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Bataclan - 13 novembre 2015 - On rentre avec absolument n’importe quoi, ici !

dimanche 13 novembre 2016, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 13 novembre 2016).

Reportage de Jérémy Maccaud de BFMTV et rescapé du bataclan. à un moment, il dit tout simplement : « On rentre avec absolument n’importe quoi, ici ! » ce qui confirme bien ce qu’a dénoncé Jessie Hughes, le chanteur d’Eagles of Death Metal lui-même, en concert au bataclan ce jour-là : « six vigiles qui auraient dus être là n’étaient pas venus et ce n’était certainement pas pour rien »


Attentats à Paris : j’étais au Bataclan vendredi 13 novembre. Depuis, je bouffe la vie

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Publié le 21-11-2015 à 12h01 - Modifié le 24-11-2015 à 18h32

Par Jérémy Maccaud

LE PLUS. Jérémy Maccaud est journaliste à BFMTV. Vendredi 13 novembre, il assistait, avec un ami, son oncle et sa tante, au concert des Eagles of Death Metal quand il a entendu les premières détonations. Par instinct de survie, il s’est réfugié dans la loge des artistes. Une semaine après les attentats, il revient sur cette nuit cauchemardesque.

Édité par Louise Auvitu

J’ai la chance de n’avoir perdu personne. Ni mon meilleur ami, Julien, qui est journaliste comme moi, ni mon oncle et ma tante, avec qui j’étais au Bataclan. Nous sommes entrés à quatre dans cet enfer, nous sommes ressortis à quatre. Indemnes.

Je suis très fan des Eagles of Death Metal, que je vois sur scène depuis 2008. La dernière fois, c’était en juin, au Trianon.

Ça a été un moment tellement extraordinaire, on s’est tellement marrés avec mon oncle que, dès que j’ai vu qu’il y avait une nouvelle date au Bataclan, on a sauté sur les places. J’ai fait le forcing auprès de Julien pour qu’il vienne. Je n’ai pas mis très longtemps pour le convaincre.

Le concert est parfait

On se retrouve au Bataclan café, à côté de la salle. J’étais en phase "détox", donc je prends un coca, eux trinquent avec une bière. On prend des nouvelles. Julien, qui bosse à Europe 1, raconte qu’il était l’un des premiers journalistes présents dans le 11e quand "Charlie Hebdo" a été attaqué.

Nous avons une discussion surréaliste, a posteriori. Je le revois expliquer ces images horribles, juste avant d’entrer dans le Bataclan.

On entre, il n’y a aucun contrôle. Ma tante dit :

"On rentre avec absolument n’importe quoi, ici."

Ca aussi, c’est surréaliste, après coup.

La première partie du concert a déjà commencé. Il est 19h30 passé. On avance très près de la scène, à l’extrémité droite. L’endroit est encore vide, c’est facile.

Cette première partie est composée de deux musiciens, une guitariste-chanteuse qui a l’air tout droit sortie de "Mad Max", et son collègue à la batterie. C’est cool, ça envoie.

Il doit être 20h55 et les Eagles of Death Metal arrivent. Ma première photo d’eux date de 20h58. Ils prennent bien le temps de saluer tout le monde. Ils font le show, on se marre. C’est ce qu’il y a de plus rock ’n’ roll en ce moment. Ils balancent énormément de "reliques" : des médiateurs, des baguettes. Ils ont un langage fleuri. Ils crient, en anglais :

"Vous êtes prêts à embrasser l’esprit du rock ’n’ roll ce soir ?", "Mother fucker !"

Entre les chansons, ils boivent des pintes cul sec. Comme à chaque fois, ils tentent de nous faire croire que nous sommes le meilleur public qu’ils n’ont jamais connu. C’est leur truc, et on se prend facilement au jeu. Jusque-là, le concert est parfait.

Je revois le regard incrédule du chanteur du groupe

Il est très précisément 21h46 quand mon portable se met à vibrer. Trop, à mon goût : je suis là pour déconnecter. C’est bizarre. J’ouvre le sms de ma petite amie qui est aussi journaliste :

"T’as pas vu, à République, il y a une fusillade, ça a l’air chaud."

L’info lui vient de Twitter. Je lui dis que je suis à Oberkampf. Je glisse mon portable dans ma poche. J’ai la puce à l’oreille, mais je recommence à chanter et à danser.

Et les détonations arrivent. Des "bang", "bang", "bang" énormes. Ça vient de derrière. Il n’y a qu’une seule porte d’entrée, le Bataclan est minuscule.

Je revois le regard incrédule du chanteur du groupe. Il doit se demander si le public n’est pas un peu trop "chaud", avec ces pétards.

L’instinct de survie et la peur animale

Comme j’ai eu cette alerte par sms, je comprends tout de suite que c’est la mort qui arrive derrière moi.

