La grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais, 27 mai - 9 juin 1941
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Mai 1940, l’Allemagne lance son offensive à l’Ouest
Après avoir envahi la Hollande et la Belgique, les troupes allemandes arrivent dans le Nord de la France et commettent de terribles exactions sur les populations, à Aubigny-en-Artois, à Courrières, à Oignies, à Ostricourt…
Le Nord et le Pas-de-Calais sont immédiatement rattachés au commandement militaire de Bruxelles, puis l’administration de ces deux départements est confiée à l’OFK 670 (Oberfeldkommandantur) de Lille, dirigée par le général Niehoff.
Le Nord-Pas-de-Calais : Un enjeu majeur pour l’économie de guerre allemande
Après l’armistice, ces deux départements sont déclarés "zone interdite", coupés du reste de la France par la ligne de la Somme, "ligne de démarcation" qui constitue une véritable frontière.
Le bassin minier dans la France occupée, mai-juin 1941.
Source : SGA/DMPA
Cette région très industrialisée présente un intérêt économique important pour les Allemands décidés à remettre rapidement l’appareil de production en marche. Régies par un Comité d’organisation de l’industrie minière sous tutelle de l’OFK, les compagnies minières deviennent des auxiliaires précieux de l’occupant.
Réouvertes dès le 15 juin 1940, ces mines retrouvent une activité normale en septembre.
Afin d’accroître les rendements, les journées de travail sont allongées, les pauses supprimées tandis que les salaires restent bloqués. La situation matérielle des mineurs et de leurs familles devient d’autant plus pénible que les difficultés de ravitaillement se font cruellement ressentir avec l’apparition des cartes de rationnement et du marché noir.
Les conditions des mineurs s’aggravent
Au cours de l’hiver 1940-1941, la disette atteint son point culminant. Les conditions de vie et de travail ne cessent de se dégrader et le mécontentement des mineurs augmente. Par ailleurs, la politique de collaboration menée par le gouvernement dirigé à Vichy par le maréchal Pétain, dit "gouvernement de l’État français", est de plus en plus mal perçue par une population qui se sent abandonnée aux mains des Allemands.
Dès les premiers mois de l’occupation allemande se développent des arrêts de travail et des grèves, partielles mais répétées, qui entraînent une baisse sensible de la production.
Le 1er janvier 1941, l’occupant allemand décide d’allonger la journée de travail d’une demi-heure sans augmenter les salaires. Cette décision ravive l’exaspération des mineurs.
Les responsables communistes saisissent l’occasion de ce mécontentement pour engager les mineurs à l’action, par l’intermédiaire des militants qui sont dans les CUSA (Comités d’unité syndicale et d’action), c’est-à-dire les syndicats clandestins constitués à la suite de l’interdiction des centrales syndicales par le régime de Vichy.
Dès le lendemain, le 2 janvier 1941, les mineurs entament une série de grèves perlées, en procédant à des arrêts de travail d’une demi-heure au début ou en fin de service.
Parti de la fosse 7 de l’Escarpelle, près de Douai, le mouvement s’étend à toutes les fosses des compagnies d’Aniche et de l’Escarpelle, puis gagne une quinzaine de puits du bassin minier. Malgré les injonctions et les mesures prises par les autorités françaises et allemandes, le mouvement se poursuit jusqu’à l’arrestation de près de deux cents mineurs.
Confrontés à une nouvelle grève à l’Escarpelle, en mars, les Allemands font occuper les puits par leurs troupes.
Occupation des puits par les troupes allemandes. Source : Archives départementales du Pas-de-Calais
Toutes les conditions sont ainsi réunies pour que le 1er mai devienne une journée marquante. Inscriptions, drapeaux tricolores et drapeaux rouges apparaissent, des tracts circulent. La grève s’étend jusqu’en Belgique, où 100 000 mineurs et sidérurgistes cessent le travail. L’industrie textile est également touchée. La situation devient de plus en plus tendue.
Dans ce climat explosif, des communistes et les CUSA s’organisent pour que le prochain mouvement donne lieu à une manifestation importante.
Vers une grève générale
L’occasion d’un grand mouvement de protestation se présente quand surgit un nouveau motif de mécontentement : la décision des compagnies d’imposer le paiement des ouvriers par équipe.
Le puits Dahomey, concession de Dourges. Source : Musée de la Résistance Nationale - Champigny
Cette décision, qui risque de générer une perte de salaire pour certains mineurs, vient s’ajouter à la carence du ravitaillement, au blocage des salaires et à l’allongement de la journée de travail d’une demi-heure. Elle provoque un mouvement qui part de la fosse 7 de Dourges, au puits dit le Dahomey, et s’étend rapidement à l’ensemble du bassin minier.
Michel Brulé. Mineur à la fosse 7 de Dourges, où il reprend son travail après la défaite de 1940, il joue un rôle actif dans le déclenchement et l’encadrement de la grève. Auteur de multiples sabotages, il est arrêté par les Allemands et fusillé le 14 avril 1942 à Marquette. Source : Musée de la Résistance Nationale - Champigny
Le matin du 27 mai, tout le puits se met en grève, alors que les porions (les contremaîtres) relancent le débat pour imposer le salaire par équipe.
