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IRAK. POURQUOI SONT-ILS MORTS ?

mardi 24 juin 2014, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 24 juin 2014).

Par : Me Corneille YAMBU-A-NGOYI.

Plus de 4.487 militaires américains tués au 15 décembre 2011 selon le Pentagone, et plus de 2.097 civils de sous-traitants du gouvernement américain tués au 30 septembre 2011 ; 103.775 irakiens tués dans les violences liées à la guerre au 30 novembre 2011 ; 465 universitaires assassinés au 25 août 2011 ; et 174 journalistes tués dans l’exercice de leur métiers. Tel est le macabre bilan humain, selon Le Nouvel Observateur , de la guerre lancée le 20 mars 2003 par les Etats-Unis contre l’Irak.

A ce jour, ces chiffres sont largement dépassés sans que soit observé un moindre signe de réalisation d’objectifs poursuivis. Alors que les victoires soudaines des « djihadistes » qui menacent Bagdad, inquiètent les Américains et préoccupent le Président Obama qui annonce l’envoie de 300 conseillers militaires là où des centaines des milliers des forces combattantes coalisées et des millions d’armes lourdes ont échoué à maintenir un semblant d’ordre à défaut de gagner la guerre ou d’instaurer la paix.

La question qui nous occupe- et je souhaite qu’elle en intéresse d’autres- est celle mise en exergue au titre de mon propos : pourquoi tant d’innocents sont-ils morts ? Pour quel idéal, pour quelle cause ?

La vie est la condition sans laquelle, nulle prétention humaine à la jouissance ou à l’exercice de tout autre droit humain ne serait envisageable. Pour chaque individu, la vie vaut son premier bien. Les décisions pour la supprimer, la compromettre ou amoindrir sa qualité se devaient être des exceptions rarissimes.

Certes, sous tous les cieux, les atteintes à l’intégrité physique et à la vie d’autrui sont réprimées et punies par les lois pénales.

A notre époque, les dispositions de la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948, spécialement en son article 3 constituent un idéal qui inspire les législateurs nationaux et les instruments internationaux. En effet, le texte officiel dispose : « Tout individu a droit à la vie ; à la liberté et à la sûreté de sa personne » ; et en version simple : « tu as droit de vivre, et de vivre libre et en sécurité ».

C’est à juste titre, que la Conférence internationale des droits de l’Homme du 13 mai 1968 à Téhéran déclare : « la Déclaration universelle exprime la conception commune qu’ont les peuples du monde entier des droits inaliénables et inviolables inhérents à tous les membres de la famille humaine et constitue une obligation pour les membres de la communauté internationale. »

L’on peut remarquer sans large débat que les démocraties occidentales, au sein de leurs sociétés nationales respectives sont plus proches de cet idéal. Ce qui donne à croire que dans le chef de leurs décideurs politiques et législateurs, la vie de l’individu tient une place primordiale autant que sa liberté et sa sureté. A ce titre, nous comprenons leur profonde aspiration à vouloir universaliser la démocratie libérale. Cependant, les révolutions, et guerres soutenues par les mêmes décideurs interpellent par les méfaits de leur caractère hautement et impunément meurtrier. Au cours de ces dernières décennies, la mort massive lors des guerres dites de « démocratisation » semblent être banalisée. La conscientisation sur ce phénomène justifie l’intérêt et l’actualité du sujet.

De l’Irak, à la Syrie en passant par la Libye, le constat peut être le même. Les pertes se comptent par milliers souvent dépassant en nombre les victimes de dictateurs évincés jusqu’à ce que le compteur macabre s’arrête et que par saturation médiatique, les images quotidiennes de l’horreur ne fassent plus l’événement- qui s’intéressent encore aux morts de l’Irak et de Libye ou encore qui annoncent la cruauté des meurtres qui s’y commettent avec la même frénésie que durant les manifestations de rue, lors du printemps arabe ? Et ce dire que l’on s’aligne sur la sinistre logique stalinienne selon laquelle « la mort d’un seul homme est une tragédie et la mort d’un million d’hommes une statistique ? ». Il serait simpliste d’arriver à penser que les démocraties libérales aient renoncé à leurs valeurs fondamentales pour épouser pareil raisonnement.

