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Alexandre Djouhri, histoires secrètes

samedi 24 mars 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 24 mars 2018).

https://www.mediapart.fr/journal/fr…

16 mars 2018

Karl Laske

L’intermédiaire proche de Nicolas Sarkozy, écroué à Londres, a sorti 4 millions d’euros en espèces entre 2006 et 2010, et acheté, en 2011, 475 000 euros de diamants. La perspective de son audition en France effraie dans les milieux politiques de droite qui l’ont protégé.

« Tu te mets à ma droite, tu sors ta bite, tu mets Hollande, Valls, les juges, les flics – peut-être pas tous les flics. Et là, on leur pisse dessus, et c’est pas de la pluie fine… » Voilà ce qu’Alexandre Djouhri, tel Joe Pesci dans Casino de Martin Scorsese, promettait aux enquêteurs français dans une écoute téléphonique, avant d’être interpellé le 8 janvier 2018 à Londres.

Remis en liberté sous contrôle judiciaire durant un mois et demi, l’intermédiaire français proche de Nicolas Sarkozy a été réincarcéré le 27 février 2018, trois jours après la tentative d’assassinat dont a été victime l’ancien directeur de cabinet de Kadhafi, Bachir Saleh, à Johannesburg. Grièvement blessé, ce dernier, longtemps partenaire de Djouhri dans les financements libyens, a quitté l’hôpital. Alexandre Djouhri, lui, aurait été hospitalisé d’urgence dans une division pénitentiaire cette semaine, à la suite d’une « série d’accidents cardiaques » selon L’Express.

Les enquêteurs français redoutaient de voir Djouhri quitter Londres entre deux pointages au commissariat. À moins que la justice britannique n’en décide autrement lors de l’examen de la demande de remise à la France, prévu le 17 avril 2018, cette option est désormais fermée. Sauf surprise, l’intermédiaire devrait être entendu par les juges français qui ont signé en décembre, après de vaines convocations, un mandat d’arrêt contre lui, ceux qu’il appelle les « fatigués de la timbale », ces « malades » qui ont « besoin de blouses blanches ».

Les cavales sur fond de secrets d’État, Djouhri connaît. En mai 2012, c’est lui qui a exfiltré Bachir Saleh, menacé d’interpellation, de Paris vers le Niger. Déjà, il y a plus longtemps, en 1995, alors qu’il se présente faussement comme un chef de poste des services secrets français, Djouhri recommande le départ à Didier Schuller dans l’affaire des HLM des Hauts-de-Seine. Ce dernier, craignant pour sa vie, quitte précipitamment la Suisse pour Saint-Domingue.

En 1997, Alexandre Djouhri fréquente assidûment les bureaux genevois d’Alfred Sirven, l’ancien directeur des affaires générales du groupe pétrolier Elf-Aquitaine, lorsqu’il prépare sa fuite aux Philippines. À l’époque, Djouhri n’est encore qu’une pièce rapportée d’un mystérieux dispositif.

Sous les présidences de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy, l’ancien voyou gagne en influence comme aucun intermédiaire avant lui. « C’est un Traboulsi [Samir Traboulsi, célèbre intermédiaire des années Mitterrand – ndlr] puissance mille », juge un avocat, qui se souvient qu’il avait « son QG » à l’hôtel Bristol « avec le patron des services », un certain Bernard Squarcini. « C’était hallucinant : un scénariste de film ne l’aurait même pas imaginé… »

Ses relations successives avec les équipes des deux présidents le propulsent au cœur de l’appareil d’État, dans des réunions stratégiques, des conciliabules secrets pour emporter des marchés internationaux, et les commissions qui vont avec. La première découverte des enquêteurs concerne des fonds libyens orientés par Djouhri vers les comptes des ex-secrétaires généraux de l’Élysée, Dominique de Villepin et Claude Guéant – 489 143 euros pour Villepin international, 500 000 euros pour rembourser l’appartement de Guéant.

