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Pour faire plaisir à Trump, le New York Times censure les caricatures politiques

jeudi 13 juin 2019, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 13 juin 2019).


Quand on attaque le dessin de presse, c’est la liberté qu’on attaque

https://www.letemps.ch/culture/on-a…

Patrick Chappatte
Publié mardi 11 juin 2019 à 18:19
modifié mardi 11 juin 2019 à 21:55

Le « New York Times » ne publiera plus aucune caricature à compter du 1er juillet. Notre dessinateur Patrick Chappatte, qui dessine aussi pour l’emblématique quotidien américain, sonne l’alarme : nés avec la démocratie, les dessins politiques sont attaqués quand la liberté l’est

Toute ma vie professionnelle, j’ai été guidé par cette idée : la liberté unique du dessin de presse doit s’accompagner d’un grand sens des responsabilités.

Après avoir livré des dessins deux fois par semaine depuis plus de vingt ans dans l’International Herald Tribune d’abord, puis dans le New York Times, et reçu trois prix de l’OPC (Overseas Press Club of America) dans cette catégorie, je pensais que la cause des caricatures politiques était entendue (dans un journal qui leur était notoirement réticent dans le passé). Ça, c’était avant.

En avril 2019, une caricature de Netanyahou distribuée par une agence d’illustration à laquelle le NYT était abonné, et qu’il publia dans ses éditions internationales a déclenché une indignation générale, des excuses du Times et la résiliation des contrats de syndication. A présent, un mois plus tard, le journal annonce la fin des dessins de presse maison au 1er juillet. Je pousse un soupir en posant mon crayon : tant d’années de travail, anéanties par un seul dessin – même pas de moi – qui n’aurait jamais dû être publié dans le meilleur journal du monde.

Je crains que l’enjeu, au-delà des caricatures, soit plus généralement le journalisme et la presse d’opinion. Nous vivons dans un monde où la horde moralisatrice se rassemble sur les médias sociaux et s’abat comme un orage subit sur les rédactions. Cela oblige les éditeurs à prendre des contre-mesures immédiates, paralyse toute réflexion, bloque toute discussion. Twitter est un lieu de fureur, pas de débat. Le ton de la conversation est donné par les voix les plus déchaînées, et les foules en colère suivent.

Ces dernières années, avec la Fondation Cartooning for Peace, créée avec le dessinateur français Plantu et feu Kofi Annan – un grand défenseur de la caricature – ou au « board » de l’Association des caricaturistes américains, j’ai constamment mis en garde contre le danger de ces tempêtes qui emportent tout sur leur passage. Si les dessins de presse sont une cible de choix, c’est en raison de leur nature et de leur visibilité : ils condensent une opinion, ce sont des raccourcis visuels qui ont une capacité sans pareil à frapper les esprits. C’est leur force, et leur faiblesse. Mais je crois que les dessins sont surtout un révélateur. Souvent, la véritable cible, derrière la caricature, c’est le média qui l’a publiée.

Les dessins politiques sont nés avec la démocratie. Et ils sont attaqués quand la liberté l’est

En 1995, quand j’avais vingt et quelques ans, je suis allé vivre à New York avec ce rêve fou : convaincre le New York Times d’avoir des dessins de presse. « Nous n’avons jamais eu de caricatures politiques et nous n’en aurons jamais », m’a dit un directeur artistique. Mais j’étais têtu. Pendant des années, j’ai dessiné pour les pages Opinion et Livres du New York Times, puis j’ai persuadé l’International Herald Tribune (joint-venture du NYT et du Washington Post basée à Paris) d’avoir leur propre dessinateur de presse. Et dès 2013, après l’absorption de l’IHT par le NYT, j’y étais enfin : publié sur le site web du NYT, sur ses médias sociaux et dans ses éditions papier internationales. En 2018, nous avons commencé à traduire mes dessins sur les sites internet chinois et espagnol du NYT. L’édition papier américaine restait le dernier bastion. Sorti par la porte, j’étais revenu par la fenêtre. Et j’avais donné tort à ce directeur artistique : le New York Times a eu du dessin de presse. Maison. A un moment de son histoire, il a osé.

