20 mai 2002

 

Dossier 11 septembre

Champ libre à Ben Laden
Qui est le vainqueur du 11 septembre?
Le plan d'attaque contre l'Afghanistan était déjà prêt
Le ministre Ashcroft ne prenait plus l'avion

Le gouvernement et les services de sécurité américains pouvaient déjouer les attentats du 11 septembre

Champ libre à Ben Laden

Le président Bush essuie un feu nourri. Le patron de la CIA, Tenet, lui a dit cinq semaines avant les attentats du 11 septembre que le réseau al-Qaïda de Ben Laden allait peut-être détourner des avions. Il ne faut pas enquêter de ce côté, a rétorqué le gouvernement, les indications sont bien trop vagues. Allons donc...

Peter Franssen

La chaîne CBS révèle la mise en garde de Tenet à Bush mercredi soir. Le même jour, la Maison Blanche confirme l'histoire. Le lendemain, Condoleezza Rice, conseillère de Bush en matière de sécurité, déclare à la presse que Tenet a formulé son avertissement en termes on ne peut plus vagues: «Le rapport ne mentionnait ni le lieu ni la date de ces détournements. Il y était bien question de détournements d'avions mais, nulle part, il n'était dit que les pirates allaient utiliser les appareils comme bombes volantes. Nous pensions qu'il s'agissait d'un détournement classique avec prise d'otages et revendications à la clef. Je pense que personne n'aurait pu prévoir que ces gens allaient s'emparer d'avions et les écraser dans les tours du WTC et le Pentagone. Nous étions également convaincus que les actions de Ben Laden auraient lieu à l'étranger: en Israël, en Europe ou encore dans la péninsule arabe».1

Cinq mises en garde, dont deux bien détaillées

Ca ne tient pas debout de dire que les services de renseignement croyaient que les attentats auraient lieu à l'étranger. Et encore moins que ces services ignoraient qu'il allait s'agir d'attentats suicides.

Pour commencer, pas moins de cinq services de renseignement étrangers préviendront leurs homologues américains: égyptiens, israéliens, français, russes et allemands. Voici, littéralement, ce que les Allemands du BND disent à leurs copains de la CIA en juin 2001: «Des terroristes du Moyen-Orient ont l'intention de détourner des avions de ligne en vue de s'en prendre à d'importants symboles des Etats-Unis.»2

En août 2001, le président russe Poutine charge ses services de renseignement de prévenir instamment et en termes des plus nets le gouvernement américain que des terroristes mijotent des attentats à grande échelle contre des bâtiments officiels américains. Ajoutant que 25 terroristes ont été préparés à détourner des avions en vue d'actions suicides.3 Aucune réaction des Américains.

Dans une interview, Poutine dira: «J'ai été sidéré par la réaction de Washington. Ils se sont contentés de hausser les épaules, lâchant: que voulez-vous qu'on fasse, nous ne pouvons rien faire, puisque les Talibans ne veulent pas livrer Ben Laden.»4

Cinq avertissements graves, dont deux hyper-détaillés. Cela aurait dû suffire. Mais il y a plus grave encore. On prétend aujourd'hui qu'il était impossible de prévoir que ces types allaient transformer ces avions en bombes volantes et commettre des attentats suicides. La CIA n'avait pourtant nul besoin de se creuser pour le savoir.

Le plan visant à détourner des avions de ligne, puis à les lancer sur des bâtiments privés et du gouvernement américain, existe depuis 1995. Ce plan est découvert aux Philippines lors de la préparation d'une visite du pape. Après l'incendie d'une habitation à Manille, une maison est fouillée. Elle était habitée par trois hommes. L'un d'eux est Ramzi Ahmed Yousef, un des coresponsable de l'attentat à la bombe de 1993 contre le WTC.

