement ! La « couverture » de l’art ici s’est trouvée brûlée. Il est aussi fort significatif que des procédés célèbres en Amérique ou en Espagne, ou dans l’unité d’action des polices marocaine et française, puissent trouver leur application dans la police et l’armée du Danemark social-démocratique, quand il s’agit de faire barrage à un mouvement qui les inquiète.</p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-6724574522467934051?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-6331417285250325422007-04-20T09:40:00.002-07:002007-04-20T09:41:11.964-07:00Correspondance avec un cyberneticien<div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" >Abraham A. M</span><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;font-size:-1;" >OLES </span><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" >— à en juger sur l’en-tête de son papier : docteur ès-lettres (Phil.), docteur ès-sciences (Phys.), ingénieur, professeur assistant (Université de Strasbourg), professeur à l’E.O.S.T. — a adressé, le 16 décembre 1963, cette </span><i style="font-family: arial;">Lettre ouverte au Groupe Situationniste</i><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" > :</span> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">M<span style="font-size:-1;">ONSIEUR</span>,</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">J’ai appris l’existence du Groupe Situationniste par l’intermédiaire de mon ami et collègue Henri Lefebvre. La signification que j’ai attribué au terme « situationniste » vient donc, en grande partie, de ce qu’il m’en a dit et de la lecture d’un certain nombre de vos bulletins, auxquels je vous prierai de m’abonner.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L’interprétation que j’adopte du mot « situation » est ici purement personnelle et peut-être en désaccord avec la vôtre. Il me paraît que, devant le drame personnel de l’aliénation technologique que nous percevons chacun pour notre compte, devant la consommation effrénée de l’œuvre d’art qui détruit la signification même du terme, devant un certain nombre de concepts, tels que le bonheur anesthésique ou la péremption incorporée chère à Vance Packard, des individus puissent se demander où peut se situer l’originalité créatrice dans une société frigidarisée, assortie ou non d’une mystique de l’aspirateur, selon Monsieur Goldman. La liberté interstitielle se ramène peu à peu à zéro, au fur et à mesure que les cybernéticiens technocratiques — dont je fais partie — mettent progressivement en fiches les trois milliards d’insectes.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La vie quotidienne est une suite de situations ; ces situations appartiennent à un répertoire fortement limité. Peut-on étendre ce répertoire, peut-on trouver de nouvelles situations ? Il me semble que c’est ici que le mot « situationniste » prend un sens. Une situation me paraît un système de perceptions lié à un système de réaction à courte échéance. J’aimerais certes, avoir dans vos publications une étude sur ce que vous appelez « situation » : un individu qui, pour une quelconque raison, marche au plafond plutôt que par terre, est-il dans une situation nouvelle ? Un danseur de corde est-il dans une situation rare ?</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il me semble que deux caractères permettent d’apprécier ce concept. Il y a d’abord la <i>nouveauté</i> d’une situation donnée par rapport à l’ensemble de celles que nous connaissons. Pour un voyageur, une langue étrangère apporte un grand nombre de situations nouvelles et il y a là, visiblement, une <i>grandeur métrique</i> : la « quantité d’étrangeté » qu’il perçoit dans le monde extérieur. Nous vivons couramment des situations légèrement nouvelles pour lesquelles nous devons créer un comportement. Ce terme a ici un simple caractère statistique ; ce qui vaut pour X ne vaut pas pour Y, mais il peut y avoir un « situationnisme marginal » dans lequel les individus recherchent systématiquement des perceptions ou des comportements « slightly queer ».</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Une source importante de situations nouvelles proviendra de l’<i>assemblage extraordinaire d’un grand nombre de microsituations ordinaires </i>; c’est ce qui fait la valeur de la technique rédactionnelle de Graham Greene, assemblant, dans une séquence ramassée un grand nombre d’actes banaux qui se trouvent être extraordinaires par leur assemblage. Chacune des positions élémentaires, correctement, rationnellement ou conventionnellement liées au monde extérieur, paraîtrait parfaitement normale : des milliers de bourgeois s’y trouvent à chaque instant ; l’ensemble particulier de situations est, lui, extraordinaire car il n’est pas « coutumier » qu’elles se succèdent dans cet ordre (Ministry of Fear, Stambul Train, The third Man). Je vous signale que les théoriciens de l’Information sont capables (en pure théorie) de mesurer la quantité de nouveauté qu’apporte un tel système.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il y a, par ailleurs, des situations intrinsèquement rares ; par exemple, l’homosexualité est statistiquement moins fréquente que la sexualité puérile et honnête ; la partie d’amour à trois partenaires l’est moins que la copulation légale. Tuer un homme — ou une femme — est une situation rare et, par là, d’autant plus intéressante : la quantité attachée à la situation, mesurée par une certaine <i>excursion</i> en dehors du champ de liberté sociale, est plus grande qu’une suite de petites infractions aux règlements de la circulation (voyez Dostoïevski, car je pense que la littérature policière n’apporte, dans ce domaine, qu’une statistique situationnelle (!), fictive par-dessus le marché). C’est ici que notre liberté interstitielle se réduira bientôt à zéro, à partir du moment où la technologie nous apportera le contrôle de tous par tous, la matrice des actes élémentaires et la machine à inventorier le contenu des pensées de chacun à chaque instant. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Sortir beaucoup des normes, rarement, ou en sortir très peu, très souvent. Sur ce point, nous voyons donc apparaître deux « dimensions » des situations : leur <i>nouveauté</i> intrinsèque ou la <i>rareté</i> de leur assemblage.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La société contrôle de plus en plus la première avec les armes conjuguées de la morale sociale, des fichiers et des mises en carte, des ordonnances médicales chez le pharmacien, etc. Elle contrôle encore assez mal la seconde et il me semble que l’on peut encore vivre une vie « originale » au sens situationniste, par un pattern nouveau de petites déviations banales. Les surréalistes, dans leur vie quotidienne, l’avaient déjà pressenti bien qu’ils eussent découvert que le pire ennemi du Surréalisme pouvait être la fatigue physique ou l’épuisement des réserves de courage intellectuel.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Mais il me semble, qu’à moins d’incohérence vis-à-vis de notre propre acceptation de l’automobile, du réfrigérateur et du téléphone, c’est-à-dire de la civilisation technologique où nous vivons, c’est dans l’<i>axe de la technologie</i> que nous devons rechercher des situations nouvelles et je me demande dans quelle mesure votre mouvement l’accepte. Il me paraît extrêmement facile de définir des situations nouvelles basées sur un changement technique, dont les conditions physiques sont déjà réalisées, ou réalisables, ou raisonnablement concevables. Par exemple, vivre sans pesanteur, habiter sous l’eau, marcher au plafond, d’une façon générale vivre dans des milieux étranges sont des situations qui nous sont fournies par la technique, au sens classique du mot.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">On peut penser que la technique est loin de notre vie quotidienne. Je crois pourtant que ce serait méconnaître que le ménage possédant une cuisinière à thermostat vit une situation nouvelle. Il est évident, d’après ces exemples, que c’est le retentissement psychologique d’une situation qui fait sa valeur pour une philosophie situationniste.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Ici, une politique se dessine : demander aux sociologues où sont les ressorts sociaux du conventionalisme. Parmi les plus évidents, il y a la <i>sexualité</i> qui est certes susceptible d’apporter un grand nombre de situations nouvelles. La fabrication, biologiquement concevable, de femmes à deux paires de seins est, sans aucun doute, une proposition de la biologie à la tradition. L’invention, à côté des deux sexes conventionnels d’un, deux, trois, <i>n</i> sexes différents, propose une <i>combinatoire</i> sexuelle qui suit le théorème des permutations et suggère un nombre rapidement immense de situations amoureuses (factorielle <i>n</i>).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Une autre source de variations, donc de situations, pourrait reposer sur l’exploitation de nos sens. Les arts « olfactifs » n’ont, par exemple, été développés que dans des notations exclusivement et fortement sexualisées, et plutôt comme instrument de lutte entre les sexes, mais jamais comme un art abstrait. Dans le domaine artistique, un très grand nombre d’autres situations résulteront prochainement des capacités techniques et si les metteurs en scène américains ne savent que faire du cinérama, et à plus forte raison du Circlorama, peut-être est-il légitime d’espérer là une source d’arts nouveaux. Le rêve de l’Art Total est conditionné par la pauvreté de l’imagination artistique.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Qu’adviendrait-il d’une société comportant des couches sociales basées sur ce que Michael Young appelle la « Méritocratie » où celles-ci seraient inscrites dans les lois de l’État ? C’est certainement la fonction de la fiction sociologique que de le préfigurer. En fait, la vie quotidienne, telle que nous la connaissons, est susceptible, par des écarts qui peuvent paraître négligeables, de proposer des situations infiniment nouvelles. Je pense, par exemple, au grand clivage des hommes et des femmes basé sur une catégorisation <i>a priori</i> aléatoire mais définitive. Il n’est plus du tout inconcevable que les êtres changent de sexe au cours de leur vie, et les situations nouvelles, d’abord à caractère individuel, puis à caractère social, sont ici parfaitement concevables. Il me semble que ce serait l’un des rôles de l’Internationale Situationniste que de les explorer. Si l’on suppose simplement que les vecteurs d’attraction hommes pour femmes, femmes pour hommes deviennent symétriques au lieu de la dissymétrie temporelle qui est la règle statistique actuelle, on peut penser que 90 % du Théâtre, du Cinéma, de la Littérature et de l’Art figuratif doivent être remplacés.