2 mai 2002

 


Arnaud commence par expliquer pourquoi il ira voter Chirac :
(contre le pen au second tour des présidentielles)

À l'attention de ceux qui disent ne pas vouloir voter :

Avec Chirac Président, vous avez pu :
- faire grève,
- manifester,
- publier vos idées sur papier ou sur Internet,
- vous réunir,
- etc.

Si vous ne votez pas, et qu'un état totalitaire s'instaure :
- pas de grève,
- pas de manifs,
- zéro possibilité d'expression,
- camps de rééducation pour les vilains non conformistes,
- etc.

Conclusions perso :
- A force de dire du mal du système actuel, on oublie qu'il existe bien
pire ...
- Nous n'avons pas le choix entre 2 mauvais candidats, mais entre un
mauvais candidat et un TRES mauvais candidat.

 

Réponse de Thierry :

Intox et mobilisations citoyennes

Bonjour Arnaud,

Je m'adresse à toi en tant qu'abstentionniste du premier tour et du
deuxième.

Ton argument en faveur du vote est en effet à prendre en considération.
Il est important que les militantEs se posent la question suivante : sous
quel régime me sera-t-il possible de continuer à vivre mon engagement
dans les meilleurs conditions? C'est la question que tu poses et il
serait malvenu de l'évacuer au nom d'une orthodoxie anarchiste intangible
(pas de participation à la démocratie représentative bourgeoise).

Tu fondes ton argumentation sur le fait que sous le règne de Chirac,
certaines luttes ont pu être menées et que la liberté d'expression – bien
que limitée – a été suffisamment préservée pour permettre l'existence de
voix contestataires et radicales, notamment sous forme de publications
diverses ou de manifestations. Selon toi, il n'en serait pas de même sous
le règne de Le Pen et il est donc nécessaire de voter Chirac pour pouvoir
continuer à militer au grand jour.

Cet argument est raisonnable. Il est indéniable que la démocratie
bourgeoise concède certains espaces de liberté favorables à la
construction d'une société alternative. Ces espaces de « liberté
militante » sont réduits, étroitement surveillés, régulièrement intimidés
ou criminalisés et parfois carrément agressés, mais tu as raison : sous
une dictature totale, un autre degré serait franchi et nous serions
obligéEs d'entrer dans une lutte clandestine particulièrement difficile à
menée, très dangereuse, et pour laquelle nous ne sommes, pour la plupart
d'entre nous, pas préparéEs (tant humainement que techniquement).

Ton argument tient la route si nous sommes réellement dans la situation
de menace extrême que tu envisages. Mais, justement, je pense que la
situation n'est pas celle que tu décris.

Nous assistons depuis le premier tour des élections à une sorte de vague
émotionnelle – attisée et entretenue pour les média - qui nous voile la
réalité. Les conditions d'une prise de pouvoir par Le Pen (que ce soit par les
urnes ou par la force) ne sont pas réunies – pas encore ;-)

Pour que le fascisme s'installe il lui faudrait au moins cinq bases dont
Le Pen ne dispose pas :

1- Un parti puissant et soudé porté par une part suffisante – et
suffisamment convaincue et confiante en son guide – de la population.
2- Le soutien acquis de la majeur partie des forces de l'«ordre».
3- Une alliance claire avec une part importante des détenteurs du
capital.
4- La passivité de la masse «non-engagée» et une préparation suffisante
des mentalités dans le sens du moutonnisme et de la soumission en échange
de la tranquillité.
5- Un contexte international favorable – par exemple des pouvoirs «amis»
susceptibles d'intervenir en soutien si nécessaire (exemple de Mussolini
et Hitler soutenant Franco).

Honnêtement, je pense – mais ce n'est qu'un avis personnel après tout –
que ces cinq bases ne sont pas mûres aujourd'hui en France pour recevoir
la construction d'un état fasciste au sens stricte du terme. MAIS il est
clair que chacune de ses bases sont aujourd'hui en formation, elles se
déploient et se consolident peu à peu. Quand arriveront-elles à maturité
pour permettre un véritable basculement dans le fascisme, je n'en sais
rien – j'ai bien tenté de joindre la météo au téléphone (tant il parait
aujourd'hui évident que c'est à cause du soleil que le plupart des
abstentionnistes ont négligé leur devoir citoyen et ont permis
l'avènement du fascisme à nos portes) mais la ligne est toujours
occupée...

Et parce que je n'en sais rien je compte me préparer et inciter autour de
moi à cette préparation, restant lucide sur cette éventualité tout en
faisant en sorte que cela n'arrive jamais. Le retour du fascisme en
France n'est pas impossible.