Mais on se rend bien compte malheureusement que dans le cas de l’Irak et de ceux qui ont suivi, la promptitude à la guerre a prévalu sur les voies diplomatiques et politiques. Cela n’est pas le fruit d’un hasard malencontreux mais d’une logique doctrinale américaine fondée sur la théorie réaliste de la paix par la force que résume avec clarté le Professeur Maxime Lefebvre , tandis que l’attitude des Européens loin d’être, comme l’affirme Robert Kagan une psychologie de faiblesse, se base sur la doctrine libérale tenant à promouvoir la paix par l’interdépendance, la coopération et le commerce, faisant bonne lace au droit international, et au compromis. Les Etats –Unis et l’Europe diamétralement opposés dans leurs approches ont revêtu selon les termes de Robert Kagan, repris par André Kaspi professeur émérite à la Sorbonne, les casquettes de Mars, pour les premiers, et de Venus pour la seconde. Et encore faut-il noter qu’outre la motivation des armes de destruction massive laquelle s’est révélée fausse, l’Administration Américaine a justifié son intervention sous l’argument d’une guerre préventive, la première guerre de ce genre pour l’Amérique selon l’expression du Dr Henri Kissinger, tel que nous le verrons plus loin. L’objet de notre propos ne porte ni sur le procès fait à Georges W. Bush ni sur l’escrime auquel se livrent en ce moment démocrates et Républicains quant à la catastrophe irakienne et aux moyens d’y répondre, mais sur les bases justificatives des décisions donnant appui aux événements subversifs ou révolutionnaires sans examen préalable des conséquences fatales sur la vie d’autrui en dehors du droit. La volonté de renverser un régime dictatorial ou d’instaurer la démocratie libérale emporte –t-elle l’absence de responsabilité pénale ou morale dans le chef son auteur en cas des morts massives ? Dans l’affirmative, est-ce du fait que le dictateur mérite son sort ou de ce que ses opposants et leurs appuis sont exonérés des meurtres des innocents, généralement qualifiés de dégâts collatéraux pour avoir causé la chute du tyran qui devient ainsi par la logique machiavélique la fin qui justifie le moyen ? Sous quelque niveau que l’on envisage la réponse, elle est loin de satisfaire à l’esprit démocratique libéral. Nous refermons la parenthèse évitant le risque de verser dans un débat que nous laissons à ce niveau aux pénalistes et philosophe. Au moins il est important de le susciter.

La question est capitale pour un décideur politique. Un dictateur à la tête d’un Etat totalitaire, ne trouverait guère de raison pour s’en embarrasser ; elle n’a pas de sens pour lui car la vie d’autrui ne vaut que ce qu’en juge sa cruauté. L’individu ne compte que comme un grain dans une farine à pétrir à volonté. Et, la masse de son peuple ne vaut que comme instrument d’assouvissement des caprices et de gains personnels.

Si toute vie est sacrée et doit être protégée comme nous le découvrons dans les traités, et les ordres juridiques nationaux , autant que dans les écrits sacrés, la manipulation des masses et d’éléments déclencheurs des troubles civils, les coups des forces aux lendemains incertains en vue d’établissement des démocraties hypothétiques sans culture ni préparation adéquates quand bien même , il s’agirait de renverser un régime dictatorial, requièrent un profond examen de la part des Administrations démocratiques, de peur que par l’arbitraire de l’acte sans fondement juridique international ou national, par le caractère indiscriminé des frappes, par l’absence de noblesse de la cause défendue, elles ne ressemblent aux régimes qu’elles combattent, qui font miroiter l’établissement d’un paradis des divinités utopiques par la violence globalisée n’ayant pour base légale que la force de leurs armes et la subjectivité de leur conviction.