Yousef parvient à fuir. Mais la police trouve un plan pour détourner onze avions de ligne et les écraser sur des bâtiments militaires et civils. Outre le QG de la CIA à Langley, la liste mentionne les tours du WTC! Yousef et ses deux cohabitants sont connus comme des adjoints de Ben Laden.5

FBI et CIA
informent CIA et FBI

Ensuite, il y a les mises en garde internes, au sein même des USA. Le 10 juillet 2001, un agent du FBI, de l'Arizona, transmet un rapport à ses supérieurs: il a remarqué qu'un nombre anormalement élevé d'Arabes suivent des formations de pilotage. Serait-il possible, ajoute-t-il, que cela fasse partie d'un plan de Ben Laden visant à détourner des avions? Nous pourrions peut-être vérifier à l'échelle nationale si d'autres Arabes suivent ce genre d'entraînement pour piloter des Boeing, suggère-t-il. La direction du FBI répond qu'il n'y a pas assez d'indices pour poursuivre l'enquête dans cette direction.6

Un second avertissement interne est encore plus déconcertant. Le 16 août 2001, les Services de l'Immigration de l'Etat du Minnesota arrêtent Zacarias Moussaoui, un Marocain né en France. L'homme a suivi des cours de pilotage à la Pan Am International Flight Academy d'Eagan, dans la banlieue de Minneapolis. Au cours des semaines précédentes, divers instructeurs de cette école ont averti le FBI du comportement à tout le moins étrange de Moussaoui.

Celui-ci s'est inscrit à un cours de pilotage sur Boeing 747 (le jumbo-jet). Il a payé cash les 6.300 dollars (6.800 euros ou 270.000 FB) d'inscription. Il voulait absolument apprendre à voler sur un jumbo-jet, alors qu'il est évident qu'il n'a absolument aucune expérience de vol. Il a dit à ses instructeurs qu'il se moque d'apprendre à décoller ou à atterrir: la seule chose qui l'intéresse, c'est de pouvoir diriger l'appareil en l'air.

L'instructeur et le directeur adjoint de l'école trouvent la chose des plus louches et contactent le FBI, devant insister à six reprises pour arriver à leurs fins. Lors du dernier entretien téléphonique, l'instructeur a même dit : «J'espère que vous vous rendez compte qu'un 747 bourré de kérosène peut être utilisé comme une bombe?»7

Finalement, les services de l'immigration arrêtent Moussaoui: ses papiers ne sont pas en ordre. Le FBI local l'interroge et estime qu'une enquête complémentaire est nécessaire. L'agent qui dirige cette enquête indique au QG du FBI qu'il entend demander un mandat à un juge afin de pouvoir mener une perquisition, surtout pour pouvoir examiner de plus près le disque dur du PC de Moussaoui. L'agent ajoute qu'il s'agit peut-être bien d'un futur pirate de l'air «qui a l'intention d'aller écraser un appareil dans les bâtiments du WTC».8 Le QG répond qu'il n'a pas l'autorisation d'aller plus loin, car «les preuves manquent».

Le 26 août 2001, les services français de renseignement communiquent au FBI que Moussaoui entretient bien des liens avec Ben Laden et son réseau. Toujours aucune réaction. Mais, quand même, le FBI et la CIA constituent une équipe mixte qui va enquêter sur l'affaire. Les conclusions de cette équipe sont rapides: il n'y a pas la moindre preuve contre Moussaoui. Ce n'est qu'après le 11 septembre que Moussaoui sera transféré d'une cellule des services de l'immigration vers un centre de détention du FBI.

Le New York Times, qui a publié cette histoire le 22 décembre dernier, conclut: «Cette affaire suscite une fois de plus des questions à propos du FBI et des autres services de renseignement. Pourquoi n'ont-ils pas arrêté ces pirates?»

1. www.news.bbc.co.uk, 17 mai 2002 et www.washingtonpost.com , 17 mai 2002 ·2. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 14 septembre 2001, www.copvcia.com· 3. MS-NBC, interview du président Poutine, 15 septembre 2001 · 4. www.panindia.com, 22 septembre 2001 · 5. www.welt.de , 7 décembre 2001 · 6. www.salon.com, 16 mai 2002 · 7. The New York Times, 22 décembre 2001 · 8. www.nydailynews.com, 17 mai 2002. Photo: www.indymedia.org

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Qui est le vainqueur du 11 septembre?

Quelques heures après les attentats du 11 septembre, une déclaration du PTB indiquait que les attentats «n'ont sans doute pas été possibles sans la collaboration d'un noyau des services secrets américains».1 La semaine dernière, la crédibilité de cette hypothèse a marqué des points décisifs. Une question demeure: pourquoi?

