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MBS - Mohammed Ben Salmane, le prince noir d’Arabie Saoudite

vendredi 28 décembre 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 28 décembre 2018).

Mohammed Ben Salmane, le prince noir

27 décembre 2018

Assawra

L’Occident s’est laissé prendre aux promesses d’ouverture de l’héritier du trône saoudien. Avec l’assassinat de Jamal Khashoggi, le mirage s’est dissipé.

Ils ont planifié sa mort. Ils ont même fait venir un professeur de médecine, un dingue, pour découper son cadavre. » Au Forum de Doha, au Qatar, le dimanche 16 décembre, Mevlut Çavusoglu, ministre turc des Affaires étrangères, décrit minutieusement le meurtre de Jamal Khashoggi à un parterre de diplomates, d’hommes d’affaires et de journalistes médusés. Deux mois se sont écoulés depuis que, au sein du consulat saoudien d’Istanbul, un commando à la solde du prince héritier Mohammed Ben Salmane a tué le journaliste proche des Frères musulmans. Et la nature du crime fascine toujours autant… « J’ai moi-même écouté la bande sonore du meurtre, dit le ministre qui semble profondément marqué. Nous l’avons envoyée à tous les pays qui le souhaitaient, même aux Saoudiens en leur demandant de nous aider dans l’enquête. Ils nous ont opposé une fin de non-recevoir. » Les Turcs ont trouvé l’occasion de ravir au grand rival saoudien le statut de leader du monde sunnite. Les Qataris sont heureux d’exposer les méthodes barbares de ce voisin qui leur impose depuis dix-huit mois un blocus économique et aérien. Téhéran se frotte les mains de voir le royaume des Saoudiens affaibli.

La présence en nombre, à Doha, d’Iraniens, emmenés par leur ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, suffit à prouver que Riyad a échoué à couper les liens entre le Qatar et l’Iran. En nombre également, les Américains, plus embarrassés. Leur président refuse de lâcher le prince héritier mais, en bon businessman, profite du climat pour exiger une baisse des cours du brut. De 76 dollars fin octobre, le baril vient de passer sous les 50 dollars. Le Sénat américain se montre moins cynique. Le 13 décembre, sur la foi d’informations fournies par la CIA, il a voté deux résolutions, la première demandant l’arrêt du soutien logistique à la guerre au Yémen, la seconde condamnant nommément le prince comme le donneur d’ordre de l’assassinat.

Riyad a aussitôt accusé les Américains d’ingérence. Le torchon brûle comme jamais entre les deux alliés historiques. Même le pacte signé à bord du croiseur « USS Quincy » par Roosevelt et Ibn Saoud, qui garantissait la protection américaine en échange d’un approvisionnement illimité, paraît fragilisé. Dans une interview au « Washington Post », Trump avoue que la raison de la présence américaine au Moyen-Orient est uniquement Israël. Il avertit : « Le pétrole l’est de moins en moins, parce que nous en produisons comme jamais auparavant. A un moment, nous franchirons une étape où nous n’aurons plus besoin de rester là-bas. » Les Saoudiens apprécieront. Ils n’ont pas oublié que, lors de sa dernière visite, Trump avait glissé au roi : « Vous ne seriez peut-être pas là plus de deux semaines sans nous. »

Dans un premier temps, l’Occident tombe sous son charme

Tout avait pourtant si bien commencé pour MBS… « Quel plaisir d’avoir dîné avec le prince héritier d’Arabie saoudite et de l’avoir écouté parler de sa vision enracinée mais moderne du monde », twitte l’acteur Dwayne Johnson en avril 2018. Le prince héritier achève à Hollywood une tournée triomphale. Toujours enthousiaste, la star continue : « J’ai hâte de me rendre en Arabie saoudite. J’apporterai ma tequila préférée pour la partager avec son Altesse royale et sa famille », révélant ainsi un péché mignon qui, de ce côté du monde, serait plutôt un péché mortel. En réalité, cet « outing » colle avec l’image de réformateur que MBS cherche à adresser à l’Occident, même si ça lui vaut de faire grincer quelques dents en Arabie. Epaulé par des communicants grassement payés et des « think tanks » puissants, MBS ne lésine pas sur son opération de séduction.

Lorsqu’il est apparu, poussé par son père, le roi Salmane, la plupart des dignitaires des grands pays, Donald Trump en tête, sont tombés sous le charme de ce trentenaire au large sourire et au regard intense. Le gendre du président américain, Jared Kushner, qui est aussi son conseiller pour le Moyen-Orient, a même développé une solide amitié avec le prince. Confondant jeunesse avec progressisme, l’Amérique se prend à rêver. MBS prône un islam modéré et proclame : « Nous sommes là pour détruire l’extrémisme. » Il a promis d’octroyer le permis de conduire aux femmes et de leur autoriser l’accès aux cinémas et aux stades. Avant, il prend tout de même la précaution de faire arrêter neuf militantes du droit à conduire. Juste pour éviter qu’elles lui volent la vedette au moment de l’annonce. A ce jour, elles sont toujours détenues. Certaines ont été torturées…

L’éditorialiste du « Washington Post » David Ignatius explique que MBS administre à son pays une « thérapie de choc ». « Comme Steve Jobs avec le Smartphone, nous essayons de créer quelque chose de totalement nouveau », confirme MBS sans modestie. Il est friand de nouvelles technologies et aime le montrer. En effet, pour 55 millions de dollars, les Saoudiens ont fait l’acquisition, auprès de la société israélienne NSO, d’un logiciel permettant de s’introduire dans n’importe quel téléphone portable et d’activer son enregistreur ou sa cellule vidéo. Ce qui leur permet de mettre en place une surveillance d’opposants comme le dissident Omar Abdulaziz, basé à Montréal, ou Jamal Khashoggi, mais aussi de certains alliés stratégiques comme le Premier ministre libanais Saad Hariri.

