Etienne Chouard s’énerve sur l’ouverture des frontières.
(vidéo 5’38’’)
https://www.youtube.com/watch?v=edQ…
« Absolument tout ce qui est vivant a besoin vitalement d’une limite : la membrane de la cellule, l’écorce du végétal, la peau de l’animal (y compris de l’animal humain), la frontière du corps social… PERMETTENT LA VIE.
Rien ne vit sans frontière.
Si on retire sa limite à un être, on lui retire sa vie, mécaniquement, forcément.
Si tu supprimes la frontière d’un être, tu le tues.
Et c’est d’ailleurs le but des prédateurs (caché en l’occurrence). »
Lisez « Éloge des frontières » de Régis Debray ; c’est passionnant.
http://www.gallimard.fr/Catalogue/G…
Extraits :
« Ce qu’il y a de profond chez l’homme, disait Valéry, c’est la peau. » La vie collective, comme celle de tout un chacun, exige une surface de séparation. Emballage d’abord. La profondeur suit, comme l’intendance.
La matière n’a ni sac ni peau. Seule la cellule a une membrane. Les eucaryotes en ont même deux, autour du noyau et de la cellule. La peau serait l’organe primordial des épigenèses, le premier reconnaissable chez l’embryon. C’est en se dotant d’une couche isolante, dont le rôle n’est pas d’interdire, mais de réguler l’échange entre un dedans et un dehors, qu’un être vivant peut se former et croître.
Pas d’insecte sans kératine, pas d’arbre sans écorce, pas de graine sans endocarpe, pas d’ovule sans tégument, pas de tige sans cuticule, etc.
Un système vivant est une surface repliée sur elle-même, dont l’idéaltype est la sphère, bulle ou boule, et notre village ou maison natale un ersatz en 3D, gaine, gousse ou coquille. C’est à cette cavité amniotique que nous revenons chaque soir en nous glissant sous l’édredon, en fermant les écoutilles. Survivre, c’est sauvegarder les plis et les replis.
Régis Debray, « Éloge des frontières » (2010), p. 37.
La frontière est un lieu de passage, d’échanges. La bonne frontière est poreuse, dans les deux sens. Tout organisme vivant a une frontière. La peau est la première de toutes… Elle assure la condition sine qua non du vivant : la séparation régulée entre un dehors et un dedans.
Régis Debray, « Éloge des frontières » (2010).
Une idée bête enchante l’Occident :
l’humanité, qui va mal, ira mieux sans frontières.
Régis Debray, « Éloge des frontières », 2010.
La mondialisation des objets produit une tribalisation des sujets.
Régis Debray.
La frontière a mauvaise presse : elle défend les contre-pouvoirs. N’attendons pas des pouvoirs établis, et en position de force, qu’ils fassent sa promo. Ni que ces passe-murailles que sont évadés fiscaux, membres de la jet-set, stars du ballon rond, trafiquants de main-d’œuvre, conférenciers à 50 000 dollars, multinationales adeptes des prix de transfert déclarent leur amour à ce qui leur fait barrage.
Dans la monotonie du monnayable (l’argent, c’est le plus ou le moins du même), grandit l’aspiration à de l’incommensurable. À de l’incomparable. Du réfractaire. Pour qu’on puisse à nouveau distinguer entre le vrai et le toc.
Là est d’ailleurs le bouclier des humbles, contre l’ultra-rapide, l’insaisissable et l’omniprésent. Ce sont les dépossédés qui ont intérêt la démarcation franche et nette. Leur seul actif est leur territoire, et la frontière, leur principale source de revenu (plus pauvre un pays, plus dépendant est-il de ses taxes douanières). La frontière rend égales (tant soit peu) les puissances inégales.
Les riches vont où ils veulent, à tire-d’aile ; les pauvres vont où ils peuvent, en ramant. Ceux qui ont la maîtrise des stocks (de têtes nucléaires, d’or et de devises, de savoirs et de brevets) peuvent jouer avec les flux, en devenant encore plus riches. Ceux qui n’ont rien en stock sont les jouets des flux. Le fort est fluide. Le faible n’a pour lui que son bercail, une religion imprenable, un dédale inoccupable, rizières, montagnes, delta. Guerre asymétrique.
