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Haut-Karabagh : L’UE et l’OTAN sont à vomir... (vidéo_37’24’’)

vendredi 26 mai 2023, par a_suivre (Date de rédaction antérieure : 26 mai 2023).

Anne-Laure Bonnel s’entretient avec Jean-Michel Ekherian, médecin anesthésiste-réanimateur qui a été confronté aux actes les plus barbares durant la guerre des 44 jours [2] dans le HautKarabagh. Un conflit éclipsé par la guerre en Ukraine et qui échappe à nos préoccupations d’Européens, trop contents d’affirmer que l’UE, c’est la "PAIX" ininterrompue depuis 70 ans [3].

https://www.youtube.com/watch?v=oao…

Haut-Karabagh : face à face avec la mort - Entretien avec Jean-Michel Ekherian - Anne-Laure_Bonnel - 14_mai_2023 - vidéo_37’24’’

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Le cessez-le-feu du 9 novembre 2020 met fin aux intenses combats, qui ont fait 6500 morts. La défaite est une humiliation pour les Arméniens, mais ils sont reconnaissants à Vladimir Poutine d’avoir sauvé le Haut-Karabakh. C’est lui qui a arrêté la guerre.

« La Russie est parvenue à interrompre ce conflit et, probablement, à empêcher une reprise intégrale des territoires du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan »[1]

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DOUBLE JEU DE L’UE ET DE L’OTAN SUR LE HAUT-KARABAGH

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Soldats azéris célébrant leur victoire dans le Haut-Karabagh et défilant à Bakou / Aysel Khalilov

Soldats azéris célébrant leur victoire dans le Haut-Karabagh et défilant à Bakou / Aysel Khalilov

Théâtre de rivalités ethniques attisées par les puissances régionales comme la Turquie et la Russie, le Haut-Karabagh est également l’objet de tensions internationales pour l’accès aux énergies fossiles.

La guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a ainsi révélé le double-jeu des organisations internationales comme l’Union européenne (UE) et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) à l’égard des États de la région.

Si médias et gouvernements occidentaux ont blâmé l’Azerbaïdjan pour son attitude lors du conflit, aucune action significative n’a été prise à son encontre.

Bakou étant intimement lié aux intérêts économiques européens, et constituant une pièce maîtresse dans l’agenda géostratégique du bloc euro-atlantique, cet attentisme n’a rien de surprenant…

Comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan était dirigé par un gouvernement soumis à la sphère d’influence soviétique ; contrairement à Erevan, cependant, Bakou a opté pour une stratégie de rapprochement à marche forcée avec le bloc euro-atlantique.

C’est peu avant la chute du mur que les gouvernements arménien et azéri sont entrés en guerre ouverte pour le contrôle du Haut-Karabagh. L’Arménie remporte une victoire militaire sans appel. Est-elle pourtant en position de force ?

Rien n’est moins sûr, et les décennies suivantes ont accru les difficultés pour l’Arménie, tandis que l’Azerbaïdjan est parvenu à s’attirer les bonnes grâces du monde occidental.

VICTOIRE MILITAIRE MAIS DIFFICULTÉS STRUCTURELLES : L’ARMÉNIE DANS LA PÉRIODE POST-GUERRE FROIDE

De sa victoire militaire, l’Arménie ne tire qu’une gloire éphémère car elle doit faire face à une situation humanitaire catastrophique. L’effondrement de l’Union soviétique entraîne en Arménie une crise économique, et la récession atteint 40% au début des années 1990.

La guerre provoque la fermeture des frontières avec la Turquie et l’occupation des sept districts par l’armée arménienne donne lieu à des résolutions onusiennes demandant le retrait immédiat des troupes arméniennes : de fait, le conflit territorial s’internationalise.

L’Arménie doit aussi s’armer pour se défendre en cas d’offensive. Alors que les Arméniens souffrent de sous-alimentation, n’ont pas souvent accès au chauffage et à l’électricité, le gouvernement doit donc armer ses troupes. Cette situation humanitaire catastrophique pousse des centaines de milliers d’Arméniens à l’émigration : plus de 20% de la population quitte le pays contre 5% en Azerbaïdjan entre 1990 et 2000.