Je n’ai pas ce laps de temps d’incompréhension qui aurait pu me coûter la vie. Je pense être le premier à être monté sur la scène, où je me suis caché derrière un ampli et le rideau avec le bassiste du groupe.

L’instinct de survie et la peur animale sont tellement forts qu’à aucun moment, je ne me suis retourné, alors que j’étais avec trois des personnes que j’aime le plus.

Je n’en ai pas le moindre regret.

"Je suis au Bataclan, je t’aime."

On s’expose trois secondes sur la scène, et on trouve une porte ouverte. Elle donne sur un grand escalier sur la droite. On s’engouffre.

Pour moi, il y a forcément une sortie. Je cherche "l’entrée des artistes". Mais il n’y en a pas. Cet escalier circulaire donne sur l’étage – où se trouvent également des terroristes.

Au milieu de cet escalier, il y a une porte avec un digicode. On cogne, pendant un temps qui nous semble infini. Des gens nous ouvrent, c’est la loge des artistes. Je me cache derrière la porte et un frigo.

Dessus, une bouteille de champagne Ruinart et des flûtes en plastique. On est peut-être une quarantaine, mais c’est très difficile à dire. Il y a tant de monde que nous ne pouvons refermer cette grande porte.

Là, c’est la peur totale. Je préviens ma petite amie :

"Je t’aime, ils sont au Bataclan"

C’est la seule chose que j’arrive à écrire à cet instant précis.

Il est 21h54. Entre son sms et le mien, huit minutes se sont écoulées.

Quand l’un rechargeait, un autre canardait

Il y a quelques blessés. Un homme s’est pris une balle dans l’épaule. Un autre, dans le bras. A côté de nous, les gens sont entassés dans l’escalier.

Pendant tout ce temps-là, les tirs sont continus. J’ai su tout de suite qu’on avait affaire à des grands pros. J’ai la conviction que quand l’un rechargeait, un autre était en mesure de canarder.

Puis il y a eu un très grand bruit. Une énorme explosion, terrifiante. On pense à une grenade. L’un de nos agresseurs s’est fait exploser sur la scène.

Une bouteille de champagne comme seule arme

On se dit : "Ils vont faire sauter les portes, et venir tous nous chercher."

Mais non. Un très grand silence se met en place. Les gens sont très calmes, très disciplinés. Chacun est dans sa bulle, dans son portable. Quand quelqu’un panique et parle trop fort, il y a toujours une autre personne pour tenter de le calmer.

On fait passer le magnum de champagne de mains en mains pour qu’une personne près de la porte l’ait pour frapper un terroriste. C’est notre seule arme… Si dérisoire, quand on sait ce que les terroristes avaient sur eux.

Il y a un lavabo et une canalisation qui a sauté. On se sert des flûtes en plastique pour donner de l’eau à ceux qui en ont besoin. Je vais boire beaucoup d’eau pendant tout ce temps.

J’écris un message à l’arrache sur les réseaux sociaux

L’information disant que des portes nous séparent de la scène circule bien. Deux portes en bas, une en hauteur. Elles ont été fermées. Je suis quasiment certain que d’autres personnes étaient derrière et qu’elles y ont laissé leur vie…

Je pense à cette personne qui a bloqué ces portes et devra porter cette responsabilité… Et je lui en suis reconnaissant.

Après, c’est le calme absolu. Je suis très actif sur Instagram : avant d’entrer, j’avais posté une affiche du Bataclan et écrit : "Cinq mois sans vous voir les potes, c’était trop long", en parlant du groupe.

À partir du moment où cette info se propage, tout le monde vient prendre de mes nouvelles, via Twitter et Facebook. J’écris un message à l’arrache : que je suis sain et sauf, en sécurité et que je dois sauvegarder ma batterie. Quelque part, je mens. J’en sais rien. Je sais juste qu’il va falloir être patient.

Je copie-colle ça à toutes les personnes qui m’écrivent.

J’écris à ma petite amie toutes les cinq minutes. J’essaie de la rassurer, en retour elle m’envoie des blagues.

Mon réflexe, c’est donc de déconner

Je reçois un appel de Julien, qui est dehors avec la police. Je lui dis qu’il faut qu’il me dise ce qu’il se passe. Il me dit que la BRI est là et s’apprête à donner un assaut. J’ai des liens avec le fil de la police, de la justice, de BFM TV, pour qui je travaille.

À partir du moment où je vois qu’on parle de prise d’otages (jusque-là, on ne se pensait juste cachés), je repense à Merah : ça avait mis deux jours. Je repense à l’Hyper Cacher.