Mais selon les documents auxquels Mediapart a eu accès, il y a aussi le cash, sorti de ses comptes, 4 millions d’euros entre 2006 et 2010. Il y a également de mystérieux achats de diamants en 2011. Des complicités au Crédit agricole de Genève qui lui ont permis de blanchir des fonds via des comptes clients. Sans parler de l’étonnante familiarité de l’intermédiaire avec Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, ainsi qu’avec des patrons d’industrie, des magistrats, d’anciens cadres des services spéciaux. Un réseau épais, qu’il croyait protecteur, où s’entremêlent faveurs, business et prévarication. Un réseau secret, qui n’a pris corps qu’au fil des procès-verbaux d’écoutes judiciaires effectuées en 2013, 2015 et 2016.

À partir de 2015 et la mise en examen de Claude Guéant dans l’affaire libyenne, Alexandre Djouhri évite soigneusement le territoire français et conseille à son fils Germain d’en faire de même. « Même toi, traîne pas à Paris en ce moment, lui dit-il en mars 2015, après l’interpellation de Guéant. Franchement, traîne pas à Paris, c’est n’importe quoi. C’est vraiment n’importe quoi. On m’a averti, c’est juste pour se faire de la pub. T’y vas, ils vont te secouer un matin, mais pour rien en plus, quand je te dis pour rien, pour rien. » « Ah !, moi aussi ? » s’étonne son fils. « Mais j’te le dis, putain, t’es lourd », rétorque Djouhri.

En cas de nécessité, l’intermédiaire a des stratagèmes. Il vient, semble-t-il, en avion privé, qui se pose au Bourget, mais sans rester plus de quelques heures. On l’a « averti » à nombreuses reprises. « Personne ne veut que tu rentres en France, lui résume au téléphone l’ancien juge Alain Marsaud, en novembre 2015. Ils ont trop peur que tu… parles […] Tu vas demander à Sarkozy s’il est pressé que tu rentres […] il préfère que tu sois pas en France, que t’ailles pas voir le juge. » Djouhri proteste pour la forme, mais il reçoit le message cinq sur cinq et ne réapparaît pas à Paris.

Voici l’histoire secrète de l’homme qui est devenu une bombe à retardement pour la République.

Au-dessus des clans

Alexandre Djouhri, un guépard des affaires.

Alexandre Djouhri vit dans un quartier résidentiel de Genève, mais son clan est parisien. Il est devenu le conseiller, le « coach », voire la « nounou » des uns, et le patron des autres. Il peut appeler Nicolas Sarkozy et lui dire « Nicolas, t’es occupé ? ». Il peut passer voir dans la journée l’ancien président à son domicile. Lui envoyer des photos de ses petits-enfants au ski.

Les écoutes judiciaires ont montré presque en direct les astuces qui lui ont permis de réconcilier Sarkozy avec Dominique de Villepin : répercutant des compliments de l’un sur l’autre et réciproquement, organisant des déjeuners sans témoin, puis débriefant avec les deux hommes la qualité des retrouvailles et l’estime commune. Du travail d’orfèvre.

« Dominique était ravi ; sur toi, il a été merveilleux », résume l’intermédiaire. « Il m’a dit : “Écoute Alexandre, en tout cas je te dis une chose à toi, je te remercierais jamais assez d’avoir insisté sur toutes les qualités de Nicolas que je me refusais de voir et je sais pourquoi maintenant”. » Touché, l’ancien président ne peut dire mieux que « t’es adorable », et « je t’embrasse », « Mon Alexandre »

« Ils sont où les bureaux de Djouhri ? »

L’intermédiaire garde quand même un œil sur ses ouailles. « Ils se retrouvent deux fois sans moi, donc c’est bien parce que Nicolas, il me dit ce que Dominique lui a dit et Dominique me dit ce qu’il lui a dit, et c’est vrai, il me raconte pas de couille », résume-t-il à un ami. Djouhri demande en retour des coups de pouce à l’ancien président pour rencontrer tel ou tel chef d’État.

