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Belgique - Setca : des licenciements qui interpellent

lundi 24 janvier 2011, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 24 janvier 2011).

Voici un exemple du comportement bureaucratique des directions syndicales. Des permanents syndicaux virés par leurs grands chefs sous un prétexte bidon afin de les éliminer parce qu’ls sont trop radicaux.

Setca : des licenciements qui interpellent

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Politique Janvier Février - 2011 (n°68)

Mateo ALALUF
Mateo Alaluf est professeur de sociologie à l’Université libre de Bruxelles.

Par les temps qui courent, la convocation vendredi 3 septembre de 5 salariés auprès de leur employeur pour leur notifier leur licenciement sur le champ pour faute grave ne serait que banale. Pourtant, cette fois, le fait est exceptionnel. Les 5 salariés sont les permanents syndicaux du secteur industrie du Syndicat des employés, des techniciens et des cadres (Setca) de Bruxelles-Hal-Vilvorde qui se trouve ainsi décapité et ceux qui mettent fin à leur emploi ne sont autres que le président, la vice-présidente et le secrétaire général de leur centrale professionnelle [1]. Le mandat des permanents licenciés provient d’un congrès syndical, c’est-à-dire d’une élection par des délégués et affiliés du syndicat. Ils sont pourtant dépouillés de toutes leurs responsabilités syndicales, éloignés des locaux et privés de leurs accès GSM et internet sans que ces instances n’en soient saisies.

Alors que leur fonction consistait précisément à défendre des salariés, notamment en cas de licenciement, ils sont privés, en raison même de leur fonction, de toute protection syndicale. Il faut dire que le motif du licenciement, pour le moins inhabituel de la part d’un patron ordinaire, aurait révulsé n’importe quel délégué syndical. À tel point que le président des métallos FGTB de Bruxelles, fait état de « l’incompréhension » et de la « stupeur » des délégués et des affiliés et du danger que ces licenciements n’entraînent une banalisation des pratiques de licenciement pour faute grave [2].

Le motif du licenciement

Le motif de la faute grave collective notifiée à l’appui des cinq licenciements laisse pantois. Comme des patrons à la veille d’une décision qui risque de provoquer des remous invoquent n’importe quel prétexte pour se débarrasser d’un délégué gênant, c’est un litige sur le sort des bâtiments du Setca de BHV, situés place Rouppe à Bruxelles, qui est ici invoqué.

Les trois bâtiments de la FGTB situés place Rouppe appartiennent à une ASBL constituée à cet effet, intitulée « Maison syndicale ». Cette association, après le retrait des métallos à la demande du Setca fédéral l’année passée, comprend à présent le Setca de BHV et fédéral. Les permanents licenciés considéraient que la transaction avec les métallurgistes s’était faite au détriment du Setca de BHV.

Ensuite, le projet de rénovation des locaux négocié avec un entrepreneur prévoit l’affectation d’un bâtiment au Setca de BHV, d’un autre au Setca fédéral et de la vente d’un troisième destiné à des logements privés pour financer les travaux de rénovation. À tort ou à raison, les 5 permanents du Setca BHV étaient en désaccord avec cette formule qu’ils estimaient trop coûteuse et de nature à léser à nouveau Bruxelles au profit du fédéral. Le mail qu’ils ont adressé aux membres du comité fédéral pour exprimer leur désaccord avec la formule de vente et de rénovation des bâtiments a été considéré comme une faute grave.

Si le motif paraît inconsistant, le moment du licenciement paraît significatif et fait peser de fortes suspicions sur la réalité du motif invoqué. En effet, dans le courant du même mois, le 24 septembre devait avoir lieu le congrès statutaire du Setca BHV. Ce congrès comportait à son ordre du jour l’élection des instances régionales et était précisément habilité à procéder au retrait éventuel du mandat des permanents. Comme une démocratie interne fonctionnant à rebours, c’est le Congrès régional, comme toutes les assemblées professionnelles préparatoires à ce congrès qui ont été annulées. De plus, moment important de la vie syndicale, le Congrès fédéral du Setca, devait se tenir le 21 octobre. Ce calendrier laisse un goût amer de nettoyage d’avant congrès.

En raison de l’écartement des 5 secrétaires permanents, 46 militants, dont 44 du secteur industrie et 41 exerçants un mandat syndical au sein de leur entreprise ont assigné, dans une procédure en référé devant le Tribunal de 1re instance, les 3 responsables fédéraux du Setca agissant dans le cadre de la tutelle sur la section BHV du syndicat pour contester les licenciements, protester contre l’annulation des assemblées, le non-respect des statuts et obtenir l’élection des délégués représentant BHV au congrès fédéral. Sans que la question de fond ne soit évoquée dans la mesure où il s’agissait d’une action en référé, le tribunal a estimé que les militants n’avaient pas de raison pour agir en justice puisqu’ils n’avaient pas subi de préjudice personnel et les a déboutés en conséquence.

Le Setca de Bruxelles après Faust

Pour tenter de démêler cet imbroglio, il nous faut d’abord comprendre la situation spécifique du syndicat des employés de la FGTB à Bruxelles qui ne s’est pas encore remis des tourmentes de « l’affaire Faust ». On se souviendra en effet du conflit qui avait opposé la régionale du Setca de BHV et en particulier son secrétaire général de l’époque, Albert Faust, au Setca fédéral et qui s’était soldé par le licenciement en 2002 de ce dernier à présent décédé [3]. Depuis lors, le Setca de BHV ne s’est remis ni d’une situation financière déficitaire, ni d’une absence de direction politique et s’est trouvé sous tutelle administrative des instances fédérales.