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">On pourrait continuer indéfiniment cette énumération, mais il me semble, en bref, que la recherche de situations nouvelles qui me paraît, si je comprends bien, l’un des objets que pourrait se poser le Situationnisme, soit relativement facile et doive être liée, entre autres, à une étude de ce qu’apportent les techniques biologiques, que des tabous variés laissent pratiquement intactes.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">En résumé :</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p><i>1°</i> Mon intérêt pour votre mouvement vient de l’idée de base de rechercher, dans une société contrainte au bonheur technologique, des situations nouvelles,</p> <p><i>2°</i> Il me semble que le terme de « situation » devrait être mieux défini ou redéfini dans votre perspective propre et qu’un rapport doctrinal de votre part à ce terme serait nécessaire. En particulier, la mesure de la valeur de nouveauté d’une situation me paraît un critère indispensable.</p> <p><i>3°</i> Il n’est pas difficile de trouver un grand nombre de situations nouvelles — j’en énumère ci-dessus une douzaine, — mais on peut pousser le raisonnement plus loin. Celles-ci peuvent être issues :</p> <blockquote><p><i>a)</i> de la transgression des tabous qui, à l’intérieur du champ de liberté légale, viennent encore restreindre notre liberté pratique, en particulier dans le domaine sexuel et biologique ;</p> <p><i>b)</i> du « crime » au sens de la Sociologie de Durkheim ;</p> <p><i>c)</i> de nombreuses déviations étranges mais de faible ampleur autour de la norme ;</p> <p><i>d)</i> enfin, de la technologie, c’est-à-dire du pouvoir de l’homme sur les lois de la nature.</p></blockquote></blockquote> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> <blockquote style="font-family: arial;"><p><a name="correspondance26-12-63"></a><i>Réponse à Moles</i>, le 26 décembre 1963.</p> <p>P<span style="font-size:-1;">ETITE TÊTE</span>,</p></blockquote> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il était bien inutile de nous écrire. On avait déjà constaté, comme tout le monde, que l’ambition qui t’incite à sortir de ton usage fonctionnel immédiat est toujours malheureuse, puisque la capacité de penser sur quoi que ce soit d’autre n’entre pas dans ta programmation.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">À peine est-il besoin, donc, de signaler que tu n’as rien compris à tes quelques lectures situationnistes (pour lesquelles, évidemment, toutes les bases te manquaient). Tilt. Refais tes calculs, Moles, refais tes calculs : voilà une satisfaction qu’aucun résultat positif ne viendra jamais t’enlever.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Si l’on recherchait ta <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is9.htm#correspondance16-12-63" target="_blank" style="text-decoration: none;">« lettre ouverte »</a>, <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/1963.htm#beaurain29-11" target="_blank" style="text-decoration: none;">pour nous égarée, mais que diverses personnes avaient lue</a>, c’est parce que nous pensions que, venant d’un être de ton espèce et s’adressant à nous, ce ne pouvait être qu’une lettre d’injures. Même pas ! On n’a pas besoin de savoir si ta lettre reflète fidèlement le degré moyen de ta balourdise, ou si tu as visé parfois à la plaisanterie. Faux problème, puisque tout ce que tu pourras jamais faire est, à nos yeux, contenu dans cette redondante et grossière plaisanterie que constitue ton existence. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Quand on connaît l’apparence humaine dont tes programmateurs t’ont revêtu, on conçoit que tu rêves à la production de femmes à <i>n</i> séries de seins. On se doute que tu peux être difficilement accouplé à moins. Ton cas personnel mis à part, tes rêveries pornographiques paraissent aussi mal informées que tes prétentions philosophico-artistiques.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il y a pourtant un point où tu as été plus manqué encore : malgré ton papier à lettres, tu es un robot bien trop rustique pour faire croire que tu peux tenir le rôle de professeur d’université. En dépit de multiples déficiences, l’université bourgeoise — antérieurement à la bureaucratisation cybernétique que tu représentes si élégamment — laisse une certaine marge d’objectivité professionnelle chez ses maîtres. Dans des cas où de brillants élèves ont une opinion opposée à leur examinateur, il arrive que la réalité de leurs études soit reconnue tout de même ; et surtout, il n’arrive pas que les griefs extra-universitaires retenus contre eux soient ingénuement proclamés à l’avance, avec les résultats qu’ils entraîneront. Mais toi, parvenu émerveillé de la poussière d’autorité qui t’échoit, tu ne peux laisser passer l’occasion d’une première revanche. C’est ainsi que misérablement (au sens « comme un lâche » et au sens « ce fut raté » ; médite sur la valeur anti-combinatoire d’un mot), en courant de toute la vitesse de tes petites jambes, tu as essayé de faire éliminer à un examen, en juin dernier, un de nos jeunes camarades dont tu enviais probablement l’intelligence et l’humanité. Pensais-tu que nous allions oublier ton comportement parce que tu as manqué ton coup ? Erreur, Moles.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Que les mécaniques de ta sorte soient enfin, par la voie officielle, supérieures à quelqu’un ; qu’elles aient un pouvoir de faire respecter leurs ineptes décisions, et les voilà qui se déchaînent au stimulus. Mais comme ce pouvoir est encore fragile, après tant d’arrivisme ! Nous rions de toi.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Crois pourtant que nous observerons tous la suite de ta carrière avec l’attention qu’elle mérite.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p align="right">G<span style="font-size:-1;">UY </span>D<span style="font-size:-1;">EBORD</span></p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-633141728525032542?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-30877205754140967702007-04-20T09:40:00.001-07:002007-04-20T09:40:39.176-07:00Lettres de loin<div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><blockquote style="font-family: arial;"><p><i>Ivan Chtcheglov a participé aux recherches qui sont à l’origine du mouvement situationniste, et son rôle y a été irremplaçable, dans les premières esquisses théoriques comme dans la conduite pratique (les expériences de dérives). Sous le nom de Gilles Ivain, il avait rédigé dès 1953 — ayant alors dix-neuf ans — le texte intitulé </i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is1.htm#formulaire" target="_blank" style="text-decoration: none;">Formulaire pour un urbanisme nouveau</a><i>, qui a été publié, par la suite, dans le premier numéro d’</i>Internationale Situationniste<i>. Ayant passé les cinq dernières années dans une clinique psychiatrique, où il est encore, il n’a repris contact avec nous que bien longtemps après la formation de l’I.S. Il s’emploie actuellement à rectifier, en vue d’une réédition, son écrit de 1953 sur l’architecture et l’urbanisme. Les lettres dont les lignes qui suivent sont extraites ont été adressées, dans le courant de la dernière année, à Michèle Bernstein et Guy Debord La condition qui est actuellement faite à Ivan Chtcheglov peut être ressentie comme une des formes toujours plus différenciées que revêt, avec la modernisation de la société, ce contrôle de la vie qui a mené, en d’autres temps, à la Bastille pour athéisme, par exemple, ou à l’exil politique.</i></p></blockquote> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">J<span style="font-size:-1;">E SUIS </span>dans un milieu privilégié pour étudier le groupe et les fonctions des individus dans un groupe.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La <i>dérive</i> (au fil des actes, avec ses gestes, sa promenade, ses rencontres) était exactement <i>à la totalité</i> ce que la psychanalyse (la bonne) est au langage. Laissez-vous aller au fil des mots, dit l’analyste. Il écoute, jusqu’au moment où il dénonce ou modifie (on peut dire <i>détourne</i>) un mot, une expression ou une définition. La dérive est bien une technique, et presque une thérapeutique. Mais comme l’analyse sans rien d’autre est presque toujours <i>contre-indiquée</i>, de même la dérive continuelle est un danger dans la mesure où l’individu avancé trop loin (non pas sans bases, mais…) sans protections, est menacé d’éclatement, de dissolution, de dissociation, de désintégration. Et c’est la retombée dans ce que l’on nomme « la vie courante », c’est-à-dire en clair « la vie pétrifiée ». Dans cette mesure, je dénonce maintenant la propagande pour une <i>continuelle dérive</i> du <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is1.htm#formulaire" target="_blank" style="text-decoration: none;">Formulaire</a>. Oui, continuelle, comme le jeu de poker à Las Vegas, mais continuelle pour un temps, réservée au dimanche pour les uns, à une semaine en bonne moyenne ; un mois, c’est beaucoup. Nous avons pratiqué, en 1953-1954, trois ou quatre mois ; c’est la limite extrême, le point critique. C’est miracle si nous n’en sommes pas morts. Nous possédions une mauvaise santé de fer.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Un facteur — qui ne vérifie que trop bien nos théories élémentaires — a joué énormément : pendant plusieurs années, la clinique était installée dans un château avec gargouilles, machicoulis, épaisses portes de bois clouté, planchers (et non pas mosaïques, plus hygiéniques), haute tour, mobilier partiellement ancien, cheminées armoriées, etc. Mais depuis, on a reconstruit une clinique moderne. Certes, c’est plus pratique à entretenir, mais à quel prix ! Il est pratiquement <i>impossible</i> de lutter contre l’architecture. On dit de plus en plus « la clinique » à la place du « château », et « malades » au lieu de « pensionnaires ». Et tout est du même goût… <i>Les mots travaillent</i>. