5 mai 2003

NOTE : pour lire les précédents messages d'Himalove sur la révolte maoiste au Népal voir :
AG 605 et 614 et 629 et 653

          Kathmandu,

                    Cher do,

          Les leaders de cinq formations politiques (Congrès Népalais, Parti Communiste et quelques partis de droite) ont lancé hier, 4 mai, lors d'un meeting à l'Open Theatre de Kathmandu, un mouvement intitulé "power to the people", pour restaurer la chambre des représentants, dissoute lors du coup d'État royal du 4 octobre 2002. La cible visée est claire : le roi.

          Il est curieux de lire l'agenda de ce mouvement "révolutionnaire" dans les quotidiens : 8 mai. Boycott de tous les bureaux gouvernementaux : des motos, des bus, des voitures de militants, silloneront le pays, avec des drapeaux noirs. 9 mai, autodafé des portraits royaux : pudiquement, les politiciens insurgés parlent de "burning of the effigy of regression". 10 mai, manifestations aux flambeaux (attention, ca va brûler !) dans tout le Nepal. 11 mai, black out total du pays. 12 mai, blocage de tous les véhicules gouvernementaux circulant dans le pays.

          Cependant, eu egard à la temperature des "masses" évoquées, je ne pense pas, que le peuple népalais soit au rendez-vous "révolutionnaire" concu par les leaders politiques. Depuis plus de dix ans, ces derniers ont à tour de rôle gouverné le Népal ; leur seul objectif, au pouvoir, a été de s'enrichir honteusement et de placer les leurs aux bonnes places. Les Népalais ne l'ont pas
oublié. Il suffit d'interroger n'importe quel quidam (toutes classes sociales confondues) pour s'en convaincre. Ils font l'unamité contre eux. Le gouvernement royal le sait, et a dépêché, pour tourner le couteau dans la plaie, une commission pour dresser la liste des abus de biens sociaux et des délits de corruption commis ces dix dernières années par les leaders "insurges"...

          Aussi, je ne crois pas, que le roi Gyanendra risque grand chose. Son gouvernement est en pleine discussion avec les maopatis (qui soutiennent le mouvement des politiciens "insurgés", en rigolant un peu) et a bonne presse. Selon l'expression amère du vieux leader du congrès, Koirala : "There are two guns in the country ; that's all"... [Il y a deux fusils dans le pays, c'est tout] Le mouvement des politiciens insurgés est un peu le baroud d'honneur du vieux lion corrompu, Koirala, qui a été plusieurs fois Premier ministre des 4 derniers rois, et a plus de 80 ans.

          Pour bien illustrer que le pays réel est occupé, politiquement et admnistrativement, par deux forces, l'une royale et l'autre maoiste, j'ai le témoignage d'un guide tibétain revenant d'un trekking dans le Dolpo où il accompagnait un groupe de touristes étrangers : « Nous avons dû, dès notre arrivée à l'aéroport régionnal de Dunai (low Dolpo), payer des permis de trekking (jusqu'à présent délivrés par la seule admnistration royale) ; 100 dollars par touristes, 10 000 roupies pour le guide et 300 roupies par porteurs. Nos permis ont été contrôlés tout le long du trekking par la police maoiste. »

          Je suis des yeux le "mouvement".

                    Bien toi,
                    Himalove

______________________________
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯

10 mai 2003

          Kathmandou,

                    Cher do,

          Il y a dans Libé un article sur le Népal... L'as-tu lu ?

          Le correspondant de Libé ne s'est pas beaucoup creusé les méninges, ni aventuré en territoire "mao". Il reprend l'info dominante qui circule à Kathmandou et qui n'est pas fausse : les Népalais, dans leur ensemble, sont lassés de l'agitation politique et aspirent à la paix. Qu'elle soit royale ou maoiste, ils s'en foutent. Et c'est vrai, comme le souligne la journaliste de Libé : tous les partis politiques sont disqualifiés aux yeux de l`opinion.

          Du reste, le mouvement déclenché par les partis politiques (1) "pour la restauration de la democratie" est un fiasco. Kathmandou est calme et "pacifiée...

                    Bien à toi,
                    Himalove

(1) La journaliste de Libé exagère un peu les craintes de la reprise de la guerre civile ; si elle a lieu, elle ne sera d'aucune facon le fait des partis politiques traditionnels qui s'insurgent contre le roi. Ils sont, depuis trop longtemps corrompus par la ville et "ses plaisirs" pour guerroyer dans les jungles et les montagnes... Seuls les maoistes (comme ils l'ont déjà fait en 2001) ou le roi, tentant par une manœuvre macchiavélique de liquider les leaders mao peuvent declencher une nouvelle fois la guerre civile.