Du point de vue démographique, l’Arménie décline quand l’Azerbaïdjan croît : la population arménienne en 1990 atteignait 3,5 millions d’habitants contre 3 millions aujourd’hui. À l’inverse, l’Azerbaïdjan est aujourd’hui peuplé de 10 millions d’habitants pour 7,2 millions en 1990. Le PIB par tête est presque le même entre les deux pays à la sortie de l’effondrement de l’Union soviétique.

L’Azerbaïdjan devient un élément incontournable du réseau d’approvisionnement pétrolier et gazier de l’UE.

Sous pression de l’OTAN, celle-ci encourage la construction d’un oléoduc et d’un gazoduc qui s’étendent de Bakou à la Turquie, permettant d’alimenter directement les Européens.

Au niveau politique, l’Arménie va choisir de 1998 à 2018 des responsables politiques originaires du Haut-Karabagh, et anciens responsables militaires (Kotcharian-Sarkissian). Malgré une corruption massive et structurelle, la situation économique s’améliore nettement : son taux de croissance avoisine 10% entre 2001 et 2008.

Sur le plan international, Erevan tisse des liens étroits avec Moscou : elle est membre de l’Union économique eurasiatique. La Russie, du fait d’un traité bilatéral, est du reste liée par une obligation de défense du territoire arménien, où 5000 hommes sont présents au sein de la base militaire de Gyumri, située à la frontière turque.

L’Arménie post-soviétique ne joue toutefois pas la seule carte russe : elle va aussi développer de nouvelles relations avec l’Union européenne en signant un accord de partenariat global et renforcé en 2017. Pour ce qui est de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, c’est dès 1992 que l’Arménie rejoint le Conseil de coopération nord-atlantique, remplacé en 1997 par le Conseil de partenariat euro-atlantique. Les troupes arméniennes ont été ainsi été déployées en Afghanistan et au Kosovo.

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Carte de l’Azerbaïdjan avec le Haut-Karabakh et la zone contrôlée par l’armée arménienne jusqu’en novembre 2020.

En 2016 éclate un nouveau conflit dans le Haut Karabagh, connu sous le nom de « guerre des Quatre Jours », suite à une attaque azerbaïdjanaise. Des territoires sont rendus à l’Azerbaïdjan et le niveau d’impréparation ainsi que la corruption endémique dans l’armée sont rendues publiques. Des augmentations de prix de certains produits de première nécessité vont entraîner de nombreuses manifestations pendant cette période où la nouvelle génération sent qu’elle doit suivre le destin de ses prédécesseurs et fuir le pays.

Elle préfère résister et participe activement à la révolution citoyenne de 2018 pour provoquer le départ du président Sarkissian et mettre au pouvoir Nikol Pachinian, tête pensante et figure de proue de l’opposition et du mouvement « Mon Pas ». Son mouvement remporte les élections de la même année avec 70% des sièges.

Le président Pachinian se lance dans une lutte contre la corruption tout en essayant de maintenir un lien étroit avec la Russie, alors qu’il avait critiqué auparavant l’adhésion à l’Union économique eurasiatique. Ainsi pendant le mandat de Pachinian, l’Arménie a acheté presque exclusivement du matériel militaire russe et la production des nouvelles Kalachnikovs se fera en partie en Arménie.

Durant ces années où règne une atmosphère électrique sur les lignes de front – au Haut-Karabagh ainsi que sur la frontière directe entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan – différents pays vont essayer de négocier un accord de paix.

Un groupe présidé par les États-Unis, la France, la Russie et d’autres membres (Allemagne, Biélorussie, Finlande, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède, Turquie) va proposer sous la forme d’un protocole des solutions : les principes de Madrid.

Ce groupe, appelé le Groupe de Minsk, s’inscrit dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et va plusieurs fois demander à l’Arménie de se retirer des sept districts occupés. Il demande par ailleurs à l’Azerbaïdjan de définir un statut particulier pour le territoire du Haut-Karabagh tout en proposant l’envoi de troupes de maintien de la paix. En 2011, l’aboutissement de longues négociations menées par le président russe Medvedev entre le chef d’État arménien Sarkissian qui accepte les conditions de l’accord, et le président azéri Aliyev, pousse à croire à un accord pérenne ; la signature des accords a lieu dans la ville russe de Kazan.