Il importe de discerner que pour l’être humain, qui ne vit sur la planète qu’une fois, la différence est nulle entre mourir d’un missile, éblouissant tiré sur ordre d’un démocrate lointain à la tête d’un Etat démocratique, mourir d’une balle sur décision d’un tyran national tenant les reines d’un pouvoir despotique, ou mourir des funestes éclats d’ engins explosifs télécommandés ou portés par un extrémiste sur ordre d’un fanatique religieux ou idéologue faussement messianique. Les trois hypothèses font état d’un lamentable mépris de la vie non conforme aux valeurs européenne lesquelles dans le concret ont l’avantage d’être les moins mauvais fondements de la société humaine. D’où, il nous vient de croire que compte tenu de son passée jalonné des marques douloureuses infligées à l’humanité par l’absolutisme des régimes tyranniques et des affres de guerres chroniques, l’Europe est mieux placée pour se faire entendre dans la conduite des affaires internationales, et jouer aux arbitrages que commande la raison lorsque , l’excès de puissance ou de religiosité poussent les uns et les autres à ne vouloir vider leur litige que par destruction et carnage.

On peut aisément prendre ce souhait pour un vain rêve à cause de l’emprise de croyances religieuses islamiques ou islamistes, sur la société concernée nous voudrions rappeler que l’Europe laïque aujourd’hui en a aussi bien connu. Il est alors mieux de rêver d’un Irak moins sanglant plutôt que de se complaire dans une indifférence totale face à la tragédie. Nous pensons que la guerre d’Irak devait conduire à remobiliser les forces diplomatiques pour réévaluer et adapter les bases d’un nouvel ordre mondial tendant à sortir la communauté internationale de l’état de la nature décrit par Hobbes . Pour le rapprocher davantage de l’état de civilisation qui règne dans la cité par la loi.

Le drame irakien incite à concilier puissance et humanité. La réduction de l’écart s’impose entre la théorie réaliste adoptée par l’Amérique qui laisse peu d’espace au droit et la vision européenne libérale.

Après que les Etats –Unis aient déclaré la fin de l’opération « liberté pour l’Irak » rebaptisée « Aube nouvelle », il importe d’en dresser un bilan sur un chapitre autre que celui de pertes humaines, matérielles et financières. Pour nous faire une idée claire des véritables enjeux de l’initiative américaine, il importe de laisser la sagesse d’un américain s’exprimer.

Avant la guerre d’Irak Henri Kissinger a prévenu : « l’abandon brutal du concept de souveraineté nationale, risquait d’entrainer l’avènement d’un monde détaché de toute notion d’ordre, juridique ou autre. » Il ajoute : « Dès lors que se répandra la doctrine de l’ingérence universelle et que s’affronteront des vérités concurrentes, nous risquons de pénétrer dans un monde où, pour reprendre la formule de G.K. CHERSTERTON, « la vertu tombe en quenouille ».

A l’époque, nombreux sont ceux qui rejetèrent cet avertissement, dit Robert Kagan qui enchaine : « La manière dont les Etats-Unis se comportent aujourd’hui en Irak est à ce point capital. En jeu se trouve non seulement l’avenir de ce pays et plus généralement du Moyen-Orient mais celui de la réputation de l’Amérique, de sa fiabilité, et de sa légitimité comme leader du monde. Les Etats-Unis seront jugés, et devront l’être par le soin de l’engagement qu’ils prendront à instaurer une paix démocratique en Irak. Ils seront jugés à l’aune des progrès qu’ils feront à la cause du libéralisme, en Irak et ailleurs, ou au contraire, à la seule poursuite de leurs propres intérêts. »

Dans un autre essai, Henri Kissinger écrit : « La tâche en Irak, ne consiste pas seulement à gagner la guerre mais aussi à faire comprendre au reste du monde que notre première guerre préventive nous a été imposée par les faits et que nous cherchons à servir la cause du monde, et pas seulement nos propres intérêts ». « L’Amérique, poursuit-il a, de par son statut de nation la plus puissante au monde, une responsabilité particulière, celle d’œuvrer pour l’instauration d’un système international qui repose sur plus que la puissance militaire, et s’efforce de traduire la force en coopération. Toute autre démarche n’aura pour effet que de contribuer peu à peu à notre isolement et à notre épuisement ».

