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Parce que l’économie n’a pas fini de nous bouffer la vie,

dimanche 7 novembre 2010 (Date de rédaction antérieure : 7 novembre 2010).

Parce que nous n’avons pas fini de la bloquer

Quoi qu’aient pu affirmer la droite et les médias, les lycéens en lutte ont bien compris en quoi la réforme des retraites les concerne directement. Pas besoin d’être diplômé de l’EHESS pour savoir qu’il faut ne pas laisser passer la moindre occasion de bousculer énergiquement le carcan de soumission et d’ennui qui caractérise cette société.

Pas besoin d’avoir fait Science po pour capter que chaque recul sur les acquis sociaux prépare le terrain à de nouvelles attaques contre les conditions de vie de l’ensemble des non-riches. Plus l’État et les patrons seront confrontés à une résistance acharnée, plus ils hésiteront à nous dépouiller toujours davantage. Néanmoins, si batailler pour défendre les miettes dont les bourges ne nous ont pas encore dépecés se révèle chaque jour plus nécessaire, on est bien obligés de s’interroger sur le sens que l’on accorde à ce combat. S’agira-t-il de simplement négocier la part de queues de cerises que l’État peut nous piquer, s’agira-t-il de refuser de lâcher le moindre morceau, tout en se contentant de la vie de merde et d’humiliations que les riches nous ont toujours réservée, ou bien s’agira-t-il de lutter pour balayer l’ordre social et inventer des rapports humains fondés sur autre chose que la domination et le consumérisme.

Certes, si l’on en croit les politiciens, journalistes, économistes, sociologues et autres manipulateurs de masses qui officient dans les médias, remettre en question les fondements de cette société de classes serait totalement déraisonnable. À leurs yeux, se tuer au turbin pour les patrons, consommer tant bien que mal, se résigner à signer un chèque en blanc lors de chaque élection puis se soumettre à ceux qui se targuent d’être les représentants du « peuple » serait la seule voie réaliste, puisque respectueuse de la démocratie de marché. Quant à l’unique alternative, elle consisterait à attendre les prochaines échéances électorales, voter pour l’opposition et… continuer à trimer pour les bourges.

Tout au plus serait-il envisageable d’opter pour un marchandage fataliste de nos conditions d’exploitation. Sous la coupe de médiateurs politiques, syndicaux ou même associatifs, bien évidemment.

De fait, on est également obligés de s’interroger sur le rôle de ceux qui prétendent parler en notre nom. Ainsi, au regard du mouvement social contre la réforme des retraites, une impression maintes fois ressentie en d’autres occasions s’impose à nouveau. Les dirigeants syndicaux peuvent bien adopter des lignes différentes, ils semblent tous mus par une même préoccupation, obsessionnelle mais fort éloignée du sort des salariés : posséder des troupes puis être reconnus comme interlocuteurs officiels par l’État et les patrons afin d’avoir le privilège de s’asseoir à la table des négociations et cogérer le capitalisme. Pour cela, il leur faut faire la preuve de leur capacité à contrôler les mouvements sociaux, notamment contenir toute tentative de débordement de la base dont la radicalisation menacerait la paix sociale. Opération souvent délicate qui nécessite un encadrement disposant d’un savoir-faire particulier, surtout lorsqu’il s’agit d’accompagner cette base dans sa volonté d’en découdre pour finalement mieux l’endormir. Les directions syndicales doivent également s’offrir une « légitimité » démocratique en réalisant un « bon score » aux élections professionnelles. Chacune établira donc sa stratégie en fonction de son positionnement sur le marché de l’offre syndicale et pour cela effectuera de savants calculs de saupoudrage entre collaboration réformiste et façade offensive.

Le jeu des leaders étudiants et lycéens (UNEF, UNL, FIDL…) est encore plus simple : comme leurs prédécesseurs, ils visent des bonnes places au PS après avoir œuvré en sous-marin pour ce repaire de requins avides de pouvoir. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait Sciences po, non plus, pour constater que, si les dirigeants des partis de gauche et des syndicats ne se privent pas de s’afficher dans les médias comme les hérauts de la lutte contre cette réforme des retraites, ce qu’ils nous réservent, une fois installés à la table des négociations, n’est autre qu’un nouveau serrage de ceinture, notamment pour les plus pauvres.