L’accroissement continu des dépenses militaires de Bakou durant les années 2000 montre cependant une volonté évidente de régler le problème en dehors du cadre des négociations, et en excluant tout statut spécifique pour les Arméniens en Azerbaïdjan. En conséquence, l’accord de Kazan sera rejeté par la partie azérie.

Lorsque le 27 septembre 2020 les forces azéries se lancent dans la guerre, l’Azerbaïdjan de 1994 est un lointain souvenir. Pendant plus de deux décennies la famille Aliyev a développé une puissance énergétique à même de peser dans le jeu géopolitique global.

Quand Heydar Aliyev devient président de la République d’Azerbaïdjan en 1993, il est le sixième chef d’État en trois ans de cette République caucasienne. Si les Azéris sortent défaits de la guerre avec un bilan dramatique de 20 000 morts, l’augmentation des revenus liés à la rente énergétique ne va pas entraîner un décrochage aussi violent qu’en Arménie.

Il n’en reste pas moins que les réfugiés du Haut-Karabagh et des régions avoisinantes (684 000 en 1996, 582 000 en 2016) sont à l’origine d’une situation humanitaire difficile qui fait de l’Azerbaïdjan l’un des pays au monde avec le taux de déplacés le plus élevé.

Heydar Aliyev construit dès le début de son mandat l’édifice qui va permettre à son fils de remporter la guerre. Issu de la province autonome du Nakhichevan, il est l’inventeur du concept avec la Turquie du « deux états, une nation ». Initiateur des pogroms anti-Arméniens lors de l’époque soviétique, cet ancien cadre du parti soviétique fait de la haine des Arméniens une politique d’état.

L’esprit de vengeance et les violences verbales à l’encontre du voisin sont l’essence de son pouvoir. Heydar Aliyev réussit la prouesse d’exclure les représentants arméniens du Haut-Karabagh des négociations de paix sur la région séparatiste et de faire passer l’Arménie pour une force d’occupation sur son territoire. Bakou ne veut accorder aucun droit de représentativité et ne donne donc aucune garantie en termes de sécurité aux 150 000 Arméniens demeurant en Azerbaïdjan.

Heydar Aliyev va aussi ouvrir son pays aux capitaux étrangers et couper le lien historique avec Moscou à l’occasion du fameux « contrat du siècle » obtenu en 1994. Au terme de celui-ci, treize entreprises issues de sept pays étrangers (Turquie, États-Unis, Japon, Royaume-Uni, Norvège, Russie, Arabie Saoudite) participent à l’exploitation des champs pétroliers en mer Caspienne.

Ce contrat va entraîner la signature de pas moins de 26 autres accords, avec la participation de 41 compagnies pétrolières de 19 pays du monde. Des entreprises françaises, américaines, britanniques, turques, italiennes, japonaises ou russes sont présentes aux côtés du l’entreprise nationale la SOCAR – State Oil Company of Azerbaijan Republic, qui reçoit 80% des bénéfices liés aux champs pétroliers et gaziers.

Ilham Aliyev est le vice-président du mastodonte énergétique SOCAR. Il connaît déjà très bien les liens étroits qu’entretiennent les gouvernements et les institutions internationales avec les grandes compagnies énergétiques mondiales.

Dans le même temps, l’Azerbaïdjan devient un élément incontournable du réseau d’approvisionnement pétrolier et gazier de l’Union européenne.

Sous pression de l’OTAN, celle-ci encourage la construction d’un oléoduc et d’un gazoduc qui s’étendent de Bakou à la Turquie, permettant d’alimenter directement les Européens en gaz et en pétrole azéris.

L’oléoduc « BTC » (Bakou-Tbilissi-Ceylan, capitale de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie, et ville du sud de la Turquie) et le gazoduc « BTE » (Bakou-Tbilissi-Erzurum, cette dernière ville étant située à l’Est de la Turquie) sont respectivement achevés en 2005 et en 2006. Ces pipelines, qui contournent l’Arménie – pourtant plus proche de la Turquie que la Géorgie mais jugée pro-russe – permettent à l’Union européenne de restreindre son approvisionnement auprès de la Russie et d’isoler cette dernière.