Ces paroles nous semblent prémonitoires et invitent à revisiter les fondements théoriques et repenser les stratégies de la pax americana consistant, en ces dernières décennies, à souffler sur les braises et provoquer des incendies qui très vite échappent au contrôle du pompier. Nous sommes frappés par la lucidité du propos qui réalise une intéressante rencontre avec la vision européenne. On remarquera que l’instauration du libéralisme est l’un des objectifs annoncés. Ce qui pourrait conférait à l’aventure des colorations révolutionnaires et idéologiques.

Pour revenir à la situation actuelle, un choix délicat s’impose. Faut-il ’abandonner les irakiens à eux-mêmes après leur avoir fourni les ingrédients du chaos ou revenir dans une guerre à l’issue incertaine ? L’équation tourne au dilemme. L’absence de réponse concrète et efficace à brève échéance, pourrait bien marquer la fin du leadership de l’Amérique dans un monde unipolaire qu’elle a voulu à son gré tantôt anarchique tantôt ordonné par le droit.

L’histoire nous apprend qu’un peu de fermeté préventive de la part des puissances européennes nonobstant le principe de non ingérence face à la montée en puissance du fascisme et du nazisme, eut empêché l’hécatombe de la deuxième guerre mondiale. Vue sous cet angle, la doctrine américaine n’est pas totalement dépourvue de légitimité comme il est apparemment trop facile de le penser. Mais ce qui pour nous, achoppe est de laisser ce goût d’inachevé à tout ce qui est entrepris après s’être engagé laissant le champ libre aux massacres.

On peut constater que l’Amérique a réussi deux modèles de démocratisation libérale hors du continent européen : le Japon et la Corée du Sud. L’analyse de ces cas laisse transparaitre deux facteurs. La présence des forces dissuasives permanente et le respect de la culture et des mœurs asiatiques ne donnant à l’occupation ni l’amertume causée par le mépris du protecteur au protégé ni la frustration de ne voir dans l’occupation que le motif d’intérêt personnel du vainqueur par l’exploitation économique des richesses des lieux. Dans ces deux situations, la présence Américaine s’est investie d’une réelle mission de pédagogie démocratique auréolée d’une noblesse d’esprit forgeant admiration et acceptation. Aussi la mémoire de dizaine de milliers d’Américains, des Sud -Coréens et des japonais tombés pour la liberté est honorée par le progrès accompli depuis, par leurs nations, et surtout par l’enracinement démocratique dans les deux peuples des pays cités.

Mais les autres situations y compris celle de l’Irak nous semblent bien éloignées d’un tel schéma.

Qu’ Américains et frères ennemis irakiens , avec le concours de puissances et personnes éprises de paix , parviennent à une paix de braves en vue de clore la page d’une histoire d’horreur, et de reconstruire un Irak prospère, pacifié et stable où civils et militaires, shiites, sunnites, chrétiens et laïcs vivraient en fraternité comme membres d’une famille humaine -ce qui n’est incompatible ni avec la tolérance du Seul Dieu que ceux-ci adorent ni avec les principes démocratiques que ceux-là suggèrent- rendrait moins triste l’obligation de conclure, en réponse à notre question introductive : « qu’ils sont tous morts pour rien ».

Sources :

  • A. KASPI, Comprendre les Etats-Unis, aujourd’hui, Paris, 2008, pp. 42.
  • M.LEFEBVRE, Le jeu du droit et de la puissance. Précis de relations internationales, Paris, PUF., 2000,
  • R.KAGAN, Le revers de la puissance, Paris, Plon, 2003, pp.111.
  • R.KAGAN, la puissance et la faiblesse, Paris, Plon, 2004, pp.11. Sites consultés :
  • http://tempsreel.nouvelobs.com/mond…,
  • http://www.ohchr.org/Documents/Publ…,
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