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Lord On, Grand timonier du monde à venir

jeudi 9 avril 2020, par Jean-Pierre Garnier (Date de rédaction antérieure : 8 avril 2020).

Les deux textes en version DOC :

Lord On, Grand timonier du monde à venir :

http://mai68.org/spip2/IMG/doc/Lordon_Grand-Timonier.doc

Orientations par Frédéric Lordon, commenté par Jean-Pierre Garnier :

http://mai68.org/spip2/IMG/doc/Lordon-Orientations.doc

Les deux textes en version PDF :

Lord On, Grand timonier du monde à venir :

http://mai68.org/spip2/IMG/pdf/Lordon_Grand-Timonier.pdf

Orientations par Frédéric Lordon, commenté par Jean-Pierre Garnier :

http://mai68.org/spip2/IMG/pdf/Lordon-Orientations.pdf

Lord On, Grand timonier du monde à venir

Si, comme le rappelait le Manifeste communiste, la lutte des classes est le moteur de l’histoire, il semble que par une surprenante mais heureuse embardée nous voici soudain propulsés sans transition dans le monde parfait dont elle devait accoucher. Et cela grâce à l’irruption miraculeuse non d’une insurrection toujours attendue mais jamais venue, mais d’un vulgaire virus. Celui-ci a déjà donné lieu, comme il fallait s’y attendre, à d’innombrables gloses de la part de nos intellos, à peine remis de leurs efforts conjugués pour dégager, à l’intention du vulgaire assez éduqué pour les lire, le sens profond d’un autre événement imprévu, la révolte des Gilets jaunes. Mais, parmi tous ces « sachants » qui ne doutent de rien et surtout pas d’eux mêmes quant à leur sagacité pour décrypter les leçons à tirer de tel ou tel alea de l’histoire, il en est un qui surpasse les autres en prétention au discernement, et qui, sans attendre la fin de la « crise sanitaire » en cours, en est déjà à fixer avec aplomb les « orientations » qui aideront l’humanité à en tirer les leçons.

Cet augure a fait ses classes durant des années dans l’économie qualifiée d’« hétérodoxe » pour la distinguer de l’économie bourgeoise classique. Mais, depuis quelque temps, il se targue aussi du titre de philosophe, titre dont on sait qu’à force d’avoir été usurpé, notamment en France à partir des années 70 du siècle dernier lors du reflux de la « contestation » soixante-huitarde, il est devenu un label passe-partout pour ne pas dire fourre-tout grâce auquel n’importe quelle escroquerie idéologique en vogue du moment peut passer pour une avancée décisive de la réflexion théorique pour peu qu’elle soit avalisée comme telle par le complexe médiatico-intellectuel.

Certes, de même qu’au pays des aveugles les borgnes sont rois, l’imposture du philosophe autoproclamé dont en trouvera, commentées par nos soins, les prédictions, recommandations ou exhortations dans le fichier joint, apparaît moindre, confrontée à celle des chantres décomplexés de l’ordre établi. À l’égard de celui-ci l’attitude de ces derniers s’échelonne d’ordinaire selon l’échelle des trois A : accepter, approuver, applaudir. En revanche, les penseurs qui se veulent critiques à son encontre le font à des degrés variés avec la lettre R pour les repérer : refuser, résister, riposter. Si on laisse de côté l’essentiel, à avoir le passage des discours aux actes, ceux-ci tenant lieu de ceux-là pour les intellectuels professionnels, on peut classer dans la seconde catégorie l’augure dont il va être question, celle des résistants1 ou, comme la définissait Guy Debord, de la « critique intégrée ». Autrement dit, une critique acceptable soit parce qu’elle éclaire les dominants sur les contradictions qu’ils doivent déplacer à défaut de ne pouvoir les dépasser soit en raison de sa totale innocuité. Ce qui est le cas des « orientations » dictées par Lord On, Seigneur des agneaux de la rebellitude de confort, à savoir, en première ligne (défensive), les lecteurs aussi assidus que acritiques du Monde Diplomatique pour qui tout combat politique ne saurait être autre qu’électoral.

