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L’intolérance heureuse : tous mobilisés le 23 mars

mardi 21 mars 2023, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 21 mars 2023).

Une question réapparait souvent sur internet ou dans les discussions de vive voix. Sans doute même parfois dans des cours ou des examens de philosophie : peut-on tolérer l’intolérance ? Je suis à peu près certain que vous êtes déjà tombés sur une illustration du problème sous forme de meme, de parodie de bande-dessinée ou de schéma, qui visent à convaincre de l’existence d’une réponse simple. Et pourtant ça revient constamment sur les timelines.

Aujourd’hui je m’aperçois qu’il existe une variante de cette question qui pourrait générer d’autres types de discussions : peut-on toujours tolérer la tolérance ? Y a-t-il une forme de tolérance en soi intolérable ?

Et je crois bien que oui. Il me semble l’identifier. C’est l’incapacité à trouver une situation intolérable car elle s’est banalisée. Ou parce que le fait de dénoncer cette situation paraît sensible, dangereux. Ou bien encore parce qu’il y a une résignation qui empêche de trouver encore une once de motivation et de force pour la dénoncer.

Je m’adresse en réalité à nos amis qui ne prennent même plus le temps de s’imaginer réclamant quoi que ce soit de la part de l’état qui les opprime plus ou moins subtilement, en faisant subir à d’autres autour d’eux le prix de chaque coup de gueule.

Je veux leur dire à propos de ceux qui osent encore l’ouvrir qu’ils sont comme vous et moi qu’ils décident lorsqu’une situation leur paraît intolérable d’oser l’ouvrir. Vous dire qu’ils subissent une féroce répression pour l’exemple en retour. Et que cet exemple est fait pour vous et pour conforter votre immobilisme.

Se manifester et oser faire du bruit, perturber le cours des choses qui semblent injustes cela devrait être une logique commune. Je ne saurais quelle politique particulière prendre en exemple tant les projets de lois et de réformes qui s’enchaînent depuis quelques années paraissent tous affligeants, d’inspiration antisociale ou cyniques.

Et ces gens-là qui s’y opposent à chaque fois, aux yeux de certains d’entre vous, passent pour des simplets. Des naïfs. Parfois même des branleurs. Des grandes gueules qui « profiteraient » de chaque projet politique gouvernemental néfaste pour foutre le bordel, se mettre en grève, aller brûler des saloperies et se fritter avec les forces de l’ordre. Ce qui devient intolérable aux yeux de certains d’entre vous et du fait d’un conditionnement savamment étudié c’est le fait de résister.

Plus précisément : pour certaines personnes il est devenu tellement inimaginable de résister, le cours des choses et le sens de la vie sont tellement liés à l’obéissance, à la résignation et au fait de baisser les yeux pour se préserver qu’il est quasi nécessaire pour elles de mépriser du regard les concitoyens qui osent encore la ramener. C’est une question d’amour-propre factice. Pour pouvoir se tolérer soi-même il faut se donner le sentiment d’être dans le vrai et dans la raison.

Je me casse le cul tous les jours dans un taff de merde où on me manque de respect, où les cadences sont infernales. Et je dois vivre ça quotidiennement tout en sachant qu’une fois rentré.e à la maison j’ai un gosse à gérer qui me bouffe tout mon temps libre et aspire le peu d’énergie qu’il me reste. Le crédit pour la bagnole va courir sur encore des années. En plus ma machine à laver vient de rendre l’âme. J’ai plus une thune pour me faire plaisir et penser à moi. De toute façon encore faudrait-il que je puisse en avoir le temps. Et je vois quoi ? Des gens qui osent péter des trucs et insulter l’état ou ses représentants ? Tss. Ils doivent pas faire grand chose de leur vie pour avoir le luxe de… se respecter et demander qu’on les respecte…

Seule solution pour tenir jusqu’au lendemain : s’inventer une raison d’avoir à subir une vie de merde, morose, compliquée, éreintante. Et la raison est toute trouvée. C’est comme ça et puis c’est tout. Oui, y’a simplement aucun espoir d’être souverain de sa propre vie. Le fait d’être responsable et adulte, c’est prendre conscience de son propre statut de fourmi ouvrière et l’assumer.

Comment tolérer alors ces autres là qui dans la rue d’à côté gueulent des slogans, pètent les oreilles de tout le monde et s’imaginent changer quoi que ce soit ? La résistance, la disruption. Voilà ce qui semble intolérable aux yeux de certains concitoyens. Oh ils et elles n’ont pas besoin de s’encarter où que ce soit. Il n’est pas non plus question de défendre un système qui serait juste, une véritable conviction dans le bien fondé supposé du capitalisme et de la société du travail qui bousille le corps ainsi que l’âme. Non c’est en fait très simple à comprendre : l’oppression subtile et rudement bien organisée d’un standard de vie merdique provoque la résignation. Oui cette vie de merde provoque la résignation.

