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Odile Maurin : "Ceux qui veulent nous juger ne sont pas foutus de respecter la loi" (vidéo 57’53’’)

jeudi 25 mars 2021, par a_suivre

Odile Maurin dénonce les conditions "indignes" dans lesquelles s’est déroulé le procès qui s’est tenu au tribunal de Toulouse, mardi, où étaient jugées 16 personnes handicapées.

Mardi 23 mars 2021, 16 militants défendant la cause des personnes handicapées, dont Odile Maurin (par ailleurs conseillère municipale d’opposition) étaient jugés au tribunal judiciaire de Toulouse pour entrave à la circulation, après avoir envahi les pistes de l’aéroport et les voies SNCF en 2018, afin de s’opposer à la "Loi Elan"*.

Si le jugement a été mis en délibéré (il sera rendu le 4 mai prochain), ces personnes handicapées ont rencontré de nombreux problèmes d’accessibilité devant le tribunal, mais également au sein de la salle d’audience. « Ce procès s’est déroulé dans des conditions indignes », dénonce Odile Maurin, la présidente de l’association Handi-Social.


Témoignage de Pierre Bernat :

J’ai assisté hier au procès d’Odile Maurin et d’autres prévenus (que je ne citerais pas) pour leurs actions à l’aéroport de Blagnac et à la gare Matabiau. Et ça m’a mis en colère, alors je vous raconte ce qui s’est passé ce mardi 23 mars, et qui n’est en rien la Justice normale.

Je ne vais presque pas parler des faits, que je vous livre crus, franchement c’est pas mon rôle de faire une critique de ces actions. Certains étaient jugés pour avoir retardé un avion, certains étaient jugés pour avoir retardé un TGV. Voilà, le reste vous pouvez le retrouver dans la presse, mais allez plutôt chercher les raisons chez Handi-Social.

Le drame d’hier, c’était l’état de la Justice en France, et la façon de juger ces militants, qui se battent pour leurs droits tous les jours. Tous. Le Tribunal de Toulouse a été en partie refait en 2008. Il est beau ?), il a sa station de métro, ses contre-allées, son tram. Le tribunal a aussi ses grandes grilles avec sa dizaine de policiers changés d’empêcher d’empêcher les gens venus voir l’exercice de la Justice. Oui, ça devrait être accessible sauf huis-clôt, mais non. Pour monter les marches, faut qu’un avocat vienne vous chercher.

Quand on peut monter ces marches. Parce que quand on est une personne comme Odile qui est en fauteuil, on ne passe pas par la grande porte. On va sur le côté, dans un minuscule recoin engoncé pour prendre un ascenseur. Pas aux normes. Il faut l’aide d’une personne en bas et d’une personne en haut pour monter.

Autant vous dire qu’entre ces manipulations, l’étroitesse du lieu, et le fait que la police veuille absolument refermer au maximum les grilles, il faudra plus de 40 minutes pour faire monter 8 fauteuils.

Pendant ce temps ? Bah on attend. Le tribunal a prévu pour la quinzaine de prévenus, leurs avocats, et les multiples parties civiles, une salle pour une trentaine de personnes "valides". Oui parce que pas question du tout pour les prévenus de pouvoir se défendre fièrement au premier rang. Y’a pas de place. Ils sont en fille dans la salle. Le dernier fauteuil est à quelques centimètres de la porte.

On patiente, donc, entre soutiens et journalistes. Oui, parce que eux non plus de son pas autorisés à rentrer. Oui, normalement les débats sont publics, mais en fait non, y’a pas de place. Pourtant, il y a quelques semaines, racontera un autre avocat plus tard, un procès avait pris place dans la grande salle municipale de Mermoz. Pour y juger une quinzaine de prévenus dans un respect des gestes barrières. Mais pour les Handis, c’est pas ce qui aura été retenu.