Aux côtés de The Economist et l’excellent Kal, le New York Times était l’un des derniers représentants du dessin de presse international – cela avait un sens, pour un journal américain qui se veut influent dans le monde. Les dessins sautent les frontières. A présent, qui montrera le roi Erdogan nu, quand plus un seul dessinateur turc ne peut le faire ? L’un d’eux, notre ami Musa Kart, est maintenant en prison. Des caricaturistes du Venezuela, du Nicaragua et de Russie ont été contraints à l’exil. Ces dernières années, certains des meilleurs caricaturistes des Etats-Unis, comme Nick Anderson et Rob Rogers, ont perdu leur emploi parce que leurs éditeurs jugeaient leur travail trop critique envers Trump. On devrait peut-être commencer à s’inquiéter. Et à riposter. Les dessins de presse sont nés avec la démocratie. Et ils sont attaqués quand la liberté l’est.

« Jamais le pouvoir des images n’a été aussi grand »

Curieusement, je reste positif. Nous sommes à l’ère des images. Dans un monde à courte durée d’attention, jamais leur pouvoir n’a été aussi grand. Des nouveaux champs de possibles s’ouvrent, non seulement en matière de dessins de presse, imprimés ou animés, mais aussi dans de nouvelles formes, comme les conférences dessinées sur scène ou les reportages en bande dessinée – un genre que je défends depuis vingt-cinq ans. (Je suis d’ailleurs heureux d’avoir fait entrer le BD reportage au NYT avec une série dans les couloirs de la mort en 2016. L’année suivante, un autre BD reportage sur les réfugiés syriens, de Jake Halpern et Michael Sloan, a valu un Prix Pulitzer au NYT.) Nous sommes aussi à une période où les médias ont besoin de se renouveler et de toucher de nouveaux publics. Il faut juste cesser de craindre la foule en colère. Dans ce monde de fous qui est le nôtre, l’art du commentaire visuel est plus que jamais nécessaire. Tout comme l’humour.


Dessin de presse : fini de rire

https://www.letemps.ch/monde/dessin…

Valérie de Graffenried
Publié mardi 11 juin 2019 à 21:53
modifié mercredi 12 juin 2019 à 07:37

Le « New York Times » déclenche de vives réactions en renonçant aux caricatures politiques. Directement visé par la mesure, Patrick Chappatte s’inquiète pour la liberté d’expression. Et celle des dessinateurs de presse

Quand l’humour est stoppé dans son élan, que reste-t-il ? « Il n’y a pas de limites à l’humour qui est au service de la liberté d’expression car, là où l’humour s’arrête, bien souvent, la place est laissée à la censure ou à l’autocensure », disait Cabu, en 2012, trois ans avant de mourir assassiné dans l’attentat djihadiste contre la rédaction de Charlie Hebdo. La décision du New York Times de renoncer aux caricatures politiques provoque un déluge de réactions. Et des craintes, surtout. Pour la liberté d’expression, l’indépendance des médias et la démocratie. Le dessin de presse est-il mort ? Ou, au contraire, plus puissant que jamais ?

Un dessin jugé antisémite

Plusieurs fois primé, Patrick Chappatte collaborait depuis plus de vingt ans avec l’International Herald Tribune d’abord, puis le New York Times, dans sa version en ligne et internationale. Il doit désormais en faire le deuil. Il s’est fendu d’une longue explication sur son blog. « Peut-être devrions-nous commencer à nous inquiéter. Et nous rebeller. Les dessins de presse sont nés avec la démocratie et ils sont attaqués quand la liberté l’est », écrit-il. Patrick Chappatte, qui croque régulièrement l’actualité pour Le Temps, est l’un des deux dessinateurs touchés. L’autre est le Singapourien Heng Kim Song.

Un dessin publié en avril représentant le premier ministre israélien une étoile de David autour du cou et tenu en laisse par Donald Trump a agi comme l’allumette devant un bidon d’essence. Jugée antisémite, la caricature du Portugais Antonio Moreira Antunes a déclenché une vive controverse, amplifiée par les réseaux sociaux. Très vite, le New York Times l’a censurée. Le directeur de publication A. G. Sulzberger a présenté des excuses et annoncé la fin de la collaboration avec les cartoonistes syndiqués sans lien avec le journal.

Lundi, le New York Times a fait un pas de plus, radical. Mais James Bennet, le responsable de la section Opinions, précise, dans une déclaration écrite, que la décision était en gestation déjà avant la polémique. « Cela fait plus d’un an que nous envisageons d’aligner l’édition internationale sur la version nationale en mettant fin aux caricatures politiques quotidiennes, et nous le ferons à compter du 1er juillet », dit-il, sans donner plus dans les détails. Il assure que le journal « continuera d’investir dans des formes de journalisme d’opinion, y compris visuel, qui expriment la nuance, la complexité et une voix forte d’une diversité de points de vue ».

