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Catalogne - Retour au réel pour les médias français ?

jeudi 11 janvier 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 11 janvier 2018).

Catalogne : retour au réel pour les médias français ?

http://www.enbata.info/articles/cat…

Par Jean-Sébastien Mora
Publié : 08/01/2018

Pendant des mois, la presse hexagonale a martelé que les séparatistes catalans étaient minoritaires. Jeudi 21 décembre 2017, la victoire incontestable des forces indépendantistes met un terme à un inquiétant épisode de désinformation journalistique.

“On ne douta point, parce que la chose était partout répétée et qu’à l’endroit du public répéter c’est prouver” mettait en garde en 1908 Anatole France dans L’Île des Pingouins. En 2017, la répétition de faits erronés a pris aussi une ampleur journalistique inédite au sujet de la Catalogne : « Malgré les apparences, l’indépendance de la Catalogne reste une cause minoritaire » affirme par exemple devant les téléspectateurs le 3 octobre, Anne-Charlotte Hinet, envoyée spéciale de France 2. Loin d’être anecdotique, cette certitude illustre un processus de désinformation flagrant auquel s’est plié la quasi-totalité des médias français ces dernières semaines au sujet de l’indépendance de la Catalogne. (A l’exception notable une nouvelle fois de Politis, de Mediapart, Alternatives économiques, BastaMag et du Monde diplomatique pour lesquels le traitement était plutôt équilibré). Partout, on a expliqué que « le projet indépendantiste n’avait pas l’adhésion de la population », que « Puigdemont avait échoué dans sa stratégie », et bien sûr « que les catalanistes étaient minoritaires ». Et ce, grâce au renfort de « spécialistes » omniprésents comme Barbara Loyer et Benoît Pelistrandi ou d’écrivains bien douteux politiquement comme Mario Vargas Llosa. De fait, les élections régionales anticipées du 21 décembre constituent un brutal retour au réel pour les médias français. Que l’on soit à titre personnel pour ou contre l’indépendance, il est inquiétant de réaliser comment des analyses, se réclamant des valeurs de l’universel, se sont transformées en matraquage médiatique en faveur d’un camp, celui du roi et du pourvoir central conservateur. En effet, dans un scrutin aux allures de référendum “pour ou contre l’indépendance”, les partis catalanistes ont à nouveau obtenu la majorité absolue des sièges au parlement, c’est à dire la liste Ensemble pour la Catalogne, du président séparatiste Carles Puigdemont, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et la gauche révolutionnaire de la Candidature d’unité Populaire (CUP). Et ce, alors que la campagne électorale était très entravée (pour ne pas dire non conforme à un État de droit) en raison de la mise sous tutelle de la région par le pouvoir central, du fait que les deux principaux leaders, Carles Puigdemont et Oriol Junqueras, sont respectivement en exil et en prison, que 700 maires sont toujours poursuivis par la justice espagnole, que 5000 “renforts” policiers venus de toutes l’Espagne avaient été déployés, que les tenues vestimentaires de couleur jaune (signe de soutien aux détenus du gouvernement catalan et de l’ANC) ont pu même être interdites et que 400 sites web en faveur de l’indépendance restent fermés.

La disparition soudaine de la « majorité silencieuse »

Bien sûr, les médias détracteurs de l’indépendance se sont empressés de nuancer que comme en 2015, les indépendantistes avaient certes la majorité des sièges (68 sur 135), mais pas la majorité des voix, à savoir seulement 47.49%. Pour autant, le camp unioniste avec un score de 43.49% des voix réalise un score plus faible (le parti libéral Ciudadanos, le parti socialiste de Catalogne et le Parti populaire (PP) du premier ministre Mariano Rajoy). Explications : Comu-Podem, la branche catalane de Podemos recueille 7.45% des voix sachant que ses leaders ne se sont pas positionnés, ni pour, ni contre l’indépendance, restant favorable à la tenue d’un référendum officiel et légal.

Chercheur en sciences politiques, François-Bertrand Huyghe a redéfini en 2016 le concept de désinformation comme « la propagation délibérée d’informations fausses, prétendues de source neutres pour influencer une opinion ». En Catalogne, cette désinformation a consisté à affirmer d’abord qu’une « majorité silencieuse était opposée à l’indépendance » à l’instar BFM-TV, Europe 1, le Monde, l’Express,etc. Il a s’agit aussi de tenir loin des feux médiatiques la manifestation exceptionnelle de 45 000 personnes à Bruxelles soutenant le président Carles Puigdemont ; de nier que les manifestations unionistes se sont déroulées à grand renfort de militants nostalgiques du franquisme venus de toute l’Espagne ; de ne jamais aborder l’importance de l’opposition symbolique entre un projet de république catalane et les limites de la monarchie parlementaire espagnole ; de ne pas dénoncer et de ne pas considérer comme politique l’arrestation de Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, les leaders de l’ANC, association citoyenne à l’origine des immenses manifestations depuis 2010 (Dans le cas des membres du gouvernement catalans, ceci est plus sujet à débat) ; Le 28 septembre, Agnès Rotivel, grand reporter à la Croix titrait même « Le débat sur l’indépendance de la Catalogne n’est pas démocratique » en relayant le discours de la mal nommée « Societat civil Catalana ». A l’époque, il était vraisemblablement trop de demander à La Croix d’enquêter, comme l’ont fait avant elle le quotidien de gauche Publico et le journaliste Jordi Borràs, sur les liens évidents de cette association avec les réseaux de l’extrême-droite franquiste, notamment la Fundación Nacional Francisco Franco et le Movimiento Social Republicano. Désormais, après une nouvelle victoire des forces indépendantistes, il sera quand même difficile d’affirmer que le processus indépendantiste n’est pas démocratique en Catalogne.