Je suis le dernier à avoir la chance de rentrer, malgré l’opposition d’un policier qui me connaît d’ l’ Observatoire Toulousain des Pratiques Policières. Et comme je l’ai filmé dans un geste qui lui a valu une gueulante de son commissaire, il refuse de me laisser passer. Il faut que l’avocat vienne me chercher presque par la main pour monter voir comment fonctionne notre Justice. Bien sûr il me glisse un "encore des passe-droits !" quand je monte. Dans la petite salle, on est clairement pas à l’aise. Si on est placés à peu près espacés les uns des autres, les fauteuils, eux, non. Et on entend pas la Présidente. Elle fait de son mieux, j’en suis certain. Mais forcément, avec un masque et les micros qui ne fonctionnent pas, c’est pas facile.

On commence donc le procès de ces personnes qui demandent à la société de respecter les lois de 1975 et 2005, dans une salle récente qui n’est pas accessible comme il le faudrait. C’est donc dans un Tribunal qui ne respecte pas la loi qu’on va juger de l’action de ces militants.

Mais ça, c’est que le début. Oui parce même si je vous passe les faits judiciaires (questions prioritaires de Constitutionnalité, nullités, les différentes plaidoiries), on assistera à quelques faits marquants :

Nous sommes plus de 40 dans la salle. Hors magistrats, procureur et greffière. Après avoir lu les actes, la Présidente explique qu’elle a prononcé la publicité restreinte, et commence à faire sortir les personnes qui sont au milieu des travées. 4 fauteuils se font donc sortir. Oui, vous avez bien lu. Comme la salle est petite, les PMR sont priés de sortir alors que les valides peuvent rester. Bah oui, on "gène" pas, nous. Alors que ces fauteuils, vraiment, ça fait mauvais genre. Ce n’est que 20 minutes plus tard que le premier "valide" se fera sortir à son tour : un avocat qui venait écouter les plaidoiries, mais étranger au dossier. Bonne ambiance, donc. Et quand un avocat expliquera dans les nullités que les personnes en situation de handicap ont très souvent des comorbidités face au virus, la présidente actera que nous sommes trop nombreux… et fera sortir tout le monde, sauf avocats et prévenus. Y compris la presse qui avait déjà mis tellement de temps pour pouvoir accéder à la salle.

Une des prévenues ne peut pas s’exprimer clairement. Le tribunal le sait, puisque c’est noté dans un document de greffe. Pourtant, aucun interprète, ici. Tout au long de la journée, que ce soit pour se présenter, pour se défendre, pour s’expliquer, elle sera empêchée. Pire, lors de sa dernière intervention, elle est coupée par la juge qui lui balance :

« Merci Madame, je sais que c’est dur pour vous mais c’est aussi dur pour le Tribunal ».

La présidente reconnaitra elle-même en fin de journée qu’elle n’a compris que quelques mots.

Cette impréparation, elle est partout. Dans chaque pièce du dossier, on voit que les services de l’état n’ont jamais pleinement pris compte des difficultés particulières d’une ou plusieurs personnes. Pour les problèmes de vue d’une autre prévenue, on fait comment ? La procédure en FALC, c’est possible ? Et vous savez quoi ? Le document obligatoire qui traite de l’accessibilité du Tribunal, il est en cours de rédaction. Depuis 4 ans.

Quelques mots quand même sur le procureur, qui aura horrifié plusieurs personnes dans le Tribunal. Sur les exposés de nullité, sur la salle trop petite, sur l’impossibilité de se défendre dans ces conditions ? "C’est regrettable, c’est navrant", nous dira t’il. Mais c’est pas le débat, il faut aller au tribunal administratif. Qu’un bâtiment public ne respecte pas la loi, c’est donc navrant. Et puisque ce genre de personnage est caricatural jusqu’aux ongles, il ajoutera quand les avocats expliquent qu’il faudra terminer à 18h30 pour que les fauteuils puissent rentrer avec les navettes Tisséo, qu’il fallait que ces personnes s’organisent. Voilà.

