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Algérie : l’ancien président Abdelaziz Bouteflika est mort

samedi 18 septembre 2021, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 18 septembre 2021).

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Samedi 18 septembre 2021

Assawra - الثورة (La Révolution)

Site du Mouvement Démocratique Arabe _ موقع الحركة العربية الديمقراطية

Après avoir passé vingt ans à la tête du pays, Abdelaziz Bouteflika avait démissionné de la présidence le 2 avril 2019 sous la pression de la rue et de l’armée. Il est décédé vendredi 17 septembre 2021 à l’âge de 84 ans.

Il n’en restait qu’un, c’était lui. Comme tous les dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’Algérie, Abdelaziz Bouteflika est un ancien insurgé de la guerre d’indépendance. Né à Oujda, au Maroc, le 2 mars 1937, d’une famille de commerçants de l’Ouest algérien, il rejoint le Front de libération nationale (FLN) en 1956 et intègre le cercle des proches du colonel Houari Boumediene à l’état-major général au Maroc. Si-Abdelkader - c’est le nom de guerre du jeune commandant au sein de l’Armée nationale de libération - maîtrise aussi bien l’arabe classique que la langue française. Son instinct politique se révèle à 24 ans lors d’une mission secrète visant à prendre contact avec les chefs historiques de la révolution, emprisonnés dans la forteresse d’Aulnay-sous-Bois, au nord de Paris.

En 1961, Abdelaziz Bouteflika est chargé par l’Armée des frontières de sonder les prisonniers du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en vue d’alliances. Il se fait passer pour le parent d’un détenu. Aït Ahmed et Boudiaf gardent leur distance avec ce petit jeune homme aux yeux bleus et à la moustache en bataille. Ben Bella est attentif. Après les accords d’Évian, les membres du GPRA et les dirigeants de l’armée de l’intérieur sont évincés de la course au pouvoir. Ben Bella rafle la mise. Il triomphe avec l’appui de l’ALN dont les troupes sont massées aux frontières. C’est l’indépendance. Voilà Bouteflika ministre de la Jeunesse et des Sports.

Cheveux longs et col large

Sa proximité avec son mentor Houari Boumediene, le tout-puissant vice-président et ministre de la Défense du Conseil de la révolution, explique sa fulgurante ascension dans les premières heures de la nouvelle Algérie. Dès avril 1963, Bouteflika obtient le portefeuille des Affaires étrangères. Il a 26 ans. À Paris, le plus jeune ministre des Affaires étrangères du monde est fasciné par le général de Gaulle. Il n’entend pas pour autant mener la vie facile à l’ancien colonisateur. Ses relations avec la France sont ambivalentes. Volontiers provocateur, il négocie âprement les contentieux apparus après Évian.

L’Algérie est le phare du tiers-mondisme. Elle impulse le mouvement des non-alignés. Engagé dans une hasardeuse aventure insurrectionnelle dans la région africaine des Grands Lacs, le Che est accueilli triomphalement dans les rues d’Alger. Fort de ses hydrocarbures, l’État-providence se lance dans l’industrie lourde et dans la planification à la soviétique. La rente pétrolière assure une relative prospérité aux classes moyennes naissantes, mais les mauvais choix économiques se révèlent catastrophiques dans la durée. L’agriculture s’effondre. Une classe de dignitaires s’arroge des privilèges et étouffe les libertés publiques. Bouteflika n’en a cure. Ce célibataire sans enfants porte des cheveux longs et des chemises à col large, fume des cigares comme Fidel, séduit les femmes.

« Le ministre algérien Abdelaziz Bouteflika est un personnage surprenant, écrit dans ses Mémoires Valéry Giscard d’Estaing. Il disparaît parfois pendant plusieurs semaines sans qu’on retrouve sa trace. Il lui arrive de venir faire des visites incognito à Paris, dont nous ne sommes pas prévenus. Il s’enferme dans l’appartement d’un grand hôtel où se succèdent de charmantes visites. On affirme qu’il porte une perruque. »

En 1974, l’infatigable voyageur préside la session des Nations unies au cours de laquelle Yasser Arafat monte pour la première fois à la tribune. Abdelaziz Bouteflika incarne, grâce à ses talents oratoires, l’orgueil national. Le sien aussi. Le nationalisme lui colle à la peau. Il déteste cordialement les voisins tunisiens ou marocains, jugés trop proches de l’ex-puissance tutélaire, ainsi que les régimes arabes inféodés aux États-Unis. L’Algérie attise le conflit entre le Front Polisario et le Maroc, qui se disputent le Sahara occidental. En décembre 1975, Bouteflika accepte une escale à Alger de l’appareil mis à la disposition de Carlos et des ministres pris en otages au siège de l’Opep, à Vienne. Le chef de la diplomatie algérienne s’entretient dans un des salons d’honneur avec le Vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez, dit « le Chacal », à l’origine de plusieurs opérations terroristes majeures en Europe. L’avion s’envole ensuite vers la Libye, un autre régime ami du « front du refus ».

À la mort de Houari Boumediene, en décembre 1978, Abdelaziz Bouteflika prononce son oraison funèbre. C’est, pour longtemps, son dernier discours public. Les caciques du régime se disputent l’héritage. Le colonel Chadli Bendjedid prend le pouvoir et procède à une purge. L’ancien ministre des Affaires étrangères s’exile pour une traversée du désert au sens figuré comme au sens propre. Elle le conduit à Abu Dhabi et au Qatar.