Pendant ce temps, la lune de miel continue entre MBS et l’Occident. Les médias passent sous silence les 81 décapitations au sabre pratiquées depuis le début de l’année. La dépendance au pétrole vaut bien quelques têtes. En Orient, elles tombent ; en Occident, elles se détournent. Même quand le Qatar est traité de sponsor du terrorisme et des Frères musulmans par les Saoudiens. Un comble quand on sait que la progression du wahhabisme reste la matrice de l’idéologie djihadiste ! Même quand, depuis trois ans, le Yémen, autrefois surnommé l’Arabie Heureuse, est plongé dans la famine et les épidémies. Les Saoudiens sont de si bons clients pour les armes… La Syrie constitue un paravent idéal pour éclipser la guerre conçue par MBS alors qu’il était ministre de la Défense.

Les rumeurs sur sa destitution bruissent

En novembre 2017, le prince héritier entame une purge à domicile. Au nom de la lutte contre la corruption, il va séquestrer des dizaines de princes et d’hommes d’affaires dans un hôtel de luxe, le Ritz-Carlton de Riyad. Les vieilles ficelles des dictatures lorsqu’elles veulent liquider leurs opposants. L’Occident s’indigne, timidement. On lui trouve encore des excuses : MBS s’attaquerait à des conservateurs rétrogrades et corrompus. Un geste dans lequel Thomas Friedman voit les signes d’un « printemps saoudien ». L’éditorialiste du « New York Times » a passé quatre heures chez le prince, dans une banlieue nord de Riyad. Pour lui, MBS est un personnage controversé mais sincère et audacieux. Le 4 novembre, coup de théâtre. Depuis Riyad, le Premier ministre libanais Saad Hariri annonce sa démission. A l’antenne, Hariri semble contraint de lire un message qu’il n’a pas écrit. Nous l’avons rencontré à son retour à Beyrouth. « Si j’avais été détenu, je ne serais pas ici à vous parler », nous soutenait-il. En réalité, comme le prouve une enquête du « New York Times », Saad Hariri a bel et bien été séquestré par les hommes de main de MBS, obligé de donner son téléphone portable, peut-être même frappé comme un vulgaire malfrat. En faisant pression sur Hariri, MBS avait imaginé faire plier l’ennemi iranien et contrer l’influence que la guerre en Syrie a fait gagner au Hezbollah libanais.

Le prince héritier serait-il à la fois impitoyable et naïf ? Car les Libanais font bloc et leur président, Michel Aoun, soutenu par le même Hezbollah, en sort renforcé. C’est lors de l’opération Hariri qu’apparaît pour la première fois Saoud Al-Qahtani. Il est l’homme des basses œuvres de MBS, celui qui pilotera la séquestration des princes, l’arrestation des activistes féministes et, via Skype, en direct du consulat saoudien à Istanbul, le meurtre de Jamal Khashoggi : « Apportez-moi la tête de ce chien », aurait-il dit. Et ses hommes de main auraient littéralement obéi… « Je suis un employé et j’exécute fidèlement les ordres de mon seigneur le roi et de mon seigneur le prince héritier », écrivait Qahtani cet été sur Twitter. Qatar, Yémen, Liban, MBS agit comme un chef bédouin face à des tribus récalcitrantes. Chaque fois, c’est un désastre dont profite l’ennemi iranien, contre qui toutes ces opérations sont dirigées. Rien, pourtant, ne semble remettre en cause le soutien de l’Occident. Quelques pays, comme la Suède, ont bien cessé leurs exportations d’armes. Partout ailleurs, on respecte le principe du client qui a « toujours raison ». « Yémen : on met des silencieux à nos canons pour ne pas vous déranger… », ironise le dessinateur Mric dans « Siné mensuel », tandis que son confrère Willem croque, dans « Libération », un Saoudien qui, armé d’une kalachnikov sur un champ de ruines, déclare : « On a encore sauvé des emplois en France. »

A la mi-octobre 2018, le clan des Saoud s’est réuni. Des rumeurs sur une destitution du prince bruissent. Un nom circule. Celui de son frère, l’actuel ambassadeur saoudien à Washington, Khalid Ben Salmane. Moins ambitieux, plus « low profile ». Il y a juste un problème. La CIA affirme avoir intercepté une conversation où Khalid Ben Salmane encourageait Jamal Khashoggi à se rendre au consulat saoudien… Il aurait ensuite averti Riyad, qui a déclenché l’opération.

Régis Le Sommier - Paris Match - jeudi 27 décembre 2018

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