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La générosité intéressée de l’Arabie saoudite au Yémen

mardi 23 janvier 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 23 janvier 2018).

https://www.letemps.ch/monde/2018/0…

Simon Petite
Publié lundi 22 janvier 2018 à 20:20
modifié mardi 23 janvier 2018 à 10:26

Alors que ses avions bombardent inlassablement le Yémen, l’Arabie saoudite aligne les milliards pour aider ses habitants. Ce grand écart suscite un certain malaise auprès des humanitaires

D’une main, l’Arabie saoudite mène une guerre impitoyable chez son voisin yéménite. De l’autre, elle soulage les souffrances causées par les combats. Le royaume a annoncé lundi une nouvelle tranche d’aide humanitaire d’un milliard de dollars. Son allié émirati qui l’épaule dans la lutte contre les rebelles houthistes, supposément soutenus par l’Iran, a promis 500 millions de dollars.

Les forces armées saoudiennes sont désormais « à disposition » de cette cause humanitaire, a solennellement annoncé le colonel Turki Al-Maliki, le porte-parole de la coalition dirigée par Riyad. Un pont aérien est notamment prévu depuis l’Arabie saoudite vers la ville de Marib, paradoxalement l’une des rares restées à l’écart des combats.

Ports bloqués

Comble de la schizophrénie, Riyad a aussi promis de réhabiliter plusieurs ports pour faciliter l’acheminement des secours. Sur la mer Rouge, celui d’Hodeida, aux mains des houthistes mais crucial pour le ravitaillement du nord du Yémen, est toujours soumis à un contrôle très strict des bateaux de la coalition arabe. Il s’agit d’empêcher les livraisons d’armes aux rebelles. Les navires commerciaux et humanitaires entrent au compte-gouttes. Sur les marchés, les prix des denrées de base ont explosé et la majorité de la population n’y a plus accès. Avant la guerre, le Yémen importait 90% de ses denrées alimentaires.

Face à la famine qui menace et qui n’a rien à voir avec les éléments naturels, l’Arabie saoudite aligne les milliards. « Ces trois dernières années, le royaume a fourni 10,4 milliards de dollars au Yémen et à ses habitants », a précisé Abdullah bin Abdulaziz Al Rabeeah, le directeur de la fondation du roi Salman, le bras humanitaire du royaume.

En 2015, la mise en place de cette puissante fondation avait coïncidé avec l’intervention saoudienne au Yémen. La dynastie des Saoud venait à la rescousse du gouvernement yéménite chassé de la capitale Sanaa par les houthistes. Depuis, Riyad et ses alliés bombardent inlassablement les zones insurgées et soutiennent à bout de bras les forces loyalistes, qui peinent pourtant à regagner le terrain perdu.

« Pire crise humanitaire »

L’annonce de la fondation du roi Salman intervient au lendemain d’un appel de fonds des Nations unies pour financer leurs opérations au Yémen, qualifiée de « pire crise humanitaire au monde ». L’ONU a besoin de près de 3 milliards de dollars pour 2018. Trois quarts de la population yéménite, soit 22 millions de personnes, ont besoin d’aide, toujours selon l’ONU.

L’Arabie saoudite laisse entendre qu’une partie des sommes promises seront reversées aux agences onusiennes. Alors que la création de la fondation du roi Salman visait justement à les contourner, afin de distribuer les millions saoudiens selon les priorités du royaume. L’Arabie saoudite vient, par exemple, de renflouer la banque centrale yéménite à hauteur de 2 milliards de dollars.

L’an dernier, l’Arabie saoudite a donné 294 millions de dollars aux agences onusiennes, dont trois quarts pour le seul Yémen. A titre de comparaison, la pétromonarchie n’a consacré que 10% de cette somme aux appels de l’ONU pour la Syrie. A l’ONU, on assure que l’Arabie saoudite ne pose aucune condition à ses donations pour le Yémen. L’ONU ne se prive pas de dénoncer l’Arabie saoudite pour ses raids aériens qui ont fait des milliers de victimes civiles. Elle s’est montrée également critique en novembre dernier, quand la coalition avait imposé un blocus total sur le Yémen après un tir de missile houthiste sur Riyad.

« Se refaire une image »

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) bénéficie aussi, quoique dans une proportion bien moindre, des fonds saoudiens. L’an dernier, l’organisation a signé avec l’Arabie saoudite un accord portant sur 10 millions de dollars pour financer ses opérations au Yémen. « L’Arabie saoudite est traitée comme n’importe quel donateur », assure une porte-parole du CICR. L’institution tente de diversifier ses Etats contributeurs, mais l’Arabie saoudite reste très loin des Etats-Unis de Donald Trump ou des Européens.

Cette politique d’acceptation des fonds d’un belligérant suscite toutefois un malaise dans les milieux humanitaires, même si personne ne souhaite laver son linge sale en public. « Les Nations unies n’ont peut-être pas le choix d’accepter des fonds d’un gouvernement. Mais il y a un vrai problème éthique. Les organisations humanitaires au Yémen voient chaque jour les conséquences catastrophiques de l’intervention saoudienne. Riyad tente de se refaire une image, mais faut-il se prêter à ce jeu ? », interroge un humanitaire, qui était récemment en poste au Yémen. Le débat ne fait peut-être que commencer, alors que le conflit du Yémen s’éternise et que l’Arabie saoudite est davantage sous le feu des critiques.