Mais ce préparer ne veux pas dire céder à l'hystérie alarmiste et à
l'intox. Ce à quoi nous assistons actuellement est, en grande partie,
l'agitation collective d'un leurre. La fonction de ce leurre est de nous
faire toutes et tous rentrer dans l'enclos du système protecteur, de
jeter la confusion sur la nature des dangers qui nous guettent et les
moyens de les combattre efficacement. Ce retour des brebis égarées au
sein du troupeau et dans la bergerie – au cris savamment orchestré d'un
«No Pasaran» vidé de sa substance (c'est au nom de la défense de la
liberté qu'on la neutralise le plus efficacement, relisons Orwel et ses
développements sur la Novlang...) profite finalement autant à Chirac qu'à
Le Pen, qu'à tout ceux qui rêvent d'installer un pouvoir musclé aux
commandes de l'état.

Nos maîtres, effrayés par le camouflet du scrutin, réussissent à
rassembler et canaliser les énergies contestataires vers des thèmes et
des formes de protestations autorisées et peu inquiétantes. Je ne pense
pas qu'il y ait derrière cela un machiavélisme froid et parfaitement
conscient, un complot, mais un mélange d'opportunisme et de démagogie
politicienne, de manque de lucidité collective, ainsi qu'un désir réel
d'engagement contre le fascisme, mais un fascisme abstrait, incarnant le
Mal de façon simple et accessible à toutes et à tous, sans que l'on sache
trop finalement de quoi il s'agit et comment il faudrait s'en prémunir.

Je suis allé manifester aujourd'hui pas solidarité militante et par
fidélité à une certaine «mémoire» anarchiste du premier mai. Cela ne
m'empêche pas de penser que les mobilisations actuelles et en particulier
le harcèlement autour de la nécessité du vote Chirac qui s'y répercute,
préparent paradoxalement un terrain favorable à l'installation d'un futur
pouvoir totalitaire : le message principal de ces mobilisations est
«sauvons notre démocratie vermoulue et discrédité, sauvons le système,
accrochons nous à cet acquis sécurisant même si nous devons pour cela
sacrifier notre aspiration à une autre vie, rallions nos chefs, sérieux
et responsables, garants de notre «liberté citoyenne», ne sortons pas du
périmètre balisé par les bonnes vielles institutions républicaines car le
loup rôde à l'extérieur...».

Un tel unanimisme frileux et quasiment vidé de toute dynamique novatrice
et créatrice, ne me rassure pas quant à l'avenir, que nous le vivions
sous Chirac ou sous Le Pen...

Voilà pourquoi je n'irais pas voter. Je suis de plus en plus convaincu
que la partie réelle se joue ailleurs et que cette remobilisation en
marche forcée autour des urnes salvatrices – quand ce n'est pas la
Marseillaise, le drapeau tricolore ou Marianne qu'il faut arracher aux
griffes du méchant Le Pen - est un moyen comme un autre de nous rendre
encore plus conformes et normaliséEs tout en nous faisant vivre un
simulacre de barricade en faveur de l'humanisme et de progrès social.

A ce train là, le fascisme de demain n'aura même plus besoin de réprimer
pour dominer (ou très peu), il se sera rendu maître des cerveaux, nous
proposera des révoltes virtuelles organisées et des boucs émissaires de
pacotilles pour purger notre rage et diriger notre volonté
transformatrice vers des cibles sans conséquences graves...

Fraternellement.
Thierry

__________________________________

Note de do :

TENTATIVE DE COUP D'ÉTAT ?

Salut,

Au premier tour, je n'ai pas voté parce qu'aucun candidat ne m'avait semblé suffisamment à gauche, et on voudrait aujourd'hui me faire voter Chirac ? Ils (les gens du pouvoir qui savent faire bon usage de la catastrophe) se foutent de nous : ils ne s'en foutrons pas longtemps !

Je n'irai pas voter dimanche !

A+
do
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Post Scriptum :
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De plus, je viens d'apprendre qu'en prenant le prétexte du triste événement qui vient d'arriver et qui a été permi par la 5° République, un appel à fonder une 6° République a été lancé PAR DES GENS DU POUVOIR sous prétexte d'empêcher que ça recommence. Mais ça fait des années qu'on veut nous changer notre constitution afin de la remplacer par une autre qui permettrait plus facilement la dissolution du pays dans cette Europe qui nous a imposé il y a deux mois à Barcelone une privatisation d'EDF et une augmentation de 5 ans de l'âge de la retraite.

Méfions-nous. Il se peut que le premier tour des présidentielles françaises n'ait été que la première étape d'un coup d'État destiné à nous inféoder plus encore a cette Europe.

Plus la victoire de Chirac dimanche qui vient sera faible, et moins il sera en mesure de nous imposer ce coup d'État !


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