17 octobre 2001

 

TEXTES : 1, 2, 3, 4.

Internements abusifs

À Paris, des psychiatres sont employés par l'infirmerie de la préfecture de
police pour décider si les personnes conduites devant eux par la police
doivent faire l'objet d'un internement psychiatrique. C'est sans doute là un
point noir en ce qui concerne les Droits de l'Homme en France. Le résultat
est plus qu'inquiétant. Il y a à Paris plus d'internements que dans un pays
comme l'Angleterre, soit plus à Paris que dans un pays de 60 millions d'
habitants !
Comment expliquer ce chiffre sinon par une habitude établie en France de
traiter en psychiatrie de problèmes qui relèveraient dans d'autres pays soit
de la justice, soit des services sociaux ou simplement de la vie privée de
chaque individu.
Si au pays des Droits de l'Homme, les internements parisiens restent le
symbole d'une certaine répression psychiatrique, il existe en fait un
problème structurel qui fait que la France se singularise par rapport aux
autres pays européens par un poids excessif de l'institution psychiatrique.
La loi française qui régit les internements reste fortement inspirée d'une
loi datant de 1838, confiant à l'administration la décision d'interner ou
non. Pourtant, théoriquement, d'après notre Constitution, toute mesure
privative de liberté devrait être prise par la justice. Une recommandation
de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe préconise d'ailleurs de
« confier la mesure d'internement à un juge ».
Cette loi, sans doute inspirée des « lettres de cachet » monarchiques,
explique à elle seule le nombre excessif d'internements dans notre pays. À
partir de cette loi, une sorte de tradition de l'internement s'est
développée en dépit de la nécessaire protection dont doivent bénéficier les
citoyens.
Des statistiques récentes du Ministère des Affaires sociales sur le nombre d
'internements par département font apparaître une pathologie psychiatrique
spécifique par région.
En fait, le seul facteur qui explique cette disparité des « maladies
mentales » est la politique administrative choisie.
L'internement reste donc un arbitraire administratif susceptible de toucher
n'importe quel citoyen.
Des cas d'internements psychiatriques abusifs existent bien en France
aujourd'hui. À peu près 200 personnes sont internées irrégulièrement chaque
année en France, d'après les décisions de justice ordonnant leur sortie. Ce
chiffre représente les seules personnes qui ont pu contacter la justice pour
se plaindre de leur internement et qui ont été « libérées ».
Souvent, les internés, abrutis de drogues annihilant la volonté et coupés de
l'extérieur ne peuvent faire aboutir une demande de sortie judiciaire. Un
livre récent de Marie-Christine Dwelles, intitulé Le Séquestré de Montfavet,
paru aux éditions du Rocher, dénonce l'internement abusif d'un homme dans l'
hôpital psychiatrique de Montfavet près d'Avignon, là même où mourut Camille
Claudel.
Cet homme a passé plus de quinze ans de sa vie dans des conditions indignes
d'un être humain, de cellule en cellule et de punitions en punitions pour
des « troubles mentaux » qui n'ont même pas été prouvés. Il est sorti cette
année avec l'aide d'un avocat et d'un véritable comité de soutien.
La France a été condamnée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe
en octobre 1997 pour un cas similaire où une personne avait subi un
internement psychiatrique arbitraire après quelques mois de détention, sans
même être sorti de prison.
Récemment encore, un livre de Norbert Jacquet intitulé Airbus dénonçait l'
internement psychiatrique subi par un pilote de l'Airbus accidenté il y a
quelques années en Alsace. Selon cet auteur, en l'internant pour des raisons
de santé mentale, son témoignage gênant, qui mettait en cause la sécurité de
l'avion, se trouvait ainsi discrédité.
Face à cette question cruciale de l'internement, la Commission des citoyens
pour les Droits de l'Homme se bat pour faire modifier la loi. Elle propose
notamment que ce soit la justice (et non l'administration) qui puisse
prendre la décision d'interner, après un débat contradictoire avec la
personne concernée. C'est une proposition de bon sens partagée par de
nombreux individus et groupes de Droits de l'Homme.
Le record de consommation de psychotropes
Le problème des internements psychiatriques, choquant en eux-mêmes, est
amplifié par le fait que les traitements psychiatriques peuvent être
particulièrement destructifs pour l'individu.
Il est maintenant de notoriété publique que la France est le premier
consommateur au monde de produits psychotropes. 12 % de la population
prennent régulièrement, sous une forme ou une autre, des drogues
psychiatriques, soit trois à quatre fois plus que nos partenaires européens.
Cela signifie-t-il que les Français ont une tendance plus marquée aux
troubles mentaux » que leurs voisins ? Évidemment non. De même que les
disparités des internements forcés sont liées à des politiques
administratives, la dangereuse surconsommation de drogues psychiatriques est
créée artificiellement.
Le rapport du Dr Zarifian de 1996 dénonçait la collusion entre de grands
laboratoires pharmaceutiques et des psychiatres influents qui font la
promotion de ces produits auprès des médecins généralistes et du grand
public, habituellement contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Des milliards pour la « recherche »
Depuis des années, les psychiatres annoncent qu'ils sont « au bord d'une
grande découverte » dans leur compréhension du mental ; ou ils annoncent la
dernière « drogue miracle » qui apportera le bonheur à tous. Et chaque
année, sur la base de ces promesses, des milliards viennent s'ajouter aux
milliards déjà dépensés en recherche - pour envoyer de nouveaux rats dans
des labyrinthes et tester plus de pilules chimiques sur de nouveaux cobayes
et de nouveaux singes. Pour quel résultat ? Les statistiques de la « santé
mentale » continuent à empirer - selon les psychiatres eux-mêmes.
Les hommes politiques doivent se réveiller devant ce scandale national et
mener une véritable enquête sur les résultats réels de l'industrie
psychiatrique et ses violations des Droits de l'Homme. La France ne peut
tolérer ce coût en vies humaines, ni se permettre les milliards de francs
gaspillés dans des traitements qui s'avèrent en fait nocifs.