______________________________
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯

13 mai 2003

                    Cher do,

          L'article de Libé était encore sur le net hier matin ; je pense que tu peux le retrouver facilement en tapant le mot Népal dans le moteur de recherche de Libé.

          Hier, il y eut un "black out" à 20 heures dans le quartier où je loge, Chetrapati, à Kathmandu : c'est-à-dire l'extinction "volontaire" de toutes les lumières domestiques et publiques. Le black-out était à l'iniative des 5 partis politiques "insurgées" contre le roi ; il a été suivi...

          Avant hier, les forces de l'ordre ont matraqué sauvagement les participants des cortèges aux flambeaux qui ont silloné les villes, protestant contre le coup d'État royal du 4 octobre...

          Les actions menées par les 5 partis politiques contre ce qu'ils appellent, avec pudeur, "les forces de régression" (au Népal, il est interdit de diffamer la personne royale) ont été "curieusement" suivis par le Kathmandu Post, l'Himalayan Times, et les magazines Himal et Nepali Times. La presse katmanduite suit "manifestement" les avis du Palais, des hommes d'affaire et de l'opinion "lassée par l`agitation politique".

          Le roi est intervenu directement à la télévision contre le mouvement. Avec succès. Surtout pas d'agitations ni craintes de guerre civile exprimées à l'heure où des millions de dollars arrivent à l`occasion de la célébration du 50eme anniversaire de la conquête de l'Everest...

          À ce propos, il n`est pas certain que les 25 équipes d'alpinistes internationnaux, qui pietinnent
d'impatience au camp de base de l'Everest, puissent grimper sur le toit du monde : le temps, cette année, est détestable. Pluie, neige, orage et froid de canard.

          Les maopatis, à en croire les journaux, continuent leur campagne d'extortion, poussant même le vice à ranconner les soldats et les policiers. Il est très "interessant" de lire une presse "inféodée", car tu peux deviner les humeurs et les intentions des maîtres. Et mon impression, après 4 mois de présence ici, est que le cessez-le-feu et les pourparlers entre le gouvernement royal et les maopatis ne sont qu'une accalmie "voulue", qui permet aux uns de faire un peu plus d'argent et aux autres de regrouper leur force miltaire pour de futurs bains de sang.

______________________________
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯

15 mai 2003

          Kathmandu,

                    Cher do,

          Ce matin, en allant à mon boulot de prof, payé 150 dollars par mois, je me suis arrêté devant un immense "dazibao" noir, dressé à l'angle de Dili Bazaar ; le mur ainsi habillé était intitulé "mur de la démocratie`. Les militants engagés contre le coup de force royal du 4 octobre dernier avaient affiché des photos représentant les "matraques" de la veille.

          Hier les militants des 5 partis traditionnels insurgés s'étaient couchés dans les avenues et les rues, tentant d'empêcher les voitures gouvernementales de circuler. Les partis crient dans les journaux d'aujourd'hui le succès de leur opération. En fait, à écouter quotidiennement la ville respirer, je n`ai pas senti dans l'air de quoi modifier le climat. Kathmandou est calme ; les flics omnipresent ne sont pas sur les nerfs, et les gens vaquent à leurs occupations.

          Quant aux pourparlers entre les maos et le gouvernement, certaines soit-disantes conclusions semblent agacer les militaires. Le gouvernement a accordé aux maos que, dans les regions où elle est en contact direct avec les rebelles, l'armée retourne dans ses barraquements.

          En fait, l'ordre soit-disant donné n`a jamais été suivi d`effet. C'est pourquoi je subordore que tous ces pourparlers de Kathmandu sont purement tactiques ; ils servent a créer un sentiment de paix juste le temps de la célébration de la conquête de l`Everest...

                    Bien à toi,
                    Himalove

______________________________
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯

14 juin 2003

          Kathmandu,

                    Cher do,

          Un trekking dans le Dolpo, zone mao par excellence, coute 2500 dollars par personne...

          Les maos ont repris, à leur compte, le racket des trekkers ; j'ai lu aujourd`hui dans le Népali Times une lettre enragée d'un touriste australien les qualifiant de "criminels" parce que les maos, croisés sur un sentier du Rowaling (au nord du Khumbu) lui avaient demandé 4000 roupies, soit 50 dollars... Y a beaucoup de trekkers qui n'ont pas le sens de la mesure... Ils ferment leur gueule quand le gouvernement népalais leur demande 50 000 dollars pour un permis d'alpinisme, et l'ouvre brutalement quand les maos leur demandent 50 dollars...