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Je viens, bien à la légère, d’accepter le rôle du boucher dans <i>L’Ampelour</i> d’Audiberti. Petit rôle. Mais la fatigue ! Rien de plus fatigant que de monter sur scène quand on est malade.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Dans mes bons moments, lorsque je revois toute l’<i>insuffisance</i> de ce <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is1.htm#formulaire" target="_blank" style="text-decoration: none;">Formulaire</a>, qui pourtant était parfait, je m’arrache les cheveux. Et autant pour les numéros d’<i>I.S.</i> On pourrait faire tellement mieux avec un peu :<br /> De temps — de chance — de santé — d’argent — de réflexion.<br /> (Et aussi) de bonne humeur — de cœur à l’ouvrage — d’amour — et de précaution.<br /> Mais l’entourage ! Les courants ! Les autres ! Les bifurcations ! C’est compliqué.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Et c’est toujours la demande démente du monde : ayez du génie, oui, mais en vivant comme nous. Ils sont fous. Et ils vont encore me coller une nouvelle étiquette dans leur dossier.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Puisque nous en sommes au potlatch somptuaire, voici un titre :<br /> <i>Des êtres se rencontrent</i>, de J.A. Schade, le plus grand roman du vingtième siècle, et de loin, introuvable malheureusement. Sauf, peut-être, par petite annonce. Il se termine par la petite chanson « que nous chantions quand nous étions enfants » :</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p><i>Les riches, ça marche en voiture,<br /> Les pauvres, à pied.<br /> Nous, nous nous amusons.</i></p></blockquote> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">C’est dur d’être dans le trou, et de connaître <i>l’enjeu</i>. Je suis devenu, moi aussi, un symbole, et même ici, ils l’ont compris. Passera, passera pas, reviendra à sa langue ou reperdra la mémoire ?</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Mais j’ai beau faire de l’angoisse, je voudrais orienter mon texte davantage <i>dans le sens du bonheur</i> ; et Chirico est certes un précurseur en perspectives architecturales, mais en perspectives architecturales <i>angoissantes</i>. Nous trouverons d’autres choses plus gaies. Ou alors montrer et dénoncer l’angoisse chez Chirico. Mon texte n’était pas assez clair.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il ne reste plus qu’à sortir malade, vu <i>l’impossibilité de se soigner en clinique…</i> On s’en doutait bien, il y a dix ans, nous n’étions vraiment pas bêtes, pas bêtes du tout. Si l’impossibilité de se soigner en clinique est une opinion indéfendable pour le patron, cependant je maintiens, absolument en accord avec K[amouh], qu’on ne peut pas <i>se</i> soigner ici. La maison démolirait n’importe lequel d’entre nous. Pas exprès, bien sûr. Mais quoi ?<br /> Je fais de la propagande situationniste avec un ou deux membres du personnel. Pourquoi pas ?</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Et comment sortir ? Comment se reposer assez pour sortir ? Impossible, probablement.<br /> <i>Sortir !</i> Ils me font peur ! Je phantasme à plaisir : <i>ils</i> trouveront un moyen de m’affoler et ils m’embarqueront. En 1959, on avait convoqué deux cars bourrés de flics (autant qu’il m’en souvienne). Enfin, 24 flics pour votre camarade… Cependant, vous me connaissez aussi lorsque je suis très mal. Il n’y a pas de quoi envoyer 24 flics. D’ailleurs, il n’y a <i>jamais</i> de quoi !</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Que vous dire d’autre, mon cher Guy ? Je suis malade. Je suis dans les jérémiades, les 400 volontés, la haine, le délire, les imprécations, l’« amour funeste et jaloux », les menaces, les coups de l’enfance, les prophéties de malheur de L[anglais], et les « écoute ta mère » de W[olman].</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Les fêtes, ici, cela vaut la peine d’être vu. Je crois que vous n’y perdriez pas votre temps. C’est moins triste que les fêtes de tout le monde. C’est ce qu’il y a de mieux ici, les fêtes.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Sur l’exclusion d’A[ttila] K[otányi], que dire d’autre ?… Ces exclusions <i>devraient</i> cesser. Je sais que ce n’est pas facile : il faudrait prévoir les évolutions, ne pas accepter d’avance les suspects, enfin l’idéal, quoi. Ces exclusions font partie de la mythologie situationniste.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <blockquote style="font-family: arial;"><p align="right">I<span style="font-size:-1;">VAN </span>C<span style="font-size:-1;">HTCHEGLOV</span></p></blockquote></div><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-3087720575414096770?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-44602431760391739622007-04-20T09:38:00.001-07:002007-04-20T09:38:54.424-07:00Le questionnaire<p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>1. Que veut dire le mot « situationniste » ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il définit une activité qui entend <i>faire</i> les situations, non les <i>reconnaître</i>, comme valeur explicative ou autre. Ceci à tous les niveaux de la pratique sociale, de l’histoire individuelle. Nous remplaçons la passivité existentielle par la construction des moments de la vie, le doute par l’affirmation ludique. Jusqu’à présent, les philosophes et les artistes n’ont fait qu’interpréter les situations ; il s’agit maintenant de les transformer. Puisque l’homme est le produit des situations qu’il traverse, il importe de créer des situations humaines. Puisque l’individu est défini par sa situation, il veut le pouvoir de créer des situations dignes de son désir. Dans cette perspective doivent se fondre et se réaliser la poésie (la communication comme réussite d’un langage en situation), l’appropriation de la nature, la libération sociale complète. Notre temps va remplacer la frontière fixe des situations-limites que la phénoménologie s’est complue à décrire, par la création pratique des situations ; va déplacer en permanence cette frontière avec le mouvement de l’histoire de notre réalisation. Nous voulons une phénoméno-praxis. Nous ne doutons pas que ceci sera la banalité première du mouvement de libération possible de notre temps. Que s’agit-il de mettre en situation ? À différents niveaux, ce peut être cette planète, ou l’époque (une civilisation, au sens de Burckhardt par exemple), ou un moment de la vie individuelle. Allez, la musique ! Les valeurs de la culture passée, les espoirs de réaliser la raison dans l’histoire, n’ont pas d’autre suite possible. Tout le reste se décompose. Le terme situationniste, au sens de l’I.S. est exactement le contraire de ce que l’on appelle actuellement en portugais un « situationniste », c’est-à-dire un partisan de la situation existante, là donc du salazarisme.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><b><span style="font-size:-2;"> </span></b></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>2. L’Internationale situationniste est-elle un mouvement politique ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Les mots « mouvement politique » recouvrent aujourd’hui l’activité spécialisée des chefs de groupes et de partis, puisant dans la passivité organisée de leurs militants la force oppressive de leur pouvoir futur. L’I.S. ne veut rien avoir de commun avec le pouvoir hiérarchisé, sous quelque forme que ce soit. L’I.S. n’est donc ni un mouvement politique, ni une sociologie de la mystification politique. L’I.S. se propose d’être le plus haut degré de la conscience révolutionnaire internationale. C’est pourquoi elle s’efforce d’éclairer et de coordonner les gestes de refus et les signes de créativité qui définissent les nouveaux contours du prolétariat, la volonté irréductible d’émancipation. Axée sur la spontanéité des masses, une telle activité est incontestablement politique ; à moins qu’on en dénie la qualité aux agitateurs eux-mêmes. Dans la mesure où de nouveaux courants radicaux apparaissent au Japon (l’aile extrémiste du mouvement <i>Zengakuren</i>), au Congo, dans la clandestinité espagnole, l’I.S. leur consent un appui <i>critique</i>, et donc s’emploie à les aider pratiquement. Mais contre tous les « programmes transitoires » de la politique spécialisée, l’ I.S. se réfère à une révolution permanente de la vie quotidienne.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>3. L’I .S. est-elle un mouvement artistique ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Une grande part de la critique situationniste consacrée à la société de consommation consiste à montrer à quel point les artistes contemporains, en abandonnant la richesse de dépassement contenue, sinon exploitée, dans la période 1910­1925, se condamnèrent pour la plupart à faire de l’art comme on fait des affaires. Les mouvements artistiques ne sont, depuis lors, que les retombées imaginaires d’une explosion qui n’a jamais eu lieu, qui menaçait et menace encore les structures de la société. La conscience d’un tel abandon et de ses implications contradictoires (le vide et la volonté d’un retour à la violence initiale) fait de l’I.S. le seul mouvement qui puisse, en englobant la survie de l’art dans l’art de vivre, répondre au projet de l’artiste authentique. Nous sommes des artistes par cela seulement que nous ne sommes plus des artistes : nous venons réaliser l’art.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>4. L’I.S. est-elle une manifestation nihiliste ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L’I.S. refuse le rôle, qu’on est tout prêt de lui accorder, dans le spectacle de la décomposition. L’au-delà du nihilisme passe par la décomposition du spectacle ; et c’est à quoi l’I.S. entend bien s’employer. Tout ce qui s’élabore et se construit hors d’une telle perspective n’a pas besoin de l’I.S. pour s’effondrer de soi-même ; mais il est aussi vrai que, partout dans la société de consommation, les terrains vagues de l’effondrement spontané offrent aux valeurs nouvelles un champ d’expérimentation dont l’I.S. ne peut se passer. Nous ne pouvons construire que sur les ruines du spectacle. Par ailleurs, la prévision, parfaitement fondée, d’une destruction totale oblige à ne construire jamais qu’à la lumière de la totalité.