 

Pourquoi le nombre des internements de force augmentent-ils ?


Depuis la mise en application de la nouvelle loi concernant les
hospitalisations psychiatriques, un brusque accroissement du nombre des
internements sans consentement a été constaté.

Alors que la loi du 27 Juin 1990, se substituant à la loi de 1838, avait
pour objet de mieux protéger les citoyens face à certains internements
arbitraires
- en "garantissant mieux les droits des personnes hospitalisées sans leur
consentement"
- et en "instaurant un meilleur contrôle des hospitalisations en psychiatrie
au regard des libertés individuelles",
il apparaît, au contraire, que les internements sous contrainte
Hospitalisations d'Office et à la Demande d'un Tiers) ont augmenté dans des
proportions tout à fait anormales comme le montre le graphe ci-dessous.

Sources: Statistiques des Etudes et des Systèmes d'Information du Ministère
de la Santé)
Un rapport de synthèse de la Commission des hospitalisations psychiatriques
du département du Nord (Année 1994) donne une explication à cette question.
Le travail de cette commission comprend deux volets : l'étude des dossiers
des malades hospitalisés sous contrainte et les visites des dix
établissements habilités à les recevoir tel que le prescrit la loi du 27
Juin 1990.
Voici un extrait de ses conclusions:
"... il nous a semblé que certaines garanties introduites par la nouvelle
loi avaient été parfois contournées.
L'usage de la notion de péril imminent qui permet l'hospitalisation sur
demande d'un tiers en urgence est parfois abusif. Deux situations concrètes
nous sont apparues. Tout d'abord les médecins des grands centres d'urgences
somatiques qui souhaitent hospitaliser sous contrainte des malades dans
leurs établissements y ont volontiers recours. Les certificats qui
soutiennent ces demandes sont souvent pauvres en description clinique et les
arguments étayant le péril imminent sont le plus souvent inexistants.
De la même manière, mais cette fois-ci du côté de l'administration des
établissements psychiatriques, quand un malade arrive avec des certificats
médicaux incomplets ou mal rédigés, il semble que certaines hospitalisations
sur demande d'un tiers prennent, après coup, leur caractère de péril
imminent, avec des certificats refaits et postdatés. Il est probable que la
plus grande partie de ces situations échappent à la commission si les
corrections sont bien faites.
Nous avons aussi remarqué que certains grands centres d'urgences somatiques
avaient mis en place des formulaires pré-imprimés de certificats médicaux d'
HDT. Il apparaît ainsi que les deux certificats médicaux obligatoires sont
étroitement superposables à la seule exception du nom des certificateurs.
Cet usage qui détourne l'esprit de la loi a débuté à la Cité Hospitalière et
tend à s'étendre aux autres établissements de grande taille.
Pour les HDT de longue durée, il apparaît que les certificats mensuels sont
souvent automatiquement reproduits, y compris les fautes de frappe, de mois
en mois, étayés sur des descriptions cliniques laconiques et parfois même
sans description aucune, ces certificats émanent le plus souvent des
services ou des établissements ayant les plus grandes dotations en lits."
Conclusion:
Comme le montre le rapport ci-dessus, la cause de l'augmentation du nombre
des internements de force est que la procédure d'urgence elle-même est
utilisée de façon abusive et que c'est ce point qui devrait faire l'objet
d'une surveillance plus grande de la part des pouvoirs publics et
judiciaires.

