Note de do : le texte qui suit est extrait de l’introductuon faite par l’historien Marc Ferro à un livre paru en mars 1987 dans la collection Autrement (N°88), et intitulé « Passion du passé ».
LES HISTORIENS SONT SOUVENT TRÈS LÂCHES par Marc Ferro (extrait)
J’ai sûrement commis plusieurs actes de lâcheté, mais celui-là était caractérisé. Dans mon livre sur L’Histoire racontée aux enfants, j’avais raconté l’histoire de Jeanne d’Arc et la façon dont on la raconte à travers le monde. Ce passage avait frappé deux ou trois personnes, et un jour « Les dossiers de l’écran » m’ont appelé pour participer à un débat sur Jeanne d’Arc.
J’avais raconté l’histoire de Jeanne d’Arc, mais c’était un peu abstrait et puis je ne savais pas trop ce qu’on allait me demander et je ne suis pas du tout spécialiste de l’histoire de Jeanne d’Arc. Alors, autant j’avais pu écrire dans mon bouquin huit pages sur l’histoire de Jeanne d’Arc aux XV°, XVIII°, XX° siècles, autant une émission sur Jeanne d’Arc où il y aurait Régine Pernoud qui connaît ce qu’elle a fait le 14 janvier 1428… Il fallait que je me recycle.
J’ai donc bossé, et parmi les livres que j’ai lus, il y en avait un, d’un Américain, qui expliquait qu’au fond, tout ce qui s’était passé dans la jeunesse de Jeanne d’Arc, le fait qu’elle ait quitté son père, qu’elle ait vécu au milieu des soldats, vierge, etc., s’expliquait très bien : elle était lesbienne tout simplement et son père voulait coucher avec elle comme ça se faisait en Lorraine au XV° siècle. Elle avait donc fui de chez son père et était allée se réfugier là où elle avait pu, habillée en homme, et voilà. Et c’est logique. Ce n’est pas une hypothèse prouvée, mais elle avait des pulsions lesbiennes.
Deuxièmement, si elle avait des visions, c’est parce qu’elle avait ses règles en retard, et on l’a su parce qu’il y a des témoignages qu’elle a donnés, qu’elle avait été malade, qu’elle avait des visions. Or une expérience faite aux États-Unis dans les années 80 a montré que toutes les jeunes filles qui ont leurs règles trop tard ont des visions. Donc elle avait des visions parce qu’elle avait ses règles en retard.
C’était nouveau comme analyse de Jeanne d’Arc. Très freudien. Mais arrivé aux Dossiers de l’écran avec, à ma droite l’archevêque de Paris, à ma gauche… eh bien, je n’ai pas osé dire ça parce que je me suis dit qu’on jugerait que je déshonorais mon pays. Pensez qu’il y a eu cent cinquante appels téléphoniques parce que des participants disaient qu’elle était la fille de je ne sais plus quel duc et non pas la fille de machin de Domrémy : « Vous salissez jeanne d’Arc… »
Extrait de Wikipedia sur Les Dossiers de l’écran : Les Dossiers de l’écran est une émission de télévision créée par Armand Jammot. Elle est diffusée sur la deuxième chaîne de l’O.R.T.F. puis sur Antenne 2 du 6 avril 1967 au 6 août 1991. Sa programmation est hebdomadaire jusqu’en 1981. En 1982, elle est programmée mensuellement (le premier mardi du mois) puis deux fois par mois à partir de la rentrée 1987.
L’émission comprenait, en première partie la projection d’un film (auparavant choisi par Guy Darbois) en rapport avec la thématique de la soirée, suivi d’un débat en direct avec divers invités. Après l’angoissante musique du générique, le présentateur ouvrait l’émission en présentant le thème du jour, puis le film ou le téléfilm l’illustrant commençait, suivi du débat autour de la question. Les téléspectateurs avaient la possibilité de poser des questions par l’intermédiaire de SVP, c’est Guy Darbois qui collectait et triait ces questions avant de les proposer à l’animateur.