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>5. Les positions situationnistes sont-elles utopiques ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La réalité dépasse l’utopie. Entre la richesse des possibilités techniques actuelles et la pauvreté de leur usage par les dirigeants de tout ordre, il n’y a plus à jeter un pont imaginaire. Nous voulons mettre l’équipement matériel à la disposition de la créativité de tous, comme partout les masses s’efforcent de le faire dans le moment de la révolution. C’est un problème de coordination, ou de tactique, comme on voudra. Tout ce dont nous traitons est réalisable : soit immédiatement, soit à court terme, du moment que l’on commence à mettre en pratique nos méthodes de recherche, d’activité.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>6. Jugez-vous nécessaire de vous appeler ainsi, des « situationnistes » ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Dans l’ordtre existant, où la chose prend la place de l’homme, toute étiquette est compromettante. Cependant, celle que nous avons choisie porte en elle sa propre critique, fût-elle sommaire, en ce qu’elle s’oppose à celle de « situationnisme », que les autres choisissent pour nous. Elle disparaîtra d’ailleurs lorsque chacun de nous sera situationniste à part entière, et non plus prolétaire luttant pour la fin du prolétariat. Dans l’immédiat, aussi dérisoire que soit une étiquette, elle a le mérite de trancher entre l’ancienne incohérence et une exigence nouvelle. Ce qui avait le plus manqué à l’intelligence depuis quelques dizaines d’années, c’est précisément le tranchant.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>7. Quelle est l’originalité des situationnistes, en tant que groupe délimité ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il nous semble que trois points remarquables justifient l’importance que nous nous attribuons comme groupe organisé de théoriciens et expérimentateurs. Premièrement, nous faisons, pour la première fois, une nouvelle critique, cohérente, de la société qui se développe <i>actuellement</i>, d’un point de vue révolutionnaire ; cette critique est profondément ancrée dans la culture et l’art de ce temps, en tient les clés (évidemment, ce travail est assez loin d’être achevé). Deuxièmement, nous pratiquons la rupture complète et définitive avec tous ceux qui nous y obligent, et <i>en chaîne</i>. Ceci est précieux dans une époque où les diverses sortes de résignation sont subtilement imbriquées et solidaires. Troisièmement, nous inaugurons un nouveau style de rapports avec nos « partisans » ; nous refusons absolument les disciples. Nous ne nous intéressons qu’à la participation au plus haut niveau ; et à lâcher dans le monde des gens autonomes.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>8. Pourquoi ne parle-t-on pas de l’I.S. ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">On en parle assez souvent, parmi les possesseurs spécialisés de la pensée moderne en liquéfaction ; mais on en écrit très peu. Au sens le plus général, c’est parce que nous refusons le terme « situationnisme », qui serait la seule catégorie susceptible de nous introduire dans le spectacle régnant, nous y intégrant sous forme de doctrine figée contre nous-mêmes, sous forme d’idéologie au sens de Marx. Il est normal que le spectacle que nous refusons, nous refuse. On parle plus volontiers des situationnistes en tant qu’individus, pour tenter de les séparer de la contestation d’ensemble, sans laquelle, d’ailleurs, ils ne seraient même pas des individus « intéressants ». On parle des situationnistes <i>dès qu’ils cessent de l’être</i> (les variétés rivales de « nashisme », dans plusieurs pays, ont cette seule célébrité commune de prétendre mensongèrement à une relation quelconque avec l’I.S.). Les chiens de garde du spectacle reprennent sans le dire des fragments de théorie situationniste, pour la retourner contre nous. Ils s’en inspirent, comme il est normal, dans leur lutte pour la survie du spectacle. Il leur faut donc cacher la source, c’est-à-dire la cohérence de telles « idées ». Ce n’est pas seulement par vanité de plagiaire. De plus, bien des intellectuels hésitants n’osent parler ouvertement de l’I.S., parce qu’en parler implique une prise de parti minimum : dire nettement ce que l’on refuse, en contrepartie de ce que l’on en retient. Beaucoup croient, bien à tort, que feindre en attendant l’ignorance aura dégagé leur responsabilité pour plus tard.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>9. Quel appui donnez-vous au mouvement révolutionnaire ?</i> </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Par malheur, il n’y en a pas. La société contient, certes, des contradictions, et change. Ce qui rend, d’une façon toujours nouvelle, possible et nécessaire une activité révolutionnaire qui, actuellement, n’existe plus, ou pas encore, sous forme de mouvement organisé. Il ne s’agit donc pas d’« appuyer » un tel mouvement, mais de le faire : de le définir et, inséparablement, de l’expérimenter. Dire qu’il n’y a pas de mouvement révolutionnaire est le premier geste, indispensable, en faveur d’un tel mouvement. Tout le reste est replâtrage dérisoire du passé.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>10. Êtes-vous marxistes ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Bien autant que Marx disant « Je ne suis pas marxiste ».</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>11. Y a-t-il un rapport entre vos théories est votre mode de vie réel ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Nos théories ne sont rien d’autre que la théorie de notre vie réelle, et du possible expérimenté ou aperçu en elle. Aussi parcellaires que soient, jusqu’à nouvel ordre, les champs d’activité disponibles, nous nous y comportons pour le mieux. Nous traitons l’ennemi en ennemi, c’est un premier pas que nous recommandons à tout le monde, comme apprentissage accéléré de la pensée. Par ailleurs, il va de soi que nous soutenons inconditionnellement toutes les formes de la liberté des mœurs, tout ce que la canaille bourgeoise ou bureaucratique appelle débauche. Il est évidemment exclu que nous préparions par l’ascétisme la révolution de la vie quotidienne.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>12. Les situationnistes sont-ils à l’avant-garde de la société des loisirs ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La société des loisirs est une apparence qui recouvre un certain type de production-consommation de l’espace-temps social. Si le temps du travail productif propremment dit se réduit, l’armée de réserve de la vie industrielle va travailler dans la consommation. Tout le monde est successivement ouvrier et matière première dans l’industrie des vacances, des loisirs, du spectacle. Le travail existant est l’alpha et l’oméga de la vie existante. L’organisation de la consommation, plus l’organisation des loisirs, doit équilibrer exactement l’organisation du travail. Le « temps libre » est une mesure ironique dans le cours d’un temps préfabriqué. Rigoureusement, <i>ce</i> travail ne pourra donner que <i>ce</i> loisir, tant pour l’élite oisive — en fait, de plus en plus, semi oisive — que pour les masses qui accèdent aux loisirs momentanés. Aucune barrière de plomb ne peut isoler, ni un morceau du temps, ni le temps complet d’un morceau de la société, de la radioactivité que diffuse le travail aliéné ; ne serait-ce qu’en ce sens que c’est lui qui façonne la totalité des produits, et de la vie sociale, <i>ainsi</i> et pas autrement.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>13. Qui vous finance ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Nous n’avons jamais pu être financés, d’une manière extrêmement précaire, que par notre propre emploi dans l’économie culturelle de l’époque. Cet emploi est soumis à cette contradiction : nous avons de telles capacités créatives que nous pouvons « réussir » tout presque à coup sûr ; nous avons une exigence si rigoureuse d’indépendance et de parfaite cohérence entre notre projet et chacune de nos réalisations présentes (<i>cf.</i> notre définition d’une production artistique anti-situationniste) que nous sommes presque totalement inacceptables pour l’organisation dominante de la culture, même dans des affaires très secondaires. L’état de nos ressources découle de cette composante. Voir, à ce propos, ce que nous avons écrit dans le numéro 8 de cette revue (page 26) sur « les capitaux qui ne manqueront jamais aux entreprises nashistes » et, à l’inverse, <i>nos conditions</i> (dernière page de cette revue).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>14. Combien êtes-vous ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Un peu plus que le noyau initial de guérilla dans la Sierra Maestra, mais avec moins d’armes. Un peu moins que les délégués qui étaient à Londres en 1864, pour fonder l’Association Internationale des Travailleurs, mais avec un programme plus cohérent. Aussi fermes que les Grecs des Thermopyles (« Passant, va dire à Lacédémone… »), mais avec un plus bel avenir.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><i>15. Quelle valeur pouvez-vous attribuer à un questionnaire ? À celui-ci ?</i></p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il s’agit manifestement d’une forme de dialogue factice, devenant aujourd’hui obsessionnelle avec toutes les psychotechniques de l’intégration au spectacle (la passivité joyeusement assumée sous un déguisement grossier de « participation », d’activité en peau de lapin). Mais nous, nous pouvons soutenir, à partir d’une interrogation incohérente, réifiée, des positions exactes. En fait, ces positions ne « répondent » pas, en ceci qu’elles ne renvoient pas aux questions ; elles renvoient les questions. Ce sont des réponses telles qu’elles devraient <i>transformer les questions</i>. Ainsi le véritable dialogue pourrait commencer après ces réponses. Dans le présent questionnaire, toutes les questions sont <i>fausses</i> ; et nos réponses vraies cependant.