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Il existe des journalistes dignes de ce nom

vendredi 3 mai 2019, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 3 mai 2019).

Indépendants et engagés

https://www.politis.fr/articles/201…

Article paru dansPolitis N° 1551

Du 2019-05-01 15:00:53

Par Denis Sieffert

Des journalistes convoqués aux commissariat ou à la DGSI, un autre placé en garde à vue… ces événements nous invitent, ces jours-ci, à méditer sur la fragilité des libertés publiques.

Il se passe décidément de drôles de choses dans notre belle démocratie. Trois événements d’inégale gravité nous invitent, ces jours-ci, à méditer sur la fragilité des libertés publiques. Un journaliste placé en garde à vue et interdit d’exercer son métier parce qu’il a fait un doigt d’honneur à des policiers ; trois autres qui sont convoqués par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) parce qu’ils ont révélé que les armes que vend la France à l’Arabie saoudite – pays notoirement en guerre – ne sont pas destinées à figurer dans un musée, mais à tuer ; et plus léger, on oserait presque dire, plus cocasse : trois journalistes sarthois convoqués à la gendarmerie pour avoir « couvert » le décrochage du portrait officiel d’Emmanuel Macron par de dangereux militants écologistes. Énumération non exhaustive, car il faudrait, bien sûr, parler des nombreux journalistes qui ont été blessés par des policiers depuis le début du mouvement des gilets jaunes. Et tant d’autres, non journalistes. Mais, pour une fois, c’est de notre métier qu’il sera question ici.

Revenons donc à l’auteur du coupable doigt d’honneur, le reporter d’images Gaspard Glanz. Il devra répondre de son geste devant un tribunal, le 18 octobre 2019. Lui, et pas le policier (ou le gendarme) auteur du jet de grenade de désencerclement qui a provoqué son mouvement d’humeur. Il n’est donc pas absous, même si, lundi, le tribunal correctionnel de Paris a levé l’interdiction professionnelle dont l’avait frappé un juge dit « des libertés et de la détention », après une interminable garde à vue.

Certes, parmi les désordres du monde, son affaire n’est pas la plus tragique. Mais elle n’est pas non plus tout à fait anodine, car elle soulève quelques principes auxquels, à Politis, nous sommes fortement attachés. D’abord parce que les poursuites dont Gaspard Glanz fait l’objet sont ouvertement politiques. C’est le Parquet, autrement dit le ministère de la Justice, qui a saisi ce juge « de la détention ». Petite cause, grands effets. Petit « crime », grosse répression. Mais derrière ça, il y a une autre question qui nous intéresse bigrement : pour ses accusateurs, Glanz, parce qu’il court les manif, traque les violences policières, et ne cache pas son engagement social, n’est pas vraiment journaliste. Pas assez « propre » sur lui, pas assez « objectif ». Pas assez chroniqueur sur BFM… Il est traité comme un délinquant. Fiché « S », comme un terroriste. Mais qu’est-ce donc, pour eux, que le journalisme ? Pour nous, c’est, heureusement, cent métiers en un seul. Pourvu que l’on ne torde pas les faits par idéologie, bref, que l’on recherche honnêtement et rigoureusement la vérité, libre à chacun de choisir, en toute indépendance, son angle et – littéralement – son point de vue. D’ailleurs, qui ne le choisit pas ? Qui n’a pas d’opinion ? Mieux vaut parfois l’afficher que s’en défendre.

Autre cas, autre situation. Trois journalistes d’investigation, qui ont publié sur le site Disclose un rapport de la Direction du renseignement militaire, ont eux aussi maille à partir avec le pouvoir. Le document en question informait le gouvernement de l’usage qui était fait au Yémen de nos Mirage 2000, de nos chars Leclerc, et autres canons d’artillerie, vendus à l’Arabie saoudite. À vrai dire, nous ne sommes pas surpris à Politis, nous qui avons publié deux dossiers sur le scandale de ces ventes d’armes. Nul ne peut feindre d’être étonné que ces « bijoux » de notre haute technologie répandent la mort, non seulement parmi les rebelles houthis, mais aussi parmi les civils qui peuplent les zones sous leur contrôle. Mais ce qui est intolérable au gouvernement, c’est la preuve que l’on sait. La preuve absolue qu’un ministre ment lorsqu’il prétend, ridiculement, que nos armes ne franchissent jamais la ligne de front. La suite est d’un classicisme affligeant. Les journalistes sont convoqués, mi-mai, par la DGSI, qui leur demandera, évidemment en vain, de dénoncer leur source. Confondre les journalistes avec des auxiliaires de police, c’est le rêve éternel des pouvoirs. Notre gouvernement, qui se voulait si singulier et si nouveau, est en cette matière comme en tant d’autres d’une grande banalité.

Quant à notre troisième exemple, il devrait seulement prêter à sourire aux dépens des Pandores qui ont convoqué des journalistes coupables d’avoir narré un tout petit crime de lèse-majesté. Ah, si les journalistes pouvaient ne pas exister ! Le pouvoir politique s’en porterait mieux, lui qui pratique si souvent l’art de la dissimulation. Montrer, révéler, décrypter, c’est la noblesse de ce métier, quand il n’est pas journalisme d’accompagnement lié aux pouvoirs par de multiples, et parfois invisibles, liens de dépendance. Ce journalisme « indépendant et engagé » – c’est un peu notre devise à Politis –, nous nous efforçons de le pratiquer au mieux que nous pouvons. Il y a tant de vérités à rétablir en ces temps de crise sociale, de mesures faussement égalitaires, où le plan gouvernemental ressemble de plus en plus à une vaste partie de bonneteau : je donne par-ci et je reprends par-là…

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