Grâce à ces entrées d’argent le taux de croissance passe de -27% en 1993 à 35% en 2006. Le Produit intérieur brut grimpe de 3,2 milliards de dollars en 1994 à un record de 74 milliards en 2014, pour se stabiliser après la chute du prix du baril aux alentours des 50 milliards de dollars. Loin, très loin de l’Arménie qui passe elle d’un PIB de 1,3 milliards en 1994 à 13 milliards en 2019.

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Conception du graphique : Jérôme Chakaryan Bachelier (en orange PIB arménien, en bleu PIB azéri)

L’Azerbaïdjan rejoint également dès 1992 le Conseil de partenariat euro-atlantique fondé par l’OTAN, puis le partenariat pour la paix en 1994 mais préfère, contrairement à l’Arménie, ne pas rentrer dans l’Organisation du traité de sécurité collective, démontrant ainsi de réelles aspirations à s’émanciper de la tutelle de Moscou.

Lorsque Heydar Aliyev laisse le pouvoir à son fils pour s’éteindre quelques mois après, il lui lègue un Azerbaïdjan doté des capacités financières et politiques nécessaires pour reprendre le contrôle de son territoire.

Ilham Aliyev est le vice-président du mastodonte énergétique SOCAR. Il connaît déjà très bien les liens étroits qu’entretiennent les gouvernements et les institutions internationales avec les grandes compagnies énergétiques mondiales. Ilham Aliyev va donc initier une deuxième phase de la reconstruction de son pays.

Il continue la politique de rapprochement avec l’OTAN qui, elle, soutient l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Il maintient le discours arménophobe officiel des institutions, et ira jusqu’à hisser en héros Safarov, un militaire azéri originaire des territoires occupés par l’Arménie qui assassina en 2004 à coups de hache un arménien à Budapest lors d’une réunion de l’OTAN.

Condamné à la perpétuité en Hongrie, Safarov fut libéré par Viktor Orban avant de recevoir la grâce présidentielle de la part d’Aliyev. Arrivé à Bakou il sera promu au rang de major et le ministère de la défense d’Azerbaïdjan lui fournira un appartement et plus de huit ans d’arriérés de salaire.

Ce discours arménophobe du pouvoir azerbaïdjanais, observé durant la guerre de 2020, n’a donc rien de nouveau : durant le conflit, Aliyev utilisait les termes « bêtes sauvages » et de « chiens » pour décrire les Arméniens. Un tel discours s’assortit d’une politique mémorielle : le cimetière arménien de Djoulfa (XVIe siècle) situé dans la région azerbaïdjanaise du Nakhitchevan fut détruit au début des années 2000, au même titre que de nombreuses églises et cimetières sur le territoire – notamment à Bakou. L’histoire officielle tente quant à elle de présenter la présence azérie dans la région comme antérieure à celle des Arméniens.

La femme du président Aliyev, Mehriban Aliyeva, se lance au reste dans une campagne de propagande internationale pour présenter l’Azerbaïdjan comme une « terre de tolérance », et ainsi légitimer l’offensive.

Grâce à l’entremise de la fondation Heydar Aliyev, elle réussit à devenir ambassadrice de bonne volonté à l’UNESCO, ce qui lui permet ensuite de convertir à ses vues certains membres du Conseil de l’Europe, grâce à la « diplomatie du caviar »1 : des parlementaires français, italiens, ou allemands, généreusement couverts de cadeaux azéris, se font alors les avocats de Bakou2.

L’Azerbaïdjan mobilise aussi les ressorts de la diplomatie sportive pour étendre sa toile : les premiers jeux européens (2015), et la finale de la coupe UEFA de football (2019) y sont ainsi organisés, non sans polémiques.

LA MARCHE VERS LA GUERRE ET L’ATTENTISME DES OCCIDENTAUX

De toute cette stratégie il ne manque plus que la pièce essentielle pour remporter la guerre : les armes et les hommes. L’Azerbaïdjan va se tourner vers d’autres partenaires, fort de grands moyens financiers. Depuis 2010, les achats d’armements de Bakou dépassent de plusieurs centaines de millions de dollars ceux de l’Arménie. Et à la différence de l’Arménie qui achète du matériel russe, les exportations d’armes vers l’Azerbaïdjan viennent d’Israël, de Turquie, d’Allemagne, ou encore des États-Unis3.