Il se démène, sans relâche. Peu après la mise en examen de Claude Guéant, Djouhri organise une soirée pour réconforter l’ancien ministre. « Il était content ton pote Claude, de la soirée ? » s’enquiert Alain Marsaud. « Super. Super », se félicite Djouhri. « Et t’avais amené Roussin [Michel Roussin, l’ancien directeur de cabinet de Chirac – ndlr] ! Putain, t’as amené Charon [le sénateur UMP Pierre Charon – ndlr]. Et si on t’avait pas retenu, tu venais avec tout… avec tout le Bristol ! »

À un autre ami, il explique qu’il a « fait un truc top classe » à Guéant : « Je l’ai fait dîner avec Sergio Bin Marcel [Serge Dassault – ndlr], Maurice Gourdault Montagne [l’ancien conseiller diplomatique de Chirac, aujourd’hui secrétaire général du quai d’Orsay – ndlr], Michel Roussin et moi. »

Il œuvre aussi à la réconciliation des fils de Serge Dassault, Olivier et Laurent, qu’il surnomme affectueusement « les frères Pétard » : « J’ai fait une prouesse, hein, putain, j’ai réussi à remettre les deux à s’entendre et à se parler, j’leur ai imposé un calendrier, ils doivent se voir une fois par semaine ! Il en allait des intérêts du pays, putain ! » « Bravo, eh ! T’as réussi déjà avec Dominique et Nicolas ! » applaudit son correspondant, un ancien du cabinet de Guéant.

Source Mediapart

Les premières retrouvailles entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin en 2011. Reuters

En 2006, Alexandre Djouhri est d’abord parvenu à renouer avec Sarkozy, devenu patron de l’UMP et candidat à la présidentielle. Venant de l’équipe d’en face, celle de Chirac et Villepin, ça n’allait pas de soi. D’autant que le ministre de l’intérieur avait déjà son intermédiaire attitré en la personne de Ziad Takieddine. Un homme d’affaires disposé à sortir et convoyer des espèces, comme il l’avait fait lors de la campagne d’Édouard Balladur, et outillé en conséquence.

Alexandre Djouhri a approché son adversaire en lui offrant une alliance probablement tactique, avant de le contourner et de le supplanter, avec l’appui décisif de Bernard Squarcini, homme clé du renseignement français. Comme Djouhri l’a dit à plusieurs reprises, il n’a pas rencontré Nicolas « hier matin ». Il le connaît « depuis 1986 ».

En 2006, Djouhri et Takieddine surfent tous les deux sur les prémices de la lune de miel franco-libyenne et la perspective de la présidentielle de 2007. L’un avec Bachir Saleh, directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi et patron du Libyan African Investment Portfolio(LAP), l’autre avec Abdallah Senoussi, beau-frère du « Guide » et patron des services secrets militaires.

Selon les notes de l’ancien premier ministre Choukri Ghanem, les deux Libyens font parvenir des fonds en espèces à l’équipe de campagne du ministre de l’intérieur. Senoussi l’a lui-même admis devant un juge de la Cour pénale internationale. Saisi à l’occasion de l’affaire Bettencourt, l’agenda 2007 de Nicolas Sarkozy garde par ailleurs la trace de deux rendez-vous avec Djouhri durant la campagne présidentielle, les 8 février et 6 mars 2007.

2 Messages de forum

  • Les circuits de l’argent caché

    Sur Djouhri, l’enquête financière n’est pas simple. L’intermédiaire est insaisissable, même à Genève où il réside. « Djouhri, il n’est pas utilisé comme intermédiaire par contrat écrit », explique un avocat. En avril 2016, l’intermédiaire annonce à un ami que les juges se sont déplacés au siège du groupe Bolloré. « Faut que je te raconte une vanne. Tu sais ce qu’ils cherchaient dans l’immeuble de Vincent Bolloré ? […] Ils cherchaient les bureaux. Mais quels bureaux ? On a jamais eu de bureaux chez Bolloré. C’est quoi ces vannes ? Des bureaux… Putain, les mecs sont gravement sont gravement fatigués, hein. Quels bureaux chez Vincent ? »

    Ils cherchaient les bureaux de Squarcini et Djouhri. « Mais d’où on a eu des bureaux ? On n’a jamais eu de bureaux. C’est comme à la banque Hottinger [à Genève – ndlr]… Quand ils ont été pour faire la perquisition, ils ont demandé “ils sont où les bureaux de Djouhri ?” Mais j’ai jamais eu de bureau à la banque Hottinger… C’est des fous. Ils sont vraiment malades ! »