La position ou plus exactement la posture adoptée par Lord On, est, en effet, tributaire du public auquel il s’adresse. À savoir la fraction progressiste la « classe moyenne » dite « éduquée » qui répugne à se reconnaitre comme petite bourgeoisie intellectuelle, appellation jugée non scientifique par elle puisqu’elle laisse transparaître une certaine accointance, le plus souvent honteuse, voire une accointance certaine avec l’ennemi qu’elle se refuse à nommer, la bourgeoisie, préférant y substituer pour le désigner un terme transhistorique et idéologiquement moins marqué : « l’oligarchie ».

Pour nous indiquer la conduite à tenir dans un monde d’où celle-ci se serait effacée comme par un coup de baguette magique, Lord On n’y va pas par quatre chemins. Il n’y en a qu’un seul qui a l’immense avantage, comme on le verra dans le fichier mentionné, de nous propulser sans heurts dans un futur qui ne serait autre que la version bisounours laïcisée du paradis sur terre.

De lutte des classes et même de classes il ne saurait être question puisque celles-ci auraient disparu comme par enchantement. « Humain », tel est le qualificatif que Lord On martèle jusqu’à satiété comme un leitmotiv sur son clavier, qu’il s’agisse du « développement », de « l’histoire » ou de « la société » en général. À cet égard, cet humanisme tous azimuts fait penser au « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger » de Térence, le poète comique latin Térence. Avec la poésie en moins.

1) La riposte, chez lui, est d’une telle faiblesse théorique et si absconse dans sa formulation, en dépit du ton belliqueux avec lequel il a coutume de l’asséner dans d’autres écrits, qu’elle vaut absolution pour ceux qu’elle est censée viser.



Orientations


par Frédéric Lordon*


Prologue


En réalité, c’est simple. [on va voir que c’est même simpliste] Nous savons maintenant indubitablement [Lord On parle maintenant au nom de l’humanité entière, et gare à qui en douterait] que la manière dont nous avons vécu – la manière capitaliste – mène au désastre général. Par conséquent, nous devons en changer. Entièrement.


1


Il fallait sans doute la catastrophe pour fermer la longue parenthèse de la préhistoire – celle du développement matériel. Le malheur ne sera pas venu pour rien s’il nous fait entrer enfin dans l’histoire – celle du développement humain. La vie commune [nous voilà déjà quasiment dans la société sans classes] doit donc être refaite de fond en comble [mais en laissant, comme on va le voir, aux économistes et autres pseudo-philosophes leur statut privilégié]

Les individus qui ont régné pendant la préhistoire continueront d’avoir droit de cité [. Nous les regarderons comme des curiosités, apprécierons leurs transformations. Empêcherons fermement les récalcitrants de nuire [Lord On, garde chiourme idéologique en chef !]. Puisque ce que nous devons faire est à l’opposé de ce qu’ils [dont Lord On du haut de sa chaiee universitaire] nous ont si longtemps imposé.

Que les sociétés de la préhistoire aient pu faire du développement des accumulations monétaires leur unique horizon offre contre elles [par la plume ou la bouche de Lord On], par soi, le plus terrible des réquisitoires [prononcé, bien sûr, par l’accusateur public Lord On].

Une société humaine hiérarchise ses priorités [hiérarchie qui va bien entendu de pair avec le maintien de la hiérarchie sociale qui autorise


* source : https://blog.mondediplo.net

certains à définir les priorités et oblige les autres à les accepter et éventuellement les subir] à tout autrement : selon un ordre logique pour la raison [incarnée par ce raisonneur incorrigible de Lord On] – même si, bien sûr, tout est solidaire et, dans la pratique, se donne d’un seul ensemble.


2


Viennent en premier, les exigences de la conservation de la vie. Pour bien vivre, d’abord il faut vivre bien [une lapalissade typiquement lordonesque] .

Il s’ensuit que le système général de la santé vient en haut dans l’ordre logique. Par système de la santé, il ne faut pas seulement entendre les institutions du soin médical, mais l’ensemble des pratiques concourant à l’entretien et au bien-être des corps. Ces pratiques supposent la diffusion par l’éducation, le partage des expériences, et le temps de s’y adonner.