Pourtant, ils étaient organisés. Certains avaient des couches pour pouvoir passer cette journée. Mais qui peut penser qu’en étant convoqué à 14h, ce n’est qu’à minuit, en plein couvre-feu, qu’ils pourraient enfin partir ?

C’est tout simplement dégueulasse, ce qu’il s’est passé. Alors comme je suis fâché avec cette façon de faire de la justice, je vous invite à en parler, et à soutenir celles et ceux qui ont pris dans la face ces multiples dénis.

Et merci aux copains qui sont venus soutenir, ceux qui soutiennent d’autres ville…

Source : https://www.facebook.com/lemuleton/…


Quelques témoignages très intéressants de cette journée en vidéo (57’53’’) :

https://www.facebook.com/jeanluc.am…


Interview - Actu Toulouse :

Actu : Comment avez-vous vécu cette audience particulièrement mouvementée ?

Odile Maurin : Cela a été d’une violence inouïe. Dès le départ, on est poursuivi pour des entraves à la circulation. On a entravé la circulation aéroportuaire et ferroviaire une heure chacune. Mais il y a un million de personnes handicapées qui sont entravées au quotidien toute leur vie et tous les jours, et pas juste une heure. Déjà, mettre ça en balance, c’est indigne !

D’autre part, on a reçu les convocations douze jours avant la tenue de l’audience. Pour produire des témoins, il faut le faire dix jours avant. Donc on nous a mis dans une situation où matériellement, on ne pouvait pas fournir de témoignages ni d’éléments.

Actu : Vous pointez également du doigt l’inaccessibilité du tribunal de Toulouse…

O.M. : Ceux qui veulent nous juger ne sont pas foutus de respecter la loi. Ils ne sont même pas en règle sur leurs obligations en matière d’accessibilité. Ils ne détiennent pas le registre public d’accessibilité dans lequel ils doivent décrire où est-ce qu’ils en sont de leurs obligations. Résultat, ils nous ont reçu dans un élévateur qui pue, qui est sale, et qui en plus, ne permet pas de monter en autonomie. C’est mon avocat, qui doit manœuvrer la plateforme pour que je puisse monter, sinon je ne peux pas entrer.

En étant convoqués au dernier moment, ils auraient du prendre en compte nos situations de handicap et a minima s’enquérir de nos besoins pour permettre un procès équitable. Rien n’a été fait. Quand nos avocats ont demandé le report en constatant que rien n’avait été fait, on a une présidente qui s’est arc-boutée à maintenir coûte que coûte cette audience dans des conditions d’une violence inouïe et indignes. À la fin de l’audience, j’ai dit à la magistrate que dans cette affaire, la justice a ajouté à l’iniquité le déshonneur et que l’histoire jugera…

« Comme d’habitude, on s’est démerdé… »

Actu : Vous déplorez d’autres problèmes au cours de cette audience, pouvez-vous les détailler ?

O.M. : Les problèmes d’élocution d’un de nos camarades n’ont absolument pas été pris en compte. S’il avait été contacté, ils auraient appris qu’il suffisait qu’ils indemnisent une de ses auxiliaires de vie qui a l’habitude de le comprendre, pour qu’elle puisse traduire ses propos. Mais cela n’a été pas été fait. Une autre camarade, qui, est quasiment aveugle, n’a pas pu être guidée jusqu’au tribunal. Comme d’habitude, on s’est démerdé tout seul ! En outre, elle n’a pas reçu sa convocation dans un format lisible pour elle.

De mon côté, j’ai insisté sur le fait que la salle était trop petite (et que les conditions sanitaires n’étaient pas réunies). J’ai exigé que la porte reste ouverte et je me suis mis devant la porte. J’ai des problèmes d’audition. Je n’entendais donc pas les débats, notamment ce qu’ont dit les parties civiles. Et la magistrate a trouvé le moyen de remettre en cause le fait que je n’entendais pas bien…

« Un système qui organise la maltraitance »

Actu : C’est tout un système qui est à remettre en cause, selon vous ?

