VIVE LA RÉVOLUTION

Passe-droit

mardi 13 septembre 2011, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 13 septembre 2011).

Le petit homme rabougri rajusta le col de son vieux pardessus râpé, en réprimant un frisson. Le vent était particulièrement glacial, aujourd’hui, et s’engouffrait violemment dans les ruelles grises et étroites. Noël était là, autrefois jour de fête et de ripaille, mais pour lui, cela ne signifiait plus que solitude, froid et tristesse. Il regarda avec envie les marrons chauds sur les braises rougeoyantes. Il s’approcha d’un pas hésitant. La marchande lui adressa un sourire avenant :

"Fait pas chaud, hein, pépère ! J’ vous en mets un ch’ti cornet ? Y sont cueillis de c’ matin ! C’est juste 50… "

"Mettez-m’en pour 30, c’est tout c’que j’ai…" répondit le petit homme, d’une voix chevrotante.

"Va pour 30, allez, pépère, c’est ben pasque c’est vous ! et joyeux Noël !"

Le petit bonhomme s’empara avec fébrilité du cornet de papier journal. Une douce chaleur irradia ses mains tremblantes et se propagea dans tout son petit corps décharné, affaibli par les privations, rongé par la maladie et la vieillesse. Où allait-il dormir ce soir ? Que n’avait-il pas, dans le passé, alors riche, puissant et arrogant, fait réduire de façon drastique les budgets de l’aide d’urgence pour combattre la pauvreté en cachant les pauvres !

Machinalement sans doute, il prit la direction des quartiers chics.

La grande avenue grouillait de gens pressés et bien habillés, les automobiles rutilantes avançaient lentement pare-choc contre pare-choc. Assis sur un banc, devant une luxueuse boutique, il ne put manger que quelques marrons un peu tendres, la plupart d’entre eux étant trop durs pour sa bouche édentée. Une caméra de surveillance clignota. Sortie de nulle part, une voix lui ordonna de circuler, en lui précisant que les bancs étant interdits aux clochards, qu’il ne fallait pas importuner les gens, et que de toute façon, il n’avait rien à faire par ici, etc, etc… Que n’avait-il pas, dans le passé, alors riche, puissant et arrogant, fait installer des milliers de dociles surveillants électroniques pour traquer les voleurs de pommes !

Une mère de famille richement vêtue, tenant par la main deux rejetons tirés à quatre épingles lui lança un regard réprobateur. Puis elle s’engagea sur le passage clouté, après y avoir été invitée par une voix elle aussi venue de nulle part. Il la suivit des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans la foule.

Il reprit son chemin, bourrant ses poches du papier journal encore tiède. Il marcha longtemps, du moins lui sembla-t-il. Quand il arriva enfin devant le foyer d’accueil d’urgence, la nuit état tombée.

"Vraiment désolée mon bon monsieur, mais nous sommes complets pour ce soir. Vous savez, le soir de Noël, beaucoup de gens se débarrassent de leurs vieux pour aller faire la fête. Avant, ils abandonnaient juste leur chien, et seulement en été, mais maintenant… et puis nous sommes soumis à des contrôles très stricts…"

Elle n’avait pas d’âge, un chignon et des lunettes, un air sévère, mais sa voix était douce et son ton semblait plein de compassion. Que n’avait-il pas, dans le passé, alors riche, puissant et arrogant, prôné la politique de la "tolérance zéro" !

" Même pour un ancien président de la république, il n’y a vraiment pas de place ? Juste une toute petite… ?" fit le petit homme, d’une voix inquiète.

Après une hésitation, la dame lui répondit d’une voix empressée et vaguement teintée d’inquiétude :

"Oh ! Mais entrez donc, monsieur, je ne vous avais pas reconnu. On va essayer de vous trouver une petite place dans un bureau de l’intendance. Espérons qu’on nous accordera une petite dérogation, en cas de contrôle. Après tout… c’est Noêl"

Le petit homme, transi, entra en bombant le torse. Non mais… quand même…!

omdeboi

2 Messages de forum

  • Passe-droit 13 septembre 2011 16:44, par do

    Excellent !

  • Passe-droit 10 décembre 2011 08:55

    Oui, vraiment, excellent.

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