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L’intelligence artificielle et la finance

mardi 30 novembre 2021, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 30 novembre 2021).

Marc Bürki : « L’intelligence artificielle et la finance, une course effrénée contre la montre »

https://www.letemps.ch/economie/mar…

Publié lundi 29 novembre 2021 à 07:25

Emmanuel Garessus

Marc Bürki : « Si un fournisseur bancaire ne parvient pas à donner accès aux cryptomonnaies, l’investisseur est susceptible de changer d’établissement ». — / Eddy Mottaz / Le Temps

L’utilisation de l’IA débute à peine dans la finance, avance Marc Bürki, le patron du groupe Swissquote. Cette nouvelle technologie est utilisée par la banque, mais la prochaine étape la rendra accessible aux particuliers

Swissquote accélère le processus de démocratisation de la finance. Sa récente alliance avec PostFinance à travers le lancement de l’app Yuh est présentée comme une « révolution » par la direction. Elle vise les novices des marchés financiers et introduit la possibilité d’acheter des fractions de titres. L’accès à des titres réputés coûteux comme Lindt & Sprüngli (114 000 francs) devient ainsi possible pour tous les épargnants.

Le bénéfice net du groupe de Marc Bürki et de ses 904 employés s’est élevé à 134,6 millions de francs au premier semestre, en hausse de 130% par rapport à la même période de l’an dernier. 49 552 comptes ont été ouverts au premier semestre, portant le total des actifs à 50,2 milliards de francs. Les investisseurs apprécient cette société que Marc Bürki, son directeur général et cofondateur, définit comme une plateforme technologique avec une licence bancaire. L’action a gagné 123% depuis le début de l’année. Au siège du groupe, à Gland, où nous accueille Marc Bürki, l’ambiance ressemble davantage à celle d’un campus universitaire qu’à une banque. L’âge moyen est en tout cas nettement plus bas que dans la plupart des établissements financiers. Le patron du groupe répond à nos questions et nous présente son opinion sur l’introduction de l’intelligence artificielle en finance et son emploi dans son groupe.

Le Temps : Dans leur livre « The Age of AI », Henry Kissinger, Eric Schmidt, le fondateur de Google, et Daniel Huttenlocher, du MIT, écrivent que l’IA est notre pire ennemie et qu’elle pourrait conduire à une guerre. Qu’en pensez-vous ?

Marc Bürki : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, selon la formule de Rabelais dans Pantagruel. La technologie n’est pas mauvaise en soi, mais son utilisation peut l’être. Les exemples abondent en ce sens, à commencer par le nucléaire. On peut aussi imaginer des robots tueurs qui entreprennent de lancer une offensive en dehors de tout contrôle humain. C’est pourquoi il importe de réglementer l’IA.

Comment réglementer l’IA ?

La réglementation doit porter sur l’utilisation, à l’image du nucléaire à travers les traités sur la non-prolifération des armes nucléaires. Nous devrions imaginer un traité de non-prolifération des robots tueurs. Des organisations comme Stopkillerrobots.org essaient de mettre en place une telle législation. L’interdiction serait une erreur compte tenu du potentiel de l’IA pour l’humanité. Nous nous apprêtons à profiter d’énormes progrès en médecine, par exemple en radiologie. Aujourd’hui le diagnostic radiologique d’une tumeur est plus efficace si elle est réalisée par des robots que par un spécialiste expérimenté.

Est-ce que le terme d’intelligence artificielle n’est pas utilisé abusivement en finance à des fins de marketing ?

Le terme est parfois galvaudé. Une exploitation intelligente des statistiques disponibles des clients d’une banque afin de bien connaître leur situation géographique n’appartient pas à ce domaine.

Quel est le bilan des premières années de l’IA en finance ?

L’utilisation de l’IA débute à peine en finance. Très peu de systèmes qui s’en réclament conduisent à des recommandations d’achat ou de vente. C’est effectivement un domaine très complexe, par la masse de données qu’il faut analyser. Cette technologie suppose une connaissance de tous les mécanismes qui déclenchent l’ordre d’achat ou de vente. C’est une sorte de neurofinance, en fait.

L’IA, en finance, s’attache donc à modéliser les aspects comportementaux. Elle sert à déterminer l’information qui déclenche l’ordre d’achat ou de vente d’un investisseur, donc à modéliser l’événement qui l’amène à effectuer une transaction. L’utilisateur d’IA ne connaît pas a priori l’information qu’il souhaite tester. Il nourrit le système d’apprentissage machine et cette dernière lui fournit la réponse.

Est-ce que les banques disposent de données suffisantes ?

