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En Israël, les extrémistes juifs de l’Irgoun et du Lehi progressivement réhabilités après les attentats de 1944-1948

lundi 13 janvier 2025, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 13 janvier 2025).

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13 janvier 2025

Assawra

L’hôtel King David, à Jérusalem, visé par un attentat à l’explosif. Photo d’archives du 22 juillet 1946 publiée par le bureau de presse du gouvernement israélien. HANDOUT / REUTERS

La conviction qu’Israël ne combat que pour se défendre face à une menace toujours renouvelée est profondément ancrée dans la société israélienne. De fait, l’armée est, depuis l’indépendance de 1948, désignée sous son acronyme hébreu de Tsahal, soit « Force de défense d’Israël ». Et cette appellation est elle-même dérivée de Haganah, soit « Défense », ainsi qu’était nommée la milice sioniste, recrutée dès 1920 au sein de la communauté juive de Palestine et forte, une décennie plus tard, de milliers de combattants.

Cependant, la relative retenue de la Haganah face au soulèvement nationaliste de 1936 provoqua, l’année suivante, la scission de l’Irgoun (« l’Organisation »), bientôt responsable d’attentats sanglants contre la population arabe. En 1939, la Haganah et l’Irgoun décident de soutenir le Royaume-Uni face à l’Allemagne nazie, suscitant une nouvelle dissidence, celle du Lehi, l’acronyme hébreu des « Combattants pour la liberté d’Israël ». Les terroristes de l’Irgoun et du Lehi, dont les actes avaient été condamnés par la direction sioniste, puis par le jeune Etat d’Israël, ont depuis été réhabilités plus ou moins officiellement.

L’assassinat de Lord Moyne en 1944

Lord Moyne, ministre britannique aux colonies en 1941-1942, avait ensuite été promu ministre-résident au Moyen-Orient, chargé de gérer, de l’Egypte, l’effort de guerre dans cette région stratégique. Le 6 novembre 1944, il est assassiné au Caire, avec son chauffeur, par deux terroristes du Lehi. Le premier ministre, Winston Churchill, condamne des « gangsters dignes de l’Allemagne nazie », tandis que la direction sioniste dénonce « [un] terrorisme qui risque de [la] détruire de l’intérieur ».

La Haganah se met d’ailleurs au service de la sécurité britannique pour traquer les militants du Lehi, ainsi que de l’Irgoun. Les deux assassins de Lord Moyne sont pendus au Caire, le 22 mars 1945. Toutefois, trente ans plus tard, le gouvernement du travailliste Yitzhak Rabin négocie avec l’Egypte un échange entre les dépouilles des meurtriers de Lord Moyne et une vingtaine de fedayins palestiniens. Les honneurs militaires sont rendus devant les deux cercueils, une cérémonie à laquelle assiste Yitzhak Shamir, un des anciens chefs du Lehi, qui sera premier ministre d’Israël de 1983 à 1984, puis de 1986 à 1992.

L’attentat contre le King David en 1946

L’hôtel King David, à Jérusalem, est le quartier général de l’armée britannique lorsque, le 22 juillet 1946, il est visé par un attentat à l’explosif de l’Irgoun. Au total, 91 personnes sont tuées, majoritairement des civils, dont 17 Juifs, 28 Britanniques et 41 Arabes, suscitant une condamnation générale, y compris de la direction sioniste. Le soixantième anniversaire de l’attentat est pourtant marqué, en 2006, par une conférence organisée au King David afin de célébrer l’héroïsme du commando, avec la participation d’un des terroristes ayant introduit des explosifs dans l’hôtel.

A cette occasion, une plaque est dévoilée, en présence de Benyamin Nétanyahou, déjà premier ministre de 1996 à 1999, dont le père était un partisan actif de l’Irgoun. Cette plaque bilingue insiste sur les avertissements lancés une vingtaine de minutes avant l’explosion. Sa conclusion en anglais est : « Au grand regret de l’Irgoun, 91 personnes furent tuées. » Le texte hébreu donne en revanche un bilan de 92 victimes, incluant le terroriste de l’Irgoun tué alors dans un échange de tirs avec les Britanniques.

L’assassinat de Folke Bernadotte en 1948

Le déclenchement de la première guerre israélo-arabe, en mai 1948, entraîne la nomination, par l’Organisation des Nations unies (ONU), d’un « médiateur », Folke Bernadotte. Ce diplomate suédois avait sauvé, en février-mars 1945, plus de 20 000 prisonniers aux mains des nazis, dont plus de 6 000 Juifs. Bernadotte obtient, dès juin 1948, une trêve de quatre semaines dans les hostilités, avant de proposer un plan de paix reposant sur la neutralisation de Jérusalem et le retour de centaines de milliers de réfugiés arabes.

Un tel plan est rejeté par l’armée israélienne, tout juste fondée à partir de la Haganah, avec absorption de l’Irgoun. Le Lehi garde néanmoins son autonomie opérationnelle sous l’autorité, entre autres, de Shamir. Et ce sont quatre militants du Lehi, en uniforme de l’armée israélienne, qui, le 17 septembre 1948, tuent Bernadotte, ainsi qu’André Sérot, le commandant français des observateurs de l’ONU dans la Ville sainte (Sérot venait remercier Bernadotte d’avoir, en 1945, sauvé son épouse juive du camp de Ravensbrück).

L’émotion internationale est telle qu’Israël annonce la dissolution du Lehi en tant qu’« organisation terroriste ». Néanmoins, les deux seuls membres du commando à être jugés ont beau être condamnés, en février 1949, à quelques années de prison, ils sont libérés juste après dans le cadre d’une amnistie générale. Cela n’empêche pas Israël de devenir membre de l’ONU, en mai 1949, en tant qu’« Etat pacifique ».

Les diplomates de l’ONU, déstabilisés par la brutalité de leurs interlocuteurs israéliens, popularisent la formule : « Si vous êtes d’accord à 90 % avec les Israéliens, ils vous accusent d’être antisémites du fait des 10 % restants, alors que si vous êtes d’accord à 10 % avec les Arabes, ils vous célèbrent comme un ami, et tant pis pour les 90 % restants. » La campagne d’une virulence inouïe que mènent aujourd’hui Nétanyahou et son gouvernement contre l’ONU s’inscrit à l’évidence dans une aussi longue durée. Quant à l’assassinat de Bernadotte, il est désormais célébré, à Tel-Aviv, dans un musée à la gloire du Lehi et dépendant du ministère israélien de la défense.

Jean-Pierre Filiu (Professeur des universités à Sciences Po)
Le Monde du 12 janvier 2025

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