« Comment peut-on manger du maïs modifié par la même boîte qui a produit l’agent orange »
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Caroline Stevan
Publié mardi 25 juillet 2017 à 18:32
Modifié mardi 25 juillet 2017 à 20:07
Du Vietnam aux Etats-Unis, Mathieu Asselin livre une enquête photographique sur Monsanto. Un réquisitoire glaçant dressé aux Rencontres photographiques d’Arles
Cela commence par une publicité des années 1950. Sous le dessin de la maison en sucre qui attira Hansel et Gretel, un texte vante les mérites d’un édulcorant made by Monsanto. Puis c’est une attraction sur le « Monde de demain » et ses habitations mécanisées, sponsorisée par la même entreprise à Disneyland. Mais juste à côté, la maison du futur d’Anniston, Alabama, est en ruine. 308 000 tonnes de PCB y ont été fabriquées entre 1929 et 1971. En 2002, le géant américain a été reconnu coupable d’avoir contaminé « le territoire et le sang de la population ». Le cheminement ci-dessus, diablement efficace, est signé Mathieu Asselin et exposé aux Rencontres photographiques d’Arles.
Durant deux ans, le Franco-Vénézuélien a enquêté sur Monsanto, essayant d’aborder les diverses facettes du sujet. Au Vietnam, il a retrouvé de jeunes enfants déformés par l’agent orange reçu par leurs grands-parents et fabriqué par Monsanto. Aux Etats-Unis, il a rencontré les descendants des vétérans ayant déversé le poison, qui en subissent également les conséquences. Ou s’est arrêté à Sauget, dans l’Illinois, une « cité Monsanto » largement défiscalisée. Ailleurs, il s’est penché sur la situation des agriculteurs contraints d’acheter semences et herbicide chez le même fournisseur.
Mathieu Asselin n’est pas le premier photographe à travailler sur l’entreprise maudite – Alvaro Ybarra Zavala, notamment, a questionné les dérives du géant de l’agroalimentaire – mais il est certainement celui qui en livre la vision la plus complète. Entretien.
Le Temps : Pourquoi ce sujet ?
Mathieu Asselin : J’ai grandi dans une famille assez engagée, où nous avons toujours abordé ce genre de sujets. Il y a quelques années, un soir, mon père a parlé de Monsanto. J’ai alors réalisé que c’était bien plus que des semences et des pesticides et j’ai eu envie de raconter l’histoire.
— Comment avez-vous démarré ?
— Avant de me lancer sur un sujet, je me demande toujours à quoi cela va ressembler. Ensuite, j’effectue énormément de recherches. Beaucoup de gens ont enquêté sur Monsanto, des journalistes, des universitaires… Je me suis appuyé sur leurs travaux.
— Vous avez souhaité une approche globale.
— Les photographes ont toujours travaillé sur des sujets spécifiques concernant Monsanto, ou des zones géographiques. Or c’est quand on lie tout cela que l’on comprend vraiment qui est cette compagnie. Monsanto a démarré en 1901 avec du sucre artificiel, puis il y a eu des centaines de produits, du PVC, de l’huile… Ce sont des « défaillances à succès ». L’agent orange par exemple, dont dérive le Roundup, a entraîné d’énormes dégâts humains mais ce fut un succès commercial.
Depuis ses débuts, cette boîte nous vend le futur, qu’il s’agisse du sucre artificiel, de la maison de demain ou des OGM. Mais elle met les conséquences sous le tapis. Des documents internes montrent par exemple que Monsanto avait connaissance de la pollution à Anniston depuis des décennies. En France, le Roundup a d’abord été vendu comme un produit biodégradable ! Leur force de communication est impressionnante.
— C’est pour cela que vous affichez les publicités des débuts ?
— Ces slogans des années 1940 à 1980 seraient impensables aujourd’hui. Mais de la même manière, se demandera-t-on dans 40 ans comment nous avons permis les OGM ? Il faut arrêter de sacrifier l’écologie au nom du progrès. Les Etats devraient faire des recherches plus poussées dans ces domaines.
— Est-ce pour secouer les consciences que vous présentez des images de fœtus malformés au format géant ?
— Il ne s’agit en aucun cas de voyeurisme mais on a parfois besoin d’un coup sur la gueule, en plus de la narration. Cela dit, je cherche à susciter de l’empathie plutôt qu’à choquer. On vit dans un monde de chocs, alors ce sentiment ne dure jamais longtemps.
— Lorsque vous photographiez des enfants malformés ou une fille avec le portrait de son père décédé d’un cancer, comment prouver qu’il s’agit de la responsabilité de Monsanto ?
— Lorsqu’une compagnie déverse des tonnes de dioxine et que les gens meurent de cancers les uns après les autres, il n’est pas compliqué de faire le lien. Les enfants et petits-enfants des soldats américains confrontés à l’agent orange au Vietnam sont malades. Cela dit, personne ne veut enquêter des milliers de dollars pour investiguer là-dessus. Cela coûterait trop cher en indemnisations. Mais comment peut-on manger du maïs modifié par la même boîte qui a produit l’agent orange ?
— Avez-vous essayé de contacter l’entreprise ?
— Non, je ne travaille pas sur eux, mais sur ce qu’ils laissent.
— Vous êtes vous senti menacé durant vos reportages ?
— Jamais. J’ai été suivi une fois mais probablement pas par eux. Je ne suis pas un activiste, ils ont des poissons à frire beaucoup plus gros que moi.
— Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
— L’histoire d’un voyage qui a changé notre vie, autant que l’expédition sur la Lune ou la découverte de l’Amérique, que j’aimerais faire redécouvrir.
A voir :
Mathieu Asselin, Monsanto : une enquête photographique, jusqu’au 24 septembre au Magasin électrique, Rencontres photographiques d’Arles.
Livre éponyme chez Actes Sud, 2017 (Verlag Kettler pour l’anglais).