Je reproduis à la virgule près l’article sur les dérives des services secrets français paru dans “Le Canard enchaîné”, page 4, le 24 février 2021, écrit et signé par Christophe Labbé
Une loge franc-maçonne transformée en officine de tueurs à gages ?
Depuis quatre semaines, et le retour de cette rocambolesque affaire, révélée cet été, les flics de la brigade criminelle rouvrent fiévreusement leurs archives de meurtres non élucidés.
Raison de cette agitation : les ébouriffantes confessions, en janvier, d’un ancien poulet mouillé dans les tentatives d’assassinat d’une coach hynotiseuse. Dans la pile des dossiers ré-examinés figure en bonne place, selon un proche de l’enquête, la “tuerie de Chevaline”, du nom du mystérieux assassinat, en 2012, de quatre personnes sur une route forestière de Haute-Savoie.
Les victimes — un cycliste et une famille britannique d’origine irakienne — avaient chacune été exécutées de deux balles dans la tête avec un pistolet Luger 06, une arme de collection suisse fonctionnant avec un type particulier de munitions : les mêmes que celles retrouvées lors de la perquisition chez le commanditaire de la tentative d’assassinat de l’hypnotiseuse.
Des malfrats bien logés
Le 24 juillet 2020, l’affaire avait commencé comme un mauvais remake d’”OSS 117”. Ce matin-là à Créteil, en région parisienne, une patrouille de police coffre deux sous-fifres de la DGSE qui s’apprêtent à occire Marie-Hélène D., coach et hypnotiseuse qu’ils accusent d’être une agence du Mossad ! Les limiers de la Crim découvrent vite que les deux Pieds-Nickelés n’ont pas été missionnés par les services français mais, par un détective privé, un certain Sébastien L.
Le 21 janvier dernier, la compagne de celui-ci livre aux enquêteurs le nom de Daniel B. : un ancien commandant de la Direction du renseignement intérieur, qu’elle désigne comme l’”officier traitant” de son mari. Ce commandant a accompli l’essentiel de sa carrière aux Renseignements généraux. Il a été notamment l’adjoint de la commissaire Brigitte Henri, l’âme damnée d’Yves Bertrand, sulfureux patron des RG chargé des basses oeuvres du temps de la Chiraquie.
Arrêté l’ex-flic se met à table. Il révèle qu’il appartient à une loge franc-maçonne baptisée “Athanor”, dont un ancien “vénérable” (chef), Jean-Luc B., avait commandité le meurtre de Créteil. Ce spécialiste du coaching en entreprise, qui voyait d’un mauvais oeil la concurrence de sa collègue, a passé commande pour l’éliminer à un autre membre de sa loge, Frédéric V. — ex-journaliste du “Dauphiné libéré” reconverti dans l’intelligence économique.
En garde à vue, ce dernier avoue que le vénérable maçon l’a payé 70 000 euros pour la mission meurtrière à Créteil, où il a oeuvré avec l’ex-RG. Un an plus tôt, le même duo avait déjà embauché 10 000 euros pour agresser l’hypnotiseuse devant chez elle et lui arracher son sac, avec son ordinateur dedans. Le vénérable, accessoirement, avait aussi filé 3 000 euros au tandem pour faire incendier la voiture de son ex-femme à qui l’opposait un litige commercial…
La CGT dans le viseur
Mais, en poussant la porte d’Athanor (dont les trois frères logent désormais en prison pour tentatives d’assassinat), les flics ont découvert une véritable PME du crime. En garde à vue, l’ex-journaliste a évoqué d’autres affaires. Lors des municipales de 2014, il aurait, affirme-t-il, fait surveiller, pour le compte d’Henri Plagnol — alors maire de Saint-Maur et ancien secrétaire d’Etat de Jean-Pierre Raffarin -, Sylvain Berrios, son principal opposant. Des assertions que Plagnol dément en bloc.
Sur sa lancée, Frédéric V. fera aussi tabasser un proche de l’actuel maire. En 2018, des entrepreneurs de l’est de la France l’auraient payé 20 000 euros pour récupérer une grosse somme d’argent auprès d’un pilote de rallye qui les aurait escroqués. L’opération d’intimidation tourne mal. Le pilote, qui devait juste être secoué, est abattu dans son garage de Levallois, puis enterré dans une forêt à 400 km de là.
L’ancienne carte de presse admet avoir encore reçu, en janvier 2020, 75 000 euros d’un couple de ses amis dirigeant, dans l’Ain, une entreprise spécialisée dans le plastique. Cette fois, il s’agissait d’éliminer un syndicaliste CGT un peu trop remuant. L’opération est stoppée in extremis en juillet dernier, après la tentative de meurtre contre l’hypnotiseuse. Le syndicaliste l’a échappé belle.
Autre client de Frédéric V. : un Corse impliqué dans de gros projets immobiliers à Courchevel, qui, lui, aurait commandé des renseignements sur le père du champion du monde de ski Alexis Pinturault. Pour butiner ses infos, le trio mafieux rénumérait les flics francs-maçons qui consultaient pour lui les fichiers : des “tricoches”, comme on dit dans le jargon, auxquelles s’intéresse désormais la police des polices.
Les flics travaillent aussi sur un autre mystère. Après être passé à table, l’ex-RG a fait une étrange tentative de suicide. Le 26 janvier, à peine incarcéré dans la prison de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne), il a été retrouvé gisant au sol, la tête fracassée. En tant qu’ancien policier, au coeur d’une affaire sensible, il devait pourtant bénéficier d’une surveillance particulière. L’incident a rendu furax les juges d’instruction, désormais privés d’un témoin clé hospitalisé dans un état grave.
Mais est-ce qu’une seule chose se passe normalement, dans cette affaire tragicomique-bouffonne ?
Christophe Labbé