Puis-je tolérer cette résignation ? Qui pousse tant de gens à oublier l’indignation ? Qui les endort et finit par les convaincre que c’est ainsi qu’on doit vivre ? Dans un soupir quotidien qui chaque soir marque le passage du jour épuisant au lendemain redoutable ?

Franchement, j’ai du mal. Mais il y a pire.

Comment peut-on tolérer de voir une femme le cul par terre, prostrée contre la portière d’une voiture, pendant que quatre ou cinq hommes équipés de matraques et agissant au nom de l’état la tabassent ? Lui mettent des mandales et même des coups de pied au visage ?

Comment peut-on tolérer qu’un homme se prennent une patate totalement gratuite de la part d’un flic casqué, s’écroule au sol et soit inanimé alors que l’auteur des coups et les passants autour ne sont même pas sur pour les uns de vouloir et pour les autres de pouvoir lui porter assistance ?

Comment peut-on tolérer que des concitoyens qui ne supportent plus toutes ces oppressions sociales et politiques soient poussés vers le travail par une rangée d’hommes en uniformes qui matraquent et hurlent en tutoyant ? Comment tolérer que le pays devienne un camp de travail à ciel ouvert ?

Comment tolérer cette dissonance, cette incohérence, entre l’affichage de nos politiciens drapés dans les vertus républicaines visiblement mythologiques et la pratique concrètement inique du pouvoir et de l’asservissement de la population ?

Comment tolérer chaque nouvelle atteinte à l’intégrité physique ou morale d’un concitoyen à travers l’usage de la violence physique ou politique, ordonnée par nos dirigeants et concrétisée par leurs sous-fifres ? Qui selon cette mythologie républicaine et démocratique sont mandatés par le peuple pour le peuple ? Comment tolérer ce mensonge plus longtemps ?

Je ne vais pas pousser avec une énumération interminable d’exemples et de situations. On en bouffe chaque semaine. De ces moments qui donnent envie de dire « Mais c’est pas possible ! ». « Alors on en est vraiment là ? ». « En France, en 2023 ? La honte ». On connaît. C’est habituel.

Mais peut-on encore tolérer de tolérer tout ça ? L’intolérance ne devrait-elle pas devenir une bénédiction ? Elle se trouve là l’indignation. Et pourquoi s’indigner ? N’est-ce pas douloureux de reconnaître que rien ne va ? Et de s’engager dans une lutte dont certains disent tout autour qu’elle est déjà perdue d’avance ?

Je crois que ça se discute. Car celles et ceux qui baissent les bras et parviennent à se convaincre que leur vie doit suivre ce cours là manquent toujours à l’appel, lorsqu’il y a une contestation qui s’éveille. Ils ou elles se disent que ça ne sert à rien de faire grève, de manifester, de faire des discours, du blabla. De toute façon tout ça c’est organisé et prévu. La contestation elle-même fait partie du système d’oppression.

C’est pas faux dans le fond. Mais voilà le vice, c’est pas faux car lorsque tant de concitoyens sont dépités, déprimés, dégoûtés et résignés, ne croient plus en l’utilité d’une lutte, ils manquent à l’appel. Eux qui seraient légitimes et d’un grand renfort s’ils osaient faire un pas de côté. N’offrent-ils pas à leur agresseur, l’état, la possibilité de continuer à nous la mettre ? Singulièrement à chacun d’entre eux mais collectivement à nous tous ?

Je ne peux pas supporter de voir cette femme se faire tabasser. Je n’ai déjà pas su tolérer le geste de ce CRS qui en 2016 à Toulouse attrapait une femme par la gorge, la poussait contre une rambarde jusqu’à ce qu’elle tombe au sol. Après quoi, il se retournait et reprenait sa marche. Il n’y avait aucune intention de l’interpeller et de la sanctionner cette femme, aucune raison d’ordre public, elle n’avait rien fait de mal. Non la seule raison de lui faire subir cela, c’était de lui faire rentrer dans le crâne qu’il fallait qu’elle ferme sa gueule. Par ricochet, il s’agissait aussi que nous puissions tous voir cette scène. Et réagir différemment selon qu’on se positionne dans la tolérance ou dans l’intolérance.

Je refuse de tolérer tout ça. Cette longue suite de gestes et la tolérance qu’on leur accorde encore. Le mépris putride et détestable de nos dirigeants en costards qui pour six fois vos salaires vous apparaissent en permanence dans le petit écran pour expliquer à quoi tient la vie. Souvent coupables de ne respecter aucune règle ou bien de n’user que de celles qui les avantagent, tout en établissant les lois qui encadrent cette foutue oppression subie chaque jour, à l’origine de tous vos soupirs.