</p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-4460243176039173962?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-26220352787935197262007-04-20T09:37:00.000-07:002007-04-20T09:38:05.297-07:00Maintenant, l’I.S<div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><blockquote style="font-family: arial;"><blockquote><p><i>« Chaque période forge elle-même son matériel humain, et si notre époque avait vraiment besoin de travaux théoriques, elle créerait elle-même les forces nécessaires à sa satisfaction. »</i></p> <p align="right">R<span style="font-size:-1;">OSA </span>L<span style="font-size:-1;">UXEMBOURG</span>, dans <i>Vorwärts</i> du 14 mars 1903. </p></blockquote></blockquote> <center style="font-family: arial;"><span style="font-size:-2;"> </span></center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">M<span style="font-size:-1;">AINTENANT QUE </span>les situationnistes ont déjà une histoire, et qu’il apparaît que leur activité s’est taillée un rôle, très particulier mais assurément central, dans le débat culturel des toutes dernières années, certains reprochent à l’I.S. d’avoir réussi, et d’autres lui reprochent d’avoir échoué.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Pour comprendre la signification réelle de ces termes, ainsi que presque tous les jugements de l’intelligentsia assise à propos de l’I.S., il faut d’abord les <i>renverser</i>. La part d’échec de l’I.S., c’est ce qui est communément considéré comme du succès : la valeur artistique que l’on commence à apprécier parmi nous ; la première mode sociologique ou urbanistique qu’en viennent à trouver certaines de nos thèses ; ou tout simplement la réussite personnelle quasiment garantie à tout situationniste dès le lendemain de son exclusion. La part de notre réussite, plus profonde, c’est d’avoir résisté aux compromissions qui s’offraient en foule ; c’est de n’être pas restés sur notre premier programme sommaire, mais d’avoir fait la preuve que son principal caractère avant-gardiste, en dépit de quelques autres plus apparents, était dans le fait qu’<i>il devait mener plus loin</i> ; et ainsi, c’est de n’être encore <i>considérés</i> par personne, dans les cadres établis du présent.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Sans doute nos erreurs ont-elles été assez nombreuses. Nous les avons souvent corrigées, ou abandonnées, alors que là étaient précisément les éléments qui réussissaient, ou auxquels le maximum d’aide venait se proposer pour les mener à la réussite. Il est facile de relever dans nos premières publications les déficiences, les bavardages, les fantaisies issues du vieux monde artistique, les approximations de l’ancienne politique ; et c’est d’ailleurs à la lumière des conclusions ultérieures de l’I.S. qu’elles sont le plus aisément criticables. Un facteur inverse a naturellement laissé moins de trace dans nos écrits, mais a pesé très lourdement : un abstentionnisme nihiliste, une grave incapacité, chez beaucoup de nous, de penser et d’agir au-delà des premiers balbutiements d’un dialogue positif. Ceci va bien, presque toujours, avec l’exigence la plus abstraite et la plus mensongère d’un radicalisme désincarné.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il y a cependant une déviation qui nous a menacé plus gravement que toutes les autres : c’était le risque de ne pas se différencier assez nettement des tendances <i>modernes</i> d’explications et de propositions sur la nouvelle société où le capitalisme nous a menés, toutes tendances qui, sous différents masques, sont celles de l’intégration à cette société. Depuis l’interprétation de l’urbanisme unitaire par Constant, cette tendance s’est exprimée dans l’I.S., et elle est infiniment plus dangereuse que la vieille conception artistique que nous avons tant combattue. Elle était plus moderne, donc moins évidemment claire, et certes promise à un plus grand avenir. Notre projet s’est formé <i>en même temps</i> que les tendances modernes à l’intégration. Il y a donc une opposition directe, et aussi un air de ressemblance, en ce que nous sommes réellement contemporains. Nous n’avons pas suffisamment pris garde à cet aspect des choses, et encore récemment. C’est ainsi qu’il n’est pas impossible de lire les propositions d’Alexander Trocchi — dans le numéro 8 de cette revue —, en dépit d’un esprit évidemment tout opposé, comme quelque chose qui pourrait être apparenté à ces pauvres essais de sauvetage « psychodramatique » de l’art décomposé qu’exprimait par exemple le ridicule <i>Workshop de la Libre-Expression</i>, à Paris en mai dernier. Mais le point où nous sommes arrivés clarifie et notre projet et, inversement, le projet d’intégration. Tous les cas de recherches réellement modernes, et non-révolutionnaires, doivent être maintenant vus et traités comme notre ennemi numéro un. Ils vont renforcer tous les contrôles existants.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><a name="maintenant-proletariat"></a>Nous ne devons pas pour autant quitter la pointe extrême du monde moderne dans le seul but de ne lui ressembler en rien, ou même de ne rien lui apprendre qui puisse servir contre nous. Il est bien normal que nos ennemis arrivent à nous utiliser partiellement. Nous n’allons ni leur laisser le champ actuel de la culture, ni nous mélanger à eux : il est clair que ces mêmes bons apôtres qui veulent bien nous admirer et nous comprendre à distance respectueuse nous conseilleraient volontiers la pureté de la première attitude pour adopter, eux, la seconde. Nous rejetons ce formalisme suspect : tout comme le prolétariat, nous ne pouvons pas prétendre à être inexploitables dans les conditions données. Ceci doit seulement se faire aux risques et périls des exploiteurs. L’I.S. s’est nettement placée dans une alternative à la culture dominante, et particulièrement à ses formes dites d’avant-garde. Les situationnistes estiment qu’il leur faut hériter de l’art qui est mort — ou de la réflexion philosophique séparée, dont personne, malgré les efforts actuels, n’arrivera à « restituer » le cadavre —, parce que le <i>spectacle</i> qui remplace cet art et cette pensée est, lui, l’héritier de la <i>religion</i>. Et comme l’a été « la critique de la religion » (critique que la gauche actuelle a abandonnée en même temps qu’elle abandonnait toute pensée et toute action), la critique du spectacle est aujourd’hui la condition première de toute critique.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La route du contrôle policier parfait de toutes les activités humaines et la route de la création libre infinie de toutes les activités humaines est une : c’est la même route des découvertes modernes. Nous sommes forcément sur la même route que nos ennemis — le plus souvent, les précédant — mais nous devons y être, sans aucune confusion, <i>en ennemis</i>. Le meilleur gagnera.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">L’époque actuelle peut faire l’essai mais non l’emploi de multiples innovations, parce qu’elle est enchaînée à la conservation fondamentale d’un ordre ancien. La nécessité d’une transformation révolutionnaire de la société est le <i>Delenda est Carthago</i> de tous nos discours novateurs.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La critique révolutionnaire de toutes les conditions existantes n’a certes pas le monopole de l’intelligence, mais bien celui de son emploi. Dans la crise présente de la culture, de la société, ceux qui n’ont pas cet emploi de l’intelligence, n’ont, en fait, aucune sorte d’intelligence discernable. Cessez de nous parler d’intelligence sans emploi, vous nous ferez plaisir. Pauvre Heidegger ! Pauvre Lukàcs ! Pauvre Sartre ! Pauvre Barthes ! Pauvre Lefebvre ! Pauvre Cardan ! Tics, tics et tics. Sans le mode d’emploi de l’intelligence, on n’a que par fragments caricaturaux les idées novatrices, celles qui peuvent comprendre la totalité de notre époque dans le même mouvement qu’elles la contestent. On ne sait même pas plagier harmonieusement ces idées quand on les rencontre là où elles sont déjà. Les penseurs spécialisés ne savent sortir de leur domaine que pour jouer les spectateurs béats d’une spécialisation voisine, également en déconfiture, qu’ils ignoraient mais qui vient à la mode. L’ancien spécialiste de la politique d’ultra-gauche s’émerveille de découvrir, en même temps que le structuralisme et la psychosociologie, une <i>idéologie</i> ethnologique pour lui toute fraîche : le fait que les Indiens Zuni n’ont pas eu d’histoire lui paraît la lumineuse explication de sa propre incapacité d’agir dans notre histoire (Allez rire aux vingt-cinq premières pages du n° 36 de <i>Socialisme ou Barbarie</i>). Les spécialistes de la pensée ne peuvent plus être que des penseurs de la spécialisation. Nous ne prétendons pas avoir le monopole de la dialectique, dont tout le monde parle ; nous prétendons seulement avoir le monopole provisoire <i>de son emploi</i>.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">On ose encore opposer à nos théories les exigences de la pratique, et ceux qui en parlent, à ce degré de délire méthodologique, se sont en plus abondamment révélés incapables de réussir la plus petite pratique. Quand la théorie révolutionnaire reparaît dans notre époque, et ne peut compter que sur elle-même pour se diffuser <i>dans une pratique nouvelle</i>, il nous semble qu’il y a déjà là un important début de pratique. Cette théorie se trouve, au départ, dans le cadre de la nouvelle ignorance diplômée que diffuse la société actuelle, beaucoup plus radicalement coupée des masses qu’au <span style="font-size:-1;">XIX</span><sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> siècle. Nous partageons normalement son isolement, ses risques, son sort.