                    Bien à toi,
                    Himalove

______________________________
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯

22 juin 2003

          Kathmandou,

                    Cher do,

          Hélas ! Je ne pourrai rester plu longtemps au Népal, mon visa expire aujourd'hui et je dois partir absolument demain, si je ne veux pas écoper dune amende que je serais en mal de payer... Un touriste étranger ne peut rester que 5 mois au Népal, et je ne peux payer les 1000, 2000 ou 3000 dollars qu'on me réclamerait pour rester un an ou deux... C`est vraiment un grand inconvénient d'être pauvre !

          Je vais tout de même finir mon job de "journaliste independant" et te donner les dernières infos.

          Le Nepali Times (www.nepalitimes.com) titre dans sa dernière livraison : "Un pays, deux systemes" ; le magazine, qui affecte un ton ironique pour masquer le désespoir de la situation, confirme mes analyses données il y a deux mois. Il y a deux États au Népal ; et le probleme, c'est que les frontières entre ces deux États ne peuvent être définies, ni du reste, les volontés politiques de part et d'autre...

          Le roi a nommé une nouvelle marionnette du nom de Thapa (il lui aurait même confié "le pouvoir executif`" ; les Népalais soulignent que tous les postes clés sont occupés par des Thapas, l'armée, la police, etc. On parle d`un "Thapadom". Ce qui confirme l'analyse suivante : il n`y a jamais eu d'État, au sens occidental, moderne et classique, au Népal. Il n'y a jamais eu de séparation des pouvoirs dans ce pays. Ce sont les familles intégrées dans un systeme de castes, la plupart hindous, qui tentent de gouverner l'histoire du Népal. Du reste, la dernière constitution de 1990, "acceptée" par tous les partis politiques, était 100 pour cent "hindou". C'est un fantastique archaïsme en ce debut du XXIeme siecle qui explose.

          Bien que je ne partage pas leurs "manières d'être", les partis politiques parlementaires, privés de parlement, ont raison lorsqu'ils nomment unanimememt le roi Gyanendra et son gouvernement de "old regime" [vieux régime].

          Le probleme, c'est que ces hommes, ces femmes des partis politiques, nés du mouvement democratique de 1990, partis communistes inclus, n'ont jamais "changé de vie", ils ont continué le système des mariages arrangés, reprimé la sexualité et l'union libre, fait perdurer "l'intouchabilite" ; ils ont meprisé les Dalit et les hors castes, etc. Ils n'ont jamais pensé, "à la manière des révolutionnaires", qu'une nation, qu'un État moderne, avec des lois pour tous, se bâtit contre "la famille", voire contre sa propre famille (lire les thèses de Philippe Ariès, La famille contre l`État).

          Dans un système où, de sa naissance à sa mort, le sujet est inféodé à la famille, la citoyenneté est impossible, l'idée de nation, une chimère ! Et là, on touche du doigt la cause de la corruption géneralisée qui sévit dans le royaume...

          Certains maopatis ont conscience du probleme ; le pays a besoin outre d`une "révolution sociale", qui est à l'œuvre dans les campagnes, d`une formidable révolution culturelle. Les Népalais ont besoin de s'en prendre "symboliquement" à la notion de famille, de roi, d'ainé, de père, mère, dieu, temple, puja, destin, etc., s'ils veulent sortir de cet "old regime" [vieux régime] qui les conduit au désespoir et au suicide... (Helas !)

          L'Asie n'a jamais été très "familière" avec l'idée de "liberté", ni du reste avec celle de "vérité"... Le docteur Battarai, qui, dans une dernière interview, ne se definit plus comme "communiste", mais comme "nationnaliste", semble en avoir conscience. Kantipur Post montrait récemment en premiere page le docteur Battarai, sa mère et son père ensembles, communiant au temple hindou.Triste présage pour la révolution...

          Dans les collines, les gurkhas royaux, lourdement armés, cherchent à se réconcilier avec le peuple et organisent des camps de soins gratuits. Ils semblent suivre les principes de la méthode Bush : dans une main l'aide humanitaire, dans l'autre le M16. Il y a eu, par deux fois, de véritables batailles entre les maopatis, qui considèrent avec soupcon cette aide humanitaire de la soldatesque dans leur propre fief, et l'armée royale...

          Le chef militaire des maopatis, Badal, ne cesse de denoncer une vaste conspiration contre le cessez-le-feu...

                    Bien à toi,
                    Himalove


Retour en AG

Vive la révolution : http://www.mai68.org
                                    ou : http://www.cs3i.fr/abonnes/do
           ou : http://vlr.da.ru
              ou : http://hlv.cjb.net