 

Trouvé sur le web sur le site www.penelopes.org
à ne pas ranconter le soir aux petits enfants avant de dormir...
"Si t'es pas sage maman va t'envoyer chez les psy !"

Le droit de cuissage au XXIe siècle
Ou : Quand un homme politique est protégé par le pouvoir en place !
par Michèle Dayras
(15 mai 2001)

Cela se passe dans une petite ville de province nichée au fond des
montagnes.
Nadine* est employée comme technicienne de surface, selon la terminologie
moderne, dans une bâtisse officielle qui dépend de la municipalité. Elle est
femme, elle est jeune, elle occupe une position subalterne; « la chair est
faible » quand il s'agit des hommes, c'est bien connu (!). et c'est ainsi
que son calvaire commence.

Comme les autres jeunes filles qui avaient travaillé dans ces locaux avant
elle, Nadine* devient la victime privilégiée du gardien, Monsieur Liriot,*
du Directeur, Monsieur Crépineaux* et du Président du Conseil d'
Administration, Monsieur Ruzeillier.* Le droit de cuissage, que l'on croyait
disparu avec la reconnaissance des droits humains des femmes, existe encore
dans ce système patriarcal où les hommes conservent tous les pouvoirs et s'
octroient tous les privilèges. Harcèlement sexuel, harcèlement moral, rien
ne manque ! Nadine* doit supporter les attouchements sexuels, faire des
fellations, approcher ces corps d'hommes qui s'imposent à elle. Alors elle
dit NON ! et menace de dénoncer ce qui se passe. Et malgré l'exemple des
autres jeunes filles qui ont, l'une après l'autre, été mutées, Nadine* ne
craint pas les représailles et s'insurge contre le sort qui lui est fait.
Elle est sanctionnée pécuniairement dans un premier temps et prévient son
syndicat. Puis, lorsqu'elle décide de manifester seule devant son lieu de
travail pour informer la population, le pays « des droits de l'homme et du
citoyen » le lui rend bien : la police l'embarque à l'hôpital psychiatrique
où elle va rester deux mois. C'était en 1998. Dans le même temps, elle est
radiée de son poste de travail et mise en longue maladie.

Mais Nadine* est une battante qui croit fermement que son pays est une
démocratie dans laquelle la justice existe et que cette justice est égale
pour tous et pour toutes. Et elle porte plainte contre Messieurs Liriot*
Crépineaux* et Ruzeillier* auprès du Tribunal de Grande Instance, prévient
la presse locale, écrit au Procureur de la République. Elle choisit, même,
de rencontrer le Directeur Général des Services du département. Enfin, elle
relance le Commissaire de Police. Qu'à cela ne tienne ! Les enquiquineuses,
on leur apprend à se comporter ! Elle se retrouve, à nouveau, en psychiatrie
pour deux mois : on finira bien par briser ses velléités de justice et on
aura raison de son franc-parler.
Décidée à faire entendre sa voix et à obtenir réparation pour les violences
sexuelles auxquelles elle a été soumise, Nadine* reprend son travail en
portant un brassard qui dénonce le viol qu'elle a subi. La réponse ne se
fait pas attendre : c'est le 3ème enfermement en psychiatrie pendant une
quinzaine de jours pour tenter, une nouvelle fois, de briser sa force, son
courage et sa détermination.