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Graphique par Jérôme Chakaryan Bachelier (en orange les dépenses militaires arméniennes, en bleu les dépenses militaires azéries)

En juillet 2020, des affrontements éclatent pour la première fois sur la frontière nord entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Suite à ces affrontements, le ministre des affaires étrangères Elmar Mammadyarov (proche de la Russie) est remplacé par le panturc Jeyhun Bayramov. Quelques semaines après son arrivée au poste, de nouveaux projets de collaborations militaires sont signés avec la Turquie et les troupes turques rentrent dans Nakhitchevan.

La Turquie va épauler une armée de plus de 100000 hommes dans l’accompagnement stratégique des armes modernes et envoyer des troupes au sol avec lesquelles elle occupe le nord de la Syrie. Des djihadistes, anciens combattants de Daech, vont être transférés et utilisés comme de la chair à canon dans un pays où la population pratique un islam apaisé4.

Alors que les preuves de crimes de guerre sont connues, répertoriées, sourcées par des Organisations non gouvernementales, l’Union européenne et les États-Unis décident de ne pas sanctionner le régime de Bakou.

Du 27 septembre au 10 novembre 2020, un déluge d’acier s’abat sur le Haut-Karabagh. L’Azerbaïdjan – qui refuse l’accord de cessez-le-feu international dans le cadre de la pandémie du COVID-19 – et la Turquie vont mener une guerre totale en bombardant nuit et jour la capitale Stepanakert. Les stations électriques, les points d’eau, les conduits de gaz sont bombardés, des images de décapitations et de maltraitance de prisonniers sont diffusées sur les réseaux sociaux ; des milliers de comptes vont appuyer la propagande officielle5. Face à cette offensive tous azimuts, l’Arménie se lance dans une contre-propagande qui aura pour conséquence de taire la situation catastrophique de l’armée arménienne.

Le 10 novembre 2020, les conditions de l’accord de cessez-le-feu final n’en seront que plus violentes. L’Azerbaïdjan a réussi à reprendre en quelques semaines tous les districts au sud du Haut-Karabagh, Chouchi et se trouve aux portes de la capitale Stepanakert.

Vladimir Poutine sonne la fin de l’humiliation après un bilan avoisinant les 6800 morts.

L’armée arménienne doit quitter l’Azerbaïdjan, un corridor de quelques kilomètres sous contrôle azéri – dont la Russie assure la sécurité – reliera l’Arménie au reste de l’ancien Oblast qui aura perdu une bonne partie de son territoire initial. Les troupes russes récupèrent comme cadeau empoisonné la sécurité de la centaine de milliers d’Arméniens en Azerbaïdjan. Le président Aliyev déclare dans une vidéo que Nikol Pachinian peut aller chercher le statut du Haut-Karabagh en enfer et qu’il a réussi à en chasser les Arméniens comme des « chiens ». Il réussit à obtenir comme condition un corridor entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan qui traversera le sud de l’Arménie.

Le 18 décembre 2020, l’Azerbaïdjan est reçu par le Conseil de coopération de l’Union européenne. M. Josep Borrell, haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, déclare à l’issue de la réunion que « L’UE souhaite conclure un nouvel accord global ambitieux avec l’Azerbaïdjan, fondé sur la démocratie, les droits de l’homme et les libertés fondamentales ».

Il ajoute : « cela contribuerait à diversifier l’économie de l’Azerbaïdjan, à renforcer nos relations commerciales et à élargir notre coopération ». Alors que les preuves de crimes de guerre sont connues, répertoriées, sourcées par des Organisations non gouvernementales6, l’Union européenne et les États-Unis décident de ne pas sanctionner le régime de Bakou.

Le 31 décembre 2020, la SOCAR – la firme pétrolière nationale d’Azerbaïdjan – dévoile à quel point le gaz azéri arrive directement sur le marché européen grâce aux gazoducs transadriatiques en Italie du sud, en Grèce et en Bulgarie, relié au fameux gazoduc transanatolien (TANAP) ; ainsi, l’Azerbaïdjan renforce son statut d’acteur incontournable de l’approvisionnement gazier de l’Union européenne.