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Pour venir nous parler, il convient donc de ne pas être déjà compromis soi-même, et de savoir que, si nous pouvons nous tromper momentanément sur beaucoup de perspectives de détail, nous n’admettrons jamais d’avoir pu nous tromper dans le jugement <i>négatif</i> des personnes. Nos critères qualitatifs sont bien trop sûrs pour nous permettre d’en discuter. Il est donc inutile de nous approcher si l’on n’est pas d’accord théoriquement et pratiquement sur nos condamnations de personnalités ou de courants contemporains. Une partie des penseurs qui vont maintenant commenter et aménager la société moderne l’ont déjà commentée, et <i>finalement conservée</i>, en termes plus archaïques quand ils étaient, par exemple, staliniens. Ils vont à présent se rengager, imperturbables, aussi fraîchement et joyeusement, pour une deuxième faillite. D’autres, qui les ont combattu dans la phase précédente, les rejoignent maintenant pour communier enfin dans la nouveauté. Toutes les spécialisations de l’illusion peuvent être enseignées et discutées dans des chaires inamovibles. Mais les situationnistes s’établissent dans la connaissance qui est au dehors de ce spectacle : nous ne sommes pas des penseurs garantis par l’État.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Nous avons à organiser une rencontre cohérente entre les éléments de critique et de négation épars dans le monde, comme faits et comme idées ; entre ces éléments venus à la conscience et toute la vie de ceux qui en sont porteurs ; enfin, entre les gens, ou les premiers groupes qui, ça et là, affleurent à ce niveau de connaissance intellectuelle, de contestation pratique. Ainsi, la coordination de ces recherches et de ces luttes sur le plan le plus pratique (une nouvelle liaison internationale) est en ce moment inséparable de la coordination sur le plan le plus théorique (qu’exprimeront plusieurs ouvrages actuellement préparés par des situationnistes). Par exemple, le présent numéro de cette revue, pour expliquer mieux ce qu’il y a eu parfois de trop abstrait dans l’exposé de nos thèses, a fait une large place à une présentation cohérente d’éléments existant déjà dans l’information la plus courante. La suite de nos travaux va devoir s’exprimer sous des formes plus amples. Cette suite excèdera de beaucoup ce que nous aurons pu entreprendre par nous-mêmes.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Alors que l’impuissance contemporaine se gargarise ces années-ci du projet tardif d’« entrer dans le vingtième siècle », nous estimons que l’on doit, au plus tôt, mettre un terme à ce <i>temps mort</i> qui aura dominé le siècle, et du reste, par la même occasion, à l’ère chrétienne. Ici comme ailleurs, il s’agit de dépasser la mesure. Notre démarche est ce que l’on a fait de mieux jusqu’ici <i>pour sortir du vingtième siècle</i>.</p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-2622035278793519726?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-580389069125243379.post-13498713373614736152007-04-20T09:32:00.001-07:002007-04-20T09:32:28.427-07:00Renseignements situationnistes<div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" >D</span><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;font-size:-1;" >ANS </span><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" >le dernier chapitre de </span><i style="font-family: arial;">L’avant-garde culturelle parisienne depuis 1945</i><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" > (éd. Guy Le Prat, 1962), </span><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" ><a href="http://www.multimania.com/debordiana/who.html#estivals" target="_blank" style="text-decoration: none;">Robert Estivals</a></span><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" > présente une interprétation des théories situationnistes à laquelle aucun de nous certainement ne peut adhérer, parce que la compréhension de la spécialisation sociologique, que l’auteur applique ici à un terrain où l’I.S. est effectivement observable, doit être elle-même jugée en se référant à l’ensemble de nos thèses, et ne peut être tenue pour un instrument de mesure extérieur et indépendant. Il y a visiblement entre Estivals et nous quelques oppositions de base, quant au maniement des concepts et quant à l’évaluation historique de la société globale. Cependant, à un tout autre niveau, nous nous bornerons ici à noter que, sur </span><i style="font-family: arial;">quarante-neuf</i><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" > citations qui prétendent rendre compte de la théorie situationniste, </span><i style="font-family: arial;">cinq</i><span style="font-family: arial;font-family:Garamond,Times New Roman;" > seulement émanent de textes postérieurs à la formation de l’I.S., et encore aucune de celles-ci n’est-elle plus récente que le milieu de 1960. Ainsi, par cette valorisation systématique de la recherche des origines historiques d’un ensemble lui-même resté nébuleux, Estivals s’expose à mal comprendre cela même qu’il étudie, dont il serait plus sûr de chercher le sens véritable à la lumière du développement supérieur, plus complexe, qui en est issu. Du fait de cette insolite sélection des informations — et en laissant de côté nos divergences méthodologiques — il nous faut dire que, malgré les apparences, l’I.S. n’est pas le sujet du dernier chapitre du livre d’Estivals.</span> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Dans les conclusions de son livre <i>Introduction à la modernité</i> (Éditions de Minuit, 1962), Henri Lefebvre fait de l’I.S. quelques éloges hâtifs avec lesquels nous ne sommes pas d’accord. Premièrement, nous refusons d’être assimilés à la jeunesse. C’est une manière élégante de neutraliser les problèmes en leur donnant quelque chose de la force irrésistible des saisons ou de capricieuses mutations sociologiques dont il faut suivre le développement. Pour notre part, <i>nous ne prétendons pas représenter l’avenir</i> (ne représente un avenir calculable que le personnel jeune formé dans le but de gérer la suite d’un certain présent, par exemple une promotion de Saint-Cyr ou de l’école des cadres du parti communiste russe). Et nous n’entendons pas non plus <i>nous contenter</i> de ce droit abstrait sur le futur. La question est : par suite de quelles inintelligences, veuleries, prudences, petites amitiés, certaines recherches et affirmations <i>présentes</i> sont-elles fuies, cachées, remplacées par d’autres ? Et aussi : qui est complice de la médiocrité présente, qui s’y oppose, qui tente une conciliation ? — Celle-ci, au reste, étant d’autant plus vaine que sa réussite voudrait seulement dire qu’il faut attendre de voir venir d’ailleurs la réelle « jeunesse » de la contestation : comment pourrait-elle, en effet, se mêler aux organisateurs de la longue et malhonnête bêtise d’hier, qui tentent encore de se dédouaner par un vernis de modernisation ? « Le degré de l’opposition et de la réconciliation dont une époque est capable, est chose contingente », dit Hegel. Ce n’est pas ce degré qui serait en train de varier notablement dans les années [19]60, c’est le degré d’intelligence et de courage subjectifs qu’il faut pour ne pas épouser les fausses réconciliations, sans rien se dissimuler de la réalité de l’opposition. En cette matière, il n’y a pas de mûrissement des conditions objectives, il n’y a pas d’ultra-gauche. On peut <i>trouver tout de suite ses adversaires</i>, c’est-à-dire sa vérité.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le deuxième point inacceptable illustre admirablement ce qui précède : c’est un parallèle entre l’I.S. et un groupe de jeunesse oppositionnelle du parti communiste, si clandestin qu’il n’aurait jamais rien fait ni rien publié. Ici nous avons le doigt sur la plaie. Cette belle jeunesse, à l’image de ses aînés, doute, se cherche, et ménage la chèvre et le chou. <i>Voilà exactement comment on ne trouve rien</i>, et comment on accepte la totalité de la boue du présent, avec l’impatience de la jeunesse, en effet, que le temps calmera. D’ailleurs, Lefebvre les oppose à nous en disant qu’eux n’ont pas désespéré de l’U.R.S.S. Nous non plus. L’avenir d’une société révolutionnaire en U.R.S.S. (et aussi, bien sûr, en Angleterre) paraît plus vite réalisable qu’en Mauritanie, quoi qu’en pensent peut-être les fanonistes. Mais ce groupe qui « se tait en attendant son heure » (à qui appartient-il donc de marquer notre heure dans l’histoire ?) serait moins bien caché dans le P.C.F. s’il avait un peu plus étudié la réalité « désespérante » du pouvoir actuel en Russie (et aussi, bien sûr, en Angleterre).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Plusieurs personnes nous ont signalé récemment que des gens, qui ont quelque petit rôle culturel ici ou là, prétendent connaître ou avoir connu personnellement tel ou tel situationniste, et d’ailleurs mêlent l’éloge au blâme dans leurs « souvenirs » sur nous. Nous devons prévenir les lecteurs de cette revue que, le plus souvent, c’est faux. Et nous pouvons même suggérer un assez bon test pour détecter les imposteurs : ceux qui ont réellement eu affaire à nous <i>n’en disent que du mal</i> — exceptés quelques-uns qui nous ressemblaient — et même se portent facilement aux calomnies les plus excessives. Quel est donc le sens de ces faux souvenirs sur des contacts avec l’I.S. ? C’est simple. On ne nous rencontre pas facilement. Nous avons une idée assez favorable du dialogue pour commencer par sa base élémentaire : en refuser immédiatement les apparences à ceux avec qui il sera sûrement impossible. Nous ne mériterions d’être pris au sérieux par personne si nous nous étions mêlés aux politesses, discussions ou échanges minuscules du milieu artistique et culturel de ces dernières années (surtout de sa misérable fraction moderniste, celle qui est encore en train d’y assurer son trou). Ce milieu a normalement répondu à ce boycott de notre part en ignorant officiellement notre existence. Maintenant que l’I.S. est déjà un peu trop connue pour une affectation d’ignorance totale, et comme ces gens ont toujours aussi peu de chances de nous approcher, et aucune envie d’avouer ce détail, il est utile pour eux de prétendre l’avoir déjà fait. Donc se méfier des contrefaçons : tout le monde n’a quand même pas eu la chance de se faire exclure de l’I.S. !