Peu de banques ont les données nécessaires. Chez Swissquote, nous sommes des passionnés de l’information. Nous stockons tout. Nous avons pu observer des phénomènes remarquables. Si nous parvenons à fournir au client l’information qui dans le passé l’avait amené à faire une transaction, il appréciera le service et sera motivé à investir à nouveau.

N’est-ce pas ce que font les grandes banques de gestion dans leurs services de conseil aux plus fortunés, en leur donnant des idées d’investissement en fonction des événements, de leur profil de risque et de leurs préférences ?

L’IA introduit une notion supplémentaire, celle de l’apprentissage machine. L’informatique classique est prédictive. Elle suppose que vous dites à la machine ce qu’elle doit chercher en fonction des informations que vous lui fournissez et, comme l’informatique est dite linéaire, le résultat correspond aux hypothèses que vous avez introduites. L’IA représente un changement de paradigme. Elle consiste à demander à la machine d’apprendre, c’est-à-dire de tirer les enseignements des informations mises à disposition sans préjuger du résultat que vous avez envie de découvrir. L’IA n’est pas du tout une forme avancée de statistique ou un outil commercial.

Est-ce qu’en finance, celui qui investit le plus dans la technologie obtient la meilleure performance ?

Oui, je le pense.

Comment prenez-vous conscience des nouvelles tendances technologiques en finance ?

C’est une course effrénée contre la montre, car la technologie avance à grande vitesse. Tous ceux qui n’ont pas pris le virage crypto à cause de leur idéologie ou d’une méconnaissance de la technologie le regrettent fortement aujourd’hui.

Les cryptomonnaies appartiennent maintenant au portefeuille classique de tout individu, même si la proportion est encore faible. Si un fournisseur bancaire ne parvient pas à donner accès aux cryptomonnaies, l’investisseur est susceptible de changer d’établissement. Les banques traditionnelles sont parfois passées en mode panique. Elles développent une offre en cryptomonnaies mais elles arrivent très tard.

Vous êtes très présents dans les cryptos. Est-ce que le fisc ou la réglementation vont pénaliser ce marché ?

Le bitcoin est au plus haut historique, malgré une quasi-interdiction en Chine, des tentatives de régulation majeures. La réglementation s’avérera un atout pour les cryptos. Le trend haussier est très fort. Il a digéré un nombre incroyable de mauvaises nouvelles, de la criminalisation du négoce en Chine à l’arrêt de mineurs qui se sont finalement déplacés au Texas.

Les analystes reprochent souvent à Swissquote d’être une plateforme technologique plutôt qu’une banque. Pour vous, est-ce un reproche ou un compliment ?

Nous aimons nous définir comme une entreprise technologique avec une licence bancaire et non pas comme une banque qui investit dans la technologie. Plus d’un tiers de nos effectifs sont des ingénieurs ou des spécialistes en informatique. L’effort technologique est constant. Nous pourrions être tentés de limiter le rythme d’investissement dans de nouveaux développements, mais ce serait une erreur. Nous ne pouvons pas passer à côté d’une technologie révolutionnaire.

En quoi le petit investisseur de Swissquote profite-t-il de l’IA ?

Nous ne mettons pas encore d’IA à disposition de nos clients. Nous l’utilisons nous-mêmes, par exemple pour analyser notre risque.

Avez-vous un exemple précis ?

Mon exemple pourra paraître compliqué, mais il est très réel. Nous avons ce que nous appelons un B Book, c’est-à-dire un livre de comptabilité qui contient les ordres des clients en interne. Sur le marché des changes, les courtiers représentent la contrepartie des opérations des clients. Cela signifie que les profits de ces brokers sont égaux aux pertes des traders. Les courtiers gèrent les risques associés à la tenue d’un B Book à l’aide de stratégies de gestion des risques. Dans l’idéal, le B Book reste à 0 quand il exprime un équilibre entre le nombre d’acheteurs et de vendeurs.

Il arrive souvent qu’il y ait un trend sur les monnaies, par exemple s’il y a plus d’acheteurs que de vendeurs. Dans ce cas, le Book dollar augmente. Comme chaque banque a des limites réglementaires à respecter, si notre limite en dollars est atteinte, nous devons nous financer sur le marché. Nous liquidons alors des positions et retombons à 0. Dans la réalité, quand nous atteignons cette limite, nous essayons d’analyser l’historique comportemental des clients afin de savoir si la limite à leur tolérance au risque a été atteinte. Si tel est le cas, nous parvenons à prédire dans les secondes suivantes quel sera le trend général de la communauté de nos clients. Et si elle exprime un changement de tendance, nous décidons de ne pas liquider notre Book et d’attendre. Nous évitons ainsi d’importants coûts de transactions grâce à l’IA.