Quelques semaines après la défaite arménienne, les journaux pro-Erdogan révélaient les réelles ambitions de la guerre. Un article publié par le quotidien Sabah, proche du pouvoir, évoquait ainsi le doublement de l’approvisionnement en gaz vers l’Union européenne en passant par le corridor au sud de l’Arménie et la connexion de ce projet de gazoduc au gazoduc transanatolien TANAP7. Il est aussi question de développer des lignes de chemins de fer afin de connecter la Turquie et l’ouvrir au marché asiatique.

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Caret Karabagh - Carte du cessez-le -feu du 10 Novembre 2020

L’accord de cessez-le-feu n’apporte aucunement la paix et ne résout en rien les tensions entre les différents groupes ethniques de la région. Il renforce de fait les régimes de Bakou et d’Ankara, et ne prévoit aucune clause satisfaisante pour la protection des minorités ethniques de la région – sans parler du retour des réfugiés.

Lors de la parade de la victoire à Bakou le 10 décembre 2020, Erdogan a eu les déclarations suivantes : « aujourd’hui, que les âmes de Nuri Pacha, Enver Pacha, et des braves soldats de l’Armée de l’Islam Caucasien, soient heureuses ». Les initiateurs du génocide arménien sont ici célébrés par Erdogan : il s’inscrit donc dans la filiation de Mustafa Kemal, qui rapatria les responsables du génocide pour en faire des héros nationaux. Le président azéri Aliyev, dans cette parade, rappelle que cette guerre n’est qu’une bataille et que le sud de l’Arménie ainsi que la région d’Erevan constituent à ses yeux des territoires azéris.

La célébration du génocide arménien par le président Erdogan, comme les déclarations racistes de son homologue azéri à l’encontre des Arméniens, ne laissent à ces derniers que peu d’options pour leur sécurité.

Selon de nombreux observateurs, la Russie sort renforcée de cette guerre. Pourtant, le cauchemar de la guerre de Tchétchénie dans le Caucase est dans tous les esprits et les troupes russes de maintien de la paix dans le Haut-Karabagh redoutent à tout moment un scénario comparable.

Du reste, il ne faut pas oublier la volonté affichée d’Ankara de se penser comme une nouvelle puissance régionale militaire et énergétique. Erdogan inscrit en effet son intervention au Haut Karabagh dans une stratégie régionale, visant à redessiner les lignes d’influence jusqu’au coeur de l’Europe : il tente de trouver de nouveaux champs pétroliers et gaziers en Méditerranée tout en planifiant le doublement des livraisons gazières vers l’Union européenne.

Cette stratégie se définit dans un contexte où le projet Nord Stream 2 censé relier la Russie directement à l’Allemagne est mort-né du fait des sanctions imposées par les États-Unis.

Dans ce conflit, les États occidentaux sont donc relégués sur le banc des spectateurs ; Vladimir Poutine a préféré négocier directement avec la Turquie un plan de paix plutôt qu’avec les autres membres du Groupe de Minsk, lesquels préfèrent vraisemblablement protéger les intérêts de leurs entreprises et laisser libre cours à l’Azerbaïdjan.

Notes :

  • 1 Sur la diplomatie du caviar, voir l’article général du Monde (Benoît VITKINE, « Diplomatie du caviar, comment l’Azerbaïdjan s’offre l’amitié de responsables politiques européens », Le Monde, 4 septembre 2017, au lien suivant : https://www.lemonde.fr/asie-pacifiq…

Jérôme Chakaryan Bachelier 21 avril 2021

Source : https://lvsl.fr/haut-karabagh-doubl…


Sources :

[1] senat.fr - Haut-Karabagh : dix enseignements d’un conflit qui nous concerne

RAPPORTS D’INFORMATION n° 754 (2020-2021), déposé le 7 juillet 2021 de M. Olivier CIGOLOTTI et Mme Marie-Arlette CARLOTTI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 7 juillet 2021

https://www.senat.fr/rap/r20-754/r2…’Azerba%C3%AFdjan.

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[2] Retour d’expérience : 44 jours sur le Haut-Karabagh https://www.areion24.news/2022/11/2…

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[3] Principales réalisations et avantages concrets de l’Union européenne https://european-union.europa.eu/pr…

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Réalisation : Anne-Laure Bonnel

Captation / montage : Anaïs Dupuis

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