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L’argent des syndicats ou la mécanique des fluides

lundi 2 avril 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 2 avril 2018).

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Publié le 18/10/2007 à 00:10

Jacques Marseille

Finalement, on ne remerciera jamais assez Tracfin, la cellule antiblanchiment du ministère de l’Economie et des Finances, d’avoir signalé au parquet de Paris les retraits en liquide opérés par le patron de l’UIMM sur les comptes bancaires détenus par l’organisation. Des retraits qui s’élèveraient désormais à près de 20 millions d’euros au cours des sept dernières années.

Denis Gautier-Sauvagnac, entendu par les enquêteurs de la brigade financière, a expliqué que l’argent retiré servait à « fluidifier les relations sociales ». On ne prendra pas la peine de traduire pour nos lecteurs ces formules en français ordinaire. Chacun aura ici compris ce que « fluidifier » (de « liquide ») veut dire.

Au moment où les fédérations syndicales de cheminots lancent un appel à la mobilisation générale pour défendre leur régime spécial de retraite et sont rejoints par des syndicats d’EDF, de GDF, de La Poste, de l’ANPE et de l’Education nationale, qui protestent contre ce qu’ils estiment être une attaque insupportable contre leurs droits acquis, cette révélation pose la question essentielle de savoir quelle est l’indépendance réelle de syndicats dont on connaît par ailleurs la faiblesse des ressources financières déclarées. Difficile, en effet, de s’attaquer de manière crédible à l’Etat et au patronat quand l’essentiel de ses ressources financières dépend des fonds que ces derniers accordent en quasi-totale opacité.

Comme l’a révélé en effet en mai 2006 le rapport de Raphaël Hadas-Lebel, président de section au Conseil d’Etat, « aucun document public ou administratif ne présente la synthèse des ressources financières des syndicats en France, ni même du mécanisme de leur financement ». Une situation qui tranche totalement avec celle des pays étrangers. En la matière, le « modèle » français fait un peu figure de modèle bananier. Alors que, chez nos voisins, la régularité et la réalité des cotisations, qui représentent environ 80 % des ressources syndicales, sont la seule garantie d’une gestion indépendante, en France, elles en représentent un peu plus de 20 %. A elle seule, la Belgique, avec 400 millions d’euros de cotisations encaissées, en perçoit deux fois plus que l’ensemble des organisations françaises, qui en déclarent 190 millions.

Comment expliquer, dans ces conditions, que la CGT et la CFDT comptent, à elles deux, plus de permanents que les syndicats allemands, qui rassemblent près de 9 millions de syndiqués, soit cinq fois plus que l’ensemble des syndiqués français ? Comment expliquer que, de 1970 à nos jours, la CGT a multiplié par 5 le nombre de ses permanents alors que le nombre de ses adhérents a été divisé par 2,5 ?

Sans doute par cette dynamique des « fluides » dont on aura peine à remonter le courant, puisque la loi Waldeck-Rousseau de 1884, qui fonde la liberté syndicale, n’impose pas la publication des comptes et que l’émiettement des ressources publiques et parapubliques ne permet pas vraiment d’en retrouver les flux. Formidable dîme prélevée sur la formation professionnelle, dont on sait aujourd’hui que les milliards collectés (plus de 20 milliards d’euros) ne forment pas vraiment ceux qui en auraient le plus besoin, stages fantômes, remboursements de formations bidon, contrats amis passés par des comités d’entreprise, emplois fictifs négociés au plus haut niveau, rémunération de « conseillers techniques » par les organismes à gestion paritaire, publicités aux factures gonflées et payées aux journaux syndicaux, autant de financements occultes qui assurent la « fluidité des relations sociales » et jettent la suspicion sur le fonctionnement d’un syndicalisme sans adhérents ou presque.

En juin 1936, Alfred Lambert-Ribot, délégué général de l’UIMM, avait pris contact avec Léon Blum, son ancien collègue au Conseil d’Etat, pour lui demander d’organiser une rencontre entre les représentants du patronat et ceux des ouvriers en grève. De ces accords Matignon de 1936 jusqu’à ceux de Grenelle en 1968 s’imposa un « modèle » où l’Etat, le patronat de la grande entreprise industrielle et le syndicalisme alors ouvrier s’entendirent pour « fluidifier » au mieux le dialogue social tout en jouant, pour la galerie, le spectacle de l’accord arraché. C’est ce monde de Billancourt, Longwy et Anzin qui disparaît sous nos yeux. L’industrie et la construction ne représentent plus que 20 % de la valeur ajoutée globale, 75 % des salariés travaillent désormais dans les services, où les syndicats sont quasi absents, et, événement hautement symbolique, les patrons ont choisi de mettre à leur tête une femme issue du secteur des services.

François Chérèque a bien raison de dire que les « fluides » de l’UIMM jettent un élément de suspicion insupportable au moment où l’on s’efforce de redéfinir les conditions d’un nouveau dialogue social. Dans le monde d’aujourd’hui, que ce soit au niveau de la « classe » politique, de la « classe » patronale ou de la « classe » syndicale, l’exigence est à la transparence. A cet égard, la grève du 18 octobre est bien celle du monde ancien qui meurt. On ne peut que s’en réjouir §

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