Quelle sera la prochaine étape de l’IA chez Swissquote ?

Elle consistera à utiliser cette nouvelle technologie pour rendre service aux clients. Cette étape nous occupera en priorité ces prochaines années.

Les banques centrales sont devenues les investisseurs les plus importants. Est-ce que les nouvelles technologies peuvent permettre de comprendre la Fed pour anticiper les marchés ?

C’est extrêmement difficile. Les données sont déficientes. Il faudrait disposer d’informations supplémentaires, émotionnelles, politiques ou macroéconomiques, qui motivent les dirigeants de la Fed dans leurs décisions. Nous arrivons à prévoir les tendances macroéconomiques qui les amènent à prendre des décisions, mais pas davantage.

Si vous analysez les comportements des clients, connaissez-vous leur réussite et leur performance ?

Nous pouvons le faire sans l’IA. Nous savons si nos clients sont meilleurs que les indices et dans quelles phases de marché. Nous portons l’effort suivant sur l’analyse comportementale : quel est l’événement extérieur ou privé qui l’amène à prendre une décision d’achat ou de vente ?

Avez-vous un exemple concret ?

Prenons un client qui investit souvent dans les titres bancaires et qui, par exemple, vend des actions Credit Suisse et achète des UBS. A un moment, un événement se produit qui le conduit à une transaction. La connaissance de cet événement nous permet de prédire son comportement futur et de lui donner cette information. L’événement peut en effet se produire tandis que l’investisseur est occupé à d’autres tâches. Dans un environnement où les informations abondent, il sera reconnaissant si nous lui apportons celle qui lui importe. Nous y gagnerons aussi, parce que nous aurons fait une transaction supplémentaire.

Vous investissez dans l’app Yuh, et démocratisez ainsi la finance. Quel est le potentiel de ce marché ?

Il est immense. Yuh sera bientôt le leader du marché en Suisse. Le partenariat avec PostFinance fonctionne très bien. Le potentiel existe aussi en dehors de Suisse.

Est-ce qu’il y a un cannibalisme avec Swissquote ?

Non, pas vraiment. Nous nous adressons à trois catégories de clients, ceux qui ouvrent un compte Yuh en parallèle à Swissquote et PostFinance, mais nous cherchons aussi une troisième catégorie, des clients qui s’intéressent d’abord à la carte de débit Yuh et qui en plus achètent quelques actions avant de peut-être devenir une clientèle d’investisseurs.

Est-ce que le boursicoteur a encore une chance de réaliser une performance correcte en dehors des stratégies passives ?

Heureusement oui. Il peut acheter un ETF et gagner en même temps que le sous-jacent. Parfois votre stratégie individuelle est tout aussi bonne que celle d’un hedge fund. Des particuliers ont correctement misé sur la technologie mRNA de Moderna, et de riches hedge funds l’ont évité à tort. Une intuition ou la capacité de s’informer peut battre n’importe quel investisseur institutionnel.

Que pensez-vous du phénomène de Robinhood et des « actions mèmes » ?

Ce site de trading en ligne est un bon exemple d’illusion de la gratuité d’une offre. Robinhood rappelle Facebook gratuit, un réseau qui gagne de l’argent avec vos données et votre comportement, avec de l’intelligence artificielle, afin de détecter ce qui vous motive pour vendre de la publicité. Robinhood est gratuit pour l’utilisateur mais le client de la société de trading est celui qui rachète le flux de transactions pour faire ce qu’on appelle du « paiement pour flux d’ordres », un phénomène présent uniquement aux Etats-Unis [qui consiste à rémunérer le courtier pour les ordres reçus des clients pour exécution, ndlr].

Avec la directive MiFID, un tel système n’a aucune chance en Europe. La loi européenne stipule que si vous gagnez de l’argent avec la transaction d’un client, vous devez lui redonner un avantage correspondant à celui que vous avez obtenu en vendant le flux d’ordres. Cet avantage ne peut pas se limiter à la gratuité de la transaction. D’ailleurs, Robinhood a dû fermer en Angleterre.


Profil

1961 Naissance à Bleiken (Berne).

1982-1987 Master en ingénierie électrique à l’EPFL.

1987-1990 Spécialiste en télécoms à l’Agence spatiale européenne à Nordweijk, Pays-Bas.

1990-2002 Codirecteur de Marvel Communications.

Depuis 1999 Directeur général de Swissquote Group Holding Ltd.

Depuis 2002 Directeur général de Swissquote Bank.

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