Il faut comprendre que beaucoup d’éditorialistes se sont montrés quotidiennement incapables de concevoir d’autres modèles de référence et d’autres points de vue géopolitiques, culturels, voir même de classe au sujet de la Catalogne. Trop peu de médias mentionne que l’indépendantisme catalan bénéficie d’une hostilité à l’égard des vestiges de l’absolutisme monarchique, encore nombreux en Espagne, où le roi, l’Église et les « grands » demeurent les principaux propriétaires terriens du pays. Enfin et surtout, une poignée de journalistes a perçu la dimension démocratique dans les immenses mobilisations populaires, l’auto-organisation horizontale de l’ANC, l’héritage notable de l’anarchisme catalan et les processus de résistance comme les Comitès de Defensa de la República. Aujourd’hui, avec une participation de 84%, très haute pour un scrutin régional, les médias français considèrent enfin la légitimité du processus d’indépendance, mais ce, uniquement au regard du principe « démocratique » du système électif parlementaire.

Incapacité à penser la Catalogne

« Chercher, non pas la conquête du monde, mais à l’emporter dans une bataille dont l’enjeu est l’esprit des gens » s’indignait déjà Hannah Arendt (Du mensonge à la violence. 1969). Bien sûr, la désinformation reflète toujours un système de valeurs et nul n’échappe à l’idéologie, surtout celui qui s’en croit indemne. Dans le cas du traitement de la Catalogne, beaucoup de journalistes et de « spécialistes » entretiennent inconsciemment l’héritage jacobin français, à savoir un modèle de pouvoir très centralisé, mono-linguistique et égalitariste. Pierre Bourdieu expliquait d’ailleurs peu avant sa mort qu’« il est vrai qu’un certain universalisme n’est qu’un nationalisme qui invoque l’universel » Contre-feux – Ed Raison d’agir. Or difficile d’interpréter le réel en Catalogne avec ces éléments de lecture. Alors maintenant que la force du mouvement catalaniste est indéniable, il s’agit pour la médias au nord des Pyrénées d’écrire qu’une minorité d’hispanique et unioniste serait victime d’une politique de discrimination linguistique d’une majorité malveillante, comme l’a déjà fait et de manière bien douteuse Le Monde fin octobre en affirmant qu’« en Catalogne, les écoles négligent l’enseignement du castillan ». Dans les faits, les résultats scolaires en espagnol sont meilleurs en Catalogne comparativement à la plupart des autres autonomies ibériques (lire ici), et ce pour deux raisons principales : Premièrement, sans être obligé de se référer au linguiste Noam Chomsky, on comprend aisément qu’un enfant qui maîtrise quotidiennement deux langues accroît ses compétences langagières. Deuxièmement, et on peut le regretter, en Catalogne le niveau socio-économique est tout simplement supérieur au reste de l’Espagne (A l’exception du Pays basque et de la communauté autonome de Madrid).

L’inquiétude économique des dominants

Pour la première fois depuis la transition de 1975, la lutte pour la souveraineté est pensée comme une lutte civique articulée depuis la base. “C’est la pression de la rue qui a contraint Puigdemont à déclarer l’indépendance. La droite catalaniste n’avait pas imaginé un scénario comprenant une résistance massive de la population lors du référendum. Elle pensait jusqu’au bout que la solution viendrait d’une négociation avec Madrid” raconte le leader de la CUP David Fernandez. Les juristes sérieux (notamment le doctorant Anthony Sfez) s’accordent également à considérer qu’il se déroule actuellement en Catalogne une révolution, à savoir la substitution d’un ordre constitutionnel par un autre. Ainsi dans le traitement médiatique français, on devine un puissant sentiment « antidémocratique » de la part d’une élite qui refuse de reconnaître que la population a la capacité de décider pour son avenir, de prendre collectivement des décisions respectueuses de l’égalité, de la justice et de la dignité de chacun (Lire Antidémocratie de Sandra Laugier et Albert Ogien. 2017 et la Démocratie aux marges de David Graeber. 2016).

Il ne faut jamais oublier que l’objectif des grands propriétaires de médias (Bolloré, Bouygues et Dassault comme figures de proues) consiste à maintenir des rapports de pouvoir économiques via ses représentations. Or le processus d’indépendance en Catalogne « dérange » d’emblée, avec son hymne Els Segadors qui commémore de manière très explicite la première révolution ouvrière que l’histoire ait connue : la révolte des Faucheurs (1640 – 1649). Et contrairement aux idées reçues encore, l’indépendantisme catalan a connu, lors des dernières élections, une évolution de son électorat dans le sens d’un ancrage populaire, voire ouvrier, très marqué. Alors maintenant que la force du mouvement indépendantiste est indéniable, il s’agit désormais pour les médias français de créer le soupçon en brandissant le risque de chaos, de contagion et de récession économique dans le reste de l’Europe. “Catalogne : menace sur l’économie” titrait par exemple le Point. Et pendant ce temps, « pour la première fois depuis l’Ancien Régime, on décide ainsi d’instituer aux Etats-Unis et en France un système fiscal explicitement dérogatoire pour les catégories de revenus et de patrimoines détenues par les groupes sociaux les plus favorisés » analyse sur son blog Thomas Piketty “Trump, Macron : même combat”. Le fait que dans un même temps certains considèrent comme une “menace économique” l’indépendance de la Catalogne, mais pas la suppression de l’impôt sur la fortune pour les plus hauts patrimoines financiers et professionnels, dit beaucoup sur l’idéologie et l’intention des médias dominants.

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