Car Monsieur Ruzeillier* n'est pas n'importe qui, même si son comportement
tendrait à suggérer le contraire. Il fait de la politique et il est protégé
en haut lieu, au niveau étatique faut-il le préciser ? Alors, que peut faire
une jeune employée de l'équipe de nettoyage contre un monsieur aussi
puissant et aussi puissamment protégé ? RIEN ! On souhaite qu'elle le
comprenne avant qu'il ne soit trop tard pour elle et pour son psychisme, car
les séjours en service spécialisé s'accompagnent de bonnes doses de
médicaments de toutes sortes, injectés DE FORCE, qui transformeraient n'
importe lequel des hommes les plus violents en « légume « humain, en un rien
de temps; et au besoin, il reste encore la camisole de force. N'oublions pas
que la France est le pays d'Europe où la pratique des INTERNEMENTS ABUSIFS
est la plus fréquente et où le pouvoir administratif TOUT PUISSANT laisse la
personne sans moyen de défense contre l'arbitraire de sa situation.

Il est opportun de se demander qui dirige une telle structure hospitalière
dans cette ville de province ? C'est une femme, la Docteure Maricelli.*
Nommée à ce poste par les instances locales, ce n'est pas elle qui discutera
du bien-fondé de l'internement en cours; elle se contente de « soigner »
celle qui n'a nullement besoin de ses soins. Quant au médecin qui reçoit
Nadine* pour sa reprise éventuelle de travail, après chacun de ses passages
en psychiatrie, il s'agit du Docteur Chen-Du,* du Comité Médical de la
DDASS, qui n'est autre que le mari de la psychiatre; tout se passe donc en
famille et le secret est bien gardé ! Avant de donner son accord à la
reprise d'activité, le Docteur Chen-Du* ne manque pas de demander à Nadine*
« si oui ou non elle compte enlever ses plaintes » ? Comme elle répond que
non, elle reste en arrêt de travail en attendant le prochain séjour en
psychiatrie.

Et c'est ainsi que tout s'enchaîne, que tout s'intrique, que tout s'acharne
pour qu'avortent toutes les tentatives de Nadine* de voir la vérité éclater
au grand jour. Elle ne renonce pas pour autant. Consciente de son bon droit,
elle croit encore en la justice de son pays et ne retire pas ses plaintes.
Mais rien n'y fait, tout est étouffé; ses différents avocats piétinent; la
presse reste muette; seuls les syndicalistes la soutiennent dans ses
épreuves et dans ses démarches et osent évoquer ce qui se trame; en vain !

Dernier rebondissement de cette pénible affaire : l'an 2001. Malgré les
multiples pressions exercées à son encontre, Nadine*, qui n'a pas repris son
travail depuis plus d'un an et demi, a maintenu sa plainte (entre autres)
contre Monsieur Crépineaux.* C'est, vraisemblablement, pour cette raison qu'
elle se retrouve internée pour la 4ème fois et que la Docteure Maricelli* la
met sous curatelle. C'est cette période de deux mois, passés en service
fermé où elle est abreuvée de thérapeutiques, qu'elle choisit pour contacter
le Groupe-Information-Asile (GIA) association spécialisée dans la lutte
contre les internements abusifs et SOS-SEXISME.

Nadine* est sortie maintenant. Sa curatelle vient d'être levée par la Dre
Maricelli* qui la trouve « très bien » ! Pourquoi ce revirement soudain ?
Sans doute parce que les choses se précisent et se mettent enfin à bouger.
Parce que l'ami de Nadine a remué ciel et terre pour que ce cauchemar cesse.
Parce que le GIA a choisi d'entamer une procédure. Parce que SOS-Sexisme a
promis à Nadine de diffuser sa vérité et de raconter l'odieuse réalité de ce
qu'elle a vécu. Et aussi, parce que la famille d'une jeune femme,
ex-employée de bureau, vient de porter à la connaissance de tous la plainte
qu'elle a déposée contre l'un des harceleurs, le fameux Monsieur Crépineaux*
qui, actuellement, ne travaille plus dans la structure incriminée dont il
semble avoir été éloigné volontairement.

Nadine* a, enfin, trouvé l'appui de personnes qui veulent lutter contre les
mensonges et qui choisissent de dénoncer l'arbitraire de ses internements et
de faire reconnaître le harcèlement sexuel et le harcèlement moral qu'elle a
subis depuis si longtemps dans l'indifférence quasi générale, dans ce pays,
la France, où l'ON NE TOUCHE PAS AUX HOMMES POLITIQUES surtout s'ils sont
protégés en haut lieu !

* NDLR : les noms et les prénoms des protagonistes sont fictifs.
Pour la définition du viol, voir l'Article 222.23 du Code Pénal français (la
fellation est un viol).

