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29 septembre 2023
Assawra
Dans la cour d’une école d’Alger, le jour de la rentrée, le 19 septembre 2023. AFP
Fin août, peu avant la rentrée, les autorités algériennes ont demandé aux responsables des établissements de ne plus enseigner de matière en français sous peine de sanction.
« Nous sommes dans le flou », soupire une professeure algérienne d’histoire qui a requis l’anonymat, comme les témoins ayant accepté de s’exprimer. Il y a quelques semaines, juste avant la rentrée scolaire du 19 septembre, l’établissement privé pour lequel elle travaille a été sommé par les autorités algériennes de ne plus enseigner le programme français aux élèves sous peine de sanctions. D’autres écoles à travers le pays sont dans le même cas. « Un coup de massue, résume une directrice. On ne sait pas quoi faire. »
Les vingt-deux écoles qui échangeaient avec l’ambassade de France à travers un label délivré par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), ont été particulièrement visées. Début août, ces établissements ont reçu un premier courrier, parfois transmis par un huissier de justice, informe une source, les « sommant de se retirer de ce label » sous peine de fermeture ou de poursuites pénales.
« On s’est exécutés », relate un directeur qui ne comprend toujours pas comment, ni pourquoi, une telle décision a été prise. D’autant qu’en juillet, son groupe scolaire avait reçu la visite « très ordinaire » d’une commission composée d’un représentant du wali (le préfet), de l’éducation nationale et d’un gendarme. Une inspection comme il en existe tant, notamment dans les villas aménagées en écoles devant répondre à certaines normes. « Tout était cordial, assure ce directeur. Il n’y avait pas de climat d’inquisition. On m’a juste demandé si j’avais le label. A la fin de la visite, on n’était pas inquiet. Alors, pourquoi une telle interdiction ? »
Jusqu’à cette rentrée, certaines écoles privées – l’Algérie en compte 586, selon un chiffre avancé par le ministre de l’éducation nationale, Abdelhakim Belabed, en 2021 – pouvaient en effet proposer aux élèves de suivre le programme français en plus du cursus national obligatoire en arabe. Un « double programme » jamais autorisé par la loi mais toléré au grand jour « avec la complicité des autorités », affirme un directeur.
« Ça n’a pas plus aux autorités »
En 2021, après les déclarations d’Emmanuel Macron sur le « système politico-militaire » algérien qui ont provoqué une grave crise diplomatique entre Paris et Alger, des inspecteurs de l’éducation nationale avaient déjà multiplié les contrôles inopinés dans les écoles privées pour s’assurer que le cursus national était bien enseigné et les pousser à abandonner le programme français. Certains établissements avaient choisi d’obtempérer, d’autres s’étaient résolus à fermer ou à changer de statut, passant de l’éducation à la formation, avec le risque que des élèves se retrouvent déscolarisés.
Au même moment, l’anglais commence à être imposé au sein d’institutions publiques dans le but de remplacer le français. La langue n’a, toutefois, pas été bannie : dans les écoles publique et privée, elle continue d’être enseigné à raison de 5 heures par semaine.
L’interdiction soudaine du programme français dans les établissements privés, s’il est un symptôme des tensions entre Paris et Alger, répond aussi à la volonté de mettre fin aux abus commis par certaines écoles, qui ont privilégié les matières françaises au détriment du programme algérien. Un enseignement parfois dispensé « de manière exclusive », reconnaît un professeur qui travaille dans le public et le privé. « Dans ces écoles, lors des inspections, il fallait cacher les manuels en français, ne pas les mettre dans les cartables des enfants car on pouvait les fouiller », confie-t-il. « Des élèves ne se présentaient pas au brevet ou au bac algérien, uniquement aux examens français, ça n’a pas plus aux autorités », ajoute une enseignante.
« Le CNED, c’était un visa pour eux »
Pour beaucoup de familles, le choc d’une telle annonce est rude. Face à l’absence de communication officielle, les parents d’élèves pensaient au départ qu’il s’agissait d’une simple rumeur. Aujourd’hui, ils sont désemparés. C’est le cas de Khelaf. Ce quadragénaire a dû quitter Alger pour s’installer à Tizi Ouzou, à 100 kilomètres, afin d’inscrire sa fille de 6 ans dans une école privée qui dispense le programme français. « Cet été, toutes les écoles de la capitale m’ont envoyé balader. On m’a fait comprendre que de récentes instructions reçues leur interdisaient formellement de l’enseigner, raconte-t-il. A Tizi Ouzou, on m’avait assuré au moment de l’inscription que ça passerait. L’école pensait pouvoir contourner l’instruction. » Seulement, le jour de la rentrée, l’établissement n’a pas été en mesure de proposer le programme français.
La décision des autorités algériennes est d’autant plus mal ressentie qu’elle coïncide avec une autre réforme, française cette fois, concernant le Centre national d’enseignement à distance (CNED). Jusqu’à cette rentrée, les Algériens pouvaient s’y inscrire et passer le bac français via le CNED-réglementé, ce qui leur ouvrait la possibilité de s’inscrire directement sur la plate-forme Parcoursup pour accéder à l’enseignement supérieur français. Quelque 3 000 élèves en Algérie étaient concernés, le plus important contingent au monde. « Le CNED, c’était un visa pour eux », lance un enseignant. Le nouveau système ne le permet plus.
« Au final, la victime est l’élève algérien, tonne une enseignante. Beaucoup ne maîtrisent pas l’arabe parce qu’ils n’ont suivi que le programme français. Pour les primaires, c’est récupérable. Mais les collégiens ou les lycéens ne seront pas en mesure de suivre le cursus national. » Pour continuer à étudier le programme français, des cours sont désormais organisés dans des maisons de parents ou lorsqu’il n’y a pas classe. On envoie aussi les extraits de manuel de français sur les téléphones par précaution. Tout se fait en cachette. On évoque aussi « l’idéologie » et « l’hypocrisie » des dirigeants du « système », qui, chaque rentrée scolaire, multiplient les sollicitations pour inscrire leurs enfants au lycée international français Alexandre-Dumas, à Alger.
Dans cet établissement qui compte 2 183 élèves, dont 1 008 Français incluant 855 binationaux, la pression est excessive : jusqu’à 56 demandes pour une place pour certaines classes. Pour faire face à cette explosion, la France a, selon nos informations, proposé aux autorités algériennes d’ouvrir un second lycée français à Alger. Pour l’instant, les discussions n’ont pas abouti.
Par Mustapha Kessous et Ténéré Majhoul
Le Monde du 28 septembre 2023