</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La publication de la revue de l’I.S. en langue allemande, retardée par de nombreuses difficultés, ne commencera que dans le premier trimestre de 1963. Son adresse est <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/gedanke.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">Der Deutsche Gedanke</a></i>, PF 866, München 1, Allemagne. Le <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is10.htm#mots" target="_blank" style="text-decoration: none;">« dictionnaire de poche des concepts situationnistes »</a>, dont la parution avait été décidée par le C.C. en février 1962, subira pour sa part un retard encore plus lourd, mais sera probablement modifié dans le sens d’un agrandissement. L’adresse de la revue <i>Situationistisk Revolution</i> est : Kristinelyst, à Helsted-Randers, Danemark. La nouvelle adresse d’<i>Internationale Situationniste</i> est : B.P. 75-06, Paris. Pour les publications en néerlandais de l’I.S., on peut joindre Jan Strijbosch au café Tienpont, 2 Paardenmarkt à Anvers. Et pour l’Angleterre : Alexander Trocchi, 32 Heath Street, London N.W.3.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Plusieurs textes situationnistes ont été reproduits par <i>Notes Critiques</i>, « bulletin de recherche et d’orientation révolutionnaires » (25, cours Pasteur, à Bordeaux) dans son troisième numéro. Ce numéro est, dans l’ensemble, en net progrès sur certaines des options débattues dans les précédents (les conceptions organisationnelles de Lefort, etc.). Un progrès décisif serait marqué par la publication plus autonome et cohérente des conceptions de cette équipe elle-même, qui fait encore la part trop belle aux tendances extérieures, dont certaines sont difficilement conciliables.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le fragile gang nashiste, dont les seules bases publiques étaient en Suède, mais qui essayait d’y instruire quelques émigrés pour les renvoyer ensuite soutenir le confusionnisme dans leur pays, s’est aggloméré et soutenu quelques temps à coups de mensonges, certains seulement ridicules, d’autres ignobles. Parmi ceux-ci relevons, dans la déclaration de Stockholm, en août, le reproche lancé à l’I.S. d’avoir affirmé sa solidarité avec les Allemands jugés à Munich « seulement après que le verdict ait été annoncé… geste sans signification, plutôt tard dans la journée », alors que notre intervention à l’audience <i>avait même été rapportée par la presse scandinave</i> ; et alors que ces nashistes « solidaires » au procès de certains exclus allemands au point de faire croire partout que Nash en personne était co-accusé, ont ensuite exercé le maximum de pressions en Scandinavie pour empêcher des gens de seulement parler du procès, réel celui-là, de Lausen, impliqué plus gravement dans le même délit de presse, <i>parce que Lausen était encore dans l’I.S.</i> Puis ces mensonges sont apparus si gros que les nashistes, qui aiment tant les journaux et la foule, se sont retrouvés isolés. Les nashistes ont fait le maximum pour compromettre autant de gens que possible en mélangeant leurs noms à leur action, et se sont attirés de cruels démentis publics. Ils ont éclaté en tous sens, les accords entre eux s’effritant et se reformant sur un rythme épuisant, et suivant des combinaisons purement probabilistes, selon les occasions du commerce. Et la porte qu’ils tenaient ouverte à n’importe qui en vertu de leur seul principe original (exclus, ils se sont découverts ennemis de l’exclusion), servait aussi l’instant d’après, pour les fuir en courant. Plusieurs de ces transfuges sont venus se présenter à l’I.S., qui a rejeté, sans aucune discussion ni exception possibles, ceux qui ont passé par le nashisme.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Finalement, dans la déroute, les nashistes ont été obligés de faire un éclat en sortant leurs propres idées, celles de l’I.S. devenant trop dangereusement connues, surtout après le nouveau style de conférence inauguré par J.V. Martin à la fin de novembre, à l’Université d’Aarhus. Ils ont abandonné même la référence de bluff à une « Deuxième Internationale Situationniste », dans la manifestation du dernier carré nashiste à Copenhague en décembre 1962. Et ces idées nashistes pures répandues par voie d’affiches se sont trouvées être — très au-delà du réformisme et d’une certaine tradition auxquels ils se ralliaient déjà en août — l’attaque contre les situations ludiques en faveur des rites cultuels ; plus la reprise de thèmes messianiques sur l’individu unique devenant Dieu, et toute la suite de cet air bien connu.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Ce premier nashisme — il y en aura d’autres ! — sort donc, sous forme de poussière, de sa tentative d’opposition spectaculaire contre l’I.S. On ne compte plus qu’un faible degré de <i>retombées nashistes</i> en Suède, en Hollande, et surtout en Allemagne où la revue du nashisme-idéaliste <i>Unverbindliche Richtlinien</i> mélange très discrètement des souvenirs situationnistes à son retour à la divagation eschatologique et à la « mystique des chefs ». Signalons, pour conclure, qu’à notre connaissance la durée moyenne d’un nashiste a été de onze semaines.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">À la suite des procès engagés contre les situationnistes à Munich, dont nous avons parlé dans <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is7.htm#renseignements" target="_blank" style="text-decoration: none;">I.S.</a></i> 7, page 51, les quatre qui avaient entretemps été exclus de l’I.S., pour leur modération sur d’autres points, ont été condamnés le 4 mai, avec sursis, à cinq mois et demi de prison. En appel, vers la fin de l’année le jugement a été confirmé, mais en réduisant le temps de prison, toujours assorti du sursis. Cette deuxième instance avait d’ailleurs fourni l’occasion à deux d’entre eux, devenus crypto-nashistes, de publier le 4 novembre une déclaration malencontreuse. Cette déclaration, renversant les positions précédentes de leur défense en groupe — et de ceux qui se sont solidarisés avec eux — admet un des points de l’imbécile accusation selon laquelle ils seraient des pornographes ; et, se piquant au jeu, les auteurs affirment que c’est bien leur droit de l’être, en se référant à l’Arétin, Sade, Miller, Genêt et les classiques. Ce qui est d’autant plus consternant que même sans comparer si loin, il est patent qu’ils ne sont rigoureusement rien dans le genre en question.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Uwe Lausen, jugé le 5 juillet, est le seul a avoir été effectivement emprisonné trois semaines. L’I.S., après avoir protesté à l’audience du 4 mai, a diffusé deux tracts, le 25 juin à propos de l’ensemble de cette affaire, et le 16 juillet (<i>Das Unbehagen in der Kultur</i>) sur la condamnation de Lausen.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le lettrisme existe encore. Comme dernier événement, l’éternel Lemaître s’est dédoublé. De plus en plus semblable au héros de Chesterton, « le nommé Dimanche », il organise sa propre opposition, et discute âprement avec lui-même en deux petites feuilles ronéotypées où s’étalent des comptes de bouts de chandelles (lequel doit à l’autre 400 anciens francs pour son labeur de mise sous enveloppe de leurs œuvres et se fait encore tirer l’oreille, etc.) Il y a quand même de la place pour attaquer l’I.S., dont il suppute qu’elle a perdu un tiers exactement de son détestable programme, en abandonnant la méthode du détournement. Où a-t-il pris ses informations ? Mystère d’autant plus impénétrable que Lemaître reconnaît dans le même papier, d’un air pas content, que nous affectionnons toujours la dérive. Or, selon les formules de G. Keller : « Notre méthode exposée par l’image de l’appareil de Galton nous a permis de mettre en perspective le détournement comme un <i>détail</i> précis du processus général des dérives. Il ne s’agit pas en ce cas d’une réduction mais d’un dépassement, parce qu’il ne saurait y avoir de dérive qui n’implique pas de nombreux détournements. Le détournement est lui-même divisible selon deux positions qu’il faut distinguer dans le cours de la dérive, suivant que l’on rencontre une opposition passive ou active au mouvement : résistance ou réaction. Le détournement est l’effet nécessaire qu’impose un obstacle. Cet obstacle peut être psychique ou physique, mais le moment du détournement vainqueur est nécessairement celui d’une <i>rencontre surprenante</i>, étrange, déjà définie par Rimbaud. Dans le mouvement mental, le détournement est immédiatement le renversement d’une <i>chaîne d’associations normales</i>, par le déplacement complet du concept possible attaché à l’objet imposé (impossibilité d’identification précise) ; c’est ainsi que le détournement permet de lire des textes dont l’habitude dominante interdisait la compréhension élémentaire. Le champ de la dérive est un complexe, ou un réseau, de multiples détournements en action — qu’il s’agisse d’un poème, de <i>Finnegan’s Wake</i>, d’une ville, d’un paysage, d’une maison, d’un labyrinthe, etc. Une dérive n’est même pas possible sans un minimum de <i>détournement de l’inertie</i>, c’est-à-dire du mouvement en ligne droite. Ceci est tellement évident que la possibilité d’une dérive sans détournement est à considérer comme un éclatant non-sens, qui ne mérite certainement pas d’être discuté. »</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Pour la mort de Marilyn Monroë, Goldmann, dans <i>France-Observateur</i> du 6 septembre 1962, a écrit un article qui est bien meilleur que tout ce qu’il avait depuis quelque temps pris l’habitude de consacrer à la dissolution culturelle. Les notions qu’il avait avancées en 1961 comme simples hypothèses (voir la critique d’<i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is7.htm#renseignements" target="_blank" style="text-decoration: none;">I.S.</a></i> 7, page 52) sont maintenant données comme des certitudes établies, qui fondent sa démonstration. La thématique de l’absence et la destruction de l’objet dans l’art sont maintenant explicitement liées par lui au travail parcellaire et à la consommation des loisirs passifs. Il va jusqu’à suspendre l’apparition d’une autre culture à la domination libre par les hommes de l’emploi de leur travail, constituant seule une alternative avec une société réifiée des exécutants et du conditionnement confortable. Ainsi donc, que ceci soit le fruit d’une intensification du rythme de ses recherches ou d’un vide heureusement comblé dans ses lectures, nous le comprenons beaucoup mieux.