Il suit également que, dans la conservation des vies humaines, il entre décisivement la plus grande considération pour les existences non-humaines [celles des rats et des araignées, entre autres, comprises ?]. Seule la folie de nous croire « comme un empire dans un empire » a pu nous faire oublier que nous ne sommes pas suffisants, et que nous avons besoin des autres, au minimum d’organiser notre symbiose avec eux – par conséquent de vivre intelligemment en leur compagnie. [bref, tous les êtres autres qu’humains devront être considérés — dans les deux sens du terme— comme des animaux de compagnie]

Les formes nouvelles de l’agriculture entrent dans cette intelligence.

La médecine, les pratiques du corps, les attentions de la symbiose et l’agriculture sont les institutions de la santé humaine [autre truisme].


3


Pour autant il n’y a pas de santé possible dans l’inquiétude matérielle. La deuxième priorité logique est celle qui soustrait également les individus aux hantises de l’avenir, servitude mentale qui fait les servitudes politiques. Nul ne doit plus redouter.

Si le travail social ne peut être que divisé [Ouf ! De la «vie commune refaite de font en comble», la division sociale du travail sortira indemne, et les Lord On du futur pourront continuer à pérorer du haut de leurs chaires] il est impensable que quiconque ait à craindre pour accéder à tout le nécessaire. La société sortie de la préhistoire vise, par l’organisation collective et à toutes les échelles, la plus grande stabilisation possible des conditions d’existence matérielle des individus. Nul ne doit dépendre pour sa vie d’un intermédiaire versatile, souverain et tyran, que ce soit sous la forme de l’« employeur » ou celle du « marché » [ou du «sachant» à la Lord On prêt à «empêcher de nuire les récalcitrants» à ses sermons]. Aussi revient-il à la société entière [sans classe, cela va de soi] de garantir inconditionnellement à chacun l’accès aux moyens socialement déterminés [par qui ?] de la tranquillité matérielle.

Si l’on veut tenir ce nécessaire pour un minimum, le maximum devra être rigoureusement borné [encore par qui ?].

La propriété privée n’aura plus de jouissance que d’usage. Son exploitation à des fins de mise en valeur appartient à la préhistoire. [qui y mettra fin? Les matamores du genre Lord On avec ses habituels moulinets rhétoriques ?] Elle y restera comme fossile.

Le désastre nous aura appris que la hiérarchie préhistorique des importants [remplacés par celle, historique, des sachants] marchait sur la tête : les réputés premiers étaient des boulets, inutiles au mieux, nuisibles le plus souvent ; la société ne tenait en fait que par ceux qu’elle considérait comme ses subalternes. La division du travail refaite [refaite à neuf au profit de la nouvelle élite diplômée, formée et formatée sur le modèle lordonesque] en vue de l’élimination des boulets, la société identifiera clairement ceux à qui elle doit le plus [dont évidemment les nouveaux grands chefs des tribus universitaires à la vie vue perçante], et les traitera en conséquence.


4


Les titres de la santé et de l’existence matérielle ne sont que les prérequis à la fin véritable de la vie commune  [mais surtout pas communiste]: le développement des puissances créatrices de tous [démagogie plein pot !].

L’accès élargi et permanent au plus grand nombre de savoirs possible pour le plus grand nombre d’individus possible entre d’évidence dans la société du développement humain. Quiconque cultive son esprit tend ipso facto à cultiver celui des autres [postulat invérifiable, mais rassurant…ou consolant]. Il est par là utile à la société et encouragé par elle.

Si l’on donne à cet accès le nom général d’éducation, toutes les formes en seront développées au titre de priorités de la vie sociale : scolaire, populaire, associative, autonome, etc. Tous les domaines aussi.

Les médias, instruments de servitude, de conformisme et d’abêtissement dans la société antérieure, recevront une attention particulière. Ils seront strictement tenus à la mission inscrite dans leur nom même : donner à chacun à connaître de la vie de tous les autres et de la collectivité et des autres collectivités. Recevront au surplus celle de rendre compte de toutes les idées et de toutes les créations [sauf celles non conformes à la doxa de cet humanisme fumeux qui n’engage à rien], hors la subordination à quelque pouvoir constitué.