Victimes de censure

Vraiment ? Aux Etats-Unis, plusieurs cartoonistes ont été victimes de censure pour n’avoir pas ménagé Donald Trump. Nick Anderson et Rob Rogers ont même perdu leur emploi. Dans ce contexte, la décision du New York Times agit comme un clou supplémentaire enfoncé dans le cercueil du dessin politique. Ann Telnaes, caricaturiste pour le site du Washington Post et lauréate du Prix Pulitzer du dessin de presse en 2001, a dans la foulée annulé son abonnement online. « Le New York Times ne soutient plus les caricaturistes depuis des années. Sa dernière décision d’abandonner toutes les caricatures éditoriales est une indication supplémentaire de leur incompréhension de l’objectif du dessin de presse et de son rôle essentiel dans une presse libre », indique-t-elle au Temps.

Liza Donnelly est tout aussi inquiète et amère. Elle dessine pour plusieurs médias, dont le New Yorker, le New York Times, CNN et CBS. « Chappatte est l’un des meilleurs du monde », commente-t-elle. « Les caricatures peuvent être controversées et nous, les dessinateurs, pouvons être mal compris. Mais la liberté d’expression est cruciale sous toutes ses formes – écrites ou dessinées. J’ai peur que renoncer à des dessins de presse soit un choix fondé sur la crainte de ne pas savoir comment ils seront perçus par le public. Les meilleurs caricaturistes ne travaillent pas en recourant à des stéréotypes ou à des tropes. Comme Chappatte, ce sont des gens réfléchis qui regardent le monde et donnent leur avis. Nous ne pouvons pas perdre cette précieuse contribution ! »

Plus âgé, le dessinateur Jeff Danziger, qui a été livreur de journaux pour le New York Times, affirme avoir cessé d’essayer de comprendre le journal. « Mais je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec la liberté de la presse. Le Times est très héroïque lorsqu’il s’agit de s’opposer aux ingérences du gouvernement. L’explication est générationnelle. » Sur Twitter, Matt Wuerker, dessinateur chez Politico, lance un appel : « Nous avons besoin de @PatChappatte et d’humour politique – maintenant plus que jamais ! Faites-le savoir au Times. »

***

Chappatte : « Il est temps de se réveiller pour ne pas laisser gagner ceux qui crient le plus fort »

Le New York Times (NYT) a publié dans son édition internationale du 25 avril un dessin de presse représentant le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou en chien d’aveugle, tenu en laisse par un Donald Trump aveugle et portant une kippa. Cette caricature a engendré la fureur des lecteurs, des excuses du journal, puis la suppression des dessins de presse politiques dans ses pages. Un choix « regrettable » pour Chappatte, dessinateur de presse pour le NYT, Le Temps et la NZZ.

Le Temps : Suite à sa publication, le « NYT » a décidé de renoncer aux dessins de presse. L’avez-vous senti venir ?

Chappatte : Depuis 2013, nous étions deux dessinateurs à l’interne : moi, qui faisais deux dessins par semaine, et un dessinateur de Singapour, qui réalisait un dessin sur l’Asie. Les autres jours, le journal reprenait des dessins d’agence du monde entier. On jouissait d’une grande visibilité, car on était repris sur le site web, les réseaux sociaux et mes dessins étaient même traduits depuis l’an dernier en espagnol et en chinois. Mais, quand ce dessin d’un collègue portugais est paru, le NYT a géré ce problème en cascade et cela a jeté un froid sur toute la profession.

Il y a encore un mois je recevais un prix pour un dessin publié dans ce journal et les félicitations de l’éditeur. Il y a une relation de cause à effet regrettable. Je suis entré dans ce média par la fenêtre, il y a plus de vingt ans. La position historique du NYT était de ne pas avoir de dessin de presse, comme s’il n’était pas suffisamment subtil ou contrôlable. C’est un retour en arrière ! Ils en ont le droit, bien sûr, mais le contexte dans lequel ça s’est fait laisse un goût très désagréable. Le terrain est devenu très glissant. C’est dommage de réagir ainsi, car cela envoie de mauvais signaux. Le NYT est un étalon auquel les médias se réfèrent. Et il est aujourd’hui un bien triste exemple.

Pourquoi avoir annoncé sur votre site, en primeur, l’arrêt des dessins de presse ?