Pour manifester votre solidarité à Nadine* :
envoyez un email à sexisme@club-internet.fr
ou écrivez à SOS SEXISME (en précisant « Pour Nadine * »)
2 rue du Bel Air - 92190 - Meudon-Bellevue - France
http://perso.club-internet.fr/sexisme

 

Vous n'irez pas en taule...
... mais peut-être en HP.

L'Express du 10/05/2001
Psychiatrie
La dérive asilaire
par Gilbert Charles


Depuis dix ans, le nombre d'«hospitalisations sous contrainte» a augmenté
de 60%, touchant 40 000 personnes par an. Une triste exception
française©S.Bollendorff/L'Oeil Public

44% des internements sous contrainte ne seraient pas médicalement
«appropriés».
Il y a Billy, un gamin de 13 ans, placé par les services sociaux dans une
famille d'accueil... qui l'a fait interner dans un hôpital psychiatrique de
la région de Tarbes, parce qu'elle ne voulait plus s'en occuper. Il y a
Alicia, une Parisienne de 58 ans, qui s'est retrouvée embarquée par la
police et enfermée pendant quarante-cinq jours à Sainte-Anne à la suite de
la dénonciation d'un voisin. Il y a Claude Baudoin qui, après avoir purgé
une peine de vingt ans de réclusion pour un crime passionnel, est resté
enfermé onze années supplémentaires dans une unité psychiatrique. Il y a
René Loyen, un ancien VRP, hospitalisé pendant deux ans à la suite d'un
banal conflit de voisinage, auquel le tribunal de Lille a accordé en juillet
dernier 3,9 millions de francs de dommages et intérêts pour internement
abusif. Des dizaines d'affaires similaires sont aujourd'hui en attente de
jugement. La psychiatrie est-elle devenue folle?

C'est un phénomène bien français qui ne cesse de se développer: chaque
année, des milliers de gens sont hospitalisés de force en psychiatrie, à la
demande d'un parent, d'un voisin ou de l'administration. Depuis dix ans, le
nombre d' «hospitalisations sous contrainte» a augmenté de 60% dans
l'Hexagone. Une dérive sévèrement dénoncée dans le dernier rapport de la
Cour des comptes et qui a valu à la France d'être plusieurs fois condamnée
par la Cour européenne des droits de l'homme. «Notre pays est le seul du
Vieux Continent où l'administration dispose encore du pouvoir d'interner,
alors que celui-ci est confié partout ailleurs aux médecins ou aux juges,
observe le Dr Claude Louzoun, psychiatre et cofondateur du Comité européen
droit, éthique et psychiatrie (Cedep). L'hospitalisation sans consentement
ne devrait se justifier que pour un nombre infime de cas, mais elle est
devenue chez nous une solution de facilité qui permet de traiter toutes
sortes de problèmes sociaux, des conflits conjugaux à l'éthylisme en passant
par la petite délinquance.» Une dérive d'autant plus paradoxale que la
politique officielle depuis vingt ans - avec la sectorisation - consiste à
vider les hôpitaux psychiatriques.
«Un malade mental a chez nous
moins de droits qu'un criminel»
Depuis 1838, la législation française prévoit deux types d'internement sous
contrainte. D'une part, «l'hospitalisation d'office», une procédure décidée
par le maire ou le préfet pour «trouble à l'ordre public» et qui s'applique
aux individus violents ou dangereux pour autrui. D'autre part,
l'hospitalisation «à la demande d'un tiers», qui peut être réclamée par un
parent, un voisin, une assistante sociale voire l'employeur du patient. En
1990, le Parlement a voté une législation (dite «loi Evin») destinée, en
principe, à encadrer les internements psychiatriques en instituant notamment
un double certificat médical pour les hospitalisations à la demande d'un
tiers - 75% des internements forcés. Mais cette loi n'a rien réglé: le
nombre des internements sous contrainte n'a cessé d'augmenter depuis, pour
atteindre aujourd'hui un total de 60 000 par an, soit environ 13% des
admissions en hôpital psychiatrique. Sachant qu'un certain nombre de
patients sont internés à plusieurs reprises, ce phénomène concerne environ
40 000 personnes. Trois à quatre fois plus qu'en Italie, en Espagne ou au
Royaume-Uni! Les statistiques varient énormément d'une région à l'autre sans
que personne ne puisse expliquer pourquoi. Rapporté à la population
générale, le taux d'hospitalisation à la demande d'un tiers est, par
exemple, quatre fois plus élevé dans le département de la Vienne que dans le
Territoire de Belfort, et les hospitalisations d'office sont dix fois plus
nombreuses en Haute-Corse que dans la Haute-Marne.