Peter Franssen

Chercher les auteurs d'un crime revient généralement à chercher à qui ce même crime profite. Voyons qui a tiré le plus de marrons du feu, dans ces attentats du 11 septembre.

Lors du prélude aux élections présidentielles de 2000, le complexe militaro-industriel insiste pour que l'on augmente considérablement le budget de la défense. Le 21 juillet 2000, à l'occasion de sa mise à la retraite en tant que chef de l'US Navy, l'amiral Jay Johnson déclare que le budget de la défense doit être augmenté et porté à 4% du Produit national brut. Le 14 août, le général Gordon Sullivan, ancien chef de l'état-major, surenchérit: «Nous devons consolider la défense de notre nation. Il faut que nous passions à 4% du PNB.»

Le surlendemain, c'est au tour du général James Jones, patron des Marines, d'estimer qu'il faut aller jusque 4,5%. Franklin Spinney, ancien officier de l'US Airforce, aujourd'hui analyste de la défense, dit à ce propos: «Opter pour un budget de la défense de 4% équivaut à déclarer la guerre à la sécurité sociale et aux soins de santé. Une telle guerre ne peut se justifier que si la survie de notre nation est en jeu.»2 Et pan! Le 11 septembre, on nous annonce brusquement que la survie des Etats-Unis est en jeu! Bush décide d'accroître le budget de la défense de 60%! La CIA, elle, devra se contenter de 42% de plus.3

Le 26 mai, Bush visitera à Caen (Normandie) les tombes de soldats tombés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Une occasion pour aller y exiger qu'il arrête ses guerres. > Lire plus

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Et vive la guerre!

Le 11 septembre a été l'onde de choc qui a rallié la population américaine à la guerre. Six mois après les attentats, l'institut Carlisle ­ on ne peut plus droitier ­ est très satisfait du climat qui règne aux Etats-Unis, comme en témoigne son rapport: «Depuis le 11 septembre, le public américain continue à soutenir comme un seul homme les dirigeants et les institutions du pays. 90% de la population est derrière le président. C'est plus encore que le soutien au président George Herbert Walker Bush après la guerre du Golfe, qu'au président Truman le jour de la victoire dans la Seconde Guerre mondiale ou qu'au président Roosevelt après l'attaque de Pearl Harbor. () L'opinion publique, de plus, est particulièrement unanime à soutenir les actions militaires. () Les Américains sont unis dans ce combat car nous savons qu'il s'agit d'une guerre totale, à l'instar de la guerre froide.»4

Après le 11 septembre, Bush obtient le feu vert pour mener la guerre n'importe où dans le monde. Le 14 septembre 2001, une résolution en ce sens est approuvée au Sénat et à la Chambre, récoltant respectivement 98 voix contre 0 et 420 voix contre 1. Dans cet aval inconditionnel au recours à l'engagement des forces armées, on peut lire: «Il est permis au président d'utiliser tous les ressorts indispensables et adaptés du pouvoir contre ces nations, organisations et individus qui, selon lui, ont fomenté, permis, encouragé et commis les attentats terroristes du 11 septembre ou contre ces organisations et individus qui ont offert le gîte aux premiers cités.» 5

Dans le même esprit belliciste, Bush, nanti du soutien d'une bonne partie de la population américaine, a pu annoncer qu'il allait se débarrasser de ce qu'il appelle l'axe du mal (l'Iran, l'Irak et la Corée du Nord) et les Etats voyous (les trois précédents plus la Syrie, le Soudan, la Libye et Cuba).

Aux Etats-Unis, le 11 septembre a permis au même impérialisme de faire de grands pas vers la fascisation de la vie sociale. Les libertés démocratiques ont été rabotées. Bush a annoncé l'état d'urgence, faisant apparaître, dans la foulée, toute une série de tribunaux et de lois d'exception.

Si les impérialistes considèrent le 11 septembre comme un cadeau du ciel, on se rend compte de plus en plus, toutefois, qu'ils ont quelque peu forcé la main du seigneur. A tous égards, le 11 septembre est la réponse à un plan mûri de longue date et visant à faire valoir la supériorité militaire et les intentions américaines d'hégémonie mondiale.

