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L’ordinateur quantique D-Wave au banc d’essai

vendredi 20 juin 2014, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 20 juin 2014).

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/4e00cdba-f7c4-11e3-becf-b7f9645726d2

Technologie vendredi 20 juin 2014

Denis Delbecq

Vue de l’extérieur, la machine de la société D-Wave ressemble à une grosse armoire (Courtesy of D-Wave Systems Inc)

Fonctionnant selon les principes de la physique quantique, l’ordinateur D-Wave devrait avoir une puissance de calcul supérieure à celle des machines classiques. Mais ses performances déçoivent, selon une nouvelle étude

La querelle n’est pas près de s’éteindre. Tandis que la firme canadienne D-Wave prétend construire de véritables ordinateurs quantiques, les études contradictoires se succèdent dans les revues scientifiques. Dans la revue Science, de nouveaux travaux laissent penser que les machines de D-Wave ne montrent pas le Graal tant espéré par les défenseurs de l’ordinateur quantique : il n’y aurait pas d’effet d’accélération propre à remiser les ordinateurs classiques au rang de banale calculatrice.

Depuis l’invention du transistor, en 1947, les ordinateurs reposent sur le même principe : ce minuscule interrupteur commandé à distance représente le nombre 0 ou 1, suivant qu’il laisse ou pas passer du courant électrique. Le transistor porte donc ce qu’on appelle une unité d’information élémentaire, le bit. A force de miniaturisation, les électroniciens sont de plus en plus gênés par les propriétés subtiles de la matière à petite échelle, les lois du monde quantique. D’où l’idée de mettre au point des puces capables de profiter des vertus de cette physique parfois étrange, puisque son « principe de superposition » fait qu’un bit d’information quantique – ou qubit – peut valoir 0 et 1 en même temps !

Dans le monde académique, les chercheurs élaborent, pas à pas, de petits composants qui ont démontré leurs vertus quantiques, et leur aptitude à réaliser rapidement des calculs simples, mais sans dépasser une poignée de qubits. A l’inverse, D-Wave affirme maîtriser un procédé industriel, capable de suivre la cadence imposée à l’électronique depuis les années 1970, avec des performances qui doublent tous les dix-huit mois environ : de 128 qubits en 2011, la puce de D-Wave a grimpé à 512 qubits en 2013, et le cap des 1024 qubits est annoncé pour cette année.

Dans la communauté scientifique, on admet que l’ordinateur de D-Wave sait résoudre des problèmes mathématiques complexes. Par contre, beaucoup doutent de son caractère quantique. Un groupe informel s’est donc constitué, pour en avoir le cœur net. « Nous essayons de répondre à deux questions : cet ordinateur est-il quantique ? Cet ordinateur présente-t-il l’accélération qu’on peut attendre d’une telle machine ? » explique l’un des membres du groupe, Daniel Lidar, de l’Université de Californie du Sud. Il a la chance de disposer de l’une des deux machines que D-Wave a vendues jusqu’à présent, grâce à l’appui financier du géant de l’aéronautique Lock­heed Martin. La seconde a été payée par Google, qui la tient à la disposition de l’Agence spatiale américaine, la NASA. Aux côtés de Daniel Lidar, on trouve, entre autres, John Martins, de l’Université de Californie à Santa Barbara (UCSB), ainsi que Matthias Troyer et Troels Ronnow, de l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich (ETHZ). Deux anciens élèves de Matthias Troyer et Daniel Lidar n’ont pas cessé leur collaboration depuis leur récente embauche par Google.

« Nous avons montré que, de toutes les simulations possibles que nous avons faites de la machine de D-Wave, c’est celle d’un ordinateur quantique qui correspond le mieux à son comportement », explique Matthias Troyer. Un constat publié en février dernier dans Nature Physics , qui ne fait pas l’unanimité puisque d’autres travaux en passe d’être publiés le réfutent. Cette semaine dans Science, le groupe de Daniel Lidar et Matthias Troyer tente de répondre à la question de la performance, « la plus cruciale », prévient Matthias Troyer. Et pour cause : aussi quantique soit un ordinateur, il n’aura pas d’utilité s’il ne surpasse pas son homologue électronique. « Pour cela, nous avons mesuré l’évolution du temps de calcul en fonction de la complexité croissante d’un problème mathématique, en la comparant avec un ordinateur classique », poursuit le chercheur. Dans la plupart de ces essais, la machine D-Wave s’est montrée moins performante. Mais histoire d’empêcher toute conclusion trop hâtive, elle a surpassé l’ordinateur électronique dans quelques cas.

D-Wave, on s’en doute, conteste la portée de ces résultats. « Le problème était trop simple à résoudre », se défend Colin Williams, le directeur du développement de l’entreprise. « Cette critique n’est pas totalement infondée, reconnaît Daniel Lidar. En quelque sorte, nous avons comparé deux skieurs professionnels – les ordinateurs classique et « quantique » – sur une piste verte. Nous cherchons toujours à tracer la piste noire qui permettra de savoir réellement lequel est le meilleur. » Une analogie avec le ski qui n’est pas sans raison, puisqu’à quelques subtilités près, le problème mathématique traité revient à glisser lentement sur la pente d’une montagne et à déterminer si on est bien arrivé en bas ou si l’on est resté piégé dans un creux à mi-course…

Collin Williams met en avant d’autres résultats, évoqués en janvier sur un blog officiel de Google, qui explique que la D-Wave a réussi un calcul difficile 35 500 fois plus vite qu’un ordinateur classique. « C’est vrai, admet Daniel Lidar, mais un tel résultat, obtenu dans un seul cas de figure, ne signifie rien. Ce qui compte, c’est bien la manière dont le temps de calcul augmente avec la complexité d’un problème. Pour une machine douée d’accélération quantique, cette augmentation doit être beaucoup plus lente que celle, exponentielle, constatée sur un ordinateur classique dans la même situation. »

« Ces travaux ne permettent pas de clore le débat, temporise Daniel Estève, qui met au point des puces quantiques au CEA. Entre DWave qui affirme disposer d’une machine possédant toute la puissance du calcul quantique et ceux qui disent qu’elle n’en a absolument pas, on ne sait pas encore où se situe la vérité entre ces deux points de vue. » A moins qu’en écho à ce satané principe de superposition qui veut qu’un nombre puisse valoir 0 et 1 à la fois, l’ordinateur de DWave ne s’avère classique et quantique à la fois ! « Ce n’est pas exclu, sourit Daniel Lidar. Cette physique est si particulière qu’on ne peut pas exclure qu’un ordinateur quantique le soit plus ou moins suivant le problème qu’on lui confie. »

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