31 aout 2001

 

«Qui a peur de la vérité ?»

Témoignage sur la deuxième audience du procès Milosevic

LA HAYE - 30 août - Pour avoir une chance d'assister, il faut attendre longtemps à l'entrée du bâtiment du TPI, transformé en camp retranché par de hautes grilles et les policiers de l'ONU. Car le TPI a choisi une salle très petite, réservant 80 places aux journalistes accrédités, 30 aux personnalités qu'il invite et seulement… 20 au public.

Même les avocats yougoslaves venus assister Milosevic à sa demande sont forcés, comme moi, de faire la file très tôt matin pour avoir une chance d'être admis. En attendant, la "célèbre" Christiane Amonpour (CNN) vient les cuisiner. Manifestement, seul le "croustillant" l'intéresse. Elle jubile en apprenant que Milosevic écoute des CD, surtout de la musique moderne américaine. «Sinatra ? Oh, wonderful! I'll use that!» Et voilà comment sera "informé" son public, soigneusement laissé, par contre, dans l'ignorance des arguments juridiques solides avancés contre le TPI et son dossier d'accusation (international/balkans).

Du tribunal, le public est entièrement séparé par un mur de verre: les trois juges en rouge, les six procureurs en noir et leurss greffiers semblent flotter dans un aquarium. C'est d'ailleurs vers le public que regarde le plus souvent Milosevic. Complet sombre, cravate bleu blanc rouge (les couleurs de son pays) et expression ferme quoique semblant fatigué par les conditions de détention: surveillance caméra, aucune intimité, une lumière allumée 24 heures sur 24 dans la cellule…

«Quand l'accusation sera-t-elle prête?», demande le président à la procureur Del Ponte. «Difficile à dire, il nous faudra sans doute encore plus de deux mois». Plus tard, Milosevic ironisera: «Deux ans et demi après m'avoir faussement accusé, vous n'êtes toujours pas prête!»

Que Milosevic ne reconnaisse pas ce "tribunal" et refuse de choisir un avocat, gêne manifestement. Le président voudrait lui en désigner un d'office tout en disant que ce ne serait "pas vraiment" son conseil. Ca patauge plutôt. Enfin, le président donne la parole à l'accusé.

- «Désirez-vous soulever d'autres questions?»

«Ca dépend. Puis-je parler ou allez-vous, comme la première fois, tourner le bouton de mon microphone? Pouvons-nous communiquer comme des personnes civilisées ?»
(…)
«Je souhaite parler sur l'illégalité du tribunal. J'ai préparé un mémoire. Ca prendrait 40 minutes.»
«Vous en avez déjà parlé.»
«Si vous ne me laissez pas parler, distribuez au moins mon mémoire à la presse.»

Pas de réponse claire. Milosevic reprend: «Je ne vois pas pourquoi je devrais me défendre devant ce tribunal illégal et envers une fause accusation. Mais je voudrais vous questionner sur mes conditions de détention. Je suis en isolement total : pourquoi ma famille ne peut-elle me visiter quand elle le souhaite, pourquoi les visites sont-elles surveillées et les conversations enregistrées, même avec mon petit-fils de deux ans et demi ? Pourquoi ne puis-je discuter avec mes avocats concernant mes affaires personnelles en Yougoslavie ?»
Le président : «Ce sont les règles. Le problème est que vous n'avez pas désigné d'avocat.» Utilise-t-on les conditions de détention comme pression pour forcer Milosevic à "s'intégrer" dans le procès ?

«Pourquoi suis-je isolé de la presse ? Chaque jour, on imprime des mensonges sur moi, et je ne peux répondre. Si des journalistes veulent connaître la vérité, personne n'a de raison d'avoir peur de la vérité! Vous n'êtes pas un tribunal, vous êtes un instrument politique», accuse Milosevic. A nouveau, le président pousse le bouton pour lui couper son micro. Je vois que Milosevic continue à parler, mais constate que cela ne passe pas sur les écrans TV qui diffusent en direct. Le réalisateur a décidé de montrer seulement les juges.

Lesquels sortent précipitamment après reporté le procès au 29 octobre. Dans le public, domine une impression de confusion. Va-t-on traîner l'affaire en longueur ? Un journaliste de Belgrade, proche du nouveau régime pourtant, remarque : «Milosevic était poliquement mort. Mais ici, vu sa résistance ferme, on lui offre un come-back.»

De quoi réfléchir. A Belgrade, le prix du pain est passé de 3,5 à 20 dinars, 170.000 familles ruinées sont privées d'électricité, le nouveau régime a déçu tout le monde et se déchire… On ne peut donc s'empêcher de penser qu'il s'agit bien d'un procès politique. D'autant que le seul accusé est celui qui a osé résister à l'Otan tandis que sombrent aux oubliettes les crimes, pourtant bien connus et prouvés, des protégés de l'Otan : hauts dirigeants croates et musulmans entre 91 et 95, le général albanais Agim Ceku en 95 et depuis 99… Et surtout les crimes de l'Otan elle-même, violant maintes conventions internationales en 99…

Procès ou cirque? Quoi qu'on pense sur ce qui s'est réellement passé en Yougoslavie, et sur la manière dont nous en avons été "informés", on ne peut nier que les droits de l'accusé ne sont guère respectés. De mes études de droit, dans ma jeunesse, me revient une maxime conseillant à qui veut bien juger: "Et audi alteram partem" (Ecoute aussi l'autre partie). Qui pense avoir réellement entendu la version de cette autre partie ?

Michel Collon


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