La gestion de cette crise est symptomatique. Il y a un mois, quand ce dessin sur Netanyahou est paru, des internautes étaient choqués à juste titre, et sont tombés sur le NYT. Le fils de Trump a retweeté, Trump aussi, puis Fox News et Breitbart en ont parlé. Le journal a regretté, s’est excusé, mais cela n’a pas été accepté par la foule en furie. Le NYT a publié deux éditoriaux, dont un très dur de Bret L. Stephens, mais il n’y a pas eu d’analyses, de recul, sur cette situation. Pourquoi est-ce arrivé ? Qu’est-ce qu’un dessin ? Et pourquoi celui-ci est-il problématique ? Quelques jours après, l’éditeur a annoncé l’arrêt de l’utilisation de dessins d’agence. Ils voulaient encore garder les dessinateurs internes. Je pensais que le gros de l’orage était passé.

Mais ils avaient géré cette histoire de manière tellement défensive que je ne voyais pas comment arriver à faire du dessin de presse normalement. Cela a légitimé toutes les attaques dont les réseaux sociaux sont coutumiers. Puis, ils m’ont fait savoir qu’ils allaient arrêter les dessins de presse en juillet. J’ai décidé de partir tout de suite, car le charme était rompu. J’ai alors publié ce texte, même s’ils n’avaient pas encore communiqué sur cette décision, car cela va bien au-delà de moi et du dessin de presse. Dans ce monde on est prompt à être choqué. Les premières voix, les plus outragées, qui se font entendre sur les réseaux sociaux définissent toute la discussion. Celles qui se sont exprimées en premier, il y a un mois, ont défini ce qu’était le NYT. Le journal était emprisonné dans ces filets. Paradoxalement, les rédactions ne semblent pas être préparées face à la foule enragée qui mène des croisades morales sur internet.

Quelle est la situation des dessinateurs de presse aux Etats-Unis ?

Elle est inquiétante. Deux des meilleurs dessinateurs, selon moi, ont perdu leur job, car leurs éditeurs ou chefs de rubrique étaient pro-Trump et trouvaient que leurs dessins étaient trop critiques envers le président. C’est aussi arrivé à un ami du Los Angeles Times, dont le propriétaire est aussi fan de Trump, qui lui, a été contraint de partir. S’il est réélu et obtient une majorité dans la foulée au Congrès, on entrera dans une période vraiment dangereuse pour la démocratie. Les libertés sont testées, même là où on les croyait acquises.

C’est pour cela qu’il y a de telles réactions sur les réseaux, des désabonnements et des appels à écrire au NYT. Les Américains le ressentent et s’inquiètent. En fin de compte, une caricature de Trump, pour ou contre, cela revient au même : parler de lui. Mais les hommes forts ont le cuir très fin et ses supporters arrivent à obtenir des succès en déclenchant leur furie. Il est temps qu’on se réveille pour ne pas laisser la partie être gagnée par ceux qui crient le plus fort. Les dessins sont des prétextes, il faut s’inquiéter de ce que cela révèle. Au-delà d’eux, c’est le journalisme qui est visé par cette rage. Il faut que les rédactions soient préparées et gardent leur sang-froid.

Propos recueillis par Chamz Iaz

***

Les caricaturistes sont en première ligne

Lorsque la tempête se lève sur les médias, les caricaturistes sont souvent les premiers à sauter. C’est le constat tiré par la Fondation Cartooning for Peace (Dessins pour la paix), une organisation lancée en 2006 à l’initiative de l’ancien secrétaire général de l’ONU, décédé l’an dernier, Kofi Annan après l’affaire des caricatures de Mahomet publiées par le journal danois Jyllands-Posten et qui avaient enflammé le monde musulman.

« Tout a changé avec les réseaux sociaux, relate Jean Plantu, le caricaturiste du journal français Le Monde et président de Cartooning for Peace. Les dessins publiés par un petit journal danois ont été vus dans le monde entier. Il a suffi d’y ajouter un commentaire pour manipuler les esprits. » Selon le dessinateur, cet effet d’amplification a créé une « nouvelle censure » contre laquelle les démocraties sont loin d’être immunisées, comme le montre la décision du New York Times. « Donald Trump en rêvait, le Times l’a fait », se désole Jean Plantu.

Contrairement aux journalistes, les statistiques manquent pour les dessinateurs emprisonnés. « Actuellement nous nous occupons de trois cas, le Turc Musa Kart, le dessinateur chinois exilé Badiucao, qui vient de révéler son identité mais qui craint d’être harcelé, ainsi que le caricaturiste nicaraguayen menacé Pedro X. Molina », informe Terry Anderson, directeur adjoint d’une autre organisation de défense des caricaturistes, Cartoonists Rights Network International. Depuis sa création, il y a vingt ans, cette association a eu connaissance d’une centaine de dessinateurs menacés dans le monde.

Simon Petite

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