La tutelle était cependant à l’époque volontaire et portait sur le contrôle des dépenses et la gestion comptable en contrepartie du soutien financier du fédéral. Fin 2005, l’élection de Jean-Marie Frissen, personnage par ailleurs controversé, à la place laissée vacante par Albert Faust, mit fin à la tutelle. Frissen démissionna cependant peu après, en 2006, ce qui a entraîné le retour de la tutelle assurée par le président fédéral Erwyn De Deyn, la vice-présidente Myriam Delmée et le secrétaire général Jean-Michel Cappoen. À partir de ce moment, la tutelle a été exercée d’une manière plus effective que précédemment et a été ressentie par les permanents du secteur industrie comme une prise en main de la régionale par le Setca fédéral.

En effet, le Setca de BHV est divisé en 5 secteurs professionnels (commerce, industrie, non-marchand, finances, livre). Dans une centrale implantée d’abord dans le commerce et les services, le secteur industrie, principalement localisé à Halle et à Vilvorde, constitue une entité un peu à part. Souvent sur des positions plus offensives, ses responsables ne manquent pas de prendre des initiatives qui peuvent être dérangeantes et qui les cataloguent plutôt à gauche dans l’organisation. Après un affrontement pour la présidence du Setca de BHV entre Eric Van Der Smissen, à l’époque responsable du secteur industrie, à présent licencié, et Jean-Marie Frissen, qui s’était soldé à l’avantage de ce dernier, les permanents du secteur industrie n’ont pas été à même de contribuer à combler l’absence de direction depuis l’éviction d’A. Faust, sans se résigner pour autant à abandonner les compétences régionales au profit de la tutelle fédérale. On peut comprendre combien ce contexte particulièrement dégradé peut favoriser des inimitiés et des oppositions et entraîner une détérioration des relations personnelles.

Conjectures et supputations

La disproportion entre le licenciement des 5 permanents du secteur industrie du Setca de BHV et l’inconsistance de la faute qui leur est reprochée entraîne un ensemble de supputations sur les raisons qui, une nouvelle fois, plongent le Setca de Bruxelles dans une crise profonde. La seule différence d’appréciation quant à l’opportunité et aux modalités d’une rénovation lourde des bâtiments paraît en toute hypothèse peu convaincante comme explication.

Des divergences accumulées dans le temps auraient-elles pu conduire la tutelle fédérale à décapiter le secteur entreprises ? D’abord, les permanents licenciés, néerlandophones en majorité, étaient hostiles à la scission et défendaient à chaque occasion l’unité de la régionale. Ensuite, ils s’étaient montrés critiques quant à la gestion par la direction de leur centrale du conflit lors de la dernière restructuration de Carrefour. Enfin, sur la question très sensible de l’unification du statut ouvrier et employé qui a des répercussions directes sur les frontières des centrales professionnelles, ils avaient une position plus proche de celle des centrales ouvrières en comparaison de celle du Setca en raison de leurs liens avec les délégués de ces centrales.

Aucune de ses raisons ne permet d’expliquer la décision de licenciement. Mais la somme des mécontentements résultant de la posture singulière du secteur industrie a pu favoriser, dans un environnement dégradé, la décision prise par la tutelle et malgré la solidarité manifestée par les délégués d’entreprises, et la discrétion des permanents des autres secteurs professionnels du Setca de BHV.

Débanalisation

Pourtant, la décision de licencier, en court-circuitant les instances qui ont mandaté les 5 secrétaires permanents du secteur industrie du Setca revêt une portée considérable. Dès lors qu’il se comporte de la sorte vis-à-vis de ses permanents, quelle légitimité peut encore avoir le syndicat pour s’opposer dans les entreprises aux licenciements arbitraires dont sont victimes chaque jour des salariés et des délégués syndicaux ? Peut-on tenir un discours dans les entreprises alors qu’à l’intérieur de l’organisation ce discours est démenti par ses propres pratiques ? Le patronat pourrait aussi se saisir de ce précédent, comme il vient de le faire dans le cas des violences et harcèlements dans l’entreprise Mac Tac. L’inconduite de délégués a servi de prétexte à la Fédération des entreprises de Belgique pour remettre en cause les protections des délégués syndicaux. Des pratiques syndicales qui conduisent à banaliser le licenciement pour faute grave sont du pain béni pour fragiliser encore le droit du travail.

La tutelle du Setca de BHV pourrait aussi saisir l’occasion pour régler le différent et permettre aux militants licenciés, sans perdre la face, de poursuivre leur activité syndicale. Un tel dénouement est improbable dans une entreprise privée. Il se conclut en général par le licenciement des salariés au prix d’indemnisation des victimes. La réintégration n’est-elle pas au contraire une revendication syndicale ? Ce serait l’occasion de montrer que le syndicat ne se comporte pas comme les patrons qu’il est amené à combattre et peut résoudre ses conflits sans user de brutalité. Il se sortirait ainsi grandi d’un conflit qui risquerait sinon de le ronger en profondeur. Agir de la sorte conduirait à débanaliser des pratiques de licenciement que les patrons s’efforcent précisément de banaliser.

[1] Les permanents licenciés sont Ria Cerulis, Bernadette Mussche, Eric Van Der Smissen, Hendrik Vermeersch et Martin Willems. La décision du licenciement leur est notifiée par Erwin de Deyn, président fédéral du Setca, Myriam Delmée, vice-présidente et Jean-Michel Cappoen, secrétaire général.

[2] Lettre adressée le 24 septembre 2010 par Manuel Castro, président des métallos de Bruxelles à Erwin De Deyn, président du Setca.

[3] Voir H. Goldman, "Sur l’affaire Faust", Politique, n°26, octobre 2002.

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