Le prédateur déteste le rempart. La proie aime bien.
Le fort domine les airs, ce qui le conduit d’ailleurs à surestimer ses forces.
Régis Debray, « Éloge des frontières » (2010), p. 75.
Interface polémique entre l’organisme et le monde extérieur, la peau est aussi loin du rideau étanche qu’une frontière digne de ce nom l’est d’un mur. Le mur interdit le passage ; la frontière le régule. Dire d’une frontière qu’elle est une passoire, c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer.
Régis Debray, « Éloge des frontières » (2010), p. 39.
Cristaux et minéraux ne meurent pas, privilège réservé aux végétaux et aux animaux. L’avantage de l’enveloppe se paye d’un léger inconvénient, la mort.
Régis Debray, « Éloge des frontières » (2010), p. 41.
On n’en finira jamais avec la frontière parce qu’elle est inhérente à la règle de droit, et […] elle est bonne à vivre.
Le dur désir de durer l’inscrit au programme de tout ce qui bouge et respire.
Nos « sans frontières » veulent-ils effacer l’inconvénient d’être né ? […]
L’être et la limite adviennent ensemble, et l’un par l’autre. »
Régis Debray, « Éloge des frontières » (2010), p. 45.
Le prétendu combat du clos contre l’ouvert, tandem en réalité aussi inséparable que le chaud et le froid, l’ombre et la lumière, le masculin et le féminin, la terre et le ciel, continue d’amuser notre galerie. Ce lieu commun fait le bonheur des esprits courts […] C’est simple, donc utilisable, mais ce qui est d’un seul tenant est faux.
La misère mythologique de l’éphémère Union européenne, qui la prive de toute affectio societatis, tient en dernier ressort à ceci qu’elle n’ose savoir et encore moins déclarer où elle commence et où elle finit.
Quidam ou nation ou fédération d’États-nations, quiconque manque de se reconnaître un dessus n’assume pas son dehors. Ne tolère pas jusqu’à l’idée d’avoir un dehors. Et ignore donc son dedans.
Qui entend se surpasser commence par se délimiter.
Régis Debray, « Éloge des frontières » (2010), p. 62-64.
La frontière est le bouclier des humbles ; ce sont les dépossédés qui ont intérêt à une démarcation franche et nette ; leur seul actif est leur territoire, et la frontière leur principale source de revenus.
La classe dominante est mobile, elle est du côté des flux. L’élite des capteurs de flux ne tient pas en place, elle est partout chez elle, elle prend l’avion…
Mais on ne vit pas dans un avion.
Je constate que, là où il y a un faible et un fort, le faible demande toujours une frontière. Le fort ne doit pas être partout chez lui.
Oui, aujourd’hui, l’idéologie du « sans-frontières », c’est l’idéologie du riche et du fort.
Régis Debray, « Éloge des frontières » (2010).
Pour faire de la liaison, il faut accepter, il faut spécifier la différence. Vouloir la liaison sans la culture, ça ne marche pas.
La peau est faite pour recevoir, et pour exsuder. La frontière est un crible, un tamis, il est bon qu’elle soit une passoire, mais une passoire qui contrôle, une passoire qui régule.
Les rives sont la chance du fleuve.
En l’enserrant, elles l’empêchent de devenir marécage.
Jacques Bourbon-Busset, cité par Régis Debray, Éloge des frontières (2010).
On ne peut pas penser l’hospitalité, donc l’accueil, si on ne pense pas le seuil.
Car l’homme est un être maisonnable. Il naît dans une poche, franchit une frontière pour en sortir.
Pour s’ouvrir à l’autre, il faut avoir un lieu à soi.
Le dieu Terminus, ce dieu romain gardien des bornes et des limites.
Régis Debray, Éloge des frontières (2010).
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SOURCE : https://chouard.org/blog/2018/10/11…
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