Dans un cahier de revendications, les mineurs demandent à leur direction des augmentations de salaire, de meilleures conditions de travail, l’amélioration du ravitaillement en beurre, viande rouge, savon… Ce cahier est communiqué aux mineurs des autres concessions.
Le 29 mai, le mouvement gagne Courrières, Ostricourt puis Carvin, l’Escarpelle le 30, Anzin le 31. En cinq jours, la grève devient générale dans le Nord - Pas-de-Calais. Elle atteint son apogée les 4, 5 et 6 juin, avec plus de 100 000 mineurs qui cessent le travail sur un total de 143 000. Les industries annexes sont touchées (cokeries, centrales électriques) puis l’industrie textile.
Émilienne Mopty. Femme de mineur, durant la grève, elle prend la tête des manifestations de femmes, à Hénin-Liétard le 29 mai et Billy-Montigny le 4 juin. Entrée dans la clandestinité au sein du groupe Charles Debarge, elle est arrêtée au cours d’une mission par la Gestapo et décapitée à Cologne le 18 janvier 1943. Source : Musée de la Résistance Nationale - Champigny
Largement soutenu par les femmes, le mouvement s’étend rapidement. Un peu partout, elles forment des rassemblements, barrent l’entrée des fosses et exhortent les mineurs à la grève.
Elles manifestent devant les bureaux des compagnies, à Liévin, à Hénin-Liétard, à Billy-Montigny… Pour les disperser, les Allemands n’hésitent pas, dans certains cas, à faire usage de leurs armes.
Tract appelant à la poursuite de la grève. Source : Musée de la Résistance Nationale - Champigny
La répression allemande
Confrontées à cette situation, les autorités d’occupation constituent rapidement un état-major de crise et mettent en oeuvre des mesures de répression.
Dès le 28 mai, les premières arrestations interviennent, à partir de listes établies par les compagnies minières sur des rapports faits par les ingénieurs et gardiens des mines. Menace et persuasion sont tour à tour employées, sans résultat. La situation se durcissant, des renforts de troupes sont amenés sur place.
Le 3 juin, le général Niehoff lance par voie d’affiche deux avis aux mineurs, le premier les sommant de reprendre le travail, le second annonçant la condamnation de onze grévistes à cinq ans de travaux forcés et celle de deux femmes à trois et deux ans de travaux forcés.
La grève se poursuit. Les troupes allemandes occupent les puits, tandis que les lieux publics, cafés, cinémas… sont fermés et les rassemblements de personnes interdits. Le paiement des salaires est suspendu, les cartes de ravitaillement ne sont plus distribuées.
Les arrestations se multiplient. Hommes et femmes sont emmenés dans les prisons de Loos, Béthune, Douai et Arras. Deux casernes sont transformées en camp d’internement : la caserne Kléber à Lille et la caserne Vincent à Valenciennes.
Le bilan est lourd :
- Plusieurs centaines de personnes sont arrêtées ;
- 270 mineurs sont déportés en Allemagne, en juillet 1941 ; (130 y laisseront la vie) ;
- D’autres sont fusillés comme otages au cours de l’année 1941 ;
- Ceux qui peuvent échapper à l’arrestation passent dans la clandestinité.
Le climat de terreur et la faim entament la résolution des grévistes et les mineurs reprennent le travail le 10 juin 1941.
Les conséquences de la grève
Pour l’occupant allemand : la grève se solde par la perte de 500 000 tonnes de charbon pour la machine de guerre allemande.
Pour les mineurs : Bien que fondamentalement opposées au principe de la grève, les autorités allemandes vont cependant donner satisfaction à certaines revendications. Un service spécial de ravitaillement est ainsi créé, chargé de distribuer aux mineurs des suppléments alimentaires ainsi que des vêtements de travail. Enfin, le 17 juin 1941, le gouvernement de Vichy décrète une augmentation générale des salaires pour toutes les corporations.
Monument érigé au puits Dahomey, avec une stèle pour rappeler que la grève a commencé là. Source : Mémoires et cultures
Motivée initialement par des revendications sociales, cette grève a abouti à un mouvement de plus grande ampleur dans lequel les communistes, très présents dans le Nord, ont joué un rôle important de coordonnateurs pour déstabiliser l’occupant nazi et son économie de guerre.
La grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais a été perçue par l’occupant allemand comme un défi à son pouvoir et l’a amené, par contrecoup, à exercer une répression féroce. En raison du contexte dans lequel elle s’inscrit, cette grève a pris une dimension patriotique. Les Allemands ne s’y sont pas trompés et se sont dès lors attachés à démanteler l’organisation communiste locale.
Résumé
Deux départements français riches en bassins miniers représentent un enjeu majeur pour l’économie de guerre allemande : le Nord et le Pas-de-Calais.
Victimes d’une dégradation régulière de leurs conditions de vie et de travail, les mineurs manifestent de plus en plus leur hostilité à l’occupant. Malgré l’interdiction de cesser le travail, ils entament, le 27 mai 1941, une grève générale qui s’étend à tous les puits du bassin minier.
Les autorités allemandes exercent alors une répression féroce contre ce mouvement de contestation sociale qui menace leur économie de guerre, mais également leur autorité politique.
Source : Collection "Mémoire et citoyenneté", N°16, Publication Ministère de la défense/SGA/DMPA