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De l’exposition des cinéastes et de deux écoles

lundi 11 novembre 2013, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 11 novembre 2013).

DE L’EXPOSITION DES CINÉASTES ET DE DEUX ÉCOLES

Il est devenu plus qu’à la mode de monter des expositions de ou autour de cinéastes, voire des échanges de vidéo-lettres. Cela s’appelle « exposer » le cinéma. C’est devenu un parcours obligé de musée d’Art moderne. Soit. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Jusqu’à un temps pas si éloigné dans le temps (disons deux ans), il s’agissait d’un bonus comme pour les DVD… Qu’en est-il aujourd’hui ? Eh bien désormais c’est le bonus et le commentaire qui deviennent l’œuvre, opération connue de transsubstantiation de commissaire… Dans les arts dits plastiques, passe encore… Il y a eu des chefs-d’œuvre du genre : je pense à « L’Empreinte » de George Didi-Huberman à Beaubourg en 1997, et aussi « La Mélancolie » de Jean Clair au Grand Palais en 2005. Il ne viendrait pas à l’idée de ces artistes-commissaires de broder autour de fac-similés des œuvres portant leur discours. Hors qu’arrive-t-il en cinéma de nos jours ? Eh bien on ne montre plus les films mais des fac-similés sur petits fichiers numériques de quelques téraoctets !… C’est tout à fait raté d’un point de vue Esthétique et Histoire de l’art… La greffe ne prend pas !… Délestés de leur poids et imperfections d’origine les films s’éteignent… Pourquoi ? Parce que ce qui était important dans les films ce n’était pas l’apparence des choses, mais leur vibration, pour reprendre une célèbre formule de George Bataille sur la peinture de Manet. Enlevez la vibration moirée du film projeté et déroulant à toute vitesse, aussi bien vous enlevez toute la vibration ! Heidegger le disait de façon presque identique des retables des églises italiennes : « Le chef-d’œuvre crée son site lui-même, si on l’enlève de son site, [l’œuvre] meurt ! Placée dans un musée, elle s’éteint. Replacée là où elle était, dans une église, pendant la messe, elle vit » (sur la Madone Sixtine). Comme l’on sait ce philosophe a dit tout à fait n’importe quoi… Des tonnes d’études universitaires idéologiques tentent de le prouver… Aussi bien elles échouent toutes. Ce qui restera sur Heidegger, outre ses textes, ce sera les paroles des artistes-philosophes (Gilles Deleuze) et des poètes (Marcelin Pleynet et Philippe Sollers). Le reste n’est que salmigondis…

Première école : Chris Marker à Beaubourg

L’exposition est montée dans le trou du forum, on y circule comme aux Galeries Lafayette. Certes l’homme des foules baudelairien y trouve son compte : il va pouvoir repérer voire draguer une ou deux passantes. Le flâneur, devenu badaud parmi les touristes est content, il en a pour son argent « d’images »… Pendant ce temps-là dans les étages supérieurs, dans les salles audiovisuelles (j’emploie à dessein ce terme affreux et honni de Serge Daney en son temps), sous couvert d’une « ressortie » nationale en salles de « cinéma » (où ça ?) de plusieurs films de Marker… eh bien on ne montre plus les films tels qu’ils ont été tournés (pour votre information Sans Soleil a été tourné en 16 mm avec une Beaulieu R16 en son non-synchrone, toute personne désirant savoir comment est fait une telle caméra peut se rapprocher de moi : j’en ai une en parfait état de marche à la maison, et je peux même projeter une copie 16 mm de Sans Soleil…) !… alors qu’ils sont tout à fait en bon état – l’auteur de ces lignes a revu La Jetée au Forum des images il y a environ un an en parfait état de conservation. Ainsi on flatte l’égo du distributeur de ces films qui va pouvoir faire de l’argent sur le dos d’un mort… Oui le jugement de Feuerbach sur le fait que son temps préférait l’image à la chose, la copie à l’original, a été entièrement confirmé par le siècle du spectacle.

Deuxième école : Pasolini à la Cinémathèque française

Dans l’antre de feu-Langlois il y a certes une exposition autour de Pasolini-cinéaste-écrivain-poète etc. Je ne l’ai pas vue. Ayant peu de talent pour commenter des choses non lues ou non vues, je vais m’abstenir…

En revanche, ici, pour les films il s’agit bien d’une véritable exposition de films. C’est-à-dire qu’il y a eu un travail pour chercher les meilleures copies disponibles des films sur leur support d’origine, ce qui est le moins pour quelqu’un qui considère que le cinéma a été un art… Récemment Jean-Luc Godard, dans un entretien d’anthologie avec YouTube tv – tel qu’il nous a habitué à en faire depuis longtemps –, affirmait savoir pourquoi il y avait tant de chômage : parce qu’il n’y a plus de travail !… Il suggérait de regarder les maisons construites aujourd’hui ou bien les meubles… Pas de travail ! Cela se voit… Je vous suggère de comparer Boxing Gym de Frederick Wiseman en copie 35 mm et en DCP (Digital Cinema Package), vous verrez bien là où il y a eu travail de tirage dans des bains d’acide etc. Voici quelques provenances des films de la rétrospective Pasolini : L’Évangile selon Matthieu : copie 35 mm restaurée par Médiaset ; Médée : copie 35 mm restaurée par SNC et l’Istituto Luce Cinecittà ; Les Mille et Une Nuits : idem ; Œdipe Roi : idem ; Porcherie : idem etc. Dans un entretien récent avec Philippe Forest pour la revue NRF autour du Musée imaginaire de Malraux, Godard rappelle qu’Henri Langlois ne parlait pas ou très peu dans sa cinémathèque de la rue d’Ulm ; il montrait les films, et c’était le montage de ces projections qui faisait Histoire… Tout le reste n’est que délire collectif… Viva l’Italia !

Manet et manebit 1 !

Note :

1. Ex-libris gravé par Bracquemond accompagnant une série de vingt-trois eaux-fortes de Manet (en latin : « Il demeure et demeurera »). Aussi bien, Manet, lui, restera…
Paris, octobre 2013.

Guillaume Basquin est écrivain, auteur de Fondu au noir : le film à l’heure de sa reproduction numérisée (éditions Paris Expérimental, 2013).

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