Par sms, j’apprends que mon oncle et ma tante sont dans l’escalier. Je penche la tête et je les vois. On s’envoie des blagues par textos :

"Drôle de jour pour arrêter de boire", m’écrit mon oncle.

Je réponds :

"Je crois que j’ai préféré leur dernier concert".

J’ai le bassiste du groupe en face de moi. Je lui dis la même chose dans un anglais bafouillant. Il sourit puis se marre ; on se fait un gros hug à l’américaine. Et pendant quelques secondes, on déconnecte.

Mon réflexe, c’est donc de déconner. Je tape, sur un groupe de discussion Facebook, des blagues qui resteront entre mes amis et moi. Ça m’a aidé.

"Attention, ne regardez pas !"

L’attente va durer deux heures. Deux heures d’un silence malsain. On entend juste des frottements, des voix. Est-ce les flics ? Ma très grande crainte, à partir du moment où la pression est retombée, c’est que les terroristes fassent péter le bâtiment.

Vers minuit cinq, il y a un peu d’agitation, mais sans bruit, sans cri. C’est bon signe.

J’entends la voix d’une policière, qui dit qu’ils évacuent les blessés et les femmes d’abord. Je vois que l’escalier est vide, les gens sont déjà sortis. Derrière moi, on me pousse dehors. Je mets les mains en l’air. La policière est en civil, pas armée. Je ne l’oublierai jamais.

Il y a tout un cordon sanitaire, avec des policiers du raid lourdement armés et d’autres en civil.

Je repasse sur la scène. Ils nous disent :

"Attention, ne regardez pas !"

Mais c’est impossible : il faut savoir où on met les pieds. Je vois ce corps en mille morceaux, démembré, qui a éclaboussé partout… La moitié de son visage flotte dans une mare de sang. Je ne sais pas encore, mais je le reconnaîtrai ensuite avec les photos, que c’est l’un des kamikazes. J’ai aperçu ce lâche…

Je vois la fosse. Ces dizaines et ces dizaines de corps

Devant moi, il y a un agent du raid, je m’accroche à son regard pour ne pas voir autour, je prends le temps de le remercier.

Je vois la fosse. Ces dizaines et ces dizaines de corps. Je vois un corps adossé contre le mur, avec son cerveau partout. J’accélère la marche. Je suis dehors.

Alors que je sortais, en fait deux ou trois assaillants étaient dans un local technique, à l’étage au-dessus de moi, avec d’autres otages. Il n’y avait qu’un plafond et plusieurs murs qui me séparaient d’eux. En voyant la reconstitution, j’ai compris qu’à ce moment je pouvais encore mourir.

Je demande à un policier de sortir mon portefeuille, pour prendre ma carte de presse et rester à proximité du périmètre. J’écris à ma petite amie. J’appelle BFMTV. Je fais un direct. Et, là, les tirs reprennent, des explosions. C’est là que l’assaut a été donné.

Une fois sorti, je retourne à BFMTV

Les policiers nous disent de nous cacher dans une cour. On va encore y passer deux heures.

Des gens ouvrent leur porte, ils nous aident à nous restaurer. Je bois une bière, très bonne… La PJ prend les identités. La protection civile me dit : "Il faut penser à toi", et me conseille d’aller à la cellule psychologique.

Je fais ma tête de mule ; je préfère retourner à BFMTV en taxi pour y retrouver ma petite amie et mes collègues. Je leur fais des blagues. J’ai toujours été sarcastique. Dans la salle de repos, je dors deux-trois heures, puis je livre mon témoignage en plateau, à l’antenne. C’est important pour moi, de livrer cette réalité.

Puis je rentre chez moi, avec ma petite amie. On se douche, on prend un Xanax, et on se rendort pour quelques heures.

Depuis vendredi dernier, je bouffe la vie

Je n’ai jamais été seul depuis que je suis sorti de cet enfer. Le dimanche, je suis allé à la cellule psychologique, à Paris. On nous a donné des dépliants qui parlent du choc et des phases que l’on va traverser. Des manières de réagir, donc je saurai quoi faire.

J’ai la sensation d’aller vraiment bien. Je bouffe la vie depuis vendredi dernier : je me fais des super petits déj’, je bois des bons vins. Je profite des bonnes choses. J’ai le sentiment qu’il y a une bonne étoile au-dessus de moi. Je suis rentré en Haute-Savoie dans ma famille. En revanche, si je dors plutôt bien, avec l’aide des médicaments, je suis totalement épuisé. Je n’ai même jamais été aussi fatigué de ma vie.

J’aurai 27 ans en janvier. Je ne dis pas "J’ai 26 ans", exprès. Parce que j’aurai mes 27 ans. J’aurai encore la possibilité de vieillir. Et c’est bien la première fois que cette idée me plaît

Propos recueillis par Cécile Deffontaines

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