Face à cette logique, les peuples devront exiger l'arrêt immédiat de la guerre, le retrait pur et simple de l'Europe des aventures militaires des Etats-Unis ainsi que la levée de tous les embargos, blocus et autres entraves commerciales qui asphyxient le tiers monde.

1. Solidaire, 26 septembre 2001 · 2. www.security-policy.org/Papers/2001/01-F41.html et www.counterpunch.org/pentagonsale.html · 3. Der Spiegel, 4 février 2002 et 29 décembre 2001 · 4. Leonard Wong, «Defeating terrorism, Strategic Issue Analysis, Maintaining public support for military operations», www.carlisle -www.army.mil/usassi/public.pdf · 5. Cité dans The Hindustan Times, 17 octobre 2001.

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Le plan d'attaque contre l'Afghanistan était déjà prêt

Outre l'information disant que Bush savait que des détournements allaient avoir lieu, une seconde fuite allait mettre la Maison Blanche sur la défensive, sous forme d'une info communiquée jeudi soir par la station NBC. L'avant-veille du 11 septembre, un plan d'attaque contre l'Afghanistan se trouvait déjà fin prêt sur les bureaux de Bush et de Condoleezza Rice.

Le plan prévoyait une guerre totale, sur tous les fronts, comportant naturellement un volet militaire, mais encore un volet financier annonçant que les biens et avoirs de Ben Laden allaient être gelés partout dans le monde. Le plan décrivait également comment la traque aux terroristes allait être déclenchée dans une soixantaine de pays.1

Cette info va dans le même sens que ce qu'avait déjà mentionné la BBC le 18 septembre dernier. La chaîne britannique, en effet, avait déclaré à l'époque qu'en juillet 2001, Tom Simmons (ancien ambassadeur américain au Pakistan), Karl Inderfurth (ex-assistant au secrétaire d'Etat américain pour le Sud-est asiatique) et Lee Coldren (ancien fonctionnaire du département américain des Affaires étrangères) avaient eu une réunion avec des officiers de renseignement russes et pakistanais. Ils leur avaient dit que les Etats-Unis préparaient des attaques militaires contre l'Afghanistan pour octobre de cette année.2

Mais, si la guerre contre l'Afghanistan avait déjà été prévue depuis bien plus longtemps et si ce plan était déjà prêt le 9 septembre, cela ne prouve-t-il pas que les Etats-Unis avaient la ferme intention d'attaquer l'Afghanistan, 11 septembre ou pas? On ferait sans doute mieux de parler, dans ce cas, d'une guerre de conquête plutôt que d'une guerre contre le terrorisme.

1. www.lemonde.fr, 17 mai 2002 ·2. BBC, 18 septembre 2001 et The Guardian, 22 septembre 2001.

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Le ministre Ashcroft ne prenait plus l'avion

Jeudi et vendredi, à la TV, veufs, veuves et proches des victimes ont déclaré que si leurs parents décédés avaient su ­ Bush, lui, était bel et bien au courant! ­ que des détournements se préparaient, ils n'auraient jamais pris l'avion. «Pendant huit mois, cette ordure nous a menti!», pleure une femme, effondrée. Jeudi dernier, Condoleezza Rice, conseillère de Bush en matière de «sécurité», a tenté minablement de sauver les meubles: «Quand nous avons reçu l'info, nous avons tout de suite prévu les aéroports, les compagnies aériennes et les pilotes que des détournements pourraient peut-être bien avoir lieu.»1

La monnaie de sa (fausse) pièce lui a été rendue aussi sec en argent (mé)comptant, American Airlines déclarant que «les autorités ne nous ont transmis aucune information précise sur l'éventualité de détournements». Michael Wascom, porte-parole de l'Air Transport Association, a confirmé: «Nous n'avons pas reçu la moindre mise en garde ou remarque en ce sens!»2 Un qui était bien au courant, par contre, c'est Ashcroft, le secrétaire d'Etat à la Justice: il avait décidé de ne plus réserver la moindre place sur un vol commercial.3 Oui, mais un secrétaire d'Etat, c'est pas n'importe qui

1. www.washingtonpost.com, 17 mai 2002 ·2. www.salon.com, 16 mai 2002 · 3. www.washingtonpost.com, 17 mai 2002.

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