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La psychologie américaine complice d’actes de torture

vendredi 7 août 2015, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 7 août 2015).

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/7db…

Jeudi 06 août 2015

Stéphane Bussard

Un opposant aux pratiques d’interrogatoire musclé, déguisé en prisonnier torturé, manifeste près du ranch de George W. Bush à Crawford en novembre 2005. (Reuters)

La Société américaine de psychologie (APA) est critiquée pour son soutien aux tortures infligées par l’administration Bush. La survie de cette immense association se joue ces jours-ci, lors de sa convention annuelle

Barack Obama a beau avoir banni la torture à son arrivée à la Maison-Blanche en 2009, les techniques d’interrogatoire musclé utilisées par l’administration de George W. Bush restent une souillure sur la démocratie américaine. Une tache qui a déteint sur l’American Psychological Association (APA). La Société américaine de psychologie, forte de près de 150 000 membres, constitue, dans son domaine, la plus grande association professionnelle du monde. Un rapport de 542 pages publié le 10 juin dernier l’éclabousse. Il révèle en détail comment des membres et hauts responsables de l’APA ont violé son code d’éthique pour apporter leur caution au programme de « techniques d’interrogatoire musclé », un euphémisme pour décrire la torture pratiquée notamment dans des prisons de la CIA en Afghanistan, en Irak et à Guantanamo (Cuba) au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

La compromission de l’APA décrite dans le rapport rédigé par David Hoffman, un avocat de Chicago mandaté par le conseil de direction de l’APA, a déjà fait tomber des têtes. Elle devrait provoquer des débats musclés et contraindre l’organisation à procéder à une intro­spection lors de sa convention annuelle qui se déroule à Toronto du 6 au 9 août. Les plus alarmistes parlent de crise existentielle. Pour eux, l’enjeu du congrès de Toronto n’est rien de moins que la survie de l’organisation. L’intégrité même de la profession de psychologue est remise en question. Deux anciens présidents de l’APA siégeaient au sein du comité consultatif de la CIA. L’un d’eux avait assuré à l’agence de renseignement que la privation de sommeil ne constituait pas de la torture. Les techniques utilisées par la CIA comprenaient le maintien prolongé de détenus en position de stress, leur exposition à des températures extrêmes et à de forts décibels, ainsi que la simulation de noyades à laquelle fut soumis à 183 reprises le cerveau présumé des attentats du 11 septembre, Khaled Cheikh Mohammed. Le plus troublant est le rôle joué par Stephen Behnke, le directeur du comité d’éthique de l’APA. Ce haut responsable s’est évertué à contourner les règles d’éthique afin de légitimer les techniques d’interrogatoire. Certains y ont vu une volonté de maintenir de bonnes relations avec le Pentagone qui emploie toujours de nombreux psychologues.

L’APA reconnaît que son manque d’indépendance vis-à-vis du gouvernement constitue une trahison de « ses valeurs fondamentales ». Elle recommande désormais une mesure radicale : interdire à ses membres de participer à tout programme d’interrogatoire de personnes détenues par les militaires ou des agents du renseignement. Les psychologues toujours employés dans la prison de Guantanamo ou au sein d’un groupe rassemblant des experts du FBI, de la CIA et du Pentagone (High-Value Detainee Interrogation Group) devraient cesser leur activité. Ce changement, avertissent certains spécialistes, pourrait ériger de nouveaux obstacles à l’administration Obama dans sa lutte contre le terrorisme.

La publication du livre Pay Any Price : Greed, Power and Endless War du journaliste du New York Times James Risen, qui a publié en primeur les conclusions du rapport Hoffman, fut un pavé dans la mare qui a forcé l’APA à ordonner une enquête. Selon la revue Science, l’APA a créé en 2005 une commission baptisée « task force sur la déontologie psychologique et sur la sécurité nationale (PENS) », à une période où avait été révélé le scandale de la torture pratiquée dans la prison d’Abou Ghraib en Irak. Or si nombre de médecins travaillant dans les renseignements américains ont refusé de donner leur caution à de telles techniques d’interrogatoire, le Pentagone a cherché celle de la Société américaine de psychologie et l’a obtenue.

Dans un article publié en 2013 dans The Journal of Psychohistory, le psychohistorien Marc-André Cotton dénonce la dérive de comportementalistes américains dans la lutte contre le terrorisme. Il rappelle que six des dix membres de la task force appartenaient à l’armée ou étaient en contact étroit avec elle. Preuve du manque d’indépendance de ce groupe de travail : le rapport fut rédigé non pas par un membre de la task force, mais par le directeur du comité d’éthique. Selon ce dernier, il n’y avait pas incompatibilité entre le code d’éthique de l’APA et l’expertise que les psychologues livraient aux responsables du programme d’interrogatoire.

Marc-André Cotton souligne la contradiction : la task force « estimait nécessaire de réaffirmer l’attachement des psychologues au respect de la dignité et des droits de la personne […], mais rappelait en même temps qu’elle n’avait pas reçu mandat de juger leurs pratiques dans le domaine de la sécurité nationale ». Pour Marc-André Cotton, qui précise que l’administration Bush avait redéfini la notion de torture et les conditions de détention de terroristes présumés en refusant par exemple d’appliquer les Conventions de Genève, il paraissait difficile pour un psychologue militaire d’agir en conformité avec son code d’éthique : « Comment pouvait-il faire valoir « les principes de base des droits humains » – comme le suggérait le rapport PENS – si la définition de ces droits n’était plus déterminée par les standards internationaux généralement reconnus, mais par la loi américaine qui visait justement à rendre ces derniers inopérants ? »

L’ambiguïté de certains psychologues était déjà apparue au grand jour quand fut dévoilé le rôle trouble que jouèrent deux d’entre eux, James Mitchell et Bruce Jessen, également instructeurs chargés d’un programme de survie mis en place au sein de l’US Air Force (SERE).

L’APA avait pourtant été avertie. En 2004, précise le journaliste James Risen, des collaborateurs de la CIA avaient mis en garde contre les risques de violation du code d’éthique. Deux membres de l’APA, les professeurs Steven Reisner et Stephen Soldz, avaient tiré la sonnette d’alarme. En vain. Pour eux, la réhabilitation de la Société américaine de psychologie va prendre du temps.

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