1 Message

  • Laurent Bonnefoy : « Personne n’est disposé à mettre la pression sur Riyad »

    https://www.letemps.ch/monde/2018/0…

    Luis Lema
    Publié lundi 22 janvier 2018 à 20:25
    modifié mardi 23 janvier 2018 à 09:44

    Pour Laurent Bonnefoy, les Occidentaux ont laissé à la seule Arabie saoudite la clé de la gestion de la guerre au Yémen. Quitte à exacerber encore les tensions

    Chercheur au CNRS, Laurent Bonnefoy est spécialiste de la péninsule arabique. Il vient de publier Le Yémen : de l’Arabie heureuse à la guerre (Fayard).

    Le Temps : On a l’impression que, au Yémen, l’Arabie saoudite a les coudées totalement franches…

    Laurent Bonnefoy : Le Yémen recèle beaucoup de dynamiques locales qui lui sont propres. Pour comprendre ce conflit, il faut se pencher sur les rivalités entre les élites politiques locales, et il est nécessaire de remonter au moins jusqu’à l’échec du « Printemps yéménite » de 2011. Aussi bien l’ancien président Ali Abdallah Saleh [tué le 4 décembre dernier, ndlr] que les houthistes (qui contrôlent aujourd’hui tout le nord du pays, y compris la capitale Sanaa) ou les séparatistes du Sud se sont montrés incapables de faire des compromis et ont tous contribué à gâter le processus. Or les logiques internationales sont venues se greffer dans cette configuration locale. L’Arabie saoudite a lu ce contexte yéménite à travers ses propres obsessions. Elle a tendance à substantialiser l’implication iranienne et à tout voir par le prisme de la confrontation avec ce que l’on nomme un peu rapidement l’axe chiite.

    Les houthistes sont pourtant bel et bien soutenus par Téhéran. Un rapport de l’ONU l’a confirmé récemment…

    Je ne nie pas cette implication iranienne, mais elle est en grande partie exagérée. Nous sommes devant une prophétie autocréatrice, si vous voulez. Les houthistes, qui sont d’obédience zaydite, entretiennent eux-mêmes des rapports complexes avec le chiisme duodécimain. Cette complexité explique en partie le désintérêt qui entoure le conflit. Durant toute la décennie précédente, les Occidentaux avaient laissé filer le dossier, trop occupés par la seule question de l’antiterrorisme. A partir de 2013, empreints d’une lecture simpliste, ils ont laissé la clé de la gestion à l’Arabie saoudite, ce qui s’est traduit notamment par l’adoption de la résolution 2216 du Conseil de sécurité de l’ONU en 2015 dès le début du conflit et qui donne une sorte de blanc-seing à la coalition emmenée par les Saoudiens. Aujourd’hui, aussi bien les Américains que les Européens semblent un peu honteux en comprenant que le désastre humanitaire actuel est lié à la politique de l’Arabie saoudite. Mais personne n’est réellement disposé à mettre la pression sur Riyad et à compromettre ainsi d’importants intérêts économiques.

    Que veut vraiment l’Arabie saoudite ?

    L’entrée en guerre au Yémen a été la décision du ministre de la Défense Mohammed Ben Salmane, devenu entre-temps le successeur au trône saoudien. A l’époque, il était âgé de 29 ans, et l’on peut imaginer qu’il cherchait avant tout à donner des gages de sa détermination auprès de ses pairs. Officiellement, il s’agit toujours de réinstaller au pouvoir le président Abderabbo Mansour Hadi, qui avait pris les rênes du pays en 2012. Mais c’est sans compter que Hadi fait partie du problème bien davantage que de la solution : il est considéré comme un traître par une partie du pays, et notamment par les séparatistes du Sud mais aussi dorénavant par les habitants du Nord du fait de son alliance avec les Saoudiens. Globalement, tous les mécanismes qui devaient permettre aux Saoudiens d’exercer des leviers sur le terrain ont échoué. Même dans la configuration militaire actuelle, la situation continue de leur échapper.

    Comment cela ?

    La coalition internationale (réunie autour de l’Arabie saoudite contre les houthistes) n’arrive pas à avancer et peine notamment à convaincre les tribus, qu’elles soient sunnites ou zaydites-chiites. Au-delà des effets d’annonce, elle a besoin de combattants sur le terrain qui feraient la différence. Or ces combattants agissent dans un cadre territorial, et dès lors que leur territoire est libéré, ils refusent d’aller au-delà. Les Emirats arabes unis jouent un peu plus finement leur carte et ils ont mobilisé des réseaux locaux assez différents. Mais face aux tribus sunnites et aux houthistes, la vérité c’est que seuls les salafistes ont suffisamment de carburant idéologique pour aller au combat. Ces salafistes continuent aujourd’hui d’être instrumentalisés par les Saoudiens et les Emiratis. Au risque de créer les problèmes de demain et de répéter les erreurs qui ont été commises en Afghanistan ou en Syrie.

    On pensait que la mort de Saleh allait porter un coup dur au camp houthiste. Or la situation ne semble pas avoir vraiment changé depuis décembre…

    Saleh avait perdu beaucoup de son crédit dans le pays en raison notamment d’un basculement générationnel. Il semble avoir sous-estimé l’ancrage des houthistes autour de Sanaa et, en se déclarant soudainement comme leur ennemi, il a pris la mauvaise option. Les houthistes ont pu écraser sans peine la rébellion tandis que les forces pro-Saleh restaient dans l’attentisme. Sur fond de réaction nationaliste face à l’Arabie saoudite, les chefs de tribus autour de Sanaa ont de toute évidence considéré que les houthistes étaient actuellement les mieux placés pour les défendre.

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