    Le siège du Crédit agricole à Genève. Reuters

    Au domicile et au bureau de Wahib Nacer, l’ami et le gérant de fortune de Djouhri au Crédit agricole de Genève, les enquêteurs ont eu plus de chance. Ils relèvent des opérations de retrait d’espèces en faveur de l’intermédiaire français à hauteur de 4 millions d’euros entre 2006 et 2010. Ces mises à disposition, de 50 000 à 200 000 euros, sont toutes signalées par les initiales « AD ». Elles culminent en 2008, avec 2,5 millions sortis en espèces. Cela sans compter d’éventuels mouvements des comptes de Djouhri en Irlande (à l’Allied Irish Bank de Dublin) et à Singapour (à l’UBS AG) qui n’ont pas été récupérés.

    En 2011, il se met à acheter des diamants, selon un rapport établi par Tracfin. En mars, en mai et en décembre, ces achats chez un diamantaire parisien lui coûtent 90 000, 105 000 et 270 000 euros – réglés cette fois sur un compte bancaire russe ouvert à la Promsvyazbank.

    L’intermédiaire dépense 500 000 euros à l’hôtel Ritz, où Bachir Saleh est logé à ses frais. Il s’habille en sur-mesure chez Cifonelli Taylor, rue Marbœuf, où il dépense environ 160 000 euros en deux ans. Contrairement à son collègue Robert Contrairement à son collègue Robert Bourgi, Djouhri ne semble pas avoir offert de costumes, excepté au beau-père de son fils, le Russe Sergueï Nosov, maire (Russie unie) d’une ville de l’Oural, Nizhny Tagil, siège de l’usine d’armement Uralvagonzavod, d’où sont sortis les célèbres chars de combat russes T-55 et le récent T-90.

    En juillet 2013, il a organisé le voyage en Russie du patron de Veolia, Antoine Frérot, et ses rendez-vous avec le premier ministre Dmitri Medvedev, le gouverneur de la région de Sverdlovsk, et…

    Sergueï Nosov.

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  • À Genève, c’est dans les archives de Wahib Nacer que les enquêteurs découvrent aussi l’arrivée d’un paiement du Libyan African Investment Portfolio (LAP) au Crédit agricole, en 2009. Djouhri a obtenu un virement de 10 millions d’euros du fonds souverain présidé par Bachir Saleh pour le rachat d’une villa à l’abandon à Mougins, qui en valait cinq fois moins. Sur cette somme, Djouhri prélève de quoi compenser le montant payé pour l’achat de l’appartement de Claude Guéant et verser un montant à peu près similaire à la société de Dominique de Villepin. Selon Djouhri, les enquêteurs soupçonnent qu’une partie de ce cash « a été donné à Nicolas Sarkozy […] pour payer les dettes de sa campagne de 2007 ». Le maquillage de l’arrivée de 500 000 euros sur le compte de Guéant par la vente de deux tableaux hollandais semble en tout cas avoir été imaginé par Djouhri, qui détenait chez lui le relevé d’identité bancaire du secrétaire général de l’Élysée, ainsi que le contact avec l’un des experts véreux. Le gérant de fortune du Crédit agricole de Genève noie les flux de Djouhri dans les comptes suisses d’un homme d’affaires saoudien, Khaled Bughsan, et d’un autre membre de sa famille, Ahmed Salem Bughsan, qui déposera plainte. La famille Bughsan est connue des réseaux chiraquiens depuis plus de dix ans. Chez Wahib Nacer, la police retrouve un document qui prouve que Khaled Bugshan a obtenu en 1997 un contrat d’intermédiaire de l’office d’armement chargé de la vente des frégates à l’Arabie saoudite, la Sofresa. Or ce contrat qui promettait 92 millions de francs (18 millions d’euros) à Bugshan, quatre ans après la vente des navires, n’est que la conséquence de la révision de ce marché par Dominique de Villepin, sur l’ordre de Chirac, prévoyant l’arrêt des versements à Ziad Takieddine.

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