Les éducations, les médias, les lieux de création sont les institutions du développement humain [sic].

La préhistoire matérielle avait situé le sens de la vie dans le niveau de jouissance monétaire, l’histoire humaine [re-sic] le met dans les possibilités de la libre production des mains et de l’esprit. Elle remplace l’argent par l’œuvre – en donnant la plus grande extension possible au mot, donc sans qu’il entraîne quelque condition ni d’abstraction ni de postérité, sans qu’il l’exclue non plus.

La société humaine [re-re-sic] se jugera elle-même à ses œuvres.


«L’humain d’abord», c’était le dernier slogan en date du PCF et le titre du du programme de Mélenchon, tous forgés à des fins électorales. Lord On profite de la «crise sanitaire» pour remettre le couvert. Un témoignage de plus de l’état de décomposition politico-idéologique où patauge une gauche intellectuelle ayant perdu tous les repères qui la faisaient exister comme telle.


Coda


Notre Trissotin «citoyen» ne pouvait terminer son prêche humaniste sans recourir à un terme savant susceptible de le distinguer de ses pairs. De fait, si le coda désigne la section conclusive d'un morceau de musique, il resterait à déterminer de quel type de musique Lord On a voulu bercer les oreilles et endormir les esprits de ses fans. C’est évidemment une musique religieuse qui devrait accompagner la vison œcuménique et consensuelle à souhait qui inspire ses vaticinations sur le monde parfait à venir.


Des principes n’ont pas d’autre force que celle de l’encre sur du papier. [Encore un truisme : cela vaut pour tous les principes. Ce qui a tout de même l’avantage, pour ceux énoncés à par Lord On, de pouvoir les fiche à la corbeille sans attendre] Pour qu’ils deviennent lettre vive, il faut, avait dit un éclaireur, qu’ils « s’emparent » du grand nombre. [L’éclaireur n’était autre de Marx, auquel Lord On n’a jamais rien compris, ce qui l’autorise, semble t-il, à prendre le relai à sa suite, sinon pour «les masses» — vocable utilisé par Marx (et Engels), mais rejeté pour son manque de raffinement voire sa connotation «populiste» —, du moins pour le grand nombre réduit aux «amis du Monde diplomatique»]

Il faut donc admettre qu’il est de la nature des déclarations de principe de rester muettes quant aux conditions de réalisation des principes. Nous avons cependant une idée assez claire de la force dont il faudrait appuyer celle-ci. [On attend pourtant toujours de Lord On — sans illusions, il est vrai — qu’il clarifie cette idée. Mais cela l’obligerait à user de quelques vocables honnis : «lutte des classes», «révolution», «bourgeoisie», «prolétariat» et surtout «petite bourgeoisie intellectuelle», classe dont il est un spécimen caricatural et dont la disparition relève pour lui de l’impensable voire de l’innommable. Car si émancipation collective il devait y avoir, elle se ferait non seulement sans une partie d’entre elle, mais même vraisemblablement contre elle]

Les déclarations de principes omettent par ailleurs beaucoup de choses, et ne disent rien non plus des détails. C’est une autre faiblesse. Mais celle-là a ses avantages. Celui notamment de laisser le cheminement se fabriquer en cheminant. [Celui, surtout, de pouvoir dissocier le verbe de l’action, la théorie — ou ce qui en tient lieu chez Lord On — de la pratique, bref de pouvoir continuer à parler — pompeusement et précieusement, dans son cas — pour ne rien dire et… pour ne rien faire] .

Il reste que vouloir aller ailleurs, si c’est aujourd’hui une nécessité de sauvegarde, ne suffit pas en soi : on ne va nulle part sans s’être fait avant une idée de la destination. Quelle est la destination de Lord On ? À court terme : sans doute, son chalet en montage. À moyen et long terme, l’éternel retour au bercail protecteur des lettrés.]




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