Oui plus le temps passe, plus j’ai du mal à tolérer que tant de gens autour de moi choisissent de tolérer tout cela. La violence politique, sociale, économique et financière. Celle du travail. Celle de la matraque. Je ne supporte plus que tant de gens soient capables de voir les scènes qu’on leur soumet, ces vidéos de violences policières actuelles mais tellement proches de celles qu’on a pu voir déjà des centaines de fois lors d’autres mouvements. Une autre forme d’habitude.

J’ai envie de leur dire une chose, même si peut-être c’est également perdu d’avance, je pense encore que ça vaut le coup d’essayer. J’ai envie de leur dire de retrouver leur propre dignité. D’être en droit d’avoir de l’amour-propre et de s’aimer eux-mêmes. Mais il leur faudra bouger, car je ne tolérerai plus qu’ils puissent prétendre à cela, l’amour-propre, sans décider de l’ouvrir, de se réunir les uns les autres et de prendre part dans une lutte pour la dignité dont on nous prive tous.

La résignation. La passivité. Les yeux au sol et le dos voûté. Ça suffit. La seule solution c’est l’union. La participation de tous dans un même effort. Et tous comptes faits, nous sommes des MILLIONS à constater et déplorer intérieurement l’état du pays ou du monde dans lequel nous vivons et où ceux qui le gèrent le font en nous affligeant. Certains d’entre nous le disent, d’autres le cachant. Mais en vérité, nous pensons pareil. Merde.

Comment peut-on s’aimer soi-même lorsqu’on devient une victime consentante qui a laissé se développer en elle l’illusion d’être plus lucide qu’une autre qui de son côté tente de se défendre ? Il est temps de dire stop. De refuser de continuer ainsi.

Une opportunité de taille se présentera ce jeudi 23 mars. J’invite toutes celles et tous ceux qui ressentent cette honte intérieurement. Ce dégoût d’eux-mêmes, de leur propre capacité à tolérer l’intolérable. Qui se souviennent que durant leur jeunesse ils ont rêvé de leur propre liberté et émancipation et regrettent désormais d’être passés à l’âge adulte, de s’apercevoir qu’ils ont été trompés. Je les invite à retrouver ce rêve, qui est une source d’énergie et donc une force.

J’appelle tous ces gens. Qui n’osent jusqu’ici plus rien contester et qui s’agenouillent devant un ordre injuste car s’imaginant à tort que c’est la seule façon de garantir leur propre survie, alors qu’ils en crèvent à petit feu. Je leur demande de faire quelque chose.

Peu importe quoi. Le mieux serait bien entendu de se joindre aux manifestations de ce jeudi à venir. D’y aller. De se joindre à d’autres et à déambuler, tout simplement, entourés de concitoyens. Mais conscient de l’existence d’obligations professionnelles, familiales ou sanitaires qui empêchent légitimement des gens de se joindre aux manifs, qu’ils prennent au moins le temps d’un seul tout petit message de rien du tout sur leur réseau social préféré. Un soutien aux manifs et une demande de procuration pour que leurs proches, leurs amis ou leurs collègues en capacité d’y aller le fassent pour eux.

Il suffirait de peu en réalité, d’un investissement minime de la part de chacun, pour que ces mouvements soient réellement « inquiétants » aux yeux de ceux qui règnent en s’assurant que nous sommes les premiers à trembler. Il faudrait que tant de gens qui jusqu’ici détournent le regard comprennent qu’il est intolérable de tolérer ce qui est injuste. Que c’est cette tolérance qui permet à une situation accablante de s’abattre sur eux non-stop. Et que c’est cette tolérance qui finit par faire d’eux des complices, quasiment des coupables. Je ne veux plus qu’ils se tolèrent eux-mêmes. Il faut qu’ils sachent que les enfants pour lesquels ils croient se battre grandiront en comprenant qu’ils étaient en fait à genoux.

Ayez honte de vous-mêmes amis résignés. Car cette honte sera bénéfique et vous amènera peut-être vers un sursaut d’amour-propre. Jeudi 23 mars, il faut un mouvement historique avec une participation historique. Impossible de le faire sans vous.

Non, ne vous braquez pas. Ne laissez pas la petite voix dans votre tête s’énerver contre mon message. Faites-la taire. C’est à vous de parler. Pas à ceux qui ont pris le contrôle de vos pensées et expriment leur toute puissance à travers la résignation et la rancoeur qui vous habite.

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