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Après les interdictions et arrestations qui lui ont paru nécessaires, Ben Bella, parlant au début de janvier au correspondant de l’agence Italia, a tiré argument d’un vote unanime de l’Assemblée Constituante algérienne, dont il a désigné lui-même tous les membres, pour conclure : « Il n’y a pas d’opposition en Algérie, ou pour le moins il n’y en a plus ». Comme personne quand même n’est assez idéologue pour croire que l’Algérie indépendante a réalisé par décrets-lois l’abolition des classes, l’abondance, l’autonomie des masses et la transparence des rapports humains, on est obligé de conclure que la révolution algérienne est glacée, pour longtemps peut-être.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Les masses révolutionnaires d’Algérie, qui ont tant combattu, ont gagné contre tous les ennemis redoutables qu’elles connaissaient. Elles ont été vaincues facilement par les forces adverses incertaines qu’elles n’attendaient pas, que rien ne les avait préparées à affronter. La direction du F.L.N. avait certes organisé de longue date une idéologie terroriste du monolithisme, derrière laquelle se heurtaient rudement, au sommet, des équipes aux mobiles insaisissables. Les conditions extrêmement dures et la longueur de la lutte isolée des Algériens a facilité ce sous-développement du projet <i>explicite</i> de la révolution, sans lequel le courage de la lutte immédiate, qui contient en lui-même la totalité de l’espoir, mène à des victoires grandement décevantes. Presque aucun Français n’a aidé les Algériens, si l’on n’entend pas seulement par là porter les valises du Front mais soutenir la part de critique et de théorie réalistes pour la compréhension des principaux problèmes : ceux qui devaient inévitablement se poser à la défaite des troupes françaises et de la minorité raciste. Au contraire, ce goût de l’<i>approbation en bloc d’un appareil</i>, qui caractérise le chrétien gauchiste ou le stalinien déçu, reporté sur « le parti algérien » a favorisé une illusion ultra-frontiste, qui peut-être aujourd’hui se déchire en exagération inverse : la stupeur et la consternation devant des résultats si imprévus.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Pourtant, les seuls côtés imprévus dans la crise de l’été 1962 ont été d’abord la vitesse et la confusion exagérées des coteries armées luttant pour saisir le pouvoir <i>au nom du même programme</i>, encore qu’il fût très sommaire ; ensuite la faiblesse de la tendance spontanée qui a essayé de rejeter en même temps les fractions rivales, en s’opposant à l’affrontement armé (menace d’une grève générale, etc.).</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Tout a été joué en septembre, avec la manière dont le Bureau Politique a pris le pouvoir. Sans disculper pour autant les brouillons de la willaya 4, qui s’étaient étrangement conduits dans la liquidation de la « zone autonome » d’Alger, et qui n’ont rien fait pour reculer une épreuve de force — barrant la route d’Alger — qui non seulement s’est traduite par leur effondrement rapide mais encore a été la modification irréversible pour tout le mouvement de libération algérien. Les combats autour d’Orléansville et de Boghari ont signifié que désormais, dans le camp de la révolution algérienne, les discussions pourraient être tranchées par l’armement lourd.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Plus que le désenchantement des militants algériens qui reviennent travailler comme ouvriers en France, ou qui sont en partance pour continuer la lutte anticolonialiste en Angola, plus que les signes d’islamisation dans les lois ou règlements, plus que les premières jacqueries des paysans à qui l’on promet une réforme agraire prudente et même la franche prise en mains du congrès syndical par des nervis du gouvernement, un fait privilégié, selon nous, révèle combien le mouvement révolutionnaire d’Algérie a raté sa mainmise sur la société : le 2 janvier, dans son premier bulletin l’agence Algérie Presse Service a révélé que les combats de septembre avaient fait « plus d’un millier de morts ». Deux ou trois jours après, la même agence rectifiait l’erreur commise à ce propos, et comptait <i>dix morts</i> environ. La succession de ces deux chiffres suffit à montrer qu’un État moderne est désormais installé en Algérie.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Au mois d’octobre 1962, le <i>dernier</i> concile de l’Église Catholique a commencé à Rome.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La crise autour de Cuba a illustré deux affirmations de cette revue en avril 1962, dans <a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is7.htm#geopolitique" target="_blank" style="text-decoration: none;">« Géopolitique de l’hibernation »</a>. D’abord la décision commune russo-américaine de ne jamais faire la guerre thermonucléaire, mais en s’élevant « toujours plus haut dans le spectacle de la guerre possible » ; et aux U.S.A. à ce moment on a bâti des abris anti-atomiques supplémentaires à coefficient de « protection » encore moindre. D’autre part, l’entreprise de liquidation de la révolution cubaine largement avancée par le choix idéologique néo-léniniste. Si les dirigeants cubains de la première phase ont montré (discours de Castro le 26 mars) qu’ils ne se laisseraient pas facilement arracher le contrôle du parti unique par des bureaucrates parachutés, ils ont montré aussi qu’ils s’en remettaient aveuglément pour leur défense aux soldats et aux missiles atomiques russes. Comme la Russie les a abandonnés, parce que son mauvais calcul sur la stratégie planétaire théâtrale l’obligeait sur ce point à une débandade complète — qui ouvre une nouvelle période dans l’équilibre du partage mondial — et comme l’administration Kennedy n’a d’autre souci « stratégique » que la destruction politique du régime castriste par tous les moyens, on peut dire que le sort de la révolution cubaine, très compromis, est uniquement dans les mains des masses d’Amérique Latine. Seule cette menace virtuelle de soulèvement protège encore Cuba d’un débarquement de l’armée américaine, et nulle garantie de Khrouchtchev ou de personne d’autre. Tout tient finalement à l’exemple que Cuba donnera : de quelle société nouvelle ? À cet égard il faut dire que la conjonction du néo-léninisme autoritaire (livret de travail ouvrier) et des pressions économico-militaires de l’encerclement américain va vers la dégradation d’un tel exemple.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> <center style="font-family: arial;">*</center> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La VI<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> Conférencede l’Internationale situationniste s’est tenue à Anvers du 12 au 16 novembre 1962, dans d’excellentes conditions architecturales et ludiques. Elle a débattu de l’ensemble des problèmes de la radicalisation de l’I.S. depuis Göteborg : la cohérence situationniste ; la définition précise de nos rapports avec les tendances extérieures favorables, ou ennemies (lutte anti-nashiste) ; la clandestinité et l’expérimentation dans l’immédiat.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">La Conférence a décidé la réorganisation de l’I.S., considérée comme un seul centre uni, en supprimant les divisions par sections nationales. Ce centre ne sera plus constitué de délégués de groupes locaux (nous encouragerons de tels groupes dès qu’ils se forment à rester autonomes, hors de l’I.S.) mais se considérera lui-même comme représentant globalement les intérêts de la nouvelle théorie de la contestation, sans en déduire aucun rôle dirigeant sur des forces subordonnées (« notre mandat… nous ne le tenons que de nous-mêmes »). Le dernier C.C. désigné à Anvers, qui aura aussi la tâche d’élire dans l’année qui suit ceux des candidats qui seront admis comme participants d’une I.S. devenue dans sa totalité ce centre (à un niveau égal de participation théorique et pratique de tous) comprend Michèle Bernstein, Debord, Kotányi, U. Lausen, J.V. Martin, Jan Strijbosch, A. Trocchi et Vaneigem. </p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Le travail pratique de l’I.S. a été divisé en régions, correspondant à des ensembles de conditions culturelles et linguistiques, les situationnistes se partageant d’après leur origine et position géographique les fonctions de correspondants de notre centre pour ces zones d’un anti-N.A.T.O. La première Région (<i>Nord-Europe</i>) comprend les pays scandinaves et l’Islande. La deuxième (<i>Centre-Europe</i>) englobe les deux Allemagnes, l’Autriche, la Suisse ; et doit développer nos contacts vers l’Est. La Région <i>Atlantique</i> comprend les îles britanniques et les U.S.A. La quatrième Région (<i>Ouest-Europe</i>) s’occupera de la France, des trois pays du Benelux, de l’Italie et, discrètement, de la péninsule ibérique. Enfin, une cinquième Région (<i>Afrique-Asie</i>), seulement virtuelle, servira à grouper toutes nos liaisons actuellement éparses dans cette moitié du monde. La quatrième Région s’occupera momentanément de coordonner ces relations. Les quatre régions effectives de l’I.S. devront avoir aussitôt que possible une revue chacune, et la revue <i><a href="http://www.chez.com/debordiana/francais/is9.htm" target="_blank" style="text-decoration: none;">Internationale Situationniste</a></i>, à partir de son numéro 9, sera réservée a l’expression situationniste pour la Région Ouest-Europe.</p><div style="text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);"> </div><p style="font-family: arial; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0);">Il a été décidé à Anvers que la VII<sup><span style="font-size:-2;">e</span></sup> Conférence de l’I.S. aura lieu à Vienne.</p><div class="blogger-post-footer"><img width='1' height='1' src='https://blogger.googleusercontent.com/tracker/580389069125243379-1349871337361473615?l=i-situationniste.blogspot.com' alt='' /></div>Le duc de Trèflenoreply@blogger.com