En Algérie, la crise sociale et le manque de libertés alimentent la contestation sur fond de montée de l’islamisme. Le Front islamique du salut arrive en tête des législatives de 1991, mais l’armée stoppe le processus électoral. Le pays bascule dans la violence. Les djihadistes ébranlent l’appareil politico-militaire avant de finalement perdre du terrain dans un conflit qui se solde par plus de 150.000 morts. C’est la « décennie noire ». Des années de sang, de désespoir et de vengeances.

En janvier 1994, en pleine guerre contre les maquis islamistes, les militaires proposent à Abdelaziz Bouteflika de revenir. Il refuse la présidence. L’avenir est incertain. Le général Liamine Zéroual remplace Bouteflika. Les militaires obtiennent finalement la démobilisation de l’AIS, le bras armé du Front islamique du salut, après une série de massacres de civils.

Islamisation de la société

En 1999, Bouteflika accepte une nouvelle offre des généraux. « C’est le moins mauvais des candidats », lance le général Khaled Nezzar, ancien chef d’état-major des armées, qui le déteste. Convaincus de sa victoire annoncée, ses adversaires se dérobent à la veille du scrutin présidentiel en dénonçant une « mascarade électorale ». Président mal élu, Bouteflika invective Paris, qui s’interroge sur l’honnêteté du scrutin. « Il faut l’excuser, il est fraîchement décongelé », ironise Hubert Védrine. Très vite, pourtant, Bouteflika réussit son offensive de charme. Il parle, intarissable après un si long silence : il va réconcilier le pays, briser les tabous, réhabiliter la langue française, tendre la main aux ennemis d’hier et même aux pieds-noirs et aux Juifs.

Que reste-t-il du tourbillon des mots ? Quelques acquis : la « concorde civile » a permis le retour à la paix, mais la politique de réconciliation nationale n’a apporté ni la vérité, ni la justice pour les victimes. Peu à peu, la société a basculé dans le conservatisme religieux. En dépit de la manne pétrolière et gazière, le pays reste plongé dans le marasme social. Sans travail, les jeunes commencent à prendre clandestinement la mer. Les harraga rejoignent l’Europe ou se noient. En fin de cycle, le système est incapable de se réformer.

Réélu, après un simulacre de duel avec son ex-premier ministre Ali Benflis, Abdelaziz Bouteflika consolide son pouvoir en se débarrassant des képis étoilés de la vieille garde qui intervenaient dans les grandes décisions. La presse est mise au pas et la société civile est priée de se taire. Le raïs a les coudées franches, mais les réformes de fond s’enlisent.

« Nous voulons des visas », lance la jeunesse algérienne lors des visites de Jacques Chirac, ce président français qui a lui aussi participé à la « guerre d’Algérie ». Il est question d’un « traité d’amitié » entre la France et l’Algérie. Le projet ne résiste pas aux relations passionnelles entre les deux pays. Dans les deux camps, le passé n’a pas été apuré.

Victime d’une grave hémorragie, Abdelaziz Bouteflika est hospitalisé d’urgence au Val-de-Grâce, à Paris, en novembre 2005. On le dit mourant. Il revient à Alger affaibli mais ne lâche pas les rênes. Il est réélu en 2009 pour un morne troisième mandat. L’affairisme et la corruption se sont installés. Les pétrodollars assurent la survie du régime en achetant la paix sociale. L’écueil des soulèvements arabes est évité grâce au traumatisme de la « décennie noire ».

Le mépris et l’autoritarisme

Cloué dans une chaise roulante par un accident vasculaire cérébral, le vieil homme n’est plus que son ombre. La population oscille entre honte et pitié. Il est à nouveau réélu en avril 2014 sans prononcer un mot. Le quatrième mandat est le crépuscule de son règne. Le pays est à son image : il continue à vivre mais souffre de paralysie. Abdelaziz Bouteflika parvient cependant à se débarrasser du dernier vestige du passé, le général Mohamed Mediene dit Toufik, le légendaire patron sans visage du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), considéré durant des décennies comme le chef occulte du régime. Il est enfin seul. Presque seul. Son frère, Saïd, est sa courroie de transmission et une cour de courtisans lui rend visite. Son état de santé le contraint à quitter le palais présidentiel d’El Mouradia. Il végète à Zéralda sur la côte, dans une maison médicalisée, loin du monde.

Aveuglé par le mépris et l’autoritarisme, le clan présidentiel ne voit pas le ras-le-bol des Algériens poindre. Il est convaincu que le cinquième mandat passera comme les autres. La tentative de passage en force est vécue comme une offense à sa fierté par une partie du peuple algérien. Elle a fait tomber le « mur de la peur ». La partie s’achève pour celui qui voulait partir en raïs, qui voulait mourir comme Boumediene et Chadli. Issu d’une génération qui appartient à l’histoire, Abdelaziz Bouteflika a raté son dernier rendez-vous avec elle. Sommé de quitter le pouvoir par l’état-major, « Boutef », comme l’appellent familièrement ses compatriotes, jette l’éponge le 2 avril 2019. Depuis sa chute, il était resté retranché dans la solitude de sa résidence médicalisée de Zeralda, à l’ouest d’Alger, ne donnant plus signe de vie.

Par Thierry Oberlé
Le Figaro du 18 septembre 2021

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