O.M. : La justice a démontré à quel point nous avions été légitimes à agir et à quel point la relaxe devrait être de droit. Ce serait trop facile de résumer ça à une magistrate. Elle a été inhumaine, certes, mais le problème, c’est qu’on est dans un système qui organise la maltraitance des personnes en situation de handicap. Cela fait 40 ans que les gouvernements reportent les lois sur l’accessibilité. Toutes ces humiliations qu’ont vit au jour le jour, toutes ces carences qu’on subit, témoignent d’un mépris et d’un refus de permettre aux personnes de participer dans la société à égalité.

Ce ne sont pas nos déficiences et nos incapacités qui posent problème mais bien le fait qu’on vit dans une société qui est conçue uniquement pour les personnes valides. L’égalité, c’est tout ce qu’on demande ! L’égalité pour nous, c’est qu’il y ait des rampes d’accès, des fauteuils roulants et qu’on ne soit pas obligés de les payer, qu’il y ait des véhicules adaptés… À partir du moment où on a des moyens de compensation de handicap qui passent par des aides techniques et des aides humaines et qu’on a l’accessibilité, on peut mener une vie à égalité avec les autres. Quand le maire de Toulouse me refuse des moyens de compensation et que je suis obligée de payer avec mes indemnités des assistants, où elle est, l’égalité entre élus ?

« C’est à nous de nous adapter… Cela devrait être le contraire »

Actu : Vous avez le sentiment de ne pas être considérée comme une justiciable comme les autres ?

O.M. : On n’est pas considérés comme des êtres humains. C’est à nous de nous adapter alors que tous les éléments de droit disent le contraire. Hier soir, on a dû occuper le tribunal pour avoir des transports. Qu’est-ce qu’ont constaté le procureur et le président du tribunal qui sont restés avec nous jusqu’à minuit ? Ils ont constaté que s’ils n’avaient pas appelé le président de Tisséo, il n’y aurait eu aucune solution (des Mobibus ont été affrétés pour reconduire les personnes à leurs domiciles, ). Et à cette heure-là, on n’avait plus d’aide à domicile… Une fois rentrés, c’est un de nos copains qui a fait la tournée pour déshabiller, faire manger et coucher les gens. Est-ce que c’est à nous de faire ça ? Non. Je suis vraiment très en colère !

Interview publié par Gabriel Kenedi - Actu Toulouse - mardi 23 mars 2021.

Pour le procureur et le président du tribunal :

"Les dispositifs d’accès sont conformes aux règles"

Dans un communiqué envoyé mercredi soir, le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République de Toulouse soulignent "leur engagement constant afin de faciliter pour l’ensemble de nos concitoyens l’accès effectif et permanent au droit et à la justice, dans touts ses dimensions et particulièrement à destination des publics les plus vulnérables". Ils indiquent que "les prévenus ont pu accéder, avec leurs avocats et leurs accompagnants, à la salle d’audience correctionnelle après les contrôles de sécurité et ceux imposés par les contraintes sanitaires en vigueur. Les dispositifs d’accès (élévateurs, rampes…) sont conformes aux règles d’accessibilité applicables à ce bâtiment, et son régulièrement entretenus et vérifiés par un organisme indépendant", ajoutent-ils. Et de poursuivre : "Ces personnes ont pu être entendues sur les faits et faire valoir leurs arguments, tant procéduraux que sur le fond, dans le cadre d’un procès public et dans le respect des droits à la défense. L’affaire a été mise en délibéré au 4 mai 2021. Les débats ont pris fin à 22h et le tribunal a organisé en lien avec Tisséo, le retour à domicile des prévenus dans des véhicules aménagés en bééficiant de l’assistance nécessaires".

Source :https://actu.fr/occitanie/toulouse_…


*Loi Elan

Le projet de loi Elan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) prévoit notamment le passage de 100% à 10% de logements accessibles aux personnes handicapées dans la construction neuve. Les 90% restants sont destinés à être "évolutifs", c’est-à-dire rendus accessibles à l’issue de travaux simples.

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