«L'internement semble devenu la réponse automatique face à des patients un
tant soit peu difficiles ou imprévisibles, explique Philippe Bernardet,
sociologue au CNRS. La décision est d'autant plus facile à prendre qu'il
n'existe pratiquement aucun contrôle sérieux des certificats médicaux ni
aucun débat possible au moment de l'internement. Un malade mental a chez
nous moins de droits qu'un criminel qui, lui, bénéficie d'un procès
contradictoire avant d'être privé de liberté.» La plupart des attestations
médicales sont en effet rédigées après coup et se résument souvent à une
description sommaire des troubles du patient. Certaines sont carrément
remplies à partir d'un formulaire standard imprimé à l'avance, porte ouverte
à l'arbitraire.

Une étude menée par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) en
1985 a montré que 44% des internements sous contrainte n'étaient pas, en
réalité, médicalement «appropriés», soit parce que les troubles psychiques
ne justifiaient pas une hospitalisation, soit parce que les intéressés
relevaient davantage d'une prise en charge d'ordre social plutôt que
médical. Rien ne démontre que cela ait changé. «On enferme des personnes
âgées qui relèvent de la maison de retraite ou des polyhandicapés, qu'on
parque en hôpital psychiatrique faute de structures de soins adaptées»,
remarque Claude Louzoun.

A Paris, la plupart des «agités» récupérés par la police sur la voie
publique sont conduits à l'infirmerie de la préfecture de police de Paris
(IPPP), rue Cabanis. Menottés et fouillés au corps, ils sont placés en
observation dans des cellules pendant vingt-quatre à trente-six heures avant
d'être orientés vers les hôpitaux psychiatriques de la région parisienne.
L'IPPP, dont les associations de défense des malades et de nombreux
psychiatres réclament la fermeture, est une institution médicale au statut
particulier qui n'est pas contrôlée par le ministère de la Santé, mais
dépend directement de l'Intérieur. Chaque année, plus de 2 000 personnes
sont internées d'office via cette infirmerie très spéciale: un chiffre
équivalant à celui des placements d'office dans tout le Royaume-Uni.

Sortir de ce système absurde
Une fois interné, le patient se retrouve piégé. «Dès mon admission, on m'a
bourrée de neuroleptiques qui me paralysaient la bouche et m'empêchaient de
m'exprimer, se souvient Marie-Christine, une psychotique de 40 ans,
hospitalisée sous contrainte pendant quinze jours après avoir été victime
d'un épisode délirant dans un magasin: j'étais tétanisée et évidemment
incapable de me défendre.» En principe, toute personne hospitalisée de force
doit subir un nouvel examen dans les douze jours suivant son admission. Dans
le cas d'une hospitalisation d'office, un nouveau certificat doit être
établi un mois après l'entrée du malade, et ensuite tous les trimestres.
Très souvent, la décision est simplement reconduite.

Bernard Kouchner, ministre de la Santé, entend proposer prochainement une
révision de la loi Evin pour redéfinir et renforcer les droits des malades
mentaux. Cette réforme devrait limiter les cas d'hospitalisation d'office,
donner au malade la possibilité de refuser un traitement et lui permettre
d'accéder à son dossier médical. «Mais la seule façon de sortir de ce
système absurde consiste à confier aux juges la décision d'internement, sur
avis médical, comme l'ont fait la plupart des autres pays», estime André
Bitton, président du Groupe information asiles (GIA), une association de
défense des usagers de la psychiatrie. Le gouvernement, craignant une
multiplication des contentieux, ne semble pas prêt à aller jusque-là. Ce
principe de judiciarisation a pourtant fait ses preuves. Au Royaume-Uni, le
malade est placé pendant vingt-huit jours en observation et ne se voit
imposer une thérapie qu'après le contrôle d'un tribunal. En Italie, c'est le
juge des tutelles qui intervient, soixante-douze heures après l'internement,
pour valider la détention. Résultat: la durée moyenne des placements est de
douze jours dans la péninsule, contre cinquante jours en France.


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