Quant à ce que nous propose l’extrême gauche, ce n’est guère plus réjouissant : la pérennisation du système actuel. Selon eux, en quelque sorte, passer sa vie à se faire exploiter par des patrons qui ne cessent de s’en mettre pleins les poches n’est pas franchement un problème dès lors que ça s’arrête à 60 ans. Que leur modèle de « répartition », fondé sur la ségrégation de classe assure une retraite luxueuse à une petite minorité aisée, mais méprise des millions de gens sous prétexte qu’ils n’ont pas pu engranger suffisamment de points retraite, ne semble pas les déranger davantage. Tous ceux qui auront passé trop d’années au RMI, au RSA, les sans-papiers, les non-déclarés… pourront crever la gueule ouverte sur un banc du métro, les professionnels du spectacle revendicatif, toujours prompts à se poser en représentants du prolétariat, n’en ont que faire ! Ou alors ces politicards tenteront de nous vendre, une fois de plus, une de leurs mesures alternatives destinées à nous enfermer dans une misère aseptisée.

On est donc obligés de s’interroger aussi sur les « acquis sociaux ». Comme on vient de le voir, les invoquer aveuglément sans se poser plus de questions peut amener à assimiler une logique profondément inégalitaire qui n’est autre que celle de la démocratie de marché. De fait, que sont ces dits « acquis sociaux », si ce n’est le fruit d’un consensus entre partenaires sociaux ? Ils ont été élaborés dans le cadre du système capitaliste, donc étudiés pour lui correspondre, s’y intégrer et créer l’adhésion, tant et si bien que l’on assiste à une forme de symbiose susceptible de nous faire participer à notre propre aliénation. Pas étonnant que nombre de revendications deviennent porteuses de l’idéologie dominante et notamment de séparations caractéristiques de cette société marchande.

Quand l’État et le patronat acceptent de nous lâcher de plus grosses miettes, c’est bien sûr qu’ils y trouvent un intérêt. Par-delà le fait de nous imposer un cadre mental, il leur faut, en période de conflits sociaux offensifs, recouvrer au plus vite un niveau de consensus laissant les affaires s’épanouir, mais surtout ils veulent disposer d’une soupape, fût-elle onéreuse, leur permettant d’éviter le péril majeur que serait la perte de leur position dominante. C’est ce qui s’est passé en Mai 68 quand patronat, gouvernement et syndicats ont signé les accords de Grenelle, qui actèrent une augmentation de 35% du smig et de 10% des salaires réels pour couper l’herbe sous le pied d’un mouvement de révolte incontrôlable menaçant leurs privilèges.

Si le capitalisme dans sa phase libérale cherche à engranger davantage de profits en cassant les acquis sociaux et les services publics (à propos de qui on peut aussi s’interroger : ex. EDF est l’agent de l’industrie nucléaire), il serait stupide de défendre sa version paternaliste, peut-être plus subtile par sa capacité à développer des modes de participation, mais génératrice d’une domination toute aussi violente. Comme il serait suicidaire d’attendre une contre-réforme, d’autant plus qu’elle ne peut être menée que dans un cadre institutionnel par des médiateurs prétendant parler à notre place. En revanche la lutte contre la réforme des retraites aura multiplié les dynamiques où des liens se sont tissés, des réflexions collectives se sont posées, où ont été vécus des moments de résistance libérés du carcan des institutions et des représentants de tout poil. Des moments qui, même s’ils présentent encore des limites, laissent entrevoir l’espoir d’un emballement généralisé attaquant les mécanismes de l’exploitation.

Et si, sous les coups de boutoir de la répression, de la collaboration et des discours médiatiques, le mouvement actuel s’essoufflait, il n’en resterait pas moins qu’il nous faut conserver ces acquis de la lutte, bien moins récupérables que lesdits « acquis sociaux ». Pour cela, il nous faut inventer des outils permettant de faire perdurer les expériences, réflexions et actions collectives. Parce que l’économie n’a pas fini de nous bouffer la vie, parce que nous n’avons pas fini d